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COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT N° 7 DU QUINZE JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE
AFFAIRE N° : N° RG 21/01322 – N° Portalis DBV7-V-B7F-DMOM
Décision déférée à la Cour : Arrêt de renvoi après cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Basse-Terre du 21 Janvier 2019 statuant sur appel du jugement du Conseil de Prud’hommes de Pointe-à-Pitre – section commerce – du 24 Janvier 2014.
APPELANT
Monsieur [L] [Z]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Comparant – Assisté de Mme [H] [P], défenseur syndical
INTIMÉE
G.I.E. AREMA
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Isabelle WERTER-FILLOIS, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 11 Décembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Judith DELTOUR, Présidente de chambre,
Mme Valérie MARIE-GABRIELLE, conseillère,
Mme Pascale BERTO, vice-présidente placée auprès du premier président.
Les parties ont été avisées à l’issue des débats de ce que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 15 janvier 2024
GREFFIER Lors des débats Mme Lucile POMMIER, greffier principal.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 al 2 du CPC.
Signé par Madame Judith DELTOUR, Présidente de chambre et par Mme Lucile POMMIER, greffier principal, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
*********
PROCÉDURE
Alléguant avoir travaillé pour le GIE GSP selon contrats à durée déterminée d’usage constant à compter du 23 mars 2005 en qualité de docker occasionnel, le transfert des contrats à compter de février 2010, au GIE Arema, un contrat de travail à durée déterminée d’usage conclu le 1er octobre 2012, M. [L] [Z] a saisi le 20 septembre 2012 le conseil des prud’hommes de Pointe-à-Pitre pour obtenir la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée et obtenir le paiement de sommes à titre de rappels de salaires, d’indemnités et de dommages et intérêts.
Suivant saisine du 20 septembre 2012, par jugement du 24 janvier 2014, le conseil des prud’hommes de Pointe-à-Pitre, a
– ordonné la réintégration de M. [L] [Z] à compter de la notification du jugement,
– constaté la requalification du contrat de travail du salarié en contrat de travail à durée
indéterminée,
– condamné le GIE Arema à lui payer les sommes suivantes :
– 3 438,08 euros au titre de la requalification du contrat de travail,
– 36 998,58 euros à titre de rappels de salaire,
– 3 699,85 euros à titre d’incidence congés payés y afférents,
– 1 617,54 euros à titre de rappel du bonus de l’accord Bino,
– 4 661,94 euros au titre du rappel de la prime d’ancienneté,
– 9 656,90 euros au titre du rappel de la prime de vacances,
– 1 593,60 euros à titre de congés payés sur primes,
– 9 936 euros à titre de dommages et intérêts pour non-application de la convention collective,
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné la remise des bulletins de salaire de septembre 2007 à septembre 2012 rectifiés sous astreinte, rejetant le surplus des demandes.
Selon déclaration du 5 février 2014, le GIE Arema a interjeté appel de ce jugement. Par arrêt rendu le 18 mai 2015, la cour d’appel de Basse-Terre a :
– rejeté l’exception de nullité du jugement,
– infirmé le jugement rendu par la section commerce du conseil des prud’hommes de Pointe-à-Pitre en date du 24 janvier 2014,
Statuant à nouveau, a
– rejeté les demandes de M. [Z] de requalification de son contrat de travail, au sein du GIE Arema, en contrat de travail à durée indéterminée et de réintégration dans un poste de docker en contrat à durée indéterminée,
– rejeté les demandes de M. [Z] en rappel de salaires, accessoires et primes,
– condamné le GIE Arema à payer à M. [Z] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination à 1’embauche,
– rejeté le surplus,
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné le GIE Arema aux entiers dépens.
Par arrêt du 30 novembre 2016, statuant sur pourvois formés contre les arrêts de la cour d’appel du 18 mai 2015, vu la connexité, la Cour de cassation a
– cassé et annulé, mais seulement ce qu’il a rejeté les demandes tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et à sa réintégration dans un poste de docker en contrat à durée indéterminée, l’arrêt rendu le 18 mai 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Basse-Terre,
– remis sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état ou elles se trouvaient avant ces arrêts et les a renvoyées devant la cour d’appel de Basse-Terre, autrement composée,
– condamné le GIE Arema aux dépens,
– condamné le GIE Arema à payer aux salariés concernés une somme globale de 3 000 euros.
Suivant arrêt de renvoi, par arrêt rendu le 21 janvier 2019, la cour d’appel de Basse-Terre a
– déclaré irrecevable l’intervention volontaire formulée au nom de la CGTG,
– infirmé le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre en date du 24 janvier 2014,
Statuant à nouveau,
– rejeté les demandes de M. [L] [Z] tendant à la requalification de son contrat de travail au sein du GIE Arema en contrat de travail à durée indéterminée et de réintégration dans un poste de docker en contrat à durée indéterminée,
– rejeté les demandes de M. [L] [Z] en rappel de salaires, accessoires et primes,
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé les dépens à la charge de M. [L] [Z].
Statuant suivant déclaration de pourvoi notamment de M. [Z], par arrêt rendu le 13 octobre 2021, notifié le 29 octobre 2021, la Cour de cassation a
– cassé et annulé mais seulement en ce qu’ils rejettent les demandes de MM. [Z], [G], [X] et [T] tendant à la requalification de leurs contrats de travail au sein du GIE Arema en contrat à durée indéterminée et à leur réintégration dans un poste de docker en contrat à durée indéterminée, rejeté leurs demandes subséquentes de rappel de salaires, accessoires et primes, les a condamnés aux dépens et rejeté leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, les arrêts rendus le 21 janvier 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Basse-Terre,
– remis, sur ces points, les affaires et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les a renvoyés devant la cour d’appel de Basse-Terre, autrement composée,
– condamné le GIE Arema aux dépens,
En application de l’article 700 du code de procédure civile, a
– rejeté les demandes formées par la Confédération générale du travail de la Guadeloupe et le GIE Arema et a condamné ce dernier à payer à MM. [Z], [G], [X] et [T] la somme globale de 3000 euros.
Suivant déclaration de saisine du 28 décembre 2021, par conclusions communiquées le 29 décembre 2021 et par dernières conclusions communiquées le 26 janvier 2023, M. [Z] a sollicité de la cour, de
– confirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Pointe-à-Pitre en ses dispositions en faveur de M. [L] [Z],
Statuant de nouveau,
– requalifier ses contrats de travail au sein du GIE AREMA en contrat de travail à durée indéterminée,
– prononcer sa réintégration de droit dans un poste de docker en contrat à durée indéterminée,
– faire droit à ses demandes de rappels de salaire, accessoires et primes,
– dire et juger que la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée entraîne la révision de la carrière de M. [Z],
– ordonner la reconstitution de la totalité de la carrière de M. [Z] et le rétablir dans des droits identiques aux dockers de même catégorie que lui et de même ancienneté que lui,
– condamner la société GIE Arema en la personne de son représentant légal, à verser à titre de provision pour la période du 1er septembre 2007 au 30 septembre 2012 à M. [Z] les sommes suivantes :
– 3 438,08 euros au titre de la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,
– 36 998,58 euros au titre des rappels de salaire,
– 1 617,54 euros au titre du rappel du bonus Bino,
– 4 661,94 euros au titre du rappel de la prime d’ancienneté,
– 9 656,90 euros au titre du rappel de la prime de vacances,
– 3 699,85 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents aux
rappels de salaire,
– 1 593,60 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférents aux primes,
– 100 000 euros au titre de dommages et intérêts pour non-application de la convention collective,
– 50 000 euros au titre de dommages et intérêts pour discrimination et harcèlement moral,
– 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution
déloyale du contrat de travail,
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Et à la remise des fiches de paie conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 1 000 euros par document et par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir,
– prononcer l’exécution provisoire du jugement
– dire que ces sommes emportent intérêts légaux à compter de la réception de la demande devant le bureau de conciliation du conseil des prud’hommes soit le 20 septembre 2012, avec capitalisation des intérêts.
Il a fait rappelé la procédure antérieure et fait valoir le mépris affiché par l’employeur. Il a soutenu, en substance, la requalification des contrats de travail successifs en contrat à durée indéterminée, que l’absence de contrat écrit avant 2005 justifiait à elle seule la requalification mais que la cour d’appel avait déduit de l’absence de contrat ou de signature la mauvaise foi du salarié. Il a fait valoir que le contrat à durée déterminée ne peut avoir pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, que l’employeur supportait la charge de la preuve du caractère temporaire de l’emploi et que l’existence d’un usage ne constituait pas une raison objective de renouvellement de ses contrats. Il a fait valoir ses nombreux contrats parfois pour quelques heures, ses affectations à des taches de cariste 1 et chef de cale, qu’avec plus deux mille contrats de travail en neuf ans, il occupe un emploi permanent et à temps complet puisqu’il restait à disposition toute la journée, malgré des contrats de trois ou sept heures.
S’agissant de la discrimination syndicale, il a soutenu avoir été ‘mis dehors’ après avoir saisi le conseil des prud’hommes, que par l’arrêt du 18 mai 2015 la cour d’appel a considéré qu’il avait subi une discrimination, mais qu’il n’avait pas fait la preuve de ce qu’elle était fondée sur son appartenance syndicale, en dépit des dispositions de l’article L. 122-45 du code du travail, qu’en 2006, 2010, 2012 et 2015 des recrutements avaient eu lieu parmi les salariés en contrat d’usage mais qu’il n’en avait pas bénéficié, qu’entre 2015 et 2022, cinquante cinq dockers avaient été mensualisés mais qu’il n’en faisait pas partie et que de nombreux autres occasionnels avaient été embauchés, que cette discrimination provoquait une inégalité salariale et l’empêchait de devenir représentant des salariés en raison d’un nombre insuffisant d’heures. Il a détaillé ses demandes au titre de la reconstitution de carrière, de la re-classification dans la grille de la convention collective de la manutention portuaire de Guadeloupe ainsi que des rappels des bonus Bino, des primes d’ancienneté, des treizièmes mois, primes de vacances, congés payés et congés payés sur les primes et bonus Bino, outre des dommages et intérêts pour non-application de la convention collective, rappelant que les sommes versées au titre de l’exécution provisoire avaient été compensées par l’employeur sur les dommages et intérêts qui auraient dû être versés au titre de la discrimination à l’embauche.
Par dernières conclusions communiquées le 13 juillet 2023 et notifiées le même jour, le GIE AREMA a sollicité de
– le recevoir en son appel et le dire fondé,
– infirmer le jugement rendu par le conseil des prud’hommes,
Statuant de nouveau,
– débouter M. [Z] de sa demande de requalification de ses contrats à durée déterminée d’usage constant en contrat à durée indéterminée après avoir constaté que le GIE AREMA justifie par l’existence d’éléments concrets et précis versés aux débats du caractère par nature temporaire de l’emploi de docker occupé par M. [Z], caractère qui est conforté par les dispositions des conventions et accords collectifs applicables au secteur d’activité de la manutention portuaire,
En conséquence,
vu la loi n° 92-496 du 9 juin1992 portant réforme de la manutention portuaire, l’article L. 511-2-I nouveau du code des ports maritimes, la convention collective manutention portuaire de Guadeloupe du 31 juillet 1995 et ses avenants, la convention collective nationale unifiée «Ports et manutention » qui s’est substituée à la convention nationale de la manutention portuaire en vigueur étendue, les accords d’entreprises et de branches applicables et la jurisprudence constante,
– débouter M. [Z] de ses demandes,
– le condamner au paiement de 3 000 euros au titre de l’article 700 ‘du NCPC’.
Le GIE Arema a rappelé la procédure antérieure et fait valoir que M. [Z] faisait une présentation trompeuse des faits, que la cour d’appel avait statué à bon droit, que l’usage constant de contrats à durée déterminée pour l’emploi de dockers occasionnels a été constaté par les partenaires sociaux notamment les syndicats ouvriers MASU et CGTG qui ont signé la convention collective départementale du 31 juillet 1995 étendue par arrêté du 16 avril 1999, qui prévoit que l’activité de manutention portuaire est un secteur d’activité où il est d’usage constant de recourir au contrat à durée déterminée en raison de la nature de l’activité et du caractère par nature temporaire de certains emplois, que l’intéressé fait partie des ouvriers dockers occasionnels, qu’il figure sur une liste dressée par les partenaires sociaux lors de la mise en place du GIE Arema dans le cadre des discussions de branche ayant donné lieu à un accord d’entreprise n° 11 le 29 avril 2010 relatif à la gestion des dockers occasionnels, lors de la création du GIE Arema suite à la fusion des GIE GSP et MANUGUA, qu’il n’a subi aucune pression, n’a formulé aucune remarque écrite, n’a pas pu être licencié.
Il a soutenu que l’emploi était par nature temporaire en raison de la réception vingt-quatre heures à l’avance des besoins en personnels des manutentionnaires, de l’affectation des salariés dockers en fonction des demandes et des qualifications puis du recours éventuel aux ‘CDDUC’, l’affectation provoquant l’édition d’un contrat de travail d’usage constant en deux exemplaires pour chaque ouvrier docker affecté pour le lendemain, que suite à l’appel, grâce à la navette, l’ouvrier docker occasionnel pouvait arriver sur le chantier, se présenter au bureau des responsables, signer son contrat et commencer à travailler, que les contrats de travail étaient parfois signés a posteriori. Il a soutenu que les besoins étaient par nature variables, que M. [Z] était un employé saisonnier, à temps partiel relevant des dispositions de l’article L. 1242-2 du code du travail, qu’il n’avait jamais travaillé un mois complet et n’avait subi aucune discrimination et aucun harcèlement, d’autant qu’il avait la garantie d’intégration en contrat à durée indéterminée dans le cadre d’un plan, qu’il devait être débouté de ses demandes.
Les parties ont été convoquées à l’audience du 2 octobre 2023. M. [Z] a comparu assisté de Mme [P], représentant syndical, il a fait valoir que les contrats étaient faits avant chaque embauche, qu’il avait été licencié en 2012 et réintégré en 2014. Le GIE Arema a soutenu ses demandes.
L’affaire a été mise en délibéré pour être rendu le 15 janvier 2024. Le délibéré a été avancé au 13 novembre 2023.
Par arrêt rendu avant-dire droit rendu le 13 novembre 2023 notifié le 23 novembre 2023, la cour, rappelant qu’elle restait saisie des écritures, a
– ordonné la réouverture des débats à l’audience du 11 décembre 2023, pour permettre un changement dans la composition de la cour,
– réservé les dépens.
M. [Z] a comparu assisté de Mme [P], représentant syndical, il a fait valoir qu’au début, il n’avait même pas de contrat de travail, que pour les administrations, il était considéré comme en contrat à durée indéterminée.
Le GIE Arema n’a pas comparu et il a indiqué s’en remettre à ses écritures.
L’affaire a été mise en délibéré pour être rendu publiquement par mise à disposition au greffe, le 15 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
À titre liminaire, il résulte de l’examen des deux arrêts de la Cour de cassation qu’elle a par deux fois désapprouvé l’analyse identique de la cour d’appel qui avait débouté le salarié notamment de sa demande de requalification de ses contrats de travail d’usage en contrat à durée indéterminée. En outre, l’arrêt du 18 mai 2015 n’a été cassé et annulé qu’en ce qu’il a rejeté les demandes tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et à sa réintégration dans un poste de docker en contrat à durée indéterminée, de sorte que, réciproquement, il est définitif en ce qu’il a condamné le GIE Arema à payer à M. [Z] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination à l’embauche sans qu’il soit démontré ‘qu’il a été écarté pour son appartenance syndicale’ mais également en ce qu’il a débouté M. [Z] de ses demandes fondées sur le harcèlement moral, au visa de l’article L. 1154-1 du code du travail et sur la discrimination syndicale.
En application des dispositions de l’article L.1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. L’article L. 1242-2 du code du travail, sur lequel les parties fondent le débat, poursuit […] un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants : […] Emplois à caractère saisonnier, dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs ou emplois pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. Lorsque la durée du contrat de travail est inférieure à un mois, un seul bulletin de paie est émis par l’employeur.
Dans ce cas, la succession de contrats avec le même salarié est alors possible si elle est justifiée par des raisons objectives, qui supposent l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné, à charge pour l’employeur de démontrer que les contrats à durée déterminée d’usage successifs conclus avec le salarié n’ont pas pour fonction de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale de l’entreprise. Ainsi le recours à des contrats d’usage successifs avec le même salarié doit être justifié par des raisons objectives.
L’employeur, le GIE-Arema relate expressément que M. [Z] est un docker occasionnel qu’il a été embauché pour la première fois le 23 mai 2005 par le GIE GSP par un contrat à durée déterminée d’usage d’une journée, ‘plusieurs fois par mois’, le dernier contrat à durée déterminée étant du 2 octobre 2012. Cette relation des faits concorde avec celle de M. [Z]
Si l’employeur fait valoir qu’il reçoit 24 heures à l’avance des manutentionnaires leurs besoins en personnel docker pour leurs chantiers et que l’activité portuaire saisonnière ainsi que les retards liés aux conditions météorologiques, éléments par nature fluctuants, conduisent à affecter prioritairement les salariés en contrat à durée indéterminée et, s’il reste des postes vacants, à recourir à des contrats à durée déterminée d’usage constant, ces éléments relèvent de l’organisation interne du travail dans l’entreprise ; ils ne sont pas intrinsèquement suffisants.
En l’espèce, pour l’année 2007, l’employeur produit des contrats à durée déterminée à usage constant au nom de M. [Z] sur des emplois de cariste attelage, de docker étiquette, docker bord, parfois chef de cale ou chef de panneaux, signés ou non, 18 contrats en janvier, 11 en février, 17 en mars, 10 en avril, 11 en août, 16 en septembre, 19 en octobre, 13 en novembre, 15 en décembre. Pour l’année 2008, sont produits ainsi,16 contrats en janvier, 16 en février, 12 en mars, 15 en avril, 15 en mai, 15 en juin, 17 en juillet, 22 en août, 13 en septembre, 14 en octobre, 19 en novembre, 16 en décembre. Pour l’année 2009, sont encore versés au débat,16 contrats en janvier, 9 en février, 4 en mars, 14 en avril, 14 en mai, 3 en juin, 16 en juillet, 13 en août, 13 en septembre, 11 en octobre, 13 en novembre, 15 en décembre. Pour l’année 2010, également est démontrée l’existence de 2 contrats en janvier, 6 en février, 8 en mars, 9 en avril, 6 en mai pour 42 heures travaillées, 9 en juin (pour 63 heures), 12 en juillet (pour 84 heures), 17 en août (115,5 heures), 17 en septembre (pour 108,5 heures), 9 en octobre (pour 63 heures), 11 en novembre (73,5 heures), 20 en décembre (129,5 heures). Ainsi en est-il également pour l’année 2011, sont produits, 15 contrats en janvier (103 heures), 17 en février (108,5 heures), 13 en mars (91 heures), 12 en avril (84 heures), 13 en mai (91 heures), 9 en juin (63 heures), 17 en juillet (119 heures), 15 en août (98 heures), 8 en septembre (56 heures), 9 en octobre (77 heures dont 14 de formation), 14 en novembre (91 heures), 14 en décembre (105 heures). Enfin, pour l’année 2012, sont produits, 15 contrats en janvier (105 heures), 13 en février (105 heures), 16 en mars (119 heures), 12 en avril (94,5 heures), 14 en mai (101,5 heures), 17 en juin (112 heures), 24 en juillet (157 heures), 14 en août (105 heures), 19 en septembre (133 heures).
En dépit de la licéité non contestée et non contestable du contrat à durée déterminée d’usage constant, s’agissant de M. [Z], ces pièces militent en faveur d’un emploi non temporaire d’autant qu’elles émanent d’un seul employeur qui n’allègue ni ne démontre que l’intéressé ne remplissait pas les conditions de disponibilité ou médicales pour remplir un emploi permanent. D’ailleurs, la question à trancher n’est pas celle de la possibilité pour l’employeur de recourir à des contrats à durée déterminée d’usage constant mais de déterminer si au cas d’espèce, il est démontré par des raisons objectives, que le recours à ces contrats à durée déterminée d’usage constant successifs avec M. [Z] pendant plusieurs années sur des durées de travail conséquentes n’ont pas eu pour fonction de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale de l’entreprise.
Les tableaux produits par l’employeur qui détaillent ses activités liées au déchargement de tel ou tel navire nécessitant telle ou telle compétence de cariste attelage, docker terre ou docker, chauffeur auto, pointeur, chef de panneaux, mettent seulement en évidence que son activité rend nécessaire le recours à des salariés ayant des compétences diverses mais non que le recours aux contrats d’usage constant résulte seulement d’un accroissement temporaire de l’activité, ou d’une variation momentanée de ses besoins, ou que ces variations présentent un caractère exceptionnel, ni même que le salarié recruté est affecté à des tâches exceptionnelles ou résultant seulement de l’accroissement d’activité. Les tableaux mettent seulement en évidence l’activité normale et permanente de la société sans démontrer l’existence de pics inhabituels ou exceptionnels et la corrélation entre le volume inhabituel ou exceptionnel de l’activité et le recours aux contrats à durée déterminée d’usage constant sur une telle durée. En effet, les tableaux ne prouvent pas que sur les périodes d’emploi de M. [Z], les dockers professionnels étaient en nombre insuffisant, en raison de leurs absences, congés, ou maladies ou en raison de l’accroissement de l’activité.
Si le recours aux contrats à durée déterminée d’usage constant est possible et légal, la conclusion de tels contrats dans les conditions rappelées c’est-à-dire sur de nombreuses semaines de chaque mois, pendant plusieurs années démontre que l’intéressé venait pallier non pas un déficit conjoncturel de main d’oeuvre en raison des congés ou du respect du temps du travail mais bien un manque structurel de main d’oeuvre et donc qu’il s’agissait de pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, d’autant que l’accroissement ou à l’inverse la réduction de l’activité justifient davantage une adaptation de la durée du travail qu’une variation de la durée des contrats.
L’employeur fait valoir que le docker bénéficiant d’un contrat à durée déterminée d’usage constant n’est pas tenu de se présenter à l’embauche, sans en tirer de conséquence sauf à en déduire implicitement que l’intéressé a accepté cette situation et l’absence de violation des dispositions légales. Pour autant la multiplicité des contrats et leur succession démontrent que le salarié ne pouvait que se tenir à disposition de l’employeur et ne pouvait pas rechercher un autre emploi. Nonobstant la spécificité du statut des dockers soutenue par l’employeur et la possibilité du recours aux contrats litigieux pour faire face au caractère fluctuant de l’activité de manutention portuaire, l’employeur ne rapporte pas la preuve que le recours à ces contrats, dans les conditions décrites n’a pas eu pour fonction de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale de l’entreprise. Mieux, il ressort de la succession des contrats de M. [Z] et du volume d’heures réalisées, qu’il occupait un emploi ressortant de l’activité normale de l’entreprise, peu important que cette activité soit elle-même fluctuante. Travaillant pour le même employeur, en situation de monopole, pour une durée équivalant à un temps plein pendant plusieurs années, le salarié ne peut plus relever du régime des contrats à durée déterminée d’usage constant.
En application des dispositions de l’article L.1245-1 du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 à L. 1242-4, L. 1242-6, L. 1242-7, L. 1242-8-1, L. 1242-12, alinéa premier, L. 1243-11, alinéa premier, L. 1243-13-1, L. 1244-3-1 et L. 1244-4-1, et des stipulations des conventions ou accords de branche conclus en application des articles L. 1242-8, L. 1243-13, L. 1244-3 et L. 1244-4.
Il en résulte qu’il convient, confirmant le jugement du conseil des prud’hommes, de re-qualifier la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du premier contrat et de prononcer sa réintégration de droit dans un poste de docker en contrat à durée indéterminée. Le GIE Arema est débouté de ses demandes contraires.
Par suite de la requalification des contrats à durée déterminée d’usage constant en contrat à durée indéterminée, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat à durée déterminée irrégulier et il est en droit de se prévaloir à ce titre d’une ancienneté remontant à cette date. Autrement dit, M. [Z] peut prétendre à la reconstitution de sa carrière avec régularisation de sa rémunération, étant relevé qu’au terme de ses écritures il a été évincé le 2 octobre 2012 et réintégré le 19 mai 2014.
En application des dispositions de l’article L. 1245-2 du code du travail, lorsque le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. M. [Z], qui occupe l’emploi de docker B niveau 3, réclame à ce titre la somme de 1 719,04 x 2 soit 3 438,08 euros pour la période du 1er septembre 2007 au 30 septembre 2012, retenue par le conseil des prud’hommes et non contestée par l’employeur.
Le GIE Arema, est condamné à payer à M. [Z], qui occupe l’emploi de docker B niveau 3, la somme de 3 438,08 euros au titre de la requalification du contrat de travail à durée déterminée d’usage constant en contrat à durée indéterminée outre la somme de 36 998,58 euros au titre des rappels de salaire, pour la période du 1er septembre 2007 au 30 septembre 2012, suivant le tableau produit qui n’a suscité aucune critique de l’employeur. De cette reconstitution de carrière, résulte également l’obligation pour l’employeur de payer au salarié pour la période du 1er septembre 2007 au 30 septembre 2012, les sommes non contestées de
– 1 617,54 euros au titre du rappel du bonus Bino, sur la base du temps plein,
– 4 661,94 euros au titre du rappel de la prime d’ancienneté, correspondant à l’emploi de docker B,
– 9 656,90 euros au titre du rappel de la prime de vacances, compte tenu de sa qualification,
– 3 699,85 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents aux
rappels de salaire,
– 1 593,60 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférents aux primes, pour la période du 1er septembre 2007 au 30 septembre 2012, étant rappelé que les créances de nature salariale portent intérêts à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud’hommes et les créances indemnitaires à partir de la décision qui les prononce, qu’il s’agisse du jugement du 24 janvier 2014, de l’arrêt du 18 mai 2015 ou du présent arrêt, avec capitalisation pour les intérêts dus au moins pour une année entière.
Le jugement est donc confirmé à ce titre.
En conséquence de ce qui précède, le jugement est également confirmé en ce qu’il a ordonné la remise à l’intéressé des fiches de paie rectifiées de septembre 2007 à septembre 2012, sauf à préciser dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision et sous astreinte provisoire de 50 euros par jour et par document.
Comme déjà indiqué la succession des contrats à durée déterminée d’usage constant pour le GIE Arema, pour une durée équivalant à un temps plein pendant plusieurs années démontre que l’employeur n’a pas respecté la convention collective. De plus, il n’est pas démontré que pendant cette période de 2007 à 2012 aucun nouveau docker à temps plein n’a été recruté, de sorte qu’il n’est pas prouvé que la priorité d’embauche revendiquée par l’employeur comme bénéficiant à ces dockers occasionnels a été respectée. Les circonstances démontrent en tout cas qu’elle n’a pas été offerte à l’intéressé. Il en résulte un préjudice subi par le salarié qui a été exactement évalué à la somme de 9 936 euros retenue par le premier juge et non critiquée par l’employeur. Le jugement est également confirmé à ce titre.
S’agissant de la résistance abusive, en termes de procédure, elle n’est pas démontrée puisque par deux fois la cour d’appel a suivi l’argumentation de l’employeur et que parallèlement M. [Z] avait sollicité du conseil des prud’hommes, statuant en référé, sa réintégration dans son poste de travail et que la cour d’appel par arrêt du 24 février 2014, infirmant l’ordonnance de référé ayant dit n’y avoir lieu à référé, a condamné le GIE Arema à le réintégrer à son poste de travail, soit docker occasionnel, selon contrats d’usage, dans le mois de la signification de l’arrêt.
En revanche, le recours à des contrats à durée déterminée d’usage constant successifs, pendant plusieurs années, pour un volume horaire important, sans faire bénéficier l’intéressé de la priorité d’embauche constitue une exécution déloyale du contrat de travail. En effet, le salarié figurait sur la liste de l’accord d’entreprise du 29 avril 2010 en qualité de docker occasionnel prioritaire (pièce N°61) pour bénéficier d’un contrat à durée indéterminée. Il figurait encore sur les avenants concernant l’embauche de dockers du 19 décembre 2014, du 29 décembre 2015, du 31 mars 2015. À défaut d’avoir bénéficié de cette priorité d’embauche, nonobstant la reconnaissance de la discrimination à l’embauche, son emploi est resté précaire et sa situation s’est dégradée de manière corrélative puisque le recrutement d’autres dockers en contrats à durée indéterminée rendait moins nécessaire son embauche momentanée, lui causant un préjudice. Compte tenu de ces éléments, le GIE Arema est condamné à payer à M. [Z] une somme de 4 000 euros de dommages et intérêts.
L’exécution provisoire ne trouve pas à s’appliquer en cause d’appel. M. [Z] est débouté de cette demande.
Le GIE Arema qui succombe est condamné au paiement des entiers dépens et débouté de sa demande en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’appellation ‘nouveau code de procédure civile’ ayant disparu depuis 2007. Le jugement est également confirmé en ce qu’il a condamné le GIE Arema à payer à M. [Z], la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de la cassation,
– confirme le jugement du conseil des prud’hommes, en toutes ses dispositions y compris en ce qu’il a statué en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Y ajoutant,
– ordonne la reconstitution de la carrière de M. [L] [Z],
– dit que les condamnations prononcées contre l’employeur, portent intérêts à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud’hommes pour les créances de nature salariale et à compter de la décision qui les prononce, pour les créances indemnitaires et avec capitalisation pour les intérêts dus au moins pour une année entière,
– condamne le GIE Arema à remettre M. [L] [Z] des fiches de paie rectifiées de septembre 2007 à septembre 2012, dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision et sous astreinte provisoire de 50 euros par jour et par document,
– condamne le GIE Arema à payer à M. [L] [Z] pour la période du 1er septembre 2007 au 30 septembre 2012 la somme de 4 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– déboute M. [L] [Z] du surplus de ses demandes et le GIE Arema de ses demandes contraires,
– condamne le GIE Arema au paiement des entiers dépens.
La greffière, La présidente,