RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 10
ARRÊT DU 11 Février 2014
(n° 12 , 14 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S 12/00887
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Septembre 2011 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS section activités diverses RG n° 11/05599
APPELANTE
Madame [O] [X]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparante en personne, assistée de Me Michel HENRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0099 substitué par Me Xavier ORGERIT, avocat au barreau de PARIS, toque : P 99
INTIMÉE
SA FRANCE TÉLÉVISIONS
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Aline JACQUET DUVAL, avocat au barreau de PARIS, toque : E2080 substitué par Me Aurélia CORMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : E2080
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Novembre 2013, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Marie-Aleth TRAPET, conseiller, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Claudine PORCHER, présidente
Madame Marie-Aleth TRAPET, conseiller
Monsieur Guy POILÂNE, conseiller
L’affaire a été mise en délibéré au 4 février 2014, prorogé au 11 février 2014.
Greffier : Monsieur Polycarpe GARCIA, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Claudine PORCHER, présidente et par Monsieur Polycarpe GARCIA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Madame [O] [X] a été engagée par la société FRANCE 2 par contrat à durée déterminée du 9 février 1995 en qualité d’agent spécialisé d’émission, au service des bandes annonces de la chaîne. Des contrats à durée déterminée successifs ont été conclus de manière ininterrompue durant dix-sept années. En avril 2009, la qualification de « collaboratrice littéraire » lui a été attribuée.
La société nationale de télévision France 2 a été absorbée par la société FRANCE TÉLÉVISIONS dans le cadre de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision
Saisi par Madame [X], le conseil de prud’hommes de Paris, en sa section Activités diverses, a par jugement du 15 septembre 2011 requalifié les contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée, fixé le salaire mensuel de Madame [X] à la somme de 2 200 € et condamné la SA FRANCE TÉLÉVISIONS à lui verser :
– 2 200 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 220 € au titre des congés payés afférents,
– 1 650 € au titre de l’indemnité de rupture,
– 2 200 € au titre de l’indemnité prévue à l’article L. 1245-2 du code du travail,
Madame [X] étant déboutée du surplus de ses demandes.
Cette décision a été frappée d’appel par la salariée qui demande à la cour d’infirmer partiellement le jugement et, statuant à nouveau, de :
– prononcer la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en qualité de conseiller aux bandes annonces (Concepteur rédacteur),
– condamner la société FRANCE TELEVISIONS à lui payer :
* à titre d’indemnité de requalification, deux mois de salaire, soit 7 566,66 €
* à titre de rappel de salaire pour un temps plein à compter du 6 avril 2006 : 142 354,74 €
* au titre des congés payés afférents : 14 235,47 €
* à titre d’indemnité de préavis : 7 566,66 €
* au titre des congés payés afférents au préavis : 756,66 €
* au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement : 59 587,44 €
Madame [X] demande encore à la cour de constater la nullité du licenciement prononcé par lettre du 7 mars 2012, et de condamner en conséquence la société FRANCE TELEVISIONS à lui payer 51 995 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et abusif.
A titre subsidiaire, elle demande que le licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse, la société FRANCE TELEVISIONS étant alors condamnée à lui payer la même somme sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail.
Enfin, une somme de 20 000 € est réclamée à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, à titre principal, et, à titre subsidiaire, la somme de 5 000 € au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail et la même somme au titre des circonstances vexatoires de la rupture.
Madame [X] forme une demande à hauteur de 3 500 € au titre des frais irrépétibles.
La société FRANCE TELEVISIONS forme un appel incident tendant, au principal, au débouté de l’intégralité des demandes présentées par Madame [X] et à la condamnation de Madame [X] à lui payer 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Subsidiairement, dans l’hypothèse d’une requalification de la relation contractuelle, l’employeur conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la fixation des sommes dues dans les limites suivantes :
– 2 200 € au titre de l’indemnité de requalification,
– 1 650 € au titre de l’indemnité de rupture,
– 2 200 € au titre de l’indemnité de préavis, outre les congés payés afférents.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l’audience des débats.
SUR QUOI, LA COUR,
Sur la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée
Madame [X] expose qu’elle a été engagée par la société FRANCE TÉLÉVISIONS par des contrats à durée déterminée successifs, durant dix-sept années, pour pourvoir en réalité durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, dès lors qu’elle a été affectée au service des bandes annonces où elle a effectué les mêmes tâches de manière régulière pendant toute cette longue période.
Madame [X] soutient qu’en réalité, elle assurait un emploi de « concepteur rédacteur vidéo », lequel, constituait, sous cette dénomination, un emploi figurant dans la nomenclature des emplois visés à la convention collective de communication et de la production audiovisuelle comme devant être pourvu par un contrat à durée indéterminée.
La société FRANCE TELEVISIONS fait valoir que l’activité de Madame [X] entrait dans le cadre de « l’auto-promotion » passant par la conception des bandes annonces et séquences d’annonce de programmes, cette fonction requérant « une grande créativité et de l’innovation, ainsi que de grandes capacités d’adaptation pour chaque audience cible ». Les séquences supposeraient « un caractère à la fois enthousiasmant et intriguant, susceptible de séduire un maximum de téléspectateurs, tout en étant en accord avec la ligne éditoriale de France 3 et représentatives de l’image et des valeurs de la chaine ». L’employeur explique la « légère baisse de collaborations » par la nécessité, «après quelques années, de faire tourner les équipes », et de planifier dans ces conditions Madame [X] au service de la « continuité ».
FRANCE TELEVISIONS insiste sur le fait que le choix du statut d’intermittent du spectacle était délibéré de la part de Madame [X], laquelle était inscrite à une caisse spéciale et était payée au cachet, négocié de gré à gré, étant précisé que le choix du régime de l’intermittence revient au seul salarié qui se déclare comme tel et non à l’entreprise qui prendrait l’initiative de « placer » un salarié dans ce régime. En l’espèce, Madame [X] aurait choisi ce statut qui lui permettait de s’occuper de ses enfants.
La société rappelle que :
– les intermittents sont des salariés qui ne peuvent être recrutés que par contrat à durée déterminée, seuls ces contrats pouvant être pris en compte dans le décompte des heures, l’intermittent devant, pour bénéficier de ce statut, effectuer 507 heures de travail au cours des 304/319 jours précédant la fin de son contrat de travail. Les heures accomplies au titre d’un contrat à durée indéterminée, fût-ce à temps partiel, seraient exclues,
– le régime de l’intermittence est très favorable au salarié dès lors qu’une fois atteintes les 507 heures atteintes, il est assuré de percevoir des indemnités de chômage très rapidement et pour une année entière, de sorte qu’à partir du moment où il travaille au minimum le tiers d’un temps complet, une rémunération équivalente de celle d’un salarié à temps complet lui est garantie, à la faveur de l’aide de l’État et des entreprises de spectacles et de l’audiovisuel.
– le paiement au cachet se trouve en outre plus avantageux qu’un paiement à l’heure, le cachet intégrant les temps de préparation du spectacle.
La société FRANCE TELEVISIONS invoque les dispositions des articles L. 1242-2, 3°, et D. 1242-1, 6°, du code du travail pour soutenir que Madame [X] exerce son activité dans un secteur dans lequel il est d’usage de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée, à savoir le secteur de l’audiovisuel.
Elle précise qu’il résulte de l’article 1er de la convention collective audiovisuel secteur public du 31 mars 1984 ainsi que des protocoles 2 et 4 de l’annexe 2 à cette convention que les emplois d’agent spécialisé d’émission et de collaborateur littéraire sont deux emplois pour lesquels les partenaires sociaux sont convenus de considérer qu’il était d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée pour les pourvoir.
L’employeur soutient ensuite que la répétition de missions semblables pendant plusieurs années ne suffit pas à caractériser la nature permanente de l’emploi occupé par un salarié. En l’espèce, FRANCE TELEVISIONS justifie le caractère par nature temporaire de l’emploi par le fait que Madame [X] était chargée, en collaboration avec le réalisateur et le directeur artistique, d’établir les textes des bandes annonces, emploi qui requiert créativité, imagination, innovation.
L’intuitu personae, qui caractériserait ce type d’emploi, constituerait l’un des critères du caractère temporaire de l’emploi. Au surplus, Madame [X] bénéficiait de la possibilité de refuser les tâches proposées, d’une délimitation précise des tâches quant à leur objet et quant à leur durée, les contrats et plannings précisant toujours la nature de la production (émission, film, jeux ‘), et du paiement à la pièce.
Enfin la société FRANCE TELEVISIONS conteste toute irrégularité dans l’établissement des contrats à durée déterminée de Madame [X] en indiquant :
– que la mention de temps partiel n’avait pas lieu de figurer sur les contrats, Madame [X] étant rémunérée au cachet,
– que la preuve n’est pas rapportée par la salariée de ce que les contrats à durée déterminée auraient été régularisés en dehors du délai de deux jours ouvrables suivant l’embauche, ni qu’ils auraient été transmis hors délai, alors surtout que les contrats étaient signés de Madame [X], au plus tard à la date de l’engagement et bien souvent, un mois à l’avance.
La société FRANCE TÉLÉVISIONS demande en conséquence à la cour de juger que les dispositions légales et conventionnelles applicables ont été respectées à l’égard de Madame [X], la relation de travail à durée déterminée n’ayant pas pour objet de pourvoir un emploi permanent au sein de la société de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de faire droit à sa demande de requalification.
Considérant que, selon l’article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ; que l’article L. 1242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu’il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d’un salarié (1°), l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (2°) et les emplois saisonniers ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, il est d’usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois (3°) ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif, et notamment les mentions énumérées par ce texte ; qu’à défaut, il est réputé être conclu pour une durée indéterminée ;
Considérant que, selon l’article L.1245-1 du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles L.1242-1 à L.1242-4, L.1242-6 à L.1242-8, L.1242-12 alinéa 1, L.1243-11 alinéa 1, L.1243-13, L.1244-3 et L.1244-4 du même code ;
Considérant qu’il résulte des pièces versées aux débats que Madame [X] a travaillé pendant dix-sept années au service de la société FRANCE TÉLÉVISIONS en exécution de très nombreux contrats à durée déterminée, signés pour de courtes périodes, généralement quatre jours sur une semaine ; qu’elle était invariablement occupée au sein du même service des bandes annonces, occupât-elle successivement deux emplois en effectuant d’abord des bandes annonces pour les films, documentaires et émissions diffusées sur la chaîne, avant d’être chargée de l’établissement des sommaires, détaillant les programmes appelés à composer les trois parties de la soirée et les « tout de suite », modules très courts diffusés entre chacun des programmes et annonçant le suivant ;
Considérant qu’ainsi que l’admet l’employeur lui-même, l’activité du service des bandes annonces est « indéniable » puisque ces séquences constituent, selon les termes de FRANCE TELEVISIONS, les « derniers recours dont dispose la chaîne France 3 pour conquérir une audience potentielle » ; que l’activité de conception de ces textes constitue une activité permanente de l’entreprise, exclusive de tout aléa particulier ;
Considérant que pour toute « raison objective » susceptible de justifier le recours à la signature de contrats à durée déterminée, la société FRANCE TÉLÉVISIONS invoque la créativité exigée des salariés qui ont reçu mission de concevoir les bandes annonces ;
Mais considérant que les raisons objectives s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi ; que cette exigence de créativité et de renouvellement artistique ne peut constituer une raison objective légitimant le recours à des contrats à durée déterminée ;
Considérant que la succession de contrats à durée déterminée auquel la salariée a été soumise était ainsi destinée à pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ; que Madame [X] aurait dû dès l’origine être embauchée en contrat de travail à durée indéterminée ; qu’il est fait droit à sa demande de requalification de ses contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, le jugement entrepris étant confirmé sur ce point ;
Sur la date d’effet de la requalification
La société FRANCE TELEVISIONS demande à la cour, pour déterminer la date à partir de laquelle la requalification serait décidée, de tenir compte des limites de la prescription quinquennale. Elle soutient que Madame [X] ne peut demander cette requalification pour des contrats à durée déterminée antérieurs au 15 septembre 2006, alors même que le premier contrat à durée déterminée date de plus de cinq ans.
Considérant que les effets de la requalification, lorsqu’elle est prononcée, remontent à la date du premier contrat à durée déterminée irrégulier ;
Considérant que la loi du 17 juin 2008 a eu pour objet de réduire la prescription de droit commun de trente ans à cinq ans ;
Considérant qu’il résulte de l’article 2222, alinéa 2, du code civil que toutes les actions non prescrites lors de l’entrée en vigueur de cette loi ont bénéficié d’un délai de cinq ans à compter de cette date, sans que la durée totale puisse excéder la durée de trente ans précédemment prévue ;
Considérant que l’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de les exercer ;
Considérant qu’il ressort cependant des dispositions combinées des articles 2222 et le 2224 du code civil que seules les actions sont prescrites par cinq ans et ce à compter de la date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, restrictives, de la loi du 17 juin 2008, et non les droits auxquels ces actions sont rattachées ;
Considérant que la salariée ayant introduit son action en justice le 15 septembre 1011, celle-ci, qui trouve son fondement dans le premier contrat à durée déterminée, n’était pas prescrite et est donc recevable ;
Considérant que l’action, valablement introduite dans le délai imparti par la nouvelle loi du 17 juin 2008, permettra ainsi de statuer sur des droits bénéficiant, encore à ce moment, de la prescription trentenaire antérieure ; qu’il y a lieu, dans ces conditions, de requalifier les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 9 février 1995, date du premier contrat irrégulier ;
Considérant que le jugement est infirmé en ce qu’il a requalifié les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée « depuis 2006 » ;
Sur la demande de requalification en contrat à durée indéterminée à temps plein
Madame [X] sollicite la requalification de ses contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à temps complet.
Elle fait valoir :
– qu’en janvier 2011, elle s’est vu remettre un planning pour l’ensemble de l’année à venir et a constaté alors une réduction du nombre de jours programmés sur plusieurs périodes (neuf jours au lieu de dix jours), ce qu’elle a contesté,
– que le 3 mars 2011, le syndicat CGT de FRANCE TELEVISIONS a dénoncé sa situation auprès de la directrice des ressources humaines de la chaîne la situation de Madame [X], soulignant le recours abusif aux contrats à durée déterminée et la réduction d’activité qui lui était imposée en même temps que la chaîne recrutait d’autres collaborateurs précaires,
– qu’aucune réponse n’a été apportée à cette requête.
– que le 4 avril 2011, son Conseil a sollicité son intégration sous contrat à durée indéterminée à temps plein soulignant la difficulté pour elle de vivre, aussi bien sur le plan psychologique qu’économique, dans un état permanent d’ultra précarité.
La société FRANCE TELEVISIONS conteste cette demande, soutenant que la salariée n’avait jamais été à la disposition permanente de la société, comme le démontre le calendrier extrêmement régulier de son activité et qu’au surplus, ses calculs sont erronés dans la mesure où Madame [X]
travaillait régulièrement mais de manière intermittente pour la société.
FRANCE TELEVISIONS insiste sur le fait que Madame [X] a réduit volontairement son temps de travail pour des raisons familiales et conteste qu’elle ait été dans l’impossibilité de prévoir et d’organiser son temps, alors qu’elle connaissait longtemps à l’avance son planning de travail .
L’employeur conteste également l’interprétation que donne Madame [X] des dispositions de l’article 9 de chacun de ses contrats de travail, aux termes desquelles elle s’engageait « à réserver l’exclusivité de sa collaboration à la société », soutenant que cette disposition ne s’appliquait que pendant la durée du contrat, la salariée restant libre, durant ses périodes d’inactivité, de collaborer avec d’autres employeurs.
Enfin, FRANCE TELEVISIONS rappelle qu’à raison de son statut d’intermittente, Madame [X] était censée être à la recherche d’un emploi pendant les périodes de chômage, le régime d’admission et d’indemnisation particulièrement dérogatoire ne dispensant pas ses bénéficiaires de remplir les conditions de disponibilité et de recherche effective d’un emploi.
Considérant qu’en vertu de l’article L. 3123-14 du code du travail, le contrat de travail à temps partiel doit énoncer notamment la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification, les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillées sont communiquées par écrit au salarié, les limites dans lesquelles peuvent être accomplies les heures complémentaires au delà de la durée fixée par le contrat; que l’absence des mentions légales exigées fait présumer que l’emploi est à temps complet;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 3123-1 du code du travail, est considéré comme salarié à temps partiel le salarié dont la durée du travail est inférieure à la durée légale du travail ; que la requalification des contrats à durée déterminée qui se sont succédé sans continuité en un contrat à durée indéterminée impose d’examiner si chacun de ces contrats comprend les mentions exigées du contrat de travail du salarié à temps partiel soit, selon les dispositions de l’article L. 3123-14 du code du travail, la durée hebdomadaire ou le cas échéant mensuelle prévue, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, et les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrits au salarié ; qu’à défaut, l’emploi est présumé être à temps complet et qu’il incombe à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d’une part de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, et d’autre part que le salarié n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de son employeur ;
Considérant que Madame [X] a travaillé :
en 1995 : 147 jours
en 1996 : 159 jours
en 1997 : 148 jours
en 1998 : 188 jours
en 1999 : 171 jours
en 2000 : 88 jours
en 2001 : 87 jours
en 2002 : 122 jours
en 2003 : 124 jours
en 2004 : 104 jours
en 2005 : 104 jours
en 2006 : 104 jours
en 2007 : 104 jours
en 2008 : 117 jours
en 2009 : 147 jours
en 2010 : 145 jours
en 2011 : 122 jours
en janvier 2012 : 10 jours ;
Considérant qu’il est constant que Madame [X] a travaillé entre huit et onze jours par mois, soit l’équivalent d’un temps partiel annualisé, à un rythme très régulier, son activité s’exerçant sur une base de deux semaines consécutives sur quatre par mois ;
Considérant que, par courrier du 21 mai 2008, Madame [X] a exprimé pour la première fois le souhait de travailler davantage, écrivant à son employeur : « Mes compétences m’ont permis de partager pendant quelques années le poste actuellement occupé par [U] [Z], Ce poste nécessitait de grandes disponibilités temporelles que je n’ai pu à l’époque continuer à honorer pour les raisons familiales que vous connaissez. Je suis aujourd’hui disponible et fortement intéressée pour reprendre les fonctions de ce poste » ;
Considérant que ce souhait était réitéré dans un message 13 décembre 2010 à son supérieur hiérarchique ainsi rédigé : « Suite à mes entretiens avec [Y] [G] les 26 novembre, 2 décembre, et ce matin 13 décembre, je prends note de votre désir de voir mon temps de travail quelque peu réduit en évoquant dans un premier temps un passage à une semaine sur trois, puis devant mon refus à une réduction de temps de travail de 8 jours par an. En même temps, je constate que vous recrutez sur des emplois de ma qualification. Je vous confirme donc qu’étant sous CDI (sic) à temps partiel avec un horaire réparti à raison de deux semaines consécutives sur quatre par mois, je ne souhaite pas que cette répartition change. Par contre, conformément à mon droit de bénéficier d’une priorité de passage à un temps plus complet, je serais intéressée de travailler trois semaines sur quatre » ;
Considérant que Madame [X] n’a sollicité un emploi à plein temps que par l’intermédiaire de son Conseil le 4 avril 2011, soit la veille de la saisine du conseil de prud’hommes ;
Considérant qu’il résulte des pièces et des débats que Madame [X] connaissait son emploi du temps avec plusieurs semaines d’avance, compte tenu de la répartition régulière de ses interventions ; que la salariée reconnaît d’ailleurs dans ses écritures que « l’activité était organisée sur la base d’un planning qui sur les douze mois de l’année lui fixait une période d’activité qui était en alternance de deux semaines travaillées suivies de deux semaines non travaillées et ainsi de suite » ;
Considérant que, du fait des intervalles systématiques de quinze jours entre ses contrats, de la régularité constante de ses périodes travaillées et de son taux de travail effectif (de l’ordre de 50 %), Madame [X] aurait pu s’engager auprès d’autres employeurs ;
Considérant que le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a débouté Madame [X] de sa demande de requalification de ses contrats en un contrat à durée indéterminée à temps plein ;
Sur l’indemnité prévue à l’article L. 1245-2 du code du travail
Madame [X] réclame une somme de 7 566,66 € brut au titre de l’indemnité de requalification, au motif que, durant dix-sept années, elle aurait subi une situation de précarité injustifiable en raison du recours abusif aux contrats à durée déterminée, période durant laquelle elle n’aurait pu bénéficier des droits dont pouvaient profiter les salariés sous contrat à durée indéterminée de FRANCE TELEVISIONS, singulièrement des dispositions du plan d’actions relatif à l’emploi des séniors du groupe FRANCE TELEVISIONS.
Considérant qu’aux termes de l’article L. 1245-2, alinéa 2, du code du travail, si le juge fait droit à la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il doit lui accorder une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire ; que l’indemnité de requalification ne peut être inférieure au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction ;
Considérant que Madame [X] ne justifie pas d’un préjudice supérieur à un mois de salaire, alors qu’elle avait nécessairement choisi le statut d’intermittent du spectacle ; qu’elle n’a sollicité la signature d’un contrat à durée indéterminée, par l’intermédiaire de son Conseil, que la veille de la saisine du conseil de prud’hommes ; que la signature d’un tel contrat lui aurait interdit de bénéficier d’un statut qui lui a au demeurant permis de percevoir des indemnités chômage d’un montant conséquent comme le révèlent les déclarations de revenus qu’elle a versées aux débats (15 363 € pour 24 160 € de salaires pour l’année 2010) ;
Considérant que le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné la société FRANCE TÉLÉVISIONS à payer à Madame [X] une somme de 2 200 € représentant un mois de salaire au titre de l’indemnité de requalification ;
Sur la rupture de la relation contractuelle
Madame [X] invoque, à titre principal, la nullité du licenciement dont elle a été victime à la suite de la décision de la société FRANCE TELEVISIONS d’interrompre toute relation contractuelle avec elle, motif pris de ce que l’employeur aurait violé son droit d’agir en justice qui constitue une liberté fondamentale du salarié. Monsieur [L], directeur artistique de FRANCE TELEVISIONS l’aurait informée téléphoniquement de ce que France TELEVISIONS cessait toute collaboration avec elle à raison de ce qu’elle «avait cru bon » d’interjeter appel du jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 15 septembre 2011.
Madame [X] fait état d’une « initiative tout à fait incongrue du conseil de prud’hommes » qui a statué ultra petita en fixant une date de rupture, reconnaissant que les relations contractuelles entre elle-même et FRANCE TELEVISIONS s’étaient poursuivies après la date de l’audience, l’employeur n’ayant décidé d’interrompre sa collaboration avec elle qu’après avoir pris connaissance du jugement de requalification, par une lettre de rupture du 7 mars 2012.
Madame [X] précise qu’elle n’entend pas demander sa réintégration, mais réclame une indemnité de 51 995 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et abusif. Elle soutient en effet que la relation de travail ayant été requalifiée par la décision du conseil de prud’hommes bénéficiant de ce chef de l’exécution provisoire de plein droit, la société FRANCE TELEVISIONS ne pouvait mettre un terme à cette relation de travail.
La société FRANCE TELEVISIONS fait valoir que l’employeur n’a aucune obligation de renouveler un contrat à durée déterminée qui arrive à son terme, de sorte qu’elle n’avait aucune obligation de reconduire le dernier contrat de travail de Madame [X].
Surtout, la société FRANCE TELEVISIONS souligne qu’elle n’a pas interrompu la relation de travail avec Madame [X] après la saisine par la salariée de la juridiction prud’homale, mais seulement après la notification du jugement qui « fixait la date de la rupture au 8 juillet 2011 » et accordait les indemnités conventionnelles de rupture à la salariée qui n’avait pas sollicité sa réintégration.
Considérant que Madame [X] a saisi le conseil de prud’hommes le 6 avril 2011 d’une demande tendant à la requalification de ses contrats à durée indéterminée en contrat à durée indéterminée, un rappel de salaire et différentes autres demandes, sans jamais évoquer la rupture du contrat de travail requalifié ; que sa collaboration avec la société FRANCE TELEVISIONS s’est poursuivie au même rythme que les années précédentes jusqu’au 20 janvier 2012, date d’expiration du dernier contrat à durée déterminée signé entre les parties;
Considérant que FRANCE TELEVISIONS a adressé à Madame [X], le 8 février 2012, un courrier ainsi rédigé :
« Madame,
La société France Télévisions vous a engagée par contrats à durée déterminée d’usage à compter de 1995 en qualité d’agent spécialisé d’émission puis collaboratrice littéraire.
Vous avez saisi le Conseil des Prud’hommes le 6 avril 2011 aux fins d’obtenir la requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée.
Le Conseil des Prud’hommes de Paris a fait droit à votre demande et a requalifié la relation en contrat à durée indéterminée. Il a cependant fixé une date de rupture au 8 juillet 2011 date du dernier jour travaillé.
Néanmoins, depuis la saisine du Conseil des Prud’hommes et après le 8 juillet 2011, vous avez accepté de signer d’autres contrats à durée déterminée d’usage et ce jusqu’en janvier 2012. La société a donc continué à faire appel à vos services dans des conditions similaires à celles qu’elles auraient été en l’absence de contentieux sur la nature de la relation contractuelle.
Aujourd’hui, la société n’est plus en mesure de poursuivre cette collaboration avec vous.
Nous allons vous recevoir pour en expliquer les raisons. Nous vous confirmons donc que vous n’êtes plus sous contrat avec France Télévisions et n’avez pas à vous présenter dans les locaux » ;
Considérant que Madame [X] a été priée de cesser toute activité et de ne plus se présenter dans les locaux dès le 8 février 2012, alors pourtant que son nom figurait au planning des mois de février et mars ;
Considérant que le 10 février 2012, la société FRANCE TELEVISIONS convoquait Madame [X] à un entretien sur une « éventuelle mesure » de non-renouvellement de la collaboration, le courrier indiquant : « nous vous informons que nous sommes amenés à envisager le non-renouvellement de votre collaboration sous contrat à durée déterminée dont le dernier s’est terminé le 20 janvier 2012 » ;
Considérant que par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 février 2012, Madame [X] a contesté cette situation écrivant notamment à son employeur :
« Le conseil de prud’hommes a précisé que « l’exécution provisoire est limitée à l’exécution provisoire légale de l’article R. 1454-28 du code du travail ». Dès lors, les dispositions du jugement sur la rupture de mon contrat de travail ne sont pas exécutoires. Malgré la notification en date du 12 janvier 2012, ma collaboration avec France TELEVISIONS a continué jusqu’au 20 janvier 2012. J’ai interjeté appel de ce jugement le 25 janvier 2012.
Contre toute attente, alors que j’étais prévue au planning des mois de février et mars, (on a proposé à un collègue de me remplacer en mars), le 1er février 2012, Monsieur [D] [L], Directeur Artistique, m’a informée par téléphone que France TELEVISIONS cessait toute collaboration avec moi parce que «j’avais cru bon » d’interjeter appel du jugement du Conseil de Prud’hommes de Paris du 15 septembre 2011.
En l’absence d’un courrier recommandé me signifiant la rupture de notre collaboration, je me suis présentée la semaine dernière à mon bureau à Centreville au sein du service des bandes annonces de France 3 car je considère que mon contrat de travail ne peut être rompu du fait de l’absence d’exécution provisoire concernant « la rupture de mon contrat de travail » puisque j’ai interjeté appel. Je n’étais plus au planning de la semaine du 6 février 2012. J’ai occupé mon poste tous les jours de la semaine du 6 février car aucune rupture de contrat ne m’a été signifiée.
Le 9 février 2012, Monsieur [D] [L], accompagné de deux vigiles de FRANCE TELEVISIONS m’a demandé de quitter France TELEVISIONS, qui m’emploie depuis 17 ans ; j’ai dû appeler la police car je n’avais à ce moment là pas encore reçu le courrier me notifiant la rupture de mon contrat de travail (Reçu le 9 février 2012 à mon domicile, retiré le samedi 10 février à la poste). Comme vous pouvez l’imaginer, j’ai vécu cette procédure comme une action extrêmement violente. Après 17 ans de collaboration, j’ai quitté le service des bandes annonces de France 3, sis à [Adresse 3], encadrée par la police et les vigiles comme la montre la photo ci-jointe.
Comme vous le savez, par courrier du 11 juillet 2010, la Direction des Ressources Humaines de France Télévisions s’est engagée « à ne pas intervenir dans la collaboration des intermittents, telle qu’elle se déroulait avant la saisine des tribunaux et à la poursuivre dans des conditions similaires à celles qu’elles auraient été en l’absence de contentieux sur la nature de la relation contractuelle ». Cet engagement unilatéral de FRANCE TELEVISIONS « de ne pas licencier » les collaborateurs sous CDD ayant engagé une procédure prud’homale en requalification sous CDI m’est applicable. Par conséquent, FRANCE TELEVISIONS doit continuer à m’engager dans l’attente de l’issue de la décision de la Cour d’Appel de Paris.
C’est pourquoi je vous demande, par la présente, de me réintégrer à mon poste dans l’attente de la procédure d’appel » ;
Considérant que Madame [X] a alors été convoquée à un entretien le 13 février 2012;
Considérant que Madame [X] a ensuite reçu la lettre de licenciement du 7 mars 2012 libellée dans les termes suivants :
« Madame,
Monsieur [H] [W] m’a chargée de vous apporter des éléments de réponse au courrier que vous lui avez adressé le 13 février dernier.
Ces éléments complètent le courrier que je vous ai adressé le 8 février dernier (par courriel, lettre simple et lettre recommandée) dans lequel je vous rappelais, tout comme vous le faites vous-même, les différents éléments de votre situation.
Pour mémoire, ce courrier indiquait que la société France Télévisions vous a engagée par contrats à durée déterminée d’usage à compter de 1995 en qualité d’agent spécialisé d’émission puis collaboratrice littéraire.
Vous avez saisi le Conseil de Prud’hommes le 6 avril 2011 aux fins d’obtenir la requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée. Le Conseil de Prud’hommes de Paris a fait droit à votre demande et a requalifié la relation en contrat à durée indéterminée. Il a cependant fixé une date de rupture au 8 juillet 2011 date du dernier jour travaillé.
Néanmoins, depuis la saisine du Conseil de Prud’hommes et après le 8 juillet 2011, vous avez sollicité et signé d’autres contrats à durée déterminée d’usage et ce jusqu’en janvier 2012. La société a donc continué à faire appel à vos services dans des conditions similaires à celles qu’elles auraient été en l’absence de contentieux sur la nature de la relation contractuelle.
Lors de l’entretien du 16 février 2012 au cours duquel vous étiez assistée de Monsieur [R] [S], [D] [L] et moi-même vous avons indiqué les raisons pour lesquelles nous ne souhaitons pas poursuivre notre collaboration.
Ces motifs sont les suivants. Nous déplorons depuis plusieurs mois une insuffisance professionnelle se traduisant par une qualité médiocre du texte des bandes-annonces que vous aviez à rédiger nécessitant la réécriture fréquente de celles-ci. En effet, nous avons constaté à plusieurs reprises que vos textes de bandes-annonces ne répondaient pas du tout au « briefing » et de surcroît ne s’inscrivaient pas dans la charte éditoriale de France 3. En outre, les relations conflictuelles que vous entreteniez avec le reste de l’équipe mettaient une mauvaise ambiance dans le service peu propice à la créativité attendue d’un service d’autopromotion.
Pour ces raisons, nous vous confirmons donc que votre collaboration sous contrat à durée déterminée dont le dernier s’est terminé le 20 janvier 2012 ne sera pas renouvelée » ;
Considérant que l’exécution d’une décision, de quelque juridiction qu’elle émane, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès équitable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il en résulte que lorsqu’une décision, exécutoire par provision, ordonne la requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la rupture du contrat de travail intervenue postérieurement à la notification de cette décision au motif de l’arrivée du terme stipulé dans ledit contrat à durée déterminée est nulle ;
Considérant que si la société FRANCE TELEVISIONS n’a pas interrompu sa relation contractuelle avec Madame [X] lors de la saisine du conseil de prud’hommes, continuant à faire appel à ses services « dans des conditions similaires à celles qu’elles auraient été en l’absence de contentieux sur la nature de la relation contractuelle », c’est la notification, intervenue le 12 janvier 2012, du jugement prononcé par cette juridiction le 15 septembre 2011, sinon l’appel formé contre cette décision le 25 janvier suivant qui a déclenché le processus de rupture du contrat de travail ; que la société FRANCE TELEVISIONS a explicitement indiqué à Madame [X], aux termes de ses courriers du 10 février 2012, puis du 7 mars 2012, que sa « collaboration sous contrat à durée déterminée dont le dernier s’est terminé le 20 janvier 2012 ne serait pas renouvelée » ; qu’elle indique encore dans ses écritures que, le jugement du conseil des prud’hommes du 15 septembre 2011 ne lui ayant été notifié que le 12 janvier 2012, il était normal qu’elle ait « attendu de recevoir cet acte exécutoire avant de procéder aux formalités mettant fin à la relation de travail » ;
Considérant cependant que , si les premiers juges ont, statuant ultra petita, « fixé la date de la rupture au 8 juillet 2011 », soit trois jours avant l’audience de jugement, alors qu’aucune des parties n’avait sollicité cette fixation, Madame [X] ayant continué à signer régulièrement des contrats à durée déterminée dans les mêmes conditions qu’avant la saisine du conseil de prud’hommes, lesdits contrats ayant été produits à l’audience, l’exécution provisoire ne s’attachait pas à ce chef de jugement, le conseil l’ayant « limitée à l’exécution provisoire légale prévue par l’article R. 1454-28 du code du travail » ; qu’en revanche, en vertu de l’article R. 1245-1 de ce code, « Lorsqu’un conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, en application de l’article L. 1245-2, sa décision est exécutoire de droit à titre provisoire » ; que dans ces conditions, la relation de travail liant les parties étant devenue à durée indéterminée, en dépit de l’appel formé le 25 janvier 2012 par Madame [X] à l’encontre du jugement ; que la société FRANCE TELEVISIONS se trouvait aussitôt privée de la possibilité « d’envisager le non-renouvellement de la collaboration de Madame [X] sous contrat à durée déterminée dont le dernier s’était terminé le 20 janvier 2012 » ;
Considérant que le comportement de la société FRANCE TELEVISIONS s’analyse en une violation d’une liberté fondamentale du salarié, à savoir le droit d’accéder à un juge, consacrée par divers instruments internationaux, notamment par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant que la demande de dommages-intérêts de Madame [X] est accueillie à hauteur de 15 000 €, en réparation du préjudice justifié par la salariée ;
Considérant que, par application de l’article V.1.2.1 de la convention collective de la production audiovisuelle, Madame [X] peut prétendre, compte tenu de son ancienneté, à une indemnité de préavis d’une durée de deux mois ; qu’il lui est alloué la somme de 4 400 € à ce titre, outre les congés payés afférents ;
Considérant qu’en vertu de l’article V.1.2.2. de la convention collective nationale applicable, l’indemnité de licenciement pour un salarié ayant plus de dix ans d’ancienneté est de 2/10 de mois de salaire par année ou fraction d’année d’ancienneté, plus 1/10 de mois de salaire par année ou fraction d’année d’ancienneté au-delà de 10 ans ; qu’il est dû à Madame [X] une somme de 8 360 € à ce titre ;
Sur le harcèlement moral
Considérant qu’aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Considérant que, selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ;
Considérant que l’article L. 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et qu’il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Considérant qu’en l’espèce, Madame [X] invoque les faits suivants :
– son affectation à des tâches moins créatives,
– la diminution du nombre de jours travaillés en janvier 2011,
– des appréciations négatives injustifiées,
– la modification de son emploi du temps en février et mars 2012,
– son ‘expulsion’ le 10 février 2012 ;
Madame [X] soutient que l’attitude de l’employeur a entraîné une dégradation de son état de santé ;
Considérant que, pour étayer ses affirmations, Madame [X] produit des messages électroniques ainsi que les courriers échangés avec la société FRANCE TELEVISIONS et des documents médicaux attestant de son état anxio-dépressif ;
Considérant que Madame [X] établit ainsi l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre ;
Considérant que l’employeur fait valoir :
– que Madame [X] n’a jamais été destituée de ses fonctions d’origine et qu’elle n’a jamais eu à subir un changement de service,
– que les critiques du directeur artistique étaient légitimes et relevaient de son pouvoir de direction,
– que Madame [X] confond les mesures prises par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction avec un harcèlement,
– que Madame [X] avait la possibilité de refuser la signature d’un contrat à durée déterminée si la mission confiée ne correspondait pas à ses souhaits, ce qu’elle a au demeurant fait en refusant de signer le contrat l’affectant à la rédaction des sommaires du 15 au 18 avril 2011,
– que Madame [X] confond une appréciation critique objective du directeur artistique avec un fait de harcèlement ;
Considérant que l’affectation de Madame [X] à la création des « sommaires » annonçant le programme des soirées et des « tout de suite » ne constituait pas une dégradation susceptible de participer d’agissements constitutifs de harcèlement moral, alors que cette tâche faisait partie intégrante de sa qualification et requérait les mêmes qualités d’auteur ; qu’elle exigeait au contraire compétence et créativité pour annoncer en quelques mots une émission avec élégance, complicité, humour et intelligence, de manière à lui assurer une large audience ;
Considérant que les plannings produits établissent par ailleurs que Madame [X] a continué à rédiger des bandes annonces, pratiquant ainsi les deux activités exercées au sein du même service ;
Considérant qu’il résulte d’un courrier de Madame [X] en date du 13 décembre 2010 qu’après s’en être entretenue avec sa hiérarchie, et dès lors qu’elle avait refusé la réduction de son temps de travail, celui-ci n’a été réduit que de « huit jours par an » ; que la diminution du nombre de jours travaillés en janvier 2011 ne constitue pas un fait de harcèlement au regard surtout du statut d’intermittent du spectacle qu’avait choisi la salariée ;
Considérant que la lecture des rares appréciations négatives portées sur quelques « tout de suite » ne permet pas à la cour d’y trouver la preuve d’un dénigrement ni même d’une critique injustifiée ; que la compétence de Madame [X] ne se trouvait au demeurant pas en cause, ce que confirme la persistance avec laquelle la société FRANCE TELEVISIONS a continué à avoir recours à ses services ;
Considérant que la « modification de l’emploi du temps de Madame [X] en février et mars 2012 » n’a constitué que la conséquence de la rupture dont l’employeur a pris l’initiative et dont il assume la responsabilité dans les conditions précédemment analysées ;
Considérant que l’ « expulsion » de Madame [X] des locaux où elle exerçait son activité par les services de sécurité intervenus le 10 février 2012 du fait de son refus de la décision de sa hiérarchie de lui interdire l’accès aux locaux de FRANCE TELEVISIONS mérite en revanche que la demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture soit accueillie à hauteur de 2 000 € , même si l’intervention des services de police a été sollicitée par la salariée, choquée des conditions de son départ après dix-sept années de fidélité à FRANCE TELEVISIONS ;
Considérant que l’employeur ayant démontré que les faits matériellement établis par Madame [X] étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la demande de dommages et intérêts formée à ce titre par Madame [X] est rejetée ; que le jugement entrepris est confirmé sur ce point ;
Considérant qu’il y a lieu enfin de rejeter la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, seule la rupture de celui-ci étant fautive et sanctionnée par la nullité, le préjudice subi par Madame [X] étant indemnisé à ce titre ;
PAR CES MOTIFS
INFIRME PARTIELLEMENT le jugement entrepris ;
STATUANT À NOUVEAU,
Prononce la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 9 février 1995 ;
CONDAMNE la société FRANCE TELEVISIONS à payer à Madame [O] [X] :
– 2 200 € à titre d’indemnité de requalification,
– 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– 4 400 € à titre d’indemnité de préavis,
– 440 € au titre des congés payés afférents,
– 8 360 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
DEBOUTE Madame [X] du surplus de ses demandes ;
AJOUTANT,
CONDAMNE la société FRANCE TELEVISIONS à payer à Madame [O] [X] une somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture ;
CONDAMNE la société FRANCE TELEVISIONS à payer à Madame [O] [X] une somme de 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la société FRANCE TELEVISIONS de sa demande sur ce même fondement ;
CONDAMNE la société FRANCE TELEVISIONS aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT