Directeur artistique : décision du 16 novembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02731

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Directeur artistique : décision du 16 novembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02731
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 NOVEMBRE 2023

N° RG 21/02731 –

N° Portalis DBV3-V-B7F-UXPB

AFFAIRE :

[M] [A]

C/

S.A.S. CAPGEMINI TECHNOLOGY SERVICES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Août 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F18/03034

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Adèle DOËRR

Me Frédéric ZUNZ de la

la SELEURL MONTECRISTO

Expédition numérique délivrée à: POLE EMPLOI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [M] [A]

né le 30 Juillet 1972 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par : Me Adèle DOËRR, avocat au barreau de PARIS et par : Me Natacha FELIX, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A.S. CAPGEMINI TECHNOLOGY SERVICES

N° SIRET : 479 766 842

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Frédéric ZUNZ de la SELEURL MONTECRISTO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J153 substitué par Me Fanny DE COMBAUD avocate au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Septembre 2023, Madame Nathalie COURTOIS, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE

FAITS ET PROCÉDURE

M. [M] [A] a été engagé par contrat à durée indéterminée, à compter du 1er février 2001, en qualité de directeur artistique, statut cadre, par la société Capgemini Ernest & Young, aux droits de laquelle vient désormais la société par actions simplifiée Capgemini Technology Services, qui a pour activité le conseil en technologie de l’information, transformation de systèmes d’information, architecture réseaux, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (dite SYNTEC).

En dernier lieu, M. [A] exerçait les fonctions de consultant d’application.

La société disant avoir découvert qu’il avait une société exerçant une activité concurrente à la sienne lui a fait parvenir deux courriers de mise en demeure, en date du 10 et du 31 juillet 2018, en lui rappelant les termes de la clause d’exclusivité comprise dans son contrat de travail tout en l’enjoignant à lui adresser ses déclarations d’activité de ses trois dernières années.

Convoqué le 4 septembre 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 14 septembre suivant, auquel M. [A] ne s’est pas rendu (étant en arrêt maladie), le salarié a été licencié par courrier daté du 9 octobre 2018 énonçant pour faute, la violation de son obligation d’exclusivité.

M. [A] a saisi, le 21 novembre 2018, le conseil de prud’hommes de Nanterre, aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et solliciter la condamnation de la société au paiement de sommes de nature indemnitaire ; ce à quoi la société s’opposait.

Par jugement rendu le 12 août 2021, notifié le 2 septembre suivant, le conseil a statué comme suit :

Dit que le licenciement pour faute de M. [A] par la société Capgemini Technology Services est fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Déboute M. [A] de toutes ses demandes.

Déboute la société Capgemini Technology Services de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [A] aux dépens.

Le 13 septembre 2021, M. [A] a relevé appel par voie électronique de cette décision.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 3 mai 2022, il demande à la cour de :

Infirmer le jugement en ce qu’il a :

Dit et jugé que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

Et l’a débouté de l’ensemble de ses demandes.

Statuant à nouveau :

Le déclarer recevable et bien fondé en toutes ses demandes,

Condamner la société Capgemini Technology Services à lui payer la somme de 60.186euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamner la société Capgemini Technology Services à lui payer la somme de 8.598euros à titre d’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail,

Ordonner à la société Capgemini Technology Services de lui remettre :

o Une attestation Pôle emploi rectifiée sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt à intervenir,

o Un solde de tout compte, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt à intervenir,

o Un certificat de travail rectifié sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt à intervenir,

o Un bulletin de paie reprenant les condamnations issues de l’arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt à intervenir,

Débouter la société Capgemini Technology Services de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Condamner la société à lui verser la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance et de la présente procédure d’appel,

Condamner la société Capgemini Technology Services aux entiers dépens,

Dire et juger que l’ensemble des condamnations à caractère de salaire sera assorti des intérêts au taux légal à compter de la date de réception, par la société Capgemini Technology Services de la convocation du greffe du conseil de prud’hommes de Nanterre, à l’audience de bureau de conciliation et d’orientation,

Ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 20 décembre 2021, la société Capgemini Technology Services demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

Dit et jugé que le licenciement pour faute de M. [A] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

Débouté M. [A] de toutes ses demandes,

Statuant à nouveau,

Dire et juger que la société a exécuté loyalement le contrat de travail de M. [A],

En conséquence,

Débouter M. [A] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat,

Condamner M. [A] à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner M. [A] aux entiers dépens de l’instance.

Par ordonnance rendue le 5 juillet 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 19 septembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

Sur le licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

« Le 10 juillet 2018, nous vous avons remis un courrier en main propre contre décharge qui faisait état de la découverte de votre entreprise immatriculée n°409606373 dont l’activité est en concurrence avec l’activité de Capgemini : « Conseils en systèmes et logiciels informatiques », ce malgré la clause d’exclusivité qui nous lie depuis le début de votre contrat de travail signé le 1er février 2001,

Pour rappel, cette clause est au paragraphe I.1 de votre contrat de travail et stipule : « Dans l’accomplissement de vos fonctions, vous consacrez l’exclusivité de votre temps et de vos activités à la Société et corrélativement vous vous interdisez de vous occuper ‘ même à titre occasionnel – d’autres clients et affaires que ceux de la société ou de CAP GEMINI ERNST & YOUNG et de ses filiales ».

Nous vous avons à cette occasion mis en demeure de justifier de l’absence d’activité de cette entreprise durant les 3 dernière années.

Vous nous avez répondu le 19 juillet 2018 et nous avez indiqué que votre entreprise était fermée depuis votre embauche chez Capgemini, sans pour autant nous fournir d’éléments tangibles de cette cessation d’activité.

Sans retour de votre part quant à notre demande de fournir les rapports d’activités de votre entreprise depuis 3 ans, ainsi que la déclaration de cessation d’activité, nous vous avons fait parvenir par voie recommandée un nouveau courrier en date du 31 juillet 2018, ce courrier vous mettait une nouvelle fois en demeure de nous apporter la preuve, avant la fin de la période estivale, que vous n’aviez pas d’activité parallèle à votre emploi chez Capgemini.

Notre mise en demeure est restée sans réponse.

Au cours de l’été nous avons découvert que votre entreprise avait été clôturée seulement en date du 16 août 2018, contrairement à ce que vous nous aviez confirmé dans votre courrier du 19 juillet.

Tous ces éléments sont de nature à remettre en cause de manière évidente le lien de confiance qui nous liait. Cette situation fait qu’il n’est plus possible à notre analyse de poursuivre la relation de travail, de telle sorte que nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute réelle et sérieuse de votre contrat de travail.

[‘] »

Sur la cause

M. [A], qui déplore les conditions de travail faites aux créateurs, fait valoir, en parallèle, la tolérance, ancienne, de l’employeur, leur permettant une activité indépendante parallèle. Il affirme cependant avoir cessé toute autre activité dès 1999, quoiqu’il ait procédé aux formalités administratives de clôture de sa société tardivement, en 2017. Il estime que la cause de son licenciement se trouve dans la réorganisation de l’entreprise, évinçant les cadres seniors, que révèle la vacuité du motif énoncé à son soutien.

Sur la validité de la clause d’exclusivité

M. [A] plaide la nullité de la clause, d’une part faute d’une précision suffisante, notamment au regard de l’évolution des activités de l’entreprise, d’autre part, faute de nécessité de protection de ses intérêts légitimes, que contredisent ses concessions anciennes d’activités indépendantes, et la société Capgemini y oppose sa licéité en ce qu’elle interdit, pour des postes à responsabilité exigeant implication et disponibilité à temps complet, l’exercice d’une autre activité.

Cela étant, pour être valable, une clause d’exclusivité, qui, exorbitante du droit commun, porte nécessairement atteinte à la liberté du travail garantie par l’article L.1121-1 du code du travail, doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. L’article L.1121-1 du code du travail, en vigueur depuis le 1er mai 2008, dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

La clause litigieuse, telle que rappelée dans la lettre de licenciement, est ainsi libellée : « Dans l’accomplissement de vos fonctions, vous consacrez l’exclusivité de votre temps et de vos activités à la Société et corrélativement vous vous interdisez de vous occuper ‘ même à titre occasionnel – d’autres clients et affaires que ceux de la société ou de CAP GEMINI ERNST & YOUNG et de ses filiales ».

Il convient ainsi d’en constater la généralité et le caractère absolu que souligne l’appelant, puisqu’elle prohibe toute activité qui serait envisagée par le salarié, sans égard à l’évolution au cours de la relation, ici née en 2001, de ses fonctions ou des contours de l’entreprise, alors que la restriction à la liberté de travailler ne peut se concevoir qu’en tant que l’entreprise justifie d’un intérêt légitime, qu’elle est indispensable au regard de cet impératif, justifiée par la nature des fonctions occupées et proportionnée à la sauvegarde de cet intérêt.

Au surplus, quand il n’est pas contesté que le groupe Capgemini, « leader mondial » selon l’appelant, emploie près de 300.000 collaborateurs dans 50 pays et a réalisé un chiffre d’affaires de 16 milliards d’euros en 2020, l’intimée n’évoque aucun intérêt spécifique justifiant une dérogation, qui y serait proportionnée, à cette liberté fondamentale, et, au contraire, elle se borne à faire valoir, de manière inopérante, l’implication nécessaire du salarié dans ses fonctions ainsi garantie et qu’elle ne remet, pourtant, nullement en cause, in concreto, au cas présent.

Dès lors, la clause ainsi rédigée n’est pas valable, et ne peut produire aucun effet.

Sur le défaut de cause

Le licenciement n’étant fondé en droit, que sur la violation de la clause d’exclusivité, déclarée sans effet, il s’en déduit nécessairement qu’il est dépourvu de cause. Le jugement sera infirmé dans son expression contraire, sur le principe et ses conséquences.

Sur les conséquences

M. [A] sollicite la somme de 60.186 euros, que lui dispute la société Capgemini, faute d’une démonstration suffisante, selon elle, de son préjudice.

Cependant, au regard de l’âge de l’intéressé, de son ancienneté et de l’évolution défavorable de sa situation professionnelle, il convient d’allouer au requérant la somme réclamée, en application de l’article L.1235-3 du code du travail, augmentée des intérêts au taux légal dès ce jour en application de l’article 1231-7 du code civil.

Il convient d’ordonner à l’employeur de remettre à l’appelant les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt, la demande de bulletins de paie modificatifs étant sans objet, sans qu’une astreinte ne soit d’emblée nécessaire.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

Sur le fondement de l’article L.1222-1 du code du travail, M. [A] fait valoir la « discrimination » en raison de l’âge, sinon le manquement à l’égalité, que révèle son licenciement, en perspective de la tolérance de l’employeur pour l’exercice d’activités parallèles, y compris concurrentes, d’autres salariés.

La société Capgemini y objecte la carence probatoire de son colitigant.

L’article L.1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Il est suffisamment justifié par les pièces versées aux débats, au reste non querellées, que divers employés de la société Capgemini, MM. [Y], [W], [X], [P], [S] sont inscrits au répertoire Sirene pour l’exercice d’activités professionnelles en « autre création artistique », « conseil pour les affaires et autres conseils de gestion », « création artistique relevant des arts plastiques », « location de logements », ou ont exercé une activité sociale dans le même temps que leur emploi, ainsi MM. [E], [H], [V], [O], Mme [R], dans le secteur de la « création artistique relevant des arts », des « arts du spectacle vivant », au titre d’« activités spécialisées de design ».

Si la société Capgemini prétend les y avoir autorisés à l’inverse de M. [A] agissant à son insu, ce moyen manque en fait, faute d’aucune preuve, et pour le surplus, en droit, puisque la clause litigieuse, dont l’insertion à l’identique dans les contrats de ces autres employés n’est pas disputée, prohibe toute activité complémentaire, sans permettre d’en autoriser aucune.

La sanction touchant l’intéressé sans atteindre d’autres placés dans la même situation marque suffisamment la déloyauté de l’employeur dans l’exécution du contrat par violation du principe d’égalité, que l’intéressé qualifie de manière impropre de discrimination en raison de son âge, laquelle, dans ces termes, n’est pas précisément justifiée.

Il évalue son dommage à la somme de 8.598 euros, que lui conteste son contradicteur, faute de preuve.

Le préjudice moral de l’intéressé, que contient les faits justement disputés, sera indemnisé par l’allocation de 1.000 euros, augmentés des intérêts au taux légal dès ce jour. Il sera ajouté au jugement, la demande étant nouvelle.

Sur les autres demandes

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant de nouveau ;

Constate que la clause d’exclusivité insérée au contrat de travail de M. [M] [A] est de nul effet ;

Dit son licenciement dépourvu de cause ;

Condamne la société par actions simplifiée Capgemini Technology Services à payer à M. [M] [A] :

60.186 euros d’indemnité pour licenciement injustifié, augmentés des intérêts au taux légal dès ce jour ;

1.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral né du manquement à la bonne foi, augmentés des intérêts au taux légal dès ce jour ;

4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne la remise des documents de fin de contrat (attestation Pôle-emploi, solde de tout compte et certificat de travail) conformes à la présente décision dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt ;

Rejette la demande d’astreinte ;

Ordonne, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail le remboursement par l’employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, et dit qu’une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Condamne la société par actions simplifiée Capgemini Technology Services aux entiers dépens.

– Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été prélablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

– Signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président, et par Madame Isabelle FIORE, greffier auquel la minute la décision à été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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