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TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE PARIS
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3ème chambre
2ème section
N° RG 23/10286
N° Portalis 352J-W-B7H-C2SEN
N° MINUTE :
1
Assignation du :
09 Août 2023
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RÉTRACTATION
rendue le 05 Janvier 2024
DEMANDERESSE
S.A.S.U. WEILL
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Pierre-françois VEIL de l’ASSOCIATION VEIL JOURDE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #T0006
DÉFENDEUR
Monsieur [D] [X]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Maître Marie claude FOURNET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G798
Copies délivrées le :
– Maître VEIL #T06
– Maître FOURNET #G798
Décision du 05 Janvier 2024
3ème chambre – 2ème section
N° RG 23/10286 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2SEN
DÉBATS
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge
assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier,
A l’audience du 16 Novembre 2023, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 22 Décembre 2023 puis prorogé au 05 Janvier 2024
ORDONNANCE
Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE
1. M. [X] a obtenu sur requête, le 7 juillet 2023, une ordonnance l’autorisant à pratiquer dans les locaux de la société Weill, d’une part une saisie-contrefaçon visant l’atteinte à des droits d’auteur qu’il invoque sur 3 créations textiles, d’autre part une mesure probatoire (aux modalités identiques) de droit commun fondée sur l’article 145 du code de procédure civile visant une concurrence déloyale ou du parasitisme du fait de la commercialisation de 4 autres créations textiles contre lesquelles il n’a pas invoqué de droits d’auteur.
2 . Les deux mesures probatoires ont été exécutées ensemble le 12 juillet 2023. Le commissaire de justice, ayant obtenu du dirigeant de la société Weill une déclaration selon laquelle celui-ci lui enverrait ultérieurement des documents comptables absents du lieu d’exécution des mesures, sans toutefois que celui-ci s’exécute, a adressé à la société Weill une sommation de communiquer le 28 juillet 2023. Puis, s’étant vu finalement opposer un refus manifesté par l’avocat de cette société le 31 juillet, le commissaire de justice a établi le 17 aout 2023 un procès-verbal « de difficultés valant clôture des opérations » pour en fait état.
3. Dans l’intervalle, la société Weill a assigné le 10 aout 2023 M. [X] en rétractation de l’ordonnance et nullité de la saisie-contrefaçon.
4. M. [X] n’a assigné la société Weill au fond, suite à la saisie-contrefaçon, que le 18 septembre 2023, estimant que le délai impératif de 20 jours ouvrables ou 31 jours civils « à compter du jour où est intervenue la saisie ou la description », prévu par les articles L. 332-3 et R. 332-3 du code de la propriété intellectuelle, n’avait commencé à courir qu’à compter de la date du « procès-verbal de difficultés valant clôture des opérations ».
Prétentions des parties
5. À l’audience du 16 novembre 2023 et dans ses écritures du 8 novembre 2023 soutenues oralement, la société Weill demande la rétractation de l’ordonnance du 7 juillet 2023, subsidiairement la mainlevée de la saisie-contrefaçon, en tout état de cause l’annulation de la sommation du 28 juillet 2023, l’interdiction pour M. [X] d’utiliser contre elle tout élément issu de la saisie-contrefaçon, de la sommation subséquente du 28 juillet, de toute « mesure probatoire » obtenue sur son fondement et de tout document qui en ferait état, sous astreinte. Il demande enfin 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
6. À l’audience et dans ses écritures du 13 novembre 2023 soutenues oralement, M. [X] soulève l’incompétence de la présente juridiction pour rétracter l’ordonnance, résiste sur le fond à l’ensemble des demandes et réclame elle-même 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Moyens des parties
7. La société Weill soutient d’abord qu’un procès-verbal unique a été dressé pour les faits argüés de contrefaçon et ceux de concurrence déloyale, autorisé par une ordonnance unique rendue sur les deux fondements, donc que la rétractation de cette ordonnance dans son entier est possible et doit être prononcée en raison, d’abord, de la confusion du procès-verbal qui mélange les deux mesures.
8. En outre, elle invoque en premier lieu une déloyauté de la part du requérant en ce qu’il n’a pas révélé les relations antérieures des parties et en particulier la cession par M. [X] de ses droits d’auteur sur ses créations, outre que la licence de marque concédée par M. [X] lui donnait à elle la charge de concevoir et fabriquer les prototypes puis les modèles. Elle en déduit que c’était à M. [X] de démontrer dans sa requête que les 7 objets qu’il invoquait ne faisait pas partie de ceux sur lesquels les droits lui avaient été cédés ou de ceux qui avaient été conçus et réalisés par elle. Elle reproche également à M. [X] d’avoir dissimulé la transaction déjà conclue entre les parties en 2020.
9. Elle invoque en deuxième lieu l’absence de motif pour déroger au principe de la contradiction s’agissant des mesures fondées sur l’article 145 du code de procédure civile. Elle souligne que le risque de déperdition des preuves est seulement invoqué en général sans être établi de manière concrète et circonstanciée et qu’il est au demeurant contredit par les termes de la requête qui révèlent que le requérant disposait déjà des preuves suffisantes grâce à un constat d’achat et que la société Weill est française avec des boutiques en France.
10. Elle critique en troisième lieu l’intégration dans le périmètre de la saisie-contrefaçon de modèles qui ne pouvaient pas être invoqués au titre du droit d’auteur, d’une part car les droits d’auteur lui ayant été cédés, la saisie-contrefaçon n’aurait pas pu être autorisée, d’autre part car les 3 objets invoqués au titre du droit d’auteur ne sont pas des oeuvres originales. À cet égard, elle admet que l’originalité n’a pas à être démontrée au stade de la requête en saisie-contrefaçon mais estime que pour autant, si l’oeuvre invoquée n’est pas originale et donc pas protégée par le droit d’auteur, la partie saisie peut demander la rétractation de l’ordonnance prise sur cette requête. Enfin, par ailleurs, s’agissant des 4 modèles pour lesquels des droits d’auteur ne sont pas invoqués (mais seulement une mesure de droit commun), elle estime qu’il s’agit d’un détournement de la saisie-contrefaçon.
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11. M. [X] estime à l’inverse que l’ordonnance prise sur le double fondement du droit d’auteur et du droit commun ne peut faire l’objet, dans son entier, que du recours spécial prévu pour le premier, c’est-à-dire la demande en mainlevée, car le spécial déroge au général. Il en déduit que le président du tribunal judiciaire est incompétent pour rétracter l’ordonnance. Il estime par ailleurs que la demande d’interdiction est sans objet car aucun document n’a été obtenu lors de la saisie-contrefaçon.
12. Il affirme subsidiairement que les contrats invoqués par la société Weill ne portent pas sur les modèles en cause car ceux-ci faisaient partie de la collection ‘[D] [X]’ été 2014 qui relevait uniquement du contrat de licence de marque en vertu duquel M. [X] concevait les produits et la société Weill les fabriquait, tandis que les contrats de cession de droit d’auteur invoqués par celle-ci portent sur d’autres collections, ‘Weill’ et ‘[D] [D]’, ainsi que sur des années antérieures ou postérieures. Il ajoute qu’au demeurant il justifie suffisamment sa titularité au stade de la requête en se prévalant de la présomption instaurée par l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle. Il en déduit qu’il n’avait pas à faire état de ces contrats dans la requête. De même, s’agissant de la transaction, il soutient qu’elle portait sur d’autres modèles et d’autres griefs.
13. La dérogation au principe de la contradiction, pour les mesures de droit commun autorisées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, est selon lui justifiée car elle s’imposait du seul fait que la saisie-contrefaçon autorisée simultanément est de droit non contradictoire et que demander contradictoirement les mesures de droit commun aurait privé d’effet la possibilité de demander non contradictoirement la saisie-contrefaçon. Il ajoute subsidiairement que la rétractation pour ce motif ne peut concerner que les produits concernés par ces mesures de droit commun (283003, 181004, 181001, 281006).
MOTIVATION
14. L’ordonnance litigieuse contient à la fois des dispositions relatives à une saisie-contrefaçon et des dispositions relatives à une mesure de droit commun.
15. Le fait que le procès-verbal en résultant ne permette pas de distinguer ce qui relève de l’une et ce qui relève de l’autre n’est pas un motif de rétractation de l’ordonnance ni même, au demeurant, de nullité ; il a seulement une conséquence éventuelle sur l’étendue de la nullité, le cas échéant (s’il est impossible de distinguer ce qui est nul de ce qui ne l’est pas, l’acte entier doit être annulé) et la nullité ne relève pas de la compétence du juge de la rétractation (la demande en ce sens a donc été abandonnée par la société Weill depuis l’assignation).
I . Demandes relatives à la saisie-contrefaçon
1 . Irrecevabilité de la demande en rétractation
16. Les articles 496 et 497 du code de procédure civile prévoient que tout intéressé peut demander au juge qui a fait droit à une requête de modifier ou rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire.
17. Toutefois, dans le cas particulier d’une saisie-contrefaçon fondée sur un droit d’auteur, autorisée sur requête, l’article L. 332-2 du code de la propriété intellectuelle permet au saisi et au tiers saisi de demander au président du tribunal judiciaire de prononcer la mainlevée de la saisie ou d’en cantonner les effets. Ce recours spécial est exclusif du recours de droit commun qu’est le référé rétractation (Cass. Com., 3 avril 2012, pourvoi n° 11-13.897 ; 1re Civ., 30 mai 2000, pourvoi n° 97-16.54).
18. Au cas présent, l’ordonnance, rendue sur requête, a d’une part autorisé une saisie-contrefaçon, d’autre part autorisée une mesure selon le droit commun. Chacun des deux recours visés ci-dessus est donc ouvert contre cette ordonnance, dans la seule mesure concernée par chacun des deux régimes (dispositions relatives à la saisie-contrefaçon d’une part, dispositions relatives au droit commun de l’autre). Il est évident, contrairement à ce qu’affirment les parties, qu’aucun de ces régimes ne peut neutraliser l’autre du seul fait qu’ils sont mis en oeuvre par une décision unique.
19. La société Weil est donc irrecevable à demander la rétractation des dispositions de l’ordonnance ayant autorisé la saisie-contrefaçon.
2 . Demande subsidiaire en mainlevée
20. Plusieurs moyens invoqués au regard de la loyauté sont également invoqués pour contester directement le bienfondé de la saisie-contrefaçon. Il convient de les examiner d’abord à l’égard de ce bienfondé, ensuite en tant que de besoin à l’égard de la loyauté.
21. La saisie-contrefaçon en matière de droit d’auteur est prévue par l’article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle, dans les termes suivants :
« Tout auteur d’une œuvre protégée par le livre Ier de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause peuvent agir en contrefaçon. A cet effet, ces personnes sont en droit de faire procéder par tous huissiers, le cas échéant assistés par des experts désignés par le demandeur, sur ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit à la saisie réelle des œuvres prétendument contrefaisantes ainsi que de tout document s’y rapportant. L’ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux œuvres prétendument contrefaisantes en l’absence de ces dernières. »
a. Protection par le droit d’auteur des objets invoqués (originalité)
22. Conformément à l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, seule est protégée par les droits d’auteur « l’oeuvre de l’esprit », notion qui, à la lumière de la directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, implique un objet original, c’est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs ; cet objet devant être identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui reçoit l’objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35).
23. Toutefois, dans le cadre de la saisie-contrefaçon, la Cour de cassation estime que « L’auteur, ses ayants droit ou ses ayants cause ont qualité pour agir en contrefaçon et solliciter à cet effet l’autorisation, par ordonnance rendue sur requête, de faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon, sans avoir à justifier, au préalable, de l’originalité de l’œuvre sur laquelle ils déclarent être investis des droits d’auteur », et elle interdit au juge du fond d’apprécier l’originalité, même pour annuler ex post une saisie-contrefaçon (Cass. 1re Civ., 6 avril 2022, n°20-19.034, points 20 à 22).
24. La distinction faite par la société Weill entre l’examen lors de la requête et l’examen ultérieur lors de la rétractation, qui impliquerait que devrait être autorisée en amont une mesure dont on saurait pourtant déjà qu’elle devrait être levée ou annulée en aval, est dépourvue de sens.
25. Les moyens relatifs à l’originalité sont donc inopérants, et le juge de la saisie-contrefaçon doit tenir pour acquis l’existence de droits d’auteur sur l’objet invoqué, quel qu’il soit, afin d’analyser si le requérant est titulaire de ces droits et si ceux-ci sont susceptibles d’être enfreints par la personne visée par la saisie-contrefaçon.
b. Titularité des droits d’auteur invoqués
26. Contrairement à l’action en contrefaçon en général, qu’aucun texte ne réserve expressément à certaines personnes qualifiées, la saisie-contrefaçon est quant à elle ouverte par l’article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle au seul auteur d’une oeuvre protégée par le livre 1er du code de la propriété intellectuelle, à ses ayants droit et à ses ayants cause.
27. Les 3 créations invoquées au soutien de la saisie-contrefaçon ont été créées, selon M. [X], dans le cadre d’un contrat de licence d’une marque ‘[D] [X]’ appartenant à celui-ci, sans aucune cession des droits d’auteur. La société Weil estime à l’inverse qu’ils sont inclus dans l’ensemble des autres contrats ayant lié les parties mais ne vise pas le contrat qui, au cas particulier, aurait concerné les 3 objets concernés : elle reprend seulement, sans la contester, l’affirmation de M. [X] selon laquelle ces 3 créations font partie de la collection été 2014 (ses conclusions p. 11, premier tiret) et plus précisément de la collection [D] [X] été 2014 (ses conclusions p. 15, 5e paragraphe), pour faire valoir que cette période fait partie de celles couvertes par les différents contrats ayant prévu une cession des droits d’auteur sur les créations.
28. Parmi les nombreux contrats produits par la société Weill (ses pièces n°7 à 9), trois concernent la bonne période, à savoir la collection printemps été 2014 :
– un premier « contrat de prestations de services » conclu le 2 janvier 2013 prévoit, au titre de prestations « de stylisme », la création par M. « [S] » (mais il n’est pas contesté que malgré cette orthographe présente dans la plupart des contrats il s’agit bien de M. [X]) de 100 modèles de vêtements avec cession des droits de reproduction, de représentation, d’adaptation et de celui de « mettre dans le commerce » ces modèles, en contrepartie d’honoraires de 29 400 euros ;
– un deuxième contrat également intitulé « contrat de prestations de services », conclu le 18 février 2013, prévoit, également au titre de prestations « de stylisme », la création par M. [X] de « la collection [D] [D] » avec cession des mêmes droits de propriété intellectuelle, contre des honoraires de 5 000 euros ;
– enfin, un troisième contrat, encore intitulé « contrat de prestations de services », conclu le 9 octobre 2013, annule et remplace « les contrats de directeur artistique de la marque Weill du 2 janvier 2013 et de styliste de la marque Weill du 25 juillet 2013 » pour prévoir à compter du 1er octobre 2013, avec reconduction tacite annuelle, des prestations par M. [X], d’une part de « directeur artistique », responsable notamment de l’identité visuelle et de l’image « des collections Weill (Weill, W, la maison Weill) », d’autre part de « styliste » avec la création de 400 modèles constituant les mêmes collections Weill, avec cession des mêmes droits de propriété intellectuelle que dans les contrats précédents, le tout contre des honoraires de 120 000 euros.
29. Par ailleurs, un « contrat de licence exclusive de marque » du 1er décembre 2013 (pièce [X] n°2), qui porte sur une « marque dénominative ‘[D] [X]’ » (identifiée dans une annexe 1 qui n’est pas communiquée ici) et fait suite à un précédent contrat du 31 mai 2009 sur la même marque, prévoit, à son article 5, l’obligation pour le concédant, M. [X], de proposer au licencié, la société Weill, « tout modèle et/ou croquis des Produits conformes à l’image de la Marque », le licencié devant alors soumettre au concédant les prototypes des produits pour qu’il donne son accord avant leur mise en fabrication. Il en résulte que les produits commercialisés sous le signe [D] [X] étaient conçus par M. [X], qui avait le contrôle des caractéristiques susceptibles de leur conférer une protection par le droit d’auteur. Le fait que la société Weill soit chargée de créer les prototypes n’en fait pas l’autrice des oeuvres correspondantes dès lors que le « modèle et/ou croquis » est conçu par M. [X] et que le prototype est soumis à l’accord de celui-ci. Dans ce cadre, la société Weill a évidemment un rôle de fabrication et non de création.
30. Ainsi, deux types de relations existaient entre les parties, pour des produits différents : d’une part des prestations de création fournies par M. [X] à la société Weill accompagnées d’une cession de droits d’auteur, pour des vêtements vendus dans les « collections Weill » et la « collection [D] [D] », d’autre part une relation de licence de marque par laquelle la société Weill fabriquait et distribuait des produits d’une collection [D] [X] conçus par M. [X] et divulguée sous son nom. Celui-ci bénéficie donc, à l’égard des produits de cette seconde catégorie, de la présomption instaurée par l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, selon laquelle la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée. Enfin, aucune cession des droits de propriété intellectuelle correspondants n’est prévue à l’égard de ces produits dans le contrat de licence de marque ni dans aucun des autres contrats, qui portent sur des produits faisant partie d’autres collections et vendus sous d’autres marques.
31. Les 3 objets invoqués par M. [X] au titre du droit d’auteur et fondant ainsi la saisie-contrefaçon font partie de la seconde catégorie : outre que, comme exposé ci-dessus au point 27, la société Weill l’admet indirectement dans ses conclusions, les 3 vêtements correspondants disposent également d’une étiquette comportant exclusivement le signe [D] [X] (pièces [X] n°5, n°7, n°11) tandis qu’aucun autre élément ne permet des les relier à une autre collection et notamment pas les collections de la société Weill. M. [X] est donc titulaire des éventuels droits d’auteur à leur égard, de sorte qu’il a bien qualité à demander une saisie-contrefaçon.
32. Il ressort enfin de cette analyse que par sa contestation, la société Weill instrumentalise, de mauvaise foi, la complexité des relations entre les parties, qu’elle connait pourtant puisqu’elle en est personnellement à l’origine, afin d’obscurcir sciemment la réalité pour le tribunal au lieu de contribuer loyalement à la manifestation de la vérité comme le lui impose l’article 10 du code civil.
c. Loyauté
33. En application de l’article 3 de la directive 2004/48, les procédures nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle mises en oeuvre par les États membres doivent être loyales et proportionnées.
34. En outre, en application de l’article 10 du code civil, les parties ont l’obligation, en vertu du principe de loyauté des débats, de produire et le cas échéant communiquer en temps utiles les éléments en leur possession, en particulier lorsqu’ils sont susceptibles de modifier l’opinion des juges (1re Civ., 7 juin 2005, pourvoi n° 05-60.044).
35. Il en résulte que le requérant à une mesure de saisie-contrefaçon doit faire preuve de loyauté dans l’exposé des faits au soutien de sa requête en saisie-contrefaçon, afin de permettre au juge d’autoriser une mesure proportionnée en exerçant pleinement son pouvoir d’appréciation des circonstances de la cause (Cass., Com., 6 décembre 2023, pourvoi n° 22-11.071, points 10 à 12 et point 15).
36. Il résulte de ce qui précède (points 27 à 31) que les contrats de prestations de services que la société Weill reproche à M. [X] de n’avoir pas mentionnés dans sa requête portent sur d’autres objets que ceux qui sont invoqués au soutien de celle-ci. Ces contrats sont donc étrangers à la mesure susceptible d’être ordonnée et il n’y a dès lors aucune déloyauté à ne les avoir pas mentionnés ni communiqués ni, plus généralement, à ne pas avoir davantage explicité les relations antérieures entre les parties, qui n’étaient pas de nature à mettre en doute le bienfondé de la position du requérant ni jeter le doute sur ses motivations et étaient donc, également, indifférentes pour apprécier la mesure demandée.
37. Quant à la transaction du 29 juillet 2020, elle porte sur deux litiges antérieurs : d’une part le reproche qu’avait formé la société Weill quant au refus par M. [X] de renouveler le contrat de licence de marque, d’autre part le reproche fait par celui-ci à celle-là d’avoir déposé des modèles correspondant à ses créations et d’avoir commercialisé sous la marque des vêtements qu’il n’avait pas créés. L’article 2 de la transaction, selon lequel M. [X] s’interdit d’engager toute action en contrefaçon ou concurrence déloyale contre la société Weill, ne peut valoir que pour les faits connus à cette date.
38. Or le présent litige porte sur la commercialisation par la société Weill de vêtements contrefaisant ses créations lors de sa collection printemps / été 2023, c’est-à-dire des faits non seulement distincts de ceux visés à la transaction (le dépôt de modèles et la commercialisation de vêtements différents de ceux créés par M. [X]) mais également postérieurs à celle-ci. Il s’agit donc d’un litige différent, non concerné par cette transaction.
39. Le fait qu’un litige proche a opposé les mêmes parties par le passé peut, dans de rares cas, être un élément pertinent pour apprécier la légitimité d’un nouveau litige et de ce fait, indirectement, la proportionnalité d’une mesure demandée au titre de ce nouveau litige, mais seulement si, par ses circonstances et sa proximité avec celui-ci, il révèle un risque de détournement de la procédure qui rend nécessaire une attention et le cas échéant une protection renforcée contre les abus. Inversement, tirer des conséquences défavorables pour le demandeur de la simple existence d’un litige passé relèverait du préjugement et violerait ainsi le principe d’impartialité, donc le droit au procès équitable.
40. La transaction en cause ne révèle aucune responsabilité particulière de M. [X] dans l’ancien litige, elle ne peut donc pas être prise en elle-même comme un indice de mauvaise foi de sa part ; elle est antérieure de plus de 2 ans aux faits nouvellement dénoncés, lesquels ne s’inscrivent donc pas dans une querelle ininterrompue qui pourrait être motivée par de mauvaises raisons. Elle ne révèle rien, plus généralement, qui puisse amener le juge de la requête à modifier sa décision sur la mesure demandée pour le nouveau litige.
41. Le fait de ne l’avoir pas mentionnée dans la requête peut certes paraitre regrettable a posteriori pour la compréhension complète de la situation antérieure des parties mais peut tout aussi légitimement se justifier par une recherche de clarté et d’efficacité dans cette présentation ; en toute hypothèse, le juge de la requête en saisie-contrefaçon n’aurait pas pris de décision différente, même si la transaction lui avait été présentée.
42. M. [X] n’a donc pas présenté sa requête de façon déloyale.
43. Par conséquent, aucun des motifs de mainlevée n’étant fondé, la demande en ce sens est rejetée.
II . Demande relative à la mesure probatoire de droit commun
44. L’article 145 du code de procédure civile prévoit que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
a. Détournement de la saisie-contrefaçon
45. La société Weill reproche à M. [X] d’avoir demandé, sur le fondement du droit commun, une mesure probatoire correspondant à une saisie-contrefaçon à l’égard de 4 de ses produits pourtant non protégés par un droit de propriété intellectuelle, ce qui est, selon elle, un détournement de procédure.
46. Cependant, l’article 145 autorise toutes les mesures d’instruction légalement admissibles, ce qui peut correspondre aux mêmes opérations qu’une mesure de saisie-contrefaçon. Ce n’est que lorsque le droit commun est invoqué alors que les faits dont la preuve est recherchée sont en réalité des faits de contrefaçon (donc une atteinte à un droit de propriété intellectuelle) que la mesure spéciale du code de la propriété intellectuelle s’impose au requérant, afin, en particulier, que celui-ci en respecte la contrainte principale qui est l’obligation d’assigner dans un délai de 31 jours.
47. Dans ce cadre, M. [X], en estimant détenir des droits d’auteurs sur 3 produits et ne pas en détenir sur 4 autres, et en recherchant en conséquence la preuve de faits de contrefaçon à l’égard des premiers et de faits distincts de concurrence déloyale à l’égard des seconds, s’est imposé lui-même la contrainte d’une mesure double en cumulant les contraintes des deux régimes : une saisie-contrefaçon et une mesure de droit commun. Il n’a donc pas contourné le régime de la saisie-contrefaçon et notamment pas sa principale contrainte qui est l’obligation de saisir la juridiction dans un délai strict (obligation au demeurant non respectée au cas présent, comme relevé ci-dessus au point 4, étant rappelé que le point de départ du délai est « la saisie ou la description », donc le jour où le commissaire de justice se rend dans les locaux visés, celui-ci ne pouvant évidemment pas reporter artificiellement ce point de départ en décidant d’une prolongation fictive de la mesure matérialisée par un procès-verbal « de difficulté valant clôture », et ce d’autant moins au cas présent que l’ordonnance n’autorisait ni une poursuite des opérations sur plusieurs jours ni une injonction de communiquer des pièces absentes du lieu de la saisie).
48. Le moyen tiré d’un détournement de procédure est donc infondé.
b. Justification de la procédure sur requête
49. Comme exposé ci-dessus aux points 16 à 18, lorsqu’une telle mesure est autorisée par une ordonnance rendue sur requête comme au cas présent, cette ordonnance peut être contestée par toute personne intéressée et ce recours est ouvert, ici, contre les dispositions de l’ordonnance qui sont fondées sur l’article 145, à l’exclusion de celles, objet de la partie I. ci-dessus, fondées sur le droit d’auteur.
50. L’article 493 du code de procédure civile conditionne l’ordonnance sur requête au cas où « le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse. » Ainsi, contrairement au cas de la saisie-contrefaçon, où la procédure sur requête est de droit, dans le cadre du droit commun le requérant, et l’ordonnance, doivent justifier la dérogation au principe de la contradiction.
51. L’ordonnance est motivée par adoption des motifs de la requête, laquelle justifie la dérogation au principe de la contradiction par « le risque de déperdition de preuve » sans plus de précision. Ce risque n’est donc pas établi dans la requête ni dans l’ordonnance.
52. À présent, M. [X] ajoute seulement que la voie de la requête était nécessaire dès lors qu’il demandait simultanément une saisie-contrefaçon et une mesure de droit commun car la contradiction sur la seconde aurait privé d’effet la requête pour la première.
53. Un tel raisonnement est erroné : rien n’empêchait le requérant de réaliser sa saisie-contrefaçon séparément avant de saisir contradictoirement le juge des référés pour obtenir l’autre mesure d’instruction. La volonté de réaliser deux mesures d’instruction ne l’exonère pas de respecter les conditions de chacune.
54. Ainsi, il ne justifie pas de la possibilité de déroger au principe de la contradiction et l’ordonnance doit être rétractée, s’agissant de ses dispositions fondées sur l’article 145 du code de procédure civile, c’est-à-dire celles qui concernent les produits litigieux suivants de la société Weill :
– le pantalon Ilona
– la veste 23E 101004 6004
– la veste 23E 181002 6006
– la veste 23E 281006 6061.
55. S’agissant des demandes en annulation et interdiction, à supposer que la présente juridiction soit compétente et ait le pouvoir de les prononcer, elles sont infondées dès lors que la sommation critiquée ne repose pas seulement sur la mesure de droit commun mais aussi sur la saisie-contrefaçon. Quant aux éléments obtenus par cette mesure, le procès-verbal (pièce [X] n°26) révèle qu’il n’y en a eu aucun.
III . Dispositions finales
56. Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie.
57. La société Weill succède très partiellement dans ses prétentions. Celles-ci visaient à contester deux mesures probatoires dont le procès-verbal du commissaire de justice (pièce [X] n°26) révèle qu’elles n’ont permis l’obtention d’aucune preuve. La contestation tranchée par la présente décision est ainsi entièrement dépourvue d’utilité. Par conséquent, les dépens doivent être mis à la charge de celui qui a formé cette contestation, c’est-à-dire la société Weill, que l’équité impose également de condamner à indemniser M. [X] des frais inutilement exposés, qui peuvent être estimés à 8 000 euros conformément à la demande.
58. Il n’y a pas lieu à écarter l’exécution provisoire, qui est de droit.
PAR CES MOTIFS
Le juge délégué par le président et ayant rendu l’ordonnance contestée :
Déclare la société Weill irrecevable en sa demande en rétractation des dispositions de l’ordonnance du 7 juillet 2023 relatives à la saisie-contrefaçon ;
Rejette la demande en mainlevée de la saisie-contrefaçon ;
Rétracte l’ordonnance du 7 juillet en ce qu’elle a autorisé des mesures fondées sur l’article 145 du code de procédure civile, c’est-à-dire les mesures concernant les produits litigieux suivants :
– le pantalon Ilona
– la veste 23E 101004 6004
– la veste 23E 181002 6006
– la veste 23E 281006 6061 ;
Rejette les demandes en nullité de la sommation du 28 juillet 2023 et interdictions subséquentes ;
Condamne la société Weill aux dépens ainsi qu’à payer 8 000 euros à M. [X] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 05 Janvier 2024
Le GreffierLe Président
Quentin CURABETArthur COURILLON-HAVY