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ARRÊT DU
24 Novembre 2023
N° 1750/23
N° RG 21/01105 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TWDH
IF/AA
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE
en date du
03 Juin 2021
(RG 17/01759 -section )
GROSSE :
Aux avocats
le 24 Novembre 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
S.A.S. [12] ‘[12]’
[Localité 2]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Thierry DOUTRIAUX, avocat au barreau de LILLE
substitué par Me MAXENCE BEAUREPAIRE, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ :
M. [P] [B]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Anne DURIEZ, avocat au barreau de LILLE
substitué par Me Hélène DORANGEON, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Olivier BECUWE
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Isabelle FACON
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Angelique AZZOLINI
DÉBATS : à l’audience publique du 30 Mai 2023
Le prononcé de l’arrêt a été prorogé du 7 Juillet 2023 au 24 Novembre 2023 pour plus ample délibéré.
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 09/05/2023
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant contrats de travail à durée déterminée et à temps partiel, renouvelés annuellement, du 6 janvier 2004 au 31 mai 2011, l'[12] [12] situé à [Localité 2], devenu la société [12] [Localité 2] (la société), établissement d’enseignement supérieur, a engagé Monsieur [P] [B], en qualité de formateur occasionnel puis de professeur mensualisé.
Suivant contrat à durée indéterminée et à temps partiel du 23 septembre 2011, Monsieur [B] était engagé en qualité d’enseignant-chercheur en marketing, sur 4 jours de travail, du mardi au vendredi, pour 200 heures de cours et 760 heures de recherche annuelles, pour un salaire mensuel brut de 2450 euros.
Au dernier état de la relation contractuelle, son salaire n’avait pas évolué.
La relation de travail était régie par la convention collective de l’enseignement privé indépendant.
Par lettre recommandée avec accusé réception du 12 juillet 2016, la société a notifié à Monsieur [B] son licenciement pour faute grave, caractérisé par deux griefs essentiels, avoir menti sur sa qualité de doctorant, statut requis selon la société pour être nommé enseignant-chercheur et ne pas avoir publié d’articles dans une revue économique référencée.
Monsieur [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Lille et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’à des rappels de salaires et à l’exécution de son contrat de travail.
Par jugement du 3 juin 2021, le conseil de prud’hommes a condamné la société à payer à Monsieur [B] différentes sommes au titre de différentes demandes :
– sur le manquement à l’égalité de traitement :
– 10.000,00 euros, au titre des dommages et intérêts pour non-respect du principe « travail égal, salaire égal ».
– 35.151 ,72 euros, au titre des rappels de salaire relatif à l’inégalité salariale, outre 3.515,17 euros bruts, au titre des congés payés y afférents.
– sur la requalification du contrat de travail en contrat à temps complet : 69.663,24 euros à titre des rappels de salaire relatifs à la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail en temps complet, outre les congés payés y afférents à hauteur de 6.966,33 euros.
– sur la disqualification du licenciement en licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse
– 16.380,36 euros au titre des indemnités compensatrices de préavis, outre les congés payés y afférents à hauteur de 1.638,04 euros.
– 12.006,80 euros bruts au titre de l’indemnité légale de licenciement.
– sur un rappel de salaire relatif aux retraits excessifs concernant des délais de carence : 381,77 euros, outre 38,18 euros au titre des congés payés y afférents.
– 2.500 euros au titre de l’indemnité de procédure, outre la charge des dépens
Le conseil a débouté Monsieur [B] de ses autres demandes.
La société a fait appel de ce jugement par déclaration du 25 juin 2021, en visant expressément les dispositions critiquées.
Aux termes de ses dernières conclusions, la société demande l’infirmation du jugement en ses dispositions faisant droit aux demandes de Monsieur [B] et le constat que le demandeur ne s’est pas conformé au jugement avant-dire-droit lui ordonnant de produire des pièces justificatives, ainsi que sa condamnation à lui payer les sommes suivantes :
– 5000 euros, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive
– 5000 euros, au titre de l’indemnité pour frais de procédure, outre la charge des dépens
Aux termes de ses dernières conclusions, Monsieur [B], qui a formé appel incident, sollicite :
– l’annulation du jugement avant-dire-droit du conseil de prud’hommes de [Localité 2] du 27 juin 2019
– la confirmation des condamnations prononcées
– l’infirmation du jugement pour le surplus et la condamnation de la société à lui payer les sommes suivantes :
– 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de ses obligations d’exécution loyale du contrat de travail et de sécurité de résultat, à titre subsidiaire, 6.343,92 euros bruts à titre de rappel de salaire relatif aux heures complémentaire, outre 634,39 euros bruts au titre des congés payés y afférant
– 90.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
– 8.190,18 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier,
– 24,50 euros au titre du remboursement des tickets restaurants non versés
– 3.500 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Il est référé au jugement du conseil de prud’hommes, aux pièces régulièrement communiquées et aux conclusions des parties pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le jugement avant-dire-droit
Par jugement avant-dire-droit du 27 juin 2019, le conseil de prud’hommes a ordonné à Monsieur [B] sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de 30 jours suivant la notification du jugement à remettre les documents suivants :
– déclaration de revenus
– ses inscriptions en doctorat de 2004 et suivant
– ses publications de 2011 à 2016
– ses travaux de recherches de 2011 à 2016
Monsieur [B] forme un appel-nullité incident contre le jugement avant dire-droit, estimant que le conseil a commis un excès de pouvoir en ordonnant cette mesure d’instruction pour palier la carence probatoire de l’employeur, pourtant tenu, dans le cadre d’un licenciement pour faute grave, de l’entière charge de la preuve.
La cour ne peut que constater qu’elle n’est pas saisie par une déclaration, au sens de l’article 901 du code de procédure civile, d’un appel dirigé contre la décision avant-dire droit du 27 juin 2019.
Sur la requalification du contrat de travail à temps partiel en temps complet
Aux termes de l’article L. 3243-3 du code du travail, l’acceptation sans protestation ni réserve d’un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d’une convention ou d’un accord collectif de travail ou d’un contrat.
L’article L 3245-1 du code du travail dispose que l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter du jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
La cour de cassation a jugé que l’action en requalification du contrat de travail à temps partiel en temps complet est une action en paiement du salaire soumis au délai de prescription triennale prévue par l’article L3245-1 du code du travail (Soc 19 décembre 2018, n° 16-20.522)
En conséquence, le contrat de travail ayant été rompu le 12 juillet 2016, il s’ensuit que la demande de Monsieur [B] par requête du 20 décembre 2017 n’est pas prescrite.
Aux termes de l’article L 3123-9 du code du travail, les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée de travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, au niveau de la durée de travail fixée conventionnellement.
Le volume horaire hebdomadaire d’un temps complet est de 35 heures, ce qui correspond à 151,67 heures par mois et à 1607 heures par an.
Il résulte des pièces produites que Monsieur [B] a réclamé à son employeur, pendant la relation de travail, le paiement d’heures complémentaires non rémunérées.
En l’espèce, aux termes des bulletins de paie de Monsieur [B], il a travaillé, au cours de l’année 2014,’1656 heures, ce qui constitue un volume horaire supérieur au nombre d’heures annuelles à temps complet. Le volume horaire s’approche encore de la durée légale du travail en 2015 (1600 heures) et en 2016 (837 heures en juillet 2016).
En conséquence, le contrat de travail de Monsieur [B] sera requalifié en temps complet à compter de l’année 2014, année du dépassement de la durée légale du travail.
Le jugement sera confirmé.
Sur l’égalité de traitement
La règle ‘à travail égal, salaire égal’ est un principe fondamental dégagé par la jurisprudence qui oblige l’employeur à assurer une égalité de rémunération à l’embauche entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.
La cour de cassation a jugé que l’ancienneté du salarié justifie des différences de traitement, si elle ne donne pas déjà lieu au versement d’une prime spécifique ou l’expérience.
S’agissant de la possession d’un diplôme, la différence de traitement peut être justifiée si celui-ci est requis par la convention collective, à défaut, si la possession d’un titre spécifique atteste de connaissances particulières utiles à l’exercice des fonctions ou si la formation théorique est directement en phase avec l’activité de l’entreprise.
Monsieur [B] compare sa situation à celles de trois collègues, enseignants-chercheur.
Monsieur [B] a été engagé le 1er septembre 2011, à temps partiel sur 4 jours de travail en tant qu’enseignant-chercheur, pour 200 heures de cours par an et 760 heures de recherche, avec un salaire mensuel de 2450 euros.
Au moment de son engagement, Monsieur [B] a produit un curriculum vitae mentionnant les diplômes suivants :
– 2002 : master européen en management de projet et commerce électronique à l’Université de [Localité 2] 2 et diplôme d’ingénieur commercial à l’université d'[5]
– 2001 : maitrise en commerce à la faculté des sciences économiques de [Localité 6]
– 2000 : licence en commerce à la faculté des sciences économiques de [Localité 6]
Il déclare, par ailleurs, être inscrit en thèse sur le thème ‘La E-distribution et ses enjeux managériaux, contribution à la modélisation des stratégies de commerce électronique.’ Cette inscription remonte à 2004.
Au final, au regard de l’attestation obtenue par la société, il s’avère que l’intitulé exact du dernier diplôme obtenu par Monsieur [B] est, en réalité, un DESS de management projet internet auprès de l’IUP de [Localité 16], diplôme effectivement obtenu auprès de l’université de [Localité 2], ce qui correspond au même niveau de diplôme que celui annoncé par Monsieur [B]
Mme [K] [A] a été engagée le 1er septembre 2011, à temps partiel sur 4 jours de travail, en tant qu’enseignante-chercheur en droit, pour 260 heures de cours par an et 760 heures de recherche, au salaire mensuel brut de 3000 euros.
Il résulte de son curriculum vitae, qu’au moment de son engagement, elle était doctorante comme Monsieur [B], titulaire d’une maîtrise en droit européen et d’un DEA (niveau bac +5) en défense et sécurité européenne. Bilingue français anglais, elle a été enseignante à l'[12] pendant 5 ans et responsable pédagogique de 2008 à 2011.
La société indique qu’elle a conservé le salaire perçu en tant que responsable pédagogique.
La différence de traitement avec Mme [A] est justifiée objectivement par une expérience différente.
Mme [D] [G] a été engagée le 15 septembre 2010, à temps partiel sur 4 jours de travail, en tant qu’enseignante-chercheur en marketing et communication, pour 260 heures de cours et de la recherche sur un temps non précisé, au salaire mensuel brut de 3000 euros. En juillet 2013, son salaire mensuel brut a évolué à 3400 euros au coefficient T3A, catégorie administration.
Il résulte de son curriculum vitae qu’elle était doctorante en 2009 pour une thèse dont la soutenance était prévue en 2010 en Sciences de Gestion auprès de l’université [Localité 15] [8], après une licence en gestion dans cette université et un master 2 en sociologie à l’université [Localité 15] [9].
La différence de traitement avec Madame [G] est justifiée objectivement par un bagage de diplômes supérieur, s’agissant des universités d’origine et de l’addition de deux matières différentes. En effet, un diplôme délivré par une université au prestige reconnu dans les matières de gestion permet à un établissement d’enseignement supérieur qui évolue dans un milieu concurrentiel de s’appuyer sur les qualifications de l’enseignant. Ensuite, au moment de son embauche, elle était, soit déjà doctorante, soit sur le point de soutenir sa thèse, ce qui, là encore, la distingue de la situation de Monsieur [B].
Monsieur [F] [E] a été engagé le 11 novembre 2008 à temps partiel sur 4 jours de travail, en tant qu’enseignant chercheur en marketing, pour 200 heures de cours et 400 heures de recherche au salaire mensuel brut de 2700 euros. En décembre 2014, son salaire mensuel brut n’a pas évolué, il se trouve au coefficient C9B en catégorie cadres.
Il résulte de son curriculum vitae qu’au moment de son engagement, il était doctorant après avoir obtenu les diplômes suivants :
– 2007: master 2 en marketing à l'[11] de [Localité 2], mention assez bien
– 2006 : master 1 en marketing et communication à l'[10] de [Localité 2], mention assez bien
– 2005 : licence professionnelle en E-commerce et E-marketing à l’IUT de [Localité 16], mention assez bien
– 2004 : licence en administration publique à l’Université de [Localité 15] [18]
– 2003 : BTS marketing Ecole [17], mention bien
En 2013, il a obtenu un doctorat en sciences de gestion option marketing auprès de l'[11] de [Localité 2], diplôme délivré par l’université de [Localité 2] 2.
Par ailleurs, au moment de l’engagement de Monsieur [B], Monsieur [E] était également professeur intervenant à l’université d'[5] et intervenant au [7] mais également consultant Marketing/Accompagnement d’Entreprises.
Au moment de son embauche, Monsieur [E] commençait une thèse sur le même sujet que son projet de recherche en master 2, son profil universitaire était essentiellement tourné vers le marketing, la matière enseignée, et ses diplômes ont été obtenus avec mention. En outre, Monsieur [E] a fréquenté différents établissements lillois mais également une université parisienne, où il a exploré un autre domaine.
S’agissant d’un établissement d’enseignement supérieur, la qualification et la compétence des enseignants permanents que sont les professeurs-chercheur sont des éléments d’évaluation dans un secteur particulièrement concurrentiel. Dès lors, un profil universitaire plus riche peut être considéré comme utile à l’employeur, en venant renforcer l’aura de l’établissement.
En revanche, les diplômes de Monsieur [B] ne sont pas tous directement en lien avec le marketing, la matière qu’il enseigne également, mais plutôt avec le commerce et le management et il n’allègue pas l’obtention de mention. En outre, au moment de l’embauche, il serait inscrit en thèse depuis sept années, ce qui signifie qu’ayant largement dépassé les délais légaux, il mène un projet laborieux, moins valorisable par l’établissement qu’une thèse soutenue plus promptement.
Enfin, son profil et les établissements régionaux fréquentés sont moins diversifiés. Par ailleurs, il est intervenu dans de nombreux établissements d’enseignement supérieur pour de courtes missions et a été engagé pendant sept années par l'[12], par des contrats à durée déterminée en tant que formateur occasionnel puis professeur, signe que son profil de formation et son expérience n’ont pas immédiatement convaincu les sites d’enseignement supérieurs de l’engager de façon permanente, contrairement à Monsieur [E] dont la thèse soutenue dès 2013 et les activités, tant de recherche que de publications régulières, ultérieures sont venues, par la suite, corroborer la confiance accordée par l'[12] [Localité 2] dès l’obtention de son master 2 et son inscription en doctorat.
En conséquence, la différence de traitement à l’embauche avec Monsieur [F] [E] est justifiée objectivement, de sorte que la demande de rappel de salaire et de dommages et intérêts fondée sur l’inégalité de traitement à l’embauche n’est pas justifiée, au regard du panel de comparaison produit par Monsieur [B].
Le jugement sera infirmé.
Sur le rappel de salaire résultant de la requalification à temps complet
Un travail à temps complet génère 1607 heures de travail par an.
En conséquence, sur la base d’un salaire mensuel de 2450 euros pour un temps de travail annualisé à 960 heures, il en résulte que Monsieur [B] aurait du être rémunéré pour un travail à temps complet à hauteur de 4101.20 euros par mois.
Le solde mensuel s’élève donc à 1651.20 euros, somme qui, rapportée sur la période du mois de décembre 2014 au 12 juillet 2016, porte le rappel de salaire dû, au titre de la requalification à temps complet, à la somme de 32. 011,97 euros
Le jugement sera infirmé.
Sur les manquements de l’employeur à l’obligation de bonne foi et à l’obligation de sécurité
Monsieur [B] soutient que la société a exécuté le contrat de travail déloyalement et a manqué à son obligation de sécurité à son égard par les agissements suivants :
A – les heures complémentaires, dont il a réclamé le paiement, ne lui ont pas été payées, alors qu’elles ont été payées à ses collègues Madame [I] et Monsieur [E]
B – alors que l’ensemble des employés de l'[12] disposait d’installations informatiques, de logiciels et d’imprimantes, et en dépit de ses demandes, Monsieur [B] était contraint de travailler avec son ordinateur personnel, ce qui le mettait en difficulté pour la dispense de ses cours et pour ses recherches, cette différence de traitement a été dénoncée par les représentants du personnel
C – il faisait l’objet une surcharge de travail, parfois dans l’urgence
D – en cas d’arrêt de travail, la société refusait de transmettre les documents nécessaires auprès de la CPAM
E – la directrice de l'[12] [Localité 2], Madame [T], semblait avoir une position discriminante à l’égard des salariés d’origine étrangère, dont Monsieur [B] et Monsieur [E]
F – la direction n’apportait pas de considération et de soutien aux enseignants, notamment, le 19 avril 2012, lors d’une agression verbale et physique de Monsieur [B] de la part d’un élève
G – la direction a tenu des propos dégradants sur les enseignants, y compris auprès des élèves, diminuant de fait leur autorité
H – la direction a manifesté, à plusieurs reprises, sa volonté de rompre le contrat de travail des enseignants-chercheur afin de les remplacer par des salariés avec un taux horaire moins important
I – la direction a rémunéré à hauteur de 50 % les heures de délégation des salariés élus représentants du personnel
La cour relève d’emblée que les griefs D, H, I sont d’ordre général et, au regard des pièces justificatives produites, ne concernent pas Monsieur [B] directement.
S’agissant des faits A, Monsieur [B] démontre avoir réclamé le paiement des heures complémentaires le 30 septembre 2014. Au demeurant, la requalification de son contrat de travail en temps complet et les rappels de salaire qui en découlent sont venus indemniser les heures complémentaires non payées.
Les faits A sont établis.
S’agissant des faits B, Monsieur [B] produit une attestation de sa collègue Madame [I] selon laquelle ‘on ne lui donnait pas les moyens de finir sa thèse’, insuffisante à établir que Monsieur [B] n’avait pas reçu en dotation le matériel informatique nécessaire à l’exécution de ses missions.
Les faits B ne sont pas établis.
S’agissant des faits C, les éléments produits par Monsieur [B] ne permettent pas de caractériser une surcharge de travail. En effet, Monsieur [B] insiste sur un mail de la directrice du 23 juin 2015 qui lui demandait de procéder à la correction de rapports de stage d’étudiants pour le lundi 29 juin 2015, ce qui n’est pas significatif, dès lors qu’on ne connaît pas le nombre de rapports de stage à corriger.
En revanche, il est exact qu’il lui a été refusé d’être remplacé par Monsieur [E] alors qu’il s’était rendu dans son pays d’origine pour rendre visite à sa mère, très malade. Cet élément isolé ne permet pas de caractériser une surcharge de travail, mais révèle un management rigide.
Les faits C ne sont pas établis
S’agissant des faits E et G, ils sont fondés, s’agissant de Monsieur [B], sur la seule attestation de Monsieur [E]. Il indiquait que la directrice Madame [T] a dit à Monsieur [B] « vous êtes vraiment pathétique. Vous foutez quoi ici ‘ D’ailleurs votre titre de séjour, vous me l’envoyez ce soir sinon vous aurez à faire à moi. ». Monsieur [E] précise qu’elle lui a dit alors qu’il n’était pas encore naturalisé : « avec [P], j’ai du mal à comprendre quels papiers vous avez fourni pour être dans cette structure” Il ajoutait que Monsieur [B] souffrait beaucoup de ces petites phrases, de ces petits mots déplacés et que la directrice a toujours été dure et désagréable vis-à-vis de lui, elle lui rappelait sa non soutenance de thèse, ‘ses cours merdiques et trop bien payés’.
Monsieur [E] précisait qu’à plusieurs reprises, la directrice s’était mise à dénigrer les compétences de Monsieur [B] devant des groupes d’étudiants, en soulignant souvent qu’on avait recruté des enseignants-chercheur qui n’avaient jamais posé les pieds en entreprises
Les faits E et G sont établis.
S’agissant des faits F, Monsieur [B] produit la déclaration de main courante du 12 février 2014 par laquelle il fait état de menaces de violence par un étudiant, et de ce que la directrice pédagogique et Madame [T], la directrice de l’établissement, l’ont dissuadé de déposer plainte. Il précisait que Madame [T] lui avait dit que s’il continuait à virer ses élèves de classe, elle aurait du mal à le payer et l’a menacé de le licencier.
Madame [G] a attesté de l’absence totale de soutien des professeurs de la part de la direction vis-à-vis des élèves.
Les faits F sont établis.
Les faits A, E, F et G constituent, au regard de la qualification juridique soutenue par Monsieur [B], un manquement de la société à l’obligation d’exécution loyale du contrat de travail et à son obligation de sécurité, ce qui lui a causé, selon les attestations produites, un préjudice moral, qui sera réparé à hauteur de 1000 euros.
Le jugement sera infirmé.
Sur les rappels de salaires relatifs aux délais de carence appliqués en 2015 et aux 15 tickets restaurants réclamés en 2016
La cour de cassation a jugé que s’agissant de la période de carence, la retenue de salaire doit correspondre au temps exact de la cessation de travail (Soc 26 janvier 2011, n° 08-45.204).
Il résulte des bulletins de salaire de Monsieur [B] qu’en février 2015, la somme de 426 euros a été déduite du salaire mensuel et en novembre 2015, la somme de 245 euros a été déduite pour 3 jours de carence.
Il sera rappelé que les jours de travail de Monsieur [B] vont du mardi au vendredi.
En février 2015, il s’agit d’un arrêt maladie du mardi 10 février au vendredi 13 février 2015, la société était en droit de retirer le salaire des trois premiers jours de l’arrêt maladie.
En octobre 2015, il s’agit de trois journées de carence du mardi 20 octobre au jeudi 22 octobre 2015, la société était en droit de retirer le salaire des trois premiers jours de l’arrêt maladie.
La société ne répond cependant pas au calcul de Monsieur [B] et n’explique pas les résultats différents des déductions de salaire, qui ne peuvent être uniquement le fruit de la différence du nombre de jours dans le mois.
Il s’ensuit que Monsieur [B] démontre que la société lui doit un rappel de salaire correspondant au calcul présenté dans ses écritures d’un solde de 381.77 euros, en raison du prélèvement excessif au titre des jours de carence, outre 10 % au titre des congés payés.
Le jugement sera confirmé.
Monsieur [B] réclame, par ailleurs, le paiement de la somme de 24.50 euros en remboursement de 15 tickets restaurant qu’il n’aurait pas reçu et dont il a demandé le remboursement par lettre recommandée du 12 septembre 2016.
Les parties conviennent que Monsieur [B] a reçu 7 tickets restaurant en juillet 2016, quand son bulletin de salaire indiquait le retrait de 77 euros pour 22 tickets restaurant.
Or, par lettre recommandée du 4 janvier 2017, la société lui a répondu qu’elle a déduit en juillet 2016 le montant des 15 tickets restaurant remis en juin 2016, ainsi que des 7 tickets restaurant remis en juillet 2016, expliquant que la déduction s’opère le mois suivant.
Pour autant, en application des dispositions de l’article 1353 du code civil, la société, qui ne produit, ni l’ensemble des bulletins de paie de Monsieur [B], ni tout élément démontrant la règle de déduction du montant des tickets restaurant le mois suivant leur remise, échoue à montrer qu’elle s’est libéré du paiement de l’ensemble du salaire du à Monsieur [B].
La société sera condamnée à payer à Monsieur [B] la somme de 24.50 euros à titre de rappels de salaire, en raison des déductions non justifiées pour la remise de tickets restaurant.
Le jugement sera infirmé.
Sur le licenciement pour faute grave
A titre principal, Monsieur [B] conteste que Monsieur [L] [W] qui a procédé à l’entretien préalable au licenciement et a signé la lettre de licenciement soit un membre du personnel de la société [12] [Localité 2], l’employeur de Monsieur [B].
La société produit différents jugements du conseil de prud’homme de [Localité 2] qui ont admis que Monsieur [W] avait qualité pour procéder au licenciement de salariés de l'[12] [Localité 2].
Elle produit les contrats de travail à temps partiel de Monsieur [W], aux termes desquels il est le directeur des ressources humaines des associations [14] et [13], situées à [Localité 15], et qui prévoient qu’il coordonnera le suivi des personnels de l'[14] et qu’il pourra se déplacer dans les autres centres dépendants du groupe [12].
Monsieur [W] n’apparaît pas dans l’organigramme de l'[12] [Localité 2].
Si la délégation de pouvoir de licencier n’est pas nécessairement écrite, qu’elle peut être tacite et découler des fonctions du salarié, la lettre de licenciement ne peut être signée par une personne étrangère à l’entreprise.
S’agissant d’un groupe d’entreprise, la cour de cassation a jugé notamment que le directeur des ressources humaines d’une société est compétent pour procéder au licenciement des salariés d’une filiale (Soc 16 mai 2007, n° 06-40.307, 15 novembre 2011, n°10-21.926) mais elle a jugé, en revanche, que le licenciement ne peut pas être notifié par le directeur des ressources humaines d’une autre filiale du groupe (Soc 20 octobre 2021, n° 20-10.485)
En l’espèce, Monsieur [B] estime qu’il n’est pas démontré que l'[12] [Localité 2] fait partie d’un groupe [12] et que Monsieur [W] aurait compétence pour procéder au licenciement d’un salarié de cette entreprise.
A la lecture des pièces de la société, la cour relève que Monsieur [S] [J] est le signataire des contrats de travail de Monsieur [W] et apparaît également sur l’extrait Kbis de l'[12] [Localité 2] comme le président de la société, ce qui est un commencement de preuve de l’existence d’un groupe de société.
La cour constate que l’existence du groupe [12] ressort de nombreuses pièces factuelles du dossier, par exemple des courriers à entête et des échanges entre salariés, et n’est donc pas contestable.
Cependant, la société ne donne aucune précision sur l’organisation du groupe et ne produit aucunement un organigramme du groupe [12] auquel appartiendrait tant l'[12] [Localité 2] que les associations [14] et [13].
L’existence d’un groupe plus important encore est corroborée par la production d’un article du 2 novembre 2020 qui indique que le groupe Ionis réorganise ses écoles de commerce [12].
Mais l’article précise que les étudiants de l'[12] auront la possibilité de bifurquer en fin de parcours vers l'[14], une autre école de commerce du groupe.
Dès lors, faute d’organigramme organisationnel du groupe, la cour en déduit que l'[14] est une autre école de commerce appartenant au même groupe que l'[12] [Localité 2].
La cour en conclut que Monsieur [L] [W] était, en réalité, le directeur des ressources humaines de deux autres associations appartenant au même groupe que l’institut [12] [Localité 2] et qu’il n’était dès lors pas habilité pour procéder au licenciement de Monsieur [B], lequel sera déclaré sans cause réelle et sérieuse (Soc 4 avril 2006, n°04-47.677).
Le jugement sera infirmé.
Sur les conséquences financières
Comme indiqué précédemment, le salaire mensuel de référence de Monsieur [B] s’élève à la somme brute de 4101.20 euros.
Le jugement sera infirmé.
Aux termes de l’article 1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit à une indemnité compensatrice.
Compte-tenu de son ancienneté et conformément aux dispositions conventionnelles équivalentes à la règle légale, l’indemnité de préavis correspondant à deux mois de travail doit être fixée à la somme de 8202.40 euros, outre 10 % au titre des congés payés.
Le jugement sera infirmé.
Les dispositions conventionnelles sont également équivalentes aux règles légales, s’agissant de l’indemnité légale de licenciement. L’ancienneté de Monsieur [B] étant de 2 ans et 4 mois, l’indemnité de licenciement sera retenue à hauteur de 6012.36 euros.
Le jugement sera infirmé.
Aux termes des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail applicable au jour du licenciement de Monsieur [B], en cas de refus de réintégration, le juge octroie une indemnité au salarié, qui ne peut âtre inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu notamment du montant de la rémunération de Monsieur [B], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, des circonstances et des conséquences du licenciement à son égard, la cour retient que l’indemnité à même de réparer son préjudice doit être évaluée, de façon adéquate, à la somme de 25 000 euros.
Le jugement sera infirmé.
Aux termes des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail applicable au jour du licenciement de Monsieur [B], si le licenciement d’un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l’employeur d’accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
Le licenciement de Monsieur [B] ayant été jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse, il s’ensuit que les dispositions précitées n’ont pas vocation à s’appliquer. La demande formulée par le salarié au titre de l’irrégularité de son licenciement sera rejetée.
Le jugement sera confirmé.
Sur l’application de l’article L 1235-4 du code du travail
L’article L.1235-4 du code du travail dispose que « Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. ».
Le licenciement de Monsieur [B] ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu à l’application de l’article L.1235-4 du Code du travail .
En conséquence, la cour ordonne le remboursement par la société aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Monsieur [B], du jour de son licenciement au jour de la décision prononcée, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.
Sur les autres demandes
Il convient d’ordonner la remise d’un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à Pôle emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d’une astreinte apparaisse nécessaire.
Le jugement sera infirmé.
Sur la procédure abusive
Les demandes de Monsieur [B] ayant été en partie jugées comme étant bien-fondées, il s’ensuit que la demande reconventionnelle formulée par la société, au titre d’un abus du droit d’ester en justice, sera rejetée.
Le jugement sera confirmé.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
En application de l’article 696 du code de procédure civile, la société, partie perdante, sera condamnée aux dépens de la procédure de première instance et d’appel.
Le jugement sera confirmé sur les dépens, ainsi que sur l’indemnité de procédure qui en découle.
Compte tenu des éléments soumis aux débats, il est équitable de condamner la société à payer à Monsieur [B] la somme de 1000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Constate qu’elle n’est pas saisie par une déclaration d’appel contre le jugement avant-dire droit du 27 juin 2019,
Infirme le jugement déféré, excepté en ce qu’il a :
– requalifié le contrat travail de Monsieur [P] [B] à temps partiel en temps complet
– débouté Monsieur [P] [B] au titre des dommages et intérêts pour licenciement irrégulier
– condamné la société [12] [Localité 2] au paiement de la somme de 381,77 euros bruts à titre de rappel de salaires relatifs au retrait excessif concernant des délais de carence, outre 38,18 euros au titre des congés payés y afférents
– débouté la société [12] [Localité 2] de ses demandes reconventionnelles
– condamné la société [12] [Localité 2] au paiement de la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné la société [12] [Localité 2] aux dépens
Confirme le jugement sur ces seuls points,
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :
Juge le licenciement de Monsieur [P] [B] comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société [12] [Localité 2] à payer à Monsieur [P] [B] les sommes suivantes:
s’agissant des rappels de salaire :
– 32. 011,97 euros, au titre des rappels de salaire, à la suite de la requalification du contrat de travail en temps complet
s’agissant de la rupture du contrat de travail :
– 8202.40 euros, au titre de l’indemnité de préavis, outre 10 % au titre des congés payés
– 6012.36 euros, au titre de l’indemnité légale et conventionnelle de licenciement
– 25 000 euros, à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
s’agissant de l’exécution du contrat :
– 1000 euros, au titre du préjudice moral résultant de l’exécution déloyale du contrat de travail et du manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité
– 24.50 euros, à titre de rappels de salaire à titre, en raison des déductions non justifiées pour la remise de tickets restaurant au mois de juillet 2016
Ordonne la remise d’un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à Pôle emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, dans un délai de 30 jours à compter de sa notification, sans astreinte
Ordonne le remboursement par la société [12] [Localité 2] aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Monsieur [P] [B], du jour de son licenciement au jour de la décision prononcée, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage,
Rappelle qu’une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle emploi,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne la société [12] [Localité 2] aux dépens d’appel,
Condamne la société [12] [Localité 2] à payer à Monsieur [P] [B] la somme de 1000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
LE PRESIDENT
Olivier BECUWE