Your cart is currently empty!
13 SEPTEMBRE 2022
Arrêt n°
CV/NB/NS
Dossier N° RG 20/00384 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FL7R
[V] [G]
/
S.A.R.L. TROUCELIER FILS
Arrêt rendu ce TREIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Claude VICARD, Conseiller
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
M. [V] [G]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Christophe BRINGER de la SCP AIMONETTI BLANC BRINGER MAZARS, avocat au barreau d’AVEYRON, avocat plaidant
APPELANT
ET :
S.A.R.L. TROUCELIER FILS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Barbara GUTTON PERRIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Vincent VINOT de la SELARL SYNAPSE AVOCATS, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant
INTIMEE
Après avoir entendu, Mme VICARD, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 02 mai 2022, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé le 05 juillet 2022, par mise à disposition au greffe, date à laquelle les parties ont été informées que la date de ce prononcé était prorogée au 13 septembre 2022 conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE :
La SARL TROUCELIER & FILS est une entreprise familiale spécialisée dans le secteur d’activité des transports routiers réguliers de voyageurs dont le siège social est situé à [Localité 4].
M. [V] [G] a été engagé à compter du 1er octobre 1997 en qualité de conducteur de car par la SARL TROUCELIER & FILS, sous contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein, conclu le 04 septembre 1997 et régi par la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.
Les 11 février, 12 juin et 16 septembre 2014, l’employeur a notifié à M. [G] un avertissement pour des vitesses excessives.
Le 20 janvier 2015, M. [G] a saisi le conseil de prud’hommes du Puy- en- Velay en annulation des sanctions disciplinaires, résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur et paiement de diverses sommes tant au titre de l’exécution que de la rupture du contrat de travail.
Le 27 mars 2015, la SARL TROUCELIER & FILS a notifié à M. [G] une mise à pied disciplinaire de trois jours.
Le 27 novembre 2015, le salarié a notifié à l’employeur une prise d’acte de rupture de son contrat de travail, motifs pris des nombreux manquements de ce dernier à ses obligations légales et contractuelles.
Par jugement du 23 janvier 2020, le conseil de prud’hommes du Puy- en- Velay a :
– dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [G] produit les effets d’une démission ;
– dit que M. [G] a été rempli de l’ensemble de ses droits par la SARL TROUCELIER & FILS;
– débouté en conséquence M. [G] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamné M. [G] à payer à la SARL TROUCELIER & FILS les sommes suivantes :
* 1.208,91 euros à titre d’indemnité correspondant à la durée de préavis non effectuée,
* 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [G] aux dépens de l’instance et d’exécution.
Le 25 février 2020, M. [G] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 1er février 2020.
La procédure d’appel a été clôturée le 4 avril 2022 et l’affaire appelée à l’audience de la chambre sociale du 02 mai 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 octobre 2020, M. [G] conclut à l’infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
– prononcer l’annulation des avertissements notifiés les 12 juin et 16 septembre 2014 ;
– prononcer l’annulation de la mise à pied disciplinaire ;
– juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamner la SARL TROUCELIER & FILS à lui payer les sommes suivantes :
* 10.326,78 euros à titre de rappels de salaire sur heures supplémentaires, outre 1.032,67 euros au titre des congés payés afférents;
* 7.492,92 euros à titre de rappel d’indemnisation des coupures, outre 749,29 euros au titre des congés payés afférents;
* 2.997,45 euros à titre de contrepartie obligatoire en repos;
* 3.000 euros à titre de dommages-intérêts pour non respect des durées maximales de travail,
* 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la détérioration des conditions de travail;
* 41.103,19 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
* 4.835,67 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 483,57 euros au titre des congés payés afférents;
* 11.283,24 euros à titre d’indemnité de licenciement;
* 14.507 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé;
* 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– condamner la SARL TROUCELIER & FILS aux entiers dépens.
M. [G] soutient tout d’abord que la totalité des indemnisations pour temps de coupures ne lui a pas été payée, ni les congés payés afférents.
Il fait ensuite valoir que la totalité des heures supplémentaires effectuées, de janvier 2010 à décembre 2014, ne lui a pas été réglée; que les calculs de l’employeur sont erronés, ce dernier ne rapportant aucunement la preuve d’erreurs de manipulation du chronotachygraphe.
Il affirme également que la totalité de ses droits à contrepartie obligatoire en repos ne lui a pas été octroyée.
Il avance que le non respect par l’employeur de la législation sur le temps de travail et d’amplitude maximum lui a occasionné un préjudice qui doit être réparé.
Il ajoute que l’employeur modifiait unilatéralement et sans prévenir les conducteurs, les temps enregistrés par le chronotachygraphe de façon à minorer les heures effectuées; que de tels agissements caractérisent l’infraction de travail dissimulé.
Il soutient avoir été victime de représailles de la part de l’employeur après qu’il ait fait état de ces manquements; qu’il a ainsi été sanctionné à plusieurs reprises pour cette unique raison et ce, dans le but d’obtenir son départ; que les sanctions dont il a fait l’objet ne sont pas fondées et doivent être annulées; que l’employeur a détourné son pouvoir disciplinaire, de sorte que les avertissements des 12 juin et 16 septembre 2014 ne sont pas valables; que la mise à pied disciplinaire du 27 mars 2015 doit aussi être annulée, le deuxième manquement invoqué par l’employeur, à savoir l’utilisation de la carte d’un autre conducteur ne justifiant pas une telle sanction.
Il fait valoir qu’il a subi des souffrances morales, provoquées par l’employeur, celui-ci s’étant opposé abusivement à ses droits à congés; que l’altération de sa santé mentale est manifeste et justifie l’octroi de dommages et intérêts.
Il fait enfin valoir que les manquements de l’employeur fondent une prise d’acte aux torts de ce dernier, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 31 juillet 2020, la SARL TROUCELIER & FILS conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et demande en conséquence à la cour de :
– débouter M. [G] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
– condamner M. [G] à lui payer la somme de 1.208,91 euros au titre du préavis ;
– condamner M. [G] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’intimée soutient que M. [G] a été rempli de l’intégralité de ses droits; que les calculs du salarié, relatifs à l’indemnisation des coupures et des heures supplémentaires, sont erronés, au regard de ses erreurs de manipulation du chronotachygraphe.
Concernant la demande au titre du repos compensateur, elle soutient là aussi que le salarié a commis des erreurs de décomptes de ses temps de repos compensateur.
Elle conteste ensuite toute violation des règles relatives à l’amplitude de la durée maximale de travail.
Elle objecte que les sanctions infligées à M. [G], qui a commis de nombreux excès de vitesse, sont justifiées; qu’elle n’a par ailleurs jamais refusé de congés au salarié, en lui proposant systématiquement d’autres périodes en vertu de son pouvoir de direction; que le salarié ne peut donc lui reprocher des conditions de travail dégradées, les certificats médicaux ne démontrant aucunement une altération de son état de santé du fait de ses conditions de travail.
Elle fait enfin valoir que la prise d’acte de rupture du contrat de travail s’apparente bien à une démission, avec les obligations en découlant notamment en terme de préavis. Elle rétorque que M. [G] ne démontre pas des manquements de nature à justifier une rupture immédiate de son contrat de travail.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°- Sur les demandes en paiement relatives à l’exécution du contrat de travail :
* Sur le rappel de salaires sur heures supplémentaires et congés payés afférents:
La durée légale du travail effectif des salariés est fixée à 35 heures par semaine, soit 151.67 heures par mois.
L’article L. 3171-4 du code du travail dispose par ailleurs ‘qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. (…)’.
Il résulte ainsi de ces dispositions légales qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées ci-dessus. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, M. [G] produit aux débats les données des temps enregistrés sur le chronotachygraphe (pièce n° 39), un relevé des temps de travail établi sur la base de ces données brutes (pièces n° 3, 6, 8, 10, 12) et des feuilles de calcul des heures majorées (pièces n° 14, 15, 16, 17 et 18) faisant apparaître pour chaque semaine de la période comprise entre les 1er janvier 2010 et 31 décembre 2014 le nombre d’heures de travail réalisées et la répartition, selon leur majoration, des heures supplémentaires accomplies.
Il ressort de ces documents que le salarié serait créancier de:
* Pour l’année 2010:
– 54,92 heures supplémentaires non rémunérées à 125 % de janvier à juin
– 58,46 heures supplémentaires non rémunérées à 150% de janvier à juin
– 40,02 heures supplémentaires non rémunérées à 125% de juillet à décembre
– 49,44 heures supplémentaires non rémunérées à 150 % de juillet à décembre
* Pour l’année 2011:
– 32,45 heures supplémentaires non rémunérées à 125 % de janvier à juin
– 10,71 heures supplémentaires non rémunérées à 150% de janvier à juin
– 50,14 heures supplémentaires non rémunérées à 125% de juillet à décembre
– 78,75 heures supplémentaires non rémunérées à 150 % de juillet à décembre
* Pour l’année 2012 :
– 48,35 heures supplémentaires non rémunérées à 125 % de janvier à juin
– 32,55 heures supplémentaires non rémunérées à 150% de janvier à juin
– 40,02 heures supplémentaires non rémunérées à 125% de juillet à décembre
– 22,97 heures supplémentaires non rémunérées à 150 % de juillet à décembre
* Pour l’année 2013:
– 37,51 heures supplémentaires non rémunérées à 125 % de janvier à juin
– 12,59 heures supplémentaires non rémunérées à 150% de janvier à juin
– 34,08 heures supplémentaires non rémunérées à 125% de juillet à décembre
– 11,01 heures supplémentaires non rémunérées à 150 % de juillet à décembre
* Pour l’année 2014 :
– 12,12 heures supplémentaires non rémunérées à 125% de janvier à juin
– 17,24 heures supplémentaires non rémunérées à 150 % de janvier à juin
– 15,42 heures supplémentaires non rémunérées à 125 % de juillet à décembre
– 38,98 heures supplémentaires non rémunérées à 150 % de juillet à décembre.
Les éléments fournis par le salarié sont suffisamment précis et détaillés pour permettre à l’employeur de les discuter et d’y répondre utilement.
Pour dénier la créance d’heures supplémentaires réclamées, la SARL TROUCELIER & FILS fait valoir que le temps de travail se décompte à la quatorzaine et non à la semaine.
Le dernier avenant au contrat de travail signé le 1er septembre 2006 stipule en son article II ‘qu’en rémunération de ses services, M. [G] [V] percevra un salaire brut, à périodicité mensuelle, de 1.870 euros pour un horaire mensuel de travail de 169 heures, majoration pour ancienneté incluse et un coefficient de 150 V. En tout état de cause et sur un mois complet de travail, la rémunération de M. [G] ne saurait être inférieure à 1.870 euros, majorations pour ancienneté, indemnisation au titre de l’amplitude et des coupures incluses. Le cas échéant, une indemnité différentielle sera accordée de manière à permettre à M. [G] de percevoir la somme ci- dessus indiquée’.
Le contrat indique également qu’en cas de réalisation d’heures majorées supplémentaires, celles- ci seront décomptées et payées conformément aux dispositions légales et conventionnelles applicables, étant précisé qu’elles s’imputeront sur l’indemnité différentielle.
La convention collective des transports routiers prévoit la possibilité de décompter la durée du travail et les heures supplémentaires sur deux semaines consécutives, par quatorzaine, si cette période comporte au moins trois jours de repos.
Cependant, l’employeur ne démontre pas, par la production de sa pièce n° 47 détaillant le calcul des heures supplémentaires rémunérées en 2013 et 2014, qu’il a opéré un décompte de la durée du travail et des heures supplémentaires par quatorzaine, conformément à la convention collective.
Le salarié reproche également à la SARL TROUCELIER & FILS d’avoir procédé unilatéralement au retraitement des données brutes du chronotachygraphe et d’avoir décompté et rémunéré un nombre d’heures inférieur à celui enregistré.
Interrogé sur ce point le 04 novembre 2014 par l’inspection du travail, l’employeur n’a pas contesté, dans son courrier en réponse du 05 mars 2015, avoir procédé à un retraitement des données brutes enregistrées mais a imputé les écarts de décompte aux erreurs de manipulation du sélecteur d’activités du chronotachygraphe par les salariés (pièce intimée n° 49).
Il ne justifie toutefois pour M. [G] que d’un seul rappel à l’ordre, intervenu le 08 octobre 2015, pour un défaut de manipulation du sélecteur d’activités commis le 16 septembre 2015 (pièce intimée n° 34).
Il ne démontre par ailleurs aucunement avoir rectifié les données brutes des chronotachygraphes à l’issue d’une analyse contradictoire avec le salarié, ni même l’avoir informé du retraitement des données et de la minoration subséquente des heures décomptées et rémunérées, de telles indications n’apparaissant nullement dans le document de synthèse d’activité annexé chaque mois au bulletin de paie.
Dans ces conditions et faute d’avoir respecté cette procédure contradictoire rappelée par l’inspection du travail dans son courrier du 04 novembre 2014, le salarié est fondé à solliciter le paiement des heures de travail résultant des données brutes du chronotachygraphe.
Pour autant, il ressort de l’analyse croisée des bulletins de paie et des décomptes établis par le salarié sur les données brutes enregistrées par le chronotachygraphe (pièces appelant n° 3, 6, 8, 10, 12 et 39), que:
* Pour l’année 2010:
– l’employeur n’a pas modifié les temps enregistrés par le chronotachygraphe;
– le décompte des heures supplémentaires réalisées au vu des données brutes du chronotachygraphe (pièce appelant n° 3) révèle que le salarié a effectué 262,16 heures supplémentaires dont 205,63 majorées à 25 % et 56,53 majorées à 50 %;
– les bulletins de salaire établissent que l’employeur a rémunéré 207,96 heures supplémentaires majorées à 25 %.
Le salarié est donc fondé à réclamer le paiement de 56,53 heures supplémentaires majorées à 50 %, soit la somme de 892,60 euros bruts.
* Pour l’année 2011:
– l’employeur a modifié les données brutes du chronotachygraphe à trois reprises en novembre 2011 et à deux reprises en décembre 2011;
– le décompte des heures supplémentaires réalisées au vu des données brutes du chronotachygraphe (pièce appelant n° 6) révèle que le salarié a effectué 241,30 heures supplémentaires dont 201,77 majorées à 25 % et 39,53 majorées à 50%;
– les bulletins de salaire établissent que l’employeur a rémunéré 207,96 heures supplémentaires majorées à 25 %.
Le salarié est donc fondé à réclamer le paiement de 39,53 heures majorées à 50 %, soit la somme de 635,64 euros bruts.
* Pour l’année 2012:
– l’employeur a modifié les données brutes du chronotachygraphe trois fois en août 2012 et deux fois en octobre 2012;
– le décompte des heures supplémentaires réalisées au vu des données brutes du chronotachygraphe (pièce appelant n° 8) révèle que le salarié a effectué 262,33 heures supplémentaires dont 210,22 majorées à 25 % et 52,11 majorées à 50%;
– les bulletins de salaire établissent que l’employeur a rémunéré 207,96 heures supplémentaires majorées à 25 %.
Le salarié est donc fondé à réclamer le paiement de 2,26 heures majorées à 25% et 52,11 heures majorées à 50%, soit la somme de 888,73 euros bruts.
* Pour l’année 2013:
– l’employeur a modifié les données brutes du chronotachygraphe tout au long du mois d’avril 2013;
– le décompte des heures supplémentaires réalisées au vu des données brutes du chronotachygraphe (pièce appelant n° 10) révèle que le salarié a effectué 192,31 heures supplémentaires dont 174,03 majorées à 25 % et 18,28 majorées à 50%;
– les bulletins de salaire établissent que l’employeur a rémunéré 207,96 heures supplémentaires majorées à 25 %.
L’employeur a indûment réglé 33,93 heures supplémentaires majorées à 25 %, soit la somme de 481,46 euros, compensant la somme due au titre des heures supplémentaires non rémunérées majorées à 50 % à hauteur de 311,12 euros.
Le salarié n’est donc pas fondé à réclamer un rappel de salaires sur heures supplémentaires pour l’année 2013.
* Pour l’année 2014 :
– l’employeur a modifié les données brutes du chronotachygraphe deux fois en février, 8 fois en avril, 4 fois en mai et 5 fois en août;
– le décompte des heures supplémentaires réalisées au vu des données brutes du chronotachygraphe (pièce appelant n° 12) révèle que le salarié a effectué 295,35 heures supplémentaires dont 213,99 majorées à 25 % et 81,36 majorées à 50%;
– les bulletins de salaire établissent que l’employeur a rémunéré 254,85 heures supplémentaires majorées à 25 % et 60,37 heures supplémentaires majorées à 50%.
L’employeur a indûment réglé 40,86 heures supplémentaires majorées à 25 %, soit la somme de 579,80 euros, compensant celle due au titre des 20,99 heures supplémentaires non rémunérées majorées à 50 % à hauteur de 357,24 euros.
Le salarié n’est donc pas fondé à réclamer un rappel de salaires sur heures supplémentaires pour l’année 2014.
En définitive, la SARL TROUCELIER & FILS sera condamnée à payer à M. [G] la somme totale de 2.416,97 euros bruts à titre de rappel de salaires sur heures supplémentaires, outre celle de 241,69 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il a intégralement débouté le salarié de ce chef de demande.
* Sur l’indemnisation des coupures et congés payés afférents:
L’article 7 de l’Accord du 18 avril 2002 relatif à l’ARTT, attaché à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950, prévoit :
‘7.3. Indemnisation des coupures et de l’amplitude
(…)
2.a. Indemnisation des coupures:
Les coupures comprises entre 2 vacations et situées dans un lieu autre que le lieu d’embauche (lieu de la première prise de service journalière y compris le domicile) sont indemnisées de la manière suivante :
– coupures dans un dépôt aménagé dédié aux conducteurs de l’entreprise: indemnisation à 25 % du temps correspondant. Par dépôt aménagé, on entend un local chauffé disposant au minimum d’une salle de repos avec table et chaises et de sanitaires à proximité ;
– coupures dans tout autre lieu extérieur et pour les journées intégralement travaillées dans les activités occasionnelles et touristiques : indemnisation à 50 % du temps correspondant.
(…)
2.c. Cas particulier:
Dans le cas particulier où le salarié bénéficie d’une rémunération effective fixée sur la base d’un horaire théorique déterminé, cette rémunération effective comprend tous les éléments de rémunération, y compris les sommes versées au titre de l’indemnisation des coupures et, sous réserve d’un accord d’entreprise ou d’établissement, les sommes versées au titre de l’indemnisation de l’amplitude visées ci-dessus jusqu’à concurrence de la rémunération correspondant à cet horaire théorique de référence. Pour ce qui concerne l’indemnisation des coupures et de l’amplitude, la période de référence pour le calcul de l’imputation sur l’horaire garanti en cas d’insuffisance d’horaire est la semaine ou la quatorzaine. Une autre période de référence pour cette imputation peut être fixée par accord d’entreprise ou d’établissement.’
En l’espèce, M. [G] sollicite un rappel de salaire sur indemnisation des coupures prises à l’extérieur de l’entreprise entre les 1er janvier 2010 et 31 décembre 2014.
Le dernier avenant au contrat de travail signé le 1er septembre 2006 stipule en son article II ‘qu’en rémunération de ses services, M. [G] [V] percevra un salaire brut, à périodicité mensuelle, de 1.870 euros pour un horaire mensuel de travail de 169 heures, majoration pour ancienneté incluse et un coefficient de 150 V. En tout état de cause et sur un mois complet de travail, la rémunération de M. [G] ne saurait être inférieure à 1.870 euros, majorations pour ancienneté, indemnisation au titre de l’amplitude et des coupures incluses. Le cas échéant, une indemnité différentielle sera accordée de manière à permettre à M. [G] de percevoir la somme ci- dessus indiquée’.
Il ressort de ces dispositions conventionnelles que l’indemnité différentielle accordée n’a pas pour objet d’indemniser de façon forfaitaire les coupures et les amplitudes mais simplement de garantir le salaire minimal prévu.
La SARL TROUCELIER &FILS n’est donc pas fondée à se prévaloir du paiement d’une indemnité différentielle pour invoquer une indemnisation forfaitaire des coupures.
Elle démontre en revanche avoir mis à disposition des conducteurs de l’entreprise, à compter du 1er janvier 2012, un local aménagé à [Localité 5], au Puy- en- Velay et à [Localité 2] (pièces n° 44 et 45) de nature à justifier une indemnisation limitée à 25 % du temps correspondant.
Il ressort des bulletins de paie de la période comprise entre les 1er janvier 2010 et 31 décembre 2014, que:
– des coupures, incorporées dans le paiement de l’indemnité différentielle, ont été indemnisées à hauteur de 25 % du temps correspondant durant l’année 2010;
– les coupures n’ont pas été indemnisées du mois d’août 2011 à février 2014 inclus;
– les coupures ont été indemnisées à hauteur de 50% du temps correspondant de mars à juin 2014 inclus;
– une distinction a été faite entre les coupures indemnisées à 25 % et celles indemnisées à 50% du 1er juillet 2014.
La cour, se basant sur les relevés des temps enregistrés par le chronotachygraphe, considère que le salarié peut prétendre aux indemnisations suivantes:
* pour l’année 2010:
– de janvier à juin 2010 : 138,23 heures indemnisées à 50% du temps correspondant, soit l’équivalent de 69,11 heures X taux horaire de 10,42 euros = 720,18 euros
– de juillet à décembre 2010: 74,12 heures indemnisées à 50 % du temps correspondant, soit l’équivalent de 37,06 heures X taux horaire de 10,53 euros = 390,09 euros
soit un total de 1.110,27 euros bruts, dont il convient de déduire les indemnisations que le salarié reconnaît avoir perçues à ce titre à hauteur de 555,43 euros, soit un solde restant dû de 554,84 euros bruts.
* Pour l’année 2011:
– entre les 1er août et 31 décembre 2011 (période réclamée): 164,75 heures indemnisées à 50% du temps correspondant, soit l’équivalent de 82,37 heures X taux horaire de 10,72 euros = 882,81 euros bruts.
* Pour l’année 2012 :
– de janvier à juin 2012: 248,95 heures indemnisées à 25 % du temps correspondant (compte tenu de la mise à disposition d’un local aménagé à compter du 1er janvier 2012), soit l’équivalent de 62,23 heures X taux horaire de 10,72 euros = 667,18 euros
– de juillet à décembre 2012: 256,36 heures indemnisées à 25 % du temps correspondant, soit l’équivalent de 64,09 heures X taux horaire de 10,97 euros = 703,06 euros
soit un total de 1.370,24 euros bruts.
* Pour l’année 2013:
– de janvier à juin 2013 : 261,05 heures indemnisées à 25% du temps correspondant, soit l’équivalent de 65,26 heures X taux horaire de 11,18 euros = 729,60 euros
– de juillet à décembre 2013 : 170,56 heures indemnisées à 25% du temps correspondant, soit l’équivalent de 42,64 heures X taux horaire de 11,35 euros = 483,96 euros
soit un total de 1.213,56 euros bruts.
* Pour l’année 2014:
– pour les mois de janvier et février 2014 : 13,41 heures indemnisées à 25% du temps correspondant, soit l’équivalent de 3,35 heures X taux horaire de 11,35 euros = 38,02 euros bruts.
Aucun élément du dossier ne démontre en revanche que l’indemnisation des coupures postérieures au 1er mars 2014 serait incorrecte et incomplète.
Aussi, la cour, infirmant le jugement entrepris, condamne la SARL TROUCELIER & FILS à payer à M. [G] la somme totale de 4.059,47 euros bruts à titre de rappel de salaires sur indemnisation des coupures, outre celle de 405,94 euros bruts au titre des congés payés afférents.
* Sur la contrepartie obligatoire en repos:
L’article L. 3121-11 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 applicable au litige, énonce que ‘des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.
Une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe l’ensemble des conditions d’accomplissement d’heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ainsi que les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel, la majoration des heures supplémentaires étant fixée selon les modalités prévues à l’article L. 3121-22. Cette convention ou cet accord collectif peut également prévoir qu’une contrepartie en repos est accordée au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent.
A défaut d’accord collectif, un décret détermine ce contingent annuel et les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel (…)’.
La loi précitée du 20 août 2008 dispose par ailleurs en son article 18 IV que ‘la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent prévu aux deux derniers alinéas de l’article L. 3121-11 du code du travail dans la rédaction issue de la présente loi est fixée à 50 % pour les entreprises de vingt salariés au plus et à 100 % pour les entreprises de plus de vingt salariés.’
L’article 5-3 de l’Accord du 18 avril 2002 relatif à l’ARTT, attaché à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950, fixe le contingent annuel d’heures supplémentaires à 130 heures.
Chaque heure supplémentaire effectuée au- delà de ce contingent ouvre donc droit à une contrepartie obligatoire en repos de 50 %: il n’est pas discuté en effet que l’entreprise ne comptait pas plus de 20 salariés.
En l’espèce, M. [G] sollicite le paiement d’une indemnité compensant les contreparties obligatoires en repos non prises en 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014.
Les décomptes établis par le salarié sur les données brutes enregistrées par le chronotachygraphe (pièce n° 3 pour l’année 2010, n° 6 pour l’année 2011, n° 8 pour l’année 2012, n° 10 pour l’année 2013, n° 12 pour l’année 2014), et ses feuilles de calcul de la contrepartie obligatoire en repos (pièces n° 19, 20, 21, 22 et 23) font apparaître que M. [G] peut prétendre:
– pour l’année 2010: 100,78 heures supplémentaires au- delà du contingent annuel lui ayant ouvert 50,39 heures de contrepartie obligatoire en repos;
– pour l’année 2011: 79,57 heures supplémentaires au- delà du contingent annuel lui ayant ouvert 39,79 heures de contrepartie obligatoire en repos;
– pour l’année 2012: 127,74 heures supplémentaires au- delà du contingent annule lui ayant ouvert 63,87 heures de contrepartie obligatoire en repos;
– pour l’année 2013: 63,63 heures supplémentaires au- delà du contingent annule lui ayant ouvert 31,82 heures de contrepartie obligatoire en repos;
– pour l’année 2014: 124,45 heures supplémentaires au- delà du contingent annuel lui ayant ouvert 62,23 heures ou 8,89 jours de contrepartie obligatoire en repos.
Les repos compensateurs acquis en 2014 ont toutefois été pris sur l’année 2015 du 18 au 26 avril 2015 (09 jours). M. [G] n’est donc pas fondé à réclamer une quelconque somme au titre de l’année 2014.
Aussi, la cour, infirmant le jugement entrepris, fait droit à la demande en paiement de M. [G] à hauteur de la somme totale de 2.220,64 euros, incluant les congés payés afférents, et dont le calcul, précisément détaillé dans les écritures, n’a fait l’objet d’aucune critique de la part de l’employeur.
* Sur la demande en paiement de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé:
Les articles L. 8221-1 et suivants du code du travail prohibent le travail totalement ou partiellement dissimulé par dissimulation d’activité ou par dissimulation d’emploi salarié.
L’article L. 8221-5 énonce qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° soit de ne pas accomplir auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci.
Aux termes de l’article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5, en cas de rupture de la relation de travail, peut prétendre au paiement d’une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
La dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
En l’espèce, M. [G] fait valoir que l’employeur a unilatéralement modifié les temps enregistrés par le chronotachygraphe de façon à minorer les heures effectuées.
La SARL TROUCELIER & FILS ne conteste pas avoir procédé à une correction et minoration des temps enregistrés par le chronotachygraphe.
Elle allègue des mauvaises manipulations par le salarié de son appareil chronotachygraphe sans toutefois démontrer la réalité de cette pratique constante de M. [G] qui n’a été rappelé à l’ordre qu’une seule fois le 08 octobre 2015.
De même, elle ne justifie aucunement avoir informé l’intéressé de la correction des temps enregistrés, les relevés de temps communiqués chaque mois en annexe du bulletin de paie ne faisant nullement état des modifications apportées aux temps enregistrés.
Le fait pour l’employeur d’avoir corrigé et sciemment omis de payer la totalité des heures de travail enregistrées, sans avoir dûment informé le salarié du retraitement des données brutes de son chronotachygraphe, caractérise suffisamment l’élément intentionnel du travail dissimulé.
En conséquence, la cour, infirmant le jugement frappé d’appel, condamne la SARL TROUCELIER & FILS à payer à M. [G] la somme de 10.461,66 euros correspondant à six mois de salaire brut horaire.
* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour non respect des durées maximales de travail et d’amplitude:
L’article L. 3121- 20 du code du travail prévoit qu’au cours d’une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures.
La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur.
En outre, les dispositions précitées ayant pour objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d’un repos suffisant, le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail, en ce qu’il prive le travailleur d’un tel repos, ouvre droit à réparation sans qu’il soit besoin de démontrer l’existence d’un préjudice spécifique (Soc., 26 janvier 2022, pourvoi n° 20-21.636).
En l’espèce, il ressort des propres relevés horaires hebdomadaires établis par l’employeur (pièce n° 47) que M. [G] a travaillé:
– 49,38 heures au cours de la semaine du 12 au 18 mai 2014
– 48,28 heures au cours de la semaine du 02 au 08 juin 2014
– 48,60 heures au cours de la semaine du 16 au 22 juin 2014
– 49,70 heures au cours de la semaine du 28 juillet au 03 août 2014
– 50,53 heures au cours de la semaine du 15 au 21 septembre 2014
– 49,75 heures au cours de la semaine du 29 septembre au 05 octobre 2014
– 49,22 heures au cours de la semaine du 03 au 09 novembre 2014
Aussi, la cour, constatant le dépassement de la durée maximale de travail et par infirmation du jugement entrepris, alloue au salarié la somme de 700 euros en réparation de son préjudice.
* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour altération de la santé mentale résultant de la détérioration des conditions de travail:
M. [G] sollicite la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de 5.000 euros en réparation des souffrances morales endurées du fait des multiples actes de déloyauté de l’employeur et de la détérioration de ses conditions de travail.
Il est constant que la SARL TROUCELIER & FILS a refusé à M. [G] la prise du solde de ses congés annuels entre les 21 et 26 mai 2015, puis entre les 11 juillet et 02 août 2015. Elle lui a toutefois proposé de prendre ses congés à d’autres dates, notamment au mois d’août 2015.
Les motifs de refus fournis par l’employeur dans ses courriers des 08 avril et 09 juin 2015, dictés par les nécessités du service, apparaissent fondés.
En outre, les arrêts maladie produits aux débats en date des 05 et 15 février, 21 mai, 04 et 30 juin 2015, faisant état d’un syndrome anxio- dépressif, ne permettent aucunement d’imputer les soucis de santé de M. [G] à ses conditions de travail, le médecin du travail l’ayant par ailleurs déclaré apte à reprendre le travail en septembre 2015, en relevant l’absence de syndrome dépressif.
Aussi, la preuve d’un abus de pouvoir de l’employeur et d’un préjudice en ayant résulté n’étant pas rapportée, la cour, par confirmation du jugement entrepris, rejette la demande en paiement de dommages et intérêts formulée par M. [G].
2°- Sur la demande en annulation des sanctions disciplinaires:
Aux termes de l’article L. 1331- 1 du code du travail, ‘constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération’.
La loi ne définit pas la faute de nature à déboucher sur une sanction disciplinaire. Elle se borne à autoriser l’employeur à sanctionner ‘tout agissement considéré par lui comme fautif’. De manière générale, la faute résulte du non- respect de la discipline par le salarié ou de l’exécution volontairement défectueuse de son travail.
Ainsi, une mauvaise exécution des tâches confiées, dès lors qu’elle n’est pas répétée ou régulière et ne procède pas d’une volonté délibérée de mal faire, ne saurait être qualifiée de faute.
Il entre dans l’office du juge de vérifier, au vu des données de l’espèce, que la sanction est justifiée et proportionnée à la gravité de la faute reprochée au salarié, à défaut de quoi l’article L. 1333-2 du code du travail lui confère le pouvoir de prononcer l’annulation de la sanction infligée par l’employeur.
L’article L.1333-1 du même code précise que ‘l’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.’
Enfin, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au- delà d’un délai de deux mois courant à compter du jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.
Néanmoins, si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction au- delà du délai de deux mois, l’employeur peut invoquer une faute prescrite lorsqu’un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d’un comportement identique.
* Sur la demande en annulation de l’avertissement du 12 juin 2014:
Le 12 juin 2014, la SARL TROUCELIER & FILS a notifié à M. [G] un avertissement pour des dépassements de la vitesse maximale autorisée commis les 06 et 27 février 2014.
La cour relève que la matérialité des excès de vitesse reprochés est établie et n’est pas discutée.
Toutefois, l’employeur ne démontre pas à quelle date il aurait eu connaissance des faits ainsi reprochés au salarié, la seule production aux débats de relevés édités le 06 mai 2014 ne pouvant suffire à rapporter cette preuve.
La SARL TROUCELIER & FILS ne saurait par ailleurs sérieusement soutenir que l’analyse des données brutes des chronotachygraphes, à laquelle elle procédait tous les mois pour éventuellement corriger les temps enregistrés, se limitait uniquement à la vérification des manipulations du sélecteur d’activités par les chauffeurs et n’incluait pas celle des dépassements de vitesse autorisée.
Il s’ensuit que l’avertissement prononcé plus de deux mois après la commission des excès de vitesse incriminés doit être annulé du fait de leur prescription.
Le jugement querellé sera en conséquence infirmé de ce chef.
* Sur la demande en annulation de l’avertissement du 16 septembre 2014:
Le 16 septembre 2014, la SARL TROUCELIER & FILS a notifié à M. [G] un avertissement pour des dépassements de la vitesse maximale autorisée commis les 03 mai et 27 juin 2014.
La cour relève que la matérialité des excès de vitesse reprochés est établie et n’est pas discutée.
Toutefois, l’employeur ne précise ni ne démontre à quelle date il aurait eu connaissance des faits reprochés au salarié.
Il s’ensuit que l’avertissement prononcé plus de deux mois après la commission des excès de vitesse incriminés doit être annulé du fait de leur prescription.
Le jugement querellé sera encore infirmé de ce chef.
* Sur la demande en annulation de la mise à pied disciplinaire du 27 mars 2015:
Le 27 mars 2015, la SARL TROUCELIER & FILS a notifié à M. [G] une mise à pied disciplinaire de trois jours du 13 au 15 avril 2015 pour 24 dépassements de la vitesse maximale autorisée commis le 07 janvier 2015 et 15 excès de vitesse commis le 12 janvier 2015.
Lui était également reprochée l’utilisation, le 04 février 2015, de la carte tachygraphe de Mme [C], alors en arrêt maladie, entre 6h 20 et 8h 45.
Les dépassements de vitesse reprochés n’étaient pas prescrits au moment de la convocation à un entretien préalable à sanction disciplinaire expédiée le 29 janvier 2015.
Or, M. [G] avait déjà fait l’objet d’un avertissement non contesté le 11 février 2014 pour 25 excès de vitesse.
Les nombreux dépassements de vitesse maximale autorisée commis par le salarié de manière répétée avec un véhicule de transport de voyageurs présentent à eux seuls un caractère de gravité suffisant pour justifier le prononcé d’une mise à pied, sans qu’il soit besoin d’examiner plus avant le second grief relatif à l’utilisation d’une carte chronotachygraphe tierce.
C’est donc à bon escient que les premiers juges ont rejeté la demande en annulation de cette sanction.
3°- Sur la rupture du contrat de travail :
* Sur la prise d’acte de la rupture du contrat de travail:
Le salarié qui reproche à son employeur des manquements à ses obligations peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail. La prise d’acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des griefs qu’il impute à son employeur. La prise d’acte est une modalité de rupture du contrat de travail réservée au seul salarié.
La prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme et peut intervenir à tout moment, y compris pendant la période d’essai. Si la prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme particulier et n’a pas à être précédée d’une mise en demeure de l’employeur, elle doit toutefois être adressée directement à l’employeur.
Si le salarié est tenu de signifier à l’employeur sa volonté de rompre, il n’est pas, en revanche, tenu de lui notifier les raisons de sa prise d’acte, c’est-à-dire les faits ou les manquements qui, à ses yeux, la justifient. Les motifs de la prise d’acte, éventuellement mis en avant par le salarié dans un courrier notifiant à l’employeur la rupture de son contrat, ne fixent pas les limites du litige.
La prise d’acte de la rupture entraîne immédiatement la cessation du contrat de travail, de sorte que le salarié n’est pas tenu d’exécuter un préavis.
C’est au jour de la prise d’acte de la rupture que la relation contractuelle prend fin. Dans la mesure où la prise d’acte de la rupture n’est soumise à aucun formalisme, sous réserve d’être directement notifiée à l’employeur, c’est à la date où le salarié exprime ou signifie à celui-ci sa volonté de rompre que la relation contractuelle prend fin. En cas de notification écrite postale, la date de prise d’effet de la rupture du contrat de travail est donc la date d’envoi du courrier de prise d’acte à l’employeur.
La rupture du contrat de travail qu’entraîne immédiatement la prise d’acte libère non seulement le salarié de l’obligation de fournir une prestation de travail, mais également l’employeur de toutes les obligations liées à l’exécution de la relation contractuelle. L’employeur n’est donc plus tenu, dès la date à laquelle intervient la prise d’acte, au versement d’une rémunération ou à une quelconque forme d’indemnisation, y compris l’indemnité complémentaire pour maladie.
La rupture du contrat de travail par prise d’acte du salarié n’est justifiée qu’en cas de manquements suffisamment graves de l’employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail, ce qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Les juges du fond doivent examiner l’ensemble des manquements de l’employeur invoqués par le salarié, sans se limiter aux seuls griefs mentionnés dans la lettre de rupture. Toutefois, le salarié ne peut pas invoquer un fait qu’il ignorait au moment de la rupture.
C’est en principe au salarié de rapporter la preuve des manquements qu’il invoque et le doute sur la réalité des faits allégués profite à l’employeur.
En l’espèce, M. [G] a pris acte de la rupture de son contrat de travail dans un courrier notifié à l’employeur le 27 novembre 2015, libellé comme suit:
‘Madame,
Compte tenu des nombreux manquements à vos obligations, j’ai été obligé de saisir le conseil de prud’hommes.
L’échec de la tentative de conciliation a montré que vous ne souhaitez pas régulariser ma situation, notamment en ce qui concerne mes demandes de rappel de rémunération.
En outre, je continue à subir une détérioration de mes conditions de travail (accusations infondées, menaces de sanctions, non prise en compte de ma demande de remboursement de frais professionnels…)
Afin de faire cesser vos agissements, je vous indique que je prends acte de la rupture de mon contrat de travail. (…)’
Dans ses écritures, à l’appui de sa prise d’acte, M. [G] reproche à l’employeur d’avoir modifié les temps de travail enregistrés à son insu et d’avoir manqué à ses obligations légales en matière d’indemnisation des coupures, de contreparties obligatoires en repos, de paiement des heures supplémentaires et de respect des durées maximales hebdomadaires de travail.
Il a été précédemment jugé que la SARL TROUCELIER & FILS ne rapportait pas la preuve du caractère contradictoire du retraitement et de la minoration des heures de travail enregistrées, de sorte qu’elle a été condamnée au paiement de rappels de salaires sur heures supplémentaires, contreparties obligatoires en repos et indemnisation de coupures.
Les manquements réitérés de l’employeur à ses obligations légales en matière de durée, de décompte et de rémunération du temps de travail présentent un caractère de gravité suffisant pour empêcher la poursuite du contrat de travail et fonder une prise d’acte, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il a dit que la prise d’acte de M. [G] produisait les effets d’une démission.
4°- Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail :
* Sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents:
L’article L. 1234-1 du code du travail prévoit que ‘lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :
1° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;
2° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d’un mois ;
3° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.
Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l’accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d’ancienneté de services plus favorable pour le salarié.’
L’article L. 1234-5 du même code précise que ‘lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L’inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l’employeur, n’entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. L’indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l’indemnité de licenciement et avec l’indemnité prévue à l’article L.1235-2.’
M. [G], qui avait plus de deux ans d’ancienneté et pouvait prétendre à un préavis de deux mois, est fondé, en application de ces textes, à réclamer la somme de 3.487,22 euros bruts, outre 348,72 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Le jugement critiqué sera infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef de demande.
* Sur la demande reconventionnelle de l’employeur en paiement du préavis:
Le salarié, dont la prise d’acte n’a pas produit les effets d’une démission, n’était pas tenu d’accomplir un préavis.
La cour infirme en conséquence le jugement déféré en ce qu’il a condamné M. [G] à payer à l’employeur une indemnité compensatrice de 1.208,91 euros.
* Sur l’indemnité de licenciement :
En application de l’article L.1234-9 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, ‘le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte une année d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.’
L’article R. 1234- 2 du même code, dans sa version applicable, énonce que l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté, auquel s’ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d’ancienneté.
L’article R. 1234- 4 précise par ailleurs que ‘le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :
1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ;
2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion.’
En application de ces textes, M. [G], qui comptait 18 ans d’ancienneté, est fondé à réclamer une indemnité de licenciement de 6.276,99 euros bruts.
La cour infirme le jugement critiqué en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef de demande.
* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse:
En application des articles L.1235-3 et L.1235- 5 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, les salariés ayant au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise de onze salariés et plus ont droit à une indemnité au moins égale à leurs six derniers mois de salaire.
En l’espèce, compte tenu du montant de la rémunération mensuelle brute versée à M. [G] (1.743,61euros), de son âge au jour de son licenciement (45 ans), de son ancienneté à cette même date (18 ans), la cour alloue à la salariée la somme de 27.000 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
5°- Sur les frais irrépétibles et dépens:
Au vu des développements précédents, il apparaît que l’action en justice introduite par M. [G] était pour partie fondée. Le jugement déféré sera dès lors infirmé, en ce qu’il a débouté l’appelant de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles et condamné ce dernier à payer à la SARL TROUCELIER & FILS la somme de 100 euros à ce titre, outre les dépens de première instance.
La SARL TROUCELIER & FILS, partie qui succombe au sens de l’article 696 du code de procédure civile, sera déboutée de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles et condamnée à payer à M. [G] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code précité et ce, en sus des entiers dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [V] [G]:
– de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour altération de la santé mentale résultant de la détérioration de ses conditions de travail;
– de sa demande en annulation de la mise à pied disciplinaire prononcée le 27 mars 2015;
Infirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions;
Statuant à nouveau,
Condamne la SARL TROUCELIER & FILS à payer à M. [V] [G] au titre de l’exécution du contrat de travail :
– 2.416,97 euros bruts à titre de rappel de salaires sur heures supplémentaires, outre 241,69 euros bruts au titre des congés payés afférents;
– 4.059,47 euros bruts à titre de rappel de salaires sur indemnisation des coupures, outre 405,94 euros bruts au titre des congés payés afférents;
– 2.220,64 euros bruts à titre d’indemnité compensant les contreparties obligatoires en repos, incluant les congés payés afférents;
– 10.461,66 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé;
– 700 euros en paiement de dommages et intérêts pour non respect des durées maximales de travail;
Annule les avertissements notifiés les 12 juin et 16 septembre 2014;
Dit que la prise d’acte de la rupture de la relation de travail de M. [G] s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Condamne en conséquence la SARL TROUCELIER & FILS à payer à M. [G] les sommes suivantes au titre de la rupture du contrat de travail:
– 3.487,22 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 348,72 euros bruts au titre des congés payés afférents;
– 6.276,99 euros bruts à titre d’indemnité de licenciement;
– 27.000 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Déboute la SARL TROUCELIER & FILS de sa demande reconventionnelle en paiement d’un préavis;
Y ajoutant,
Déboute la SARL TROUCELIER & FILS de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles;
Condamne la SARL TROUCELIER & FILS à payer à M. [G] la somme de 2.000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles d’instance et d’appel;
Condamne la SARL TROUCELIER & FILS aux entiers dépens de première instance et d’appel;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN