Your cart is currently empty!
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2022
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/06846 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAEJF
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Avril 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL – RG n° F 17/01480
APPELANT
Monsieur [O] [P]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Frank PETERSON, avocat au barreau de PARIS, toque : E1288
INTIMÉE
SOCIÉTÉ C6 venant aux droits de la SAS SNCF-C6
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Pascal GEOFFRION, avocat au barreau de PARIS, toque : A0190
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, et M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Philippe MICHEL, président de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrats de travail à durée déterminée à compter du 13 avril 2015 puis contrat à durée indéterminée à compter du 16 septembre 2015, M. [P] a été engagé en qualité de conducteur par la société SNCF-C6, aux droits de laquelle vient désormais la société C6, ladite société employant habituellement au moins 11 salariés et appliquant la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.
Suivant courrier recommandé du 31 mars 2017, M. [P] a fait l’objet d’un avertissement.
Suivant courrier recommandé du 4 août 2017, M. [P] a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire d’une durée de 3 jours.
Contestant notamment le bien-fondé des sanctions disciplinaires et s’estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [P] a saisi la juridiction prud’homale le 17 octobre 2017.
Après avoir été convoqué, suivant courrier recommandé du 21 septembre 2017, à un entretien préalable fixé au 3 octobre 2017, M. [P] a été licencié pour cause réelle et sérieuse suivant courrier recommandé du 17 octobre 2017.
Par jugement du 29 avril 2019, le conseil de prud’hommes de Créteil a :
– condamné la société SNCF-C6 à payer à M. [P] les sommes suivantes :
– 2 537,50 euros à titre de rappel de salaire lié au complément de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M. [P] du surplus de ses demandes,
– débouté la société SNCF-C6 de ses demandes,
– mis les éventuels dépens de l’instance à la charge des deux parties.
Par déclaration du 3 juin 2019, M. [P] a interjeté appel du jugement.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 décembre 2019, M. [P] demande à la cour de :
– infirmer le jugement, et, statuant à nouveau,
à titre principal,
– annuler l’avertissement du 31 mars 2017 et la mise à pied du 4 août 2017,
– condamner la société SNCF-C6 au paiement des sommes suivantes :
– à titre principal : 20 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,
– à titre subsidiaire : 11 114,91 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice relatif aux sanctions abusives,
– 3 202,23 euros à titre de rappel de salaire sur solde de tout compte outre 320,22 euros au titre des congés payés y afférents,
– 4 289 euros à titre de rappel de salaire et heures supplémentaires outre 428,90 euros au titre des congés payés y afférents,
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour nullité de la clause de non-concurrence, et ce avec intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,
– ordonner la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil,
à titre subsidiaire,
– confirmer le jugement,
– diminuer au besoin le montant de la clause pénale de 4 mois de salaire à 1 mois de salaire,
en tout état de cause,
– ordonner sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document la remise des bulletins de paie, certificat de travail et attestation Pôle Emploi conformes à compter du prononcé du jugement à intervenir,
– condamner la société SNCF-C6 aux entiers dépens y compris ceux dus au titre d’une éventuelle exécution par voie légale en application des articles 10 et 11 des décrets du 12 décembre 1996 et du 8 mars 2001 relatifs à la tarification des actes d’huissiers de justice,
– condamner la société SNCF-C6 au paiement d’une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 avril 2022, la société SNCF-C6, aux droits de laquelle vient désormais la société C6, demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a considéré le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et a débouté M. [P] de ses demandes d’annulation de sanctions disciplinaires,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée au paiement d’un rappel d’indemnité de préavis ainsi que d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et, statuant à nouveau,
– débouter M. [P] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner M. [P] à lui payer la somme de 12 200 euros au titre de la clause pénale pour violation de l’obligation de non-concurrence,
– condamner M. [P] au paiement d’une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
L’instruction a été clôturée le 10 mai 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 15 juin 2022.
MOTIFS
Sur les sanctions disciplinaires
L’appelant fait valoir que l’avertissement du 31 mars 2017 devra être annulé en ce que le prétendu caractère anxiogène de son annonce concernant la procédure de rangement des bagages n’est pas démontré et en ce que, concernant sa conduite, il s’agit d’une plainte unique d’une personne excessive qui a rédigé une attestation à la demande de l’employeur.
S’agissant de la mise à pied disciplinaire du 4 août 2017, il souligne que l’employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire au titre du premier grief compte tenu d’un précédent avertissement du 6 juin 2017, la seule preuve du grief étant de surcroît l’attestation de son responsable à l’origine de la sanction, l’intéressé ajoutant, relativement au second grief, que l’employeur ne verse aux débats aucun élément probant.
L’intimée réplique que l’appelant a eu deux accidents responsables les 20 novembre 2015 et 14 juillet 2016 n’ayant pas donné lieu à sanction disciplinaire mais qu’elle a ensuite été dans l’obligation de prendre des sanctions compte tenu de la réitération des fautes. Indiquant que le comportement de l’intéressé a nui à l’image de la société auprès de la clientèle, elle précise que les sanctions disciplinaires sont parfaitement justifiées.
Aux termes de l’article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
En application de l’article L. 1333-2 du code du travail, le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
Il résulte par ailleurs de l’article L. 1332-4 du code du travail, qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
En application de ces dispositions, il est établi que l’employeur qui, ayant connaissance de divers faits commis par le salarié considérés par lui comme fautifs, choisit de n’en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction. Il sera par ailleurs rappelé que l’employeur, au sens de l’article L. 1332-4 du code du travail, s’entend non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire de ce pouvoir.
Sur l’avertissement du 31 mars 2017
Au vu des pièces produites par l’intimée et notamment de l’attestation établie par une cliente (Mme [K]), passagère du bus conduit par l’appelant, attestation dont aucun autre élément versé aux débats ne permet de remettre en cause la force probante ou de caractériser le caractère mensonger, il apparaît que lors du trajet du 8 janvier 2017 entre [Localité 6] et [Localité 5], l’appelant a fait preuve d’un comportement alarmant et agressif à l’encontre des passagers relativement à la question des bagages et des sacs à main, refusant de démarrer tant que ceux-ci ne seraient pas placés dans les compartiments en hauteur, l’intéressé ayant ensuite adopté une conduite dangereuse se traduisant par un manque d’attention, des écarts ainsi que des heurts répétés sur les trottoirs, la cliente soulignant qu’elle ne voyagerait désormais plus avec cette compagnie. Il sera en outre observé que le seul fait qu’il s’agisse d’un témoignage unique est sans incidence dans le cadre du présent litige et que l’appréciation portée sur le comportement du chauffeur apparaît dénuée de tout caractère purement subjectif ou excessif.
Dès lors, la cour estime, par confirmation du jugement, que l’avertissement litigieux est justifié et proportionné et déboute en conséquence l’appelant de ses demandes y afférentes.
Sur la mise à pied disciplinaire du 4 août 2017
Au vu des éléments versés aux débats et notamment du courrier recommandé du 6 juin 2017 ayant pour objet « avertissement » adressé au salarié à la suite d’un accident responsable survenu le 1er juin 2017 ainsi que du courrier de notification de la mise à pied disciplinaire faisant état d’un premier fait fautif survenu le 17 mai 2017 (refus de prendre la route en raison du comportement et des propos agressifs d’un passager), il apparaît que, bien qu’informé de plusieurs faits reprochés au salarié en date des 17 mai et 1er juin 2017, l’employeur a, le 6 juin 2017, choisi de lui notifier un avertissement pour l’un d’entre eux uniquement, en sorte qu’il avait épuisé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait plus prononcer une mise à pied disciplinaire pour sanctionner tout ou partie des autres faits antérieurs à la date précitée du 6 juin 2017 dont il avait connaissance (les faits du 17 mai 2017 étant connus le jour même par le supérieur hiérarchique de l’appelant ainsi que cela ressort de l’attestation établie par ce dernier).
S’agissant des autres faits allégués survenus le 8 juillet 2017 (avoir fait descendre tous les passagers montés dans le car en raison d’une personne montée sans billet et avoir ensuite fait remonter un à un les passagers après avoir procédé à leur appel), la cour ne peut que relever que l’intimée s’abstient de produire des éléments de nature à justifier de leur matérialité ainsi que de leur imputabilité à l’appelant.
Dès lors, au vu de ces éléments, la cour, par infirmation du jugement, annule la mise à pied disciplinaire du 4 août 2017 et accorde à l’appelant, en réparation du préjudice moral et financier subi du fait de cette sanction disciplinaire injustifiée, une somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts.
Sur la rupture du contrat de travail
L’appelant fait tout d’abord valoir que le licenciement conduit et prononcé par une personne étrangère est dépourvu de cause réelle et sérieuse et que l’intimée ne justifie pas de la qualité de directrice des ressources humaines de la signataire de la lettre de licenciement. Sur le fond, s’agissant du placement du car en double file le 9 août 2017, il souligne que l’employeur ne démontre pas l’existence d’une mauvaise volonté délibérée de sa part relativement au respect d’une obligation légale ou contractuelle et que ce grief ne constitue dès lors pas une faute sanctionnable. Concernant l’accident du 17 septembre 2017, il indique que s’il lui est reproché d’avoir causé un accident responsable en accrochant deux barrières pendant une man’uvre, l’existence d’une mise en jeu de la sécurité et de la bonne marche de l’entreprise n’est cependant pas caractérisée alors que le car était vide au moment de la manoeuvre et que le frottement intervenu n’a pas eu pour effet d’immobiliser le véhicule, aucune mauvaise volonté délibérée n’étant à nouveau établie.
L’intimée réplique, s’agissant du premier grief, qu’il est inconcevable que dans une entreprise de transport de voyageurs dont les horaires sont fixes, un conducteur se permette de se stationner en double file et de bloquer ainsi le départ des autres cars, et que, s’agissant du second grief, l’intéressé a effectivement endommagé son véhicule ainsi que des barrières de la société Eurotunnel alors qu’il est coutumier d’accrochages avec dégâts matériels, qu’il s’agissait de son troisième accident en six mois et de son cinquième accident responsable en 1 an et demi, qu’une telle fréquence de la part d’un professionnel de la route est totalement inconcevable, la faute étant d’autant plus avérée qu’il avait passé un test de formation le 20 septembre 2017 révélant qu’il n’avait aucune difficulté de conduite, ses accrochages à répétition et mauvaises man’uvres étant donc fautives.
Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instructions qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Il sera rappelé qu’en application de l’article L. 1332-5 du code du travail, lorsque des faits de même nature se reproduisent, l’employeur peut faire état des précédents, même s’ils ont été sanctionnés en leur temps et à la condition que les sanctions invoquées ne soient pas antérieures de plus de trois ans à l’engagement des poursuites, pour justifier une sanction aggravée telle qu’un licenciement reposant sur une appréciation globale du comportement du salarié.
En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée de la manière suivante :
« […] Le mercredi 9 août 2017, alors que vous aviez un objet trouvé à ramener à la Base Care, vous avez volontairement laissé votre car en double file bloquant le départ des autres cars.
Le 17 septembre 2017, alors que vous effectuiez un service commercial, vous avez eu un accident responsable. En effet, en effectuant une man’uvre pour vous garer, vous avez accroché 2 barrières.
Au cours de cet entretien vous avez tenu à apporter certaines précisions :
– vous reconnaissez les faits mais indiquez que le service de Londres, où vous avez eu votre accrochage, est un ennui permanent,
– que vous aviez mal dormi ce qui engendre votre manque de vigilance.
Votre conduite met en cause la sécurité et la bonne marche de l’entreprise. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 3 octobre 2017 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation. En conséquence, nous vous informons que nous avons décidé de prononcer à votre encontre un licenciement pour cause réelle et sérieuse, pour les motifs suivants :
– vous avez été à l’encontre de votre obligation de sécurité et des articles 1384 alinéa 5 du code civil et L. 4122-1 du code du travail en mettant en jeu la responsabilité de l’entreprise et la sécurité des passagers en étant responsable d’un accident de la circulation,
– outre les frais engendrés par l’accident que vous avez provoqué, votre comportement irresponsable a eu un impact négatif sur l’image de marque de l’entreprise. Cette dernière ayant dû faire face à des clients mécontents et des potentiels clients inquiets et qui ne choisiront plus notre compagnie pour voyager. Ces retombées très négatives sont particulièrement dévastatrices pour notre image de marque.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible.
Nous vous rappelons que vous avez déjà fait l’objet de plusieurs sanctions (mise à pied disciplinaire de 3 jours le 4 août 2017 et avertissement le 31 mars 2017) pour votre comportement anxiogène, trop rigide et trop strict avec la clientèle ainsi qu’une conduite dangereuse et des accidents responsables les 10 avril 2017 et 6 juin 2017. »
S’agissant de la signataire de la lette de licenciement, si le licenciement ne peut pas être notifié par une personne extérieure à l’entreprise, il est cependant établi qu’un licenciement peut être notifié par un salarié de l’entreprise mandaté pour ce faire ou dont les fonctions l’y autorise, aucune disposition n’exigeant que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit, celle-ci pouvant être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement.
En l’espèce, au vu du contrat de travail et des bulletins de paie de Mme [M] ainsi que du registre du personnel (l’URSSAF ayant indiqué que son système informatique ne prévoyait plus la réédition des DPAE enregistrées), la cour retient que cette dernière a effectivement été engagée en qualité de directrice des ressources humaines à compter du 21 septembre 2015, l’intéressée, qui était ainsi responsable des ressources humaines de la société en charge de la gestion du personnel, devant être considérée de ce fait comme étant délégataire du pouvoir de licencier et comme ayant effectivement qualité pour signer la lettre de licenciement litigieuse en date du 17 octobre 2017, le seul fait qu’elle exerce ses fonctions à temps partiel étant sans aucune incidence de ce chef.
S’agissant des faits reprochés au salarié, au vu des pièces versées aux débats par les parties et notamment du mail du 9 août 2017 (comportement CNE [P]), adressé à la direction de l’exploitation des ORIBUS, faisant état du fait que l’appelant « laisse son car en double file bloquant les départs éventuels de ses collègues et monte un objet trouvé à la Basecare », ainsi que de la déclaration interne de sinistre rédigée par l’appelant le 19 septembre 2017 (« en manoeuvrant pour garer le car, j’ai accroché 2 barrières mobiles que je n’ai pas vues dans la nuit »), des dégâts ayant été occasionnés à l’angle arrière gauche du car et ayant généré des frais de remise en état pour la société intimée, il apparaît que l’appelant a ainsi manqué à ses obligations contractuelles en sa qualité de conducteur de bus professionnel, lui imposant notamment d’« attacher une importance particulière à la sécurité des passagers, des autres capitaines et des matériels de la société » ainsi que de « proposer une conduite souple, commerciale et économique et utiliser dans les règles de l’art les appareils et matériels embarqués à disposition », lesdits manquements de l’intéressé à l’obligation qui lui est par ailleurs faite par l’article L. 4122-1 du code du travail de prendre soin de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail, procédant manifestement d’une mauvaise volonté délibérée de sa part.
Il sera de surcroît observé que l’appelant, qui avait déjà eu des accidents responsable les 28 mars 2017 (accrochage d’un camion avec le porte-à-faux arrière gauche) et 1er juin 2017 (heurt d’un plot de travaux en déviant de sa trajectoire) ayant respectivement donné lieu à un rappel à l’ordre du 10 avril 2017 et à l’avertissement précité du 6 juin 2017, l’intéressé ayant en outre fait l’objet d’un avertissement le 31 mars 2017 pour avoir notamment adopté une conduite dangereuse, n’a cependant pas estimé nécessaire de modifier son comportement malgré ces précédentes sanctions disciplinaires. Il ne justifie enfin aucunement, mises à part ses propres déclarations lors de l’entretien préalable relativement au fait que le service de Londres serait particulièrement ennuyeux ou qu’il aurait mal dormi, de l’existence de conditions de travail particulièrement difficiles de nature à remettre en cause la réalité et la matérialité des agissements litigieux.
Par conséquent, eu égard aux agissements fautifs du salarié rendant impossible son maintien dans l’entreprise compte tenu de leur réitération ainsi que de la désorganisation de l’activité et de l’atteinte portée à la bonne marche de l’entreprise, la cour retient, par confirmation du jugement, que le licenciement pour cause réelle et sérieuse prononcé à son encontre est justifié et déboute en conséquence l’appelant de ses différentes demandes afférentes à la rupture du contrat de travail.
Il sera observé de ce dernier chef que l’appelant, qui soutient expressément dans le cadre de ses conclusions que son licenciement serait sans cause réelle et sérieuse, ne peut ensuite, sans se contredire, solliciter une indemnité pour licenciement nul au motif qu’il a subi 4 sanctions disciplinaires entre mars et août 2017, que cette situation a dégradé ses conditions de travail et qu’elle peut être considérée comme un harcèlement moral qui a entraîné un placement en arrêt maladie. En toute hypothèse, la cour relève à ce titre que, dans le cadre de la présente procédure, l’appelant ne conteste ni le rappel à l’ordre du 10 avril 2017 ni l’avertissement du 6 juin 2017, que l’avertissement du 31 mars 2017 a été déclaré justifié ainsi que cela résulte des développements précédents et que la simple annulation de la mise à pied disciplinaire du 4 août 2017 pour épuisement du pouvoir disciplinaire et absence de production d’éléments justificatifs suffisants ne peut à elle-seule s’analyser comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de l’intéressé susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, étant enfin observé, s’agissant des éléments médicaux produits par le salarié, que si la dégradation de son état de santé n’est pas contestable, les seuls certificats médicaux versés aux débats, qui se limitent manifestement à rapporter les propos et le ressenti du salarié ainsi que ses différentes doléances, ne permettent pas de retenir que cette dégradation serait effectivement la conséquence de ses conditions de travail, aucune nullité de la rupture n’étant dès lors encourue en l’espèce.
Sur la demande de rappel d’indemnité compensatrice de préavis
Selon l’article L. 1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.
L’inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l’employeur, n’entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.
L’indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l’indemnité de licenciement et avec l’indemnité prévue à l’article L. 1235-2.
S’agissant en l’espèce d’un licenciement prononcé pour cause réelle et sérieuse, l’appelant ayant été dispensé d’exécuter son préavis d’une durée de 2 mois courant du 18 octobre au 17 décembre 2017, au vu des bulletins de paie des mois d’octobre, novembre et décembre 2017, sur la base d’un salaire de référence de 3 050,44 euros comme justement retenu par les premiers juges, la prime proratisée de 13ème mois ayant effectivement été réglée au salarié, le montant des indemnités journalières ayant déjà été pris en compte au regard des bulletins de paie précités, la cour retient que l’appelant n’a pas été réglé de l’intégralité des sommes lui revenant au titre du préavis et lui accorde, par infirmation du jugement sur le quantum, la somme de 1 928,68 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice de préavis outre 192,86 euros au titre des congés payés y afférents.
Sur les demandes de rappel de salaire de base et de majorations pour heures supplémentaires
L’appelant fait valoir que dans le cadre des contrats de travail à durée déterminée dont il a bénéficié du 13 avril au 15 septembre 2015 (indiqué par erreur 2016 dans les conclusions), il percevait une rémunération de base mensuelle de 1 742,08 euros en qualité de conducteur alors qu’à compter de son embauche en contrat de travail à durée indéterminée, il n’a plus perçu qu’une rémunération mensuelle de base de 1 589,50 euros, et ce alors qu’il était au même groupe et coefficient conventionnel et exerçait les mêmes fonctions, à savoir des trajets nationaux et internationaux, la mention « marché intérieur » n’étant qu’un prétexte pour diminuer sa rémunération alors que les fonctions étaient identiques.
L’intimée réplique que l’argumentaire du salarié repose sur des postulats erronés, que la classification 145 V correspond à un emploi de conducteur de tourisme avec des trajets internationaux, que le vocable « marché intérieur » ne désigne pas le marché national mais le marché européen, que le salarié a donc toujours été embauché pour des trajets «longue distance» nécessitant des découchés, qu’il a toujours perçu les indemnités correspondantes et que son argumentaire sur le salaire perçu par un « chauffeur international » et un « chauffeur national » est inopérant.
En l’espèce, outre le fait que l’appelant ne fonde pas sa demande de rappel de salaire sur une différence entre la rémunération perçue par un chauffeur international et celle d’un chauffeur national mais sur la différence entre la rémunération de base prévue par les contrats de travail à durée déterminée initialement conclus et celle résultant du contrat à durée indéterminée ultérieur, la cour ne peut par ailleurs que relever que la classification conventionnelle appliquée à l’appelant est restée strictement identique tout au long de la relation de travail, soit conducteur, statut ouvrier, groupe 9 bis, coefficient 145 V de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport, le simple ajout de la mention « marché intérieur » étant inopérant pour caractériser l’existence d’une raison objective justifiant la différence de rémunération litigieuse, et ce alors que l’intimée reconnaît elle-même dans le cadre de ses conclusions que le vocable « marché intérieur » ne désigne pas le marché national mais le marché européen et que l’appelant a toujours été embauché pour des trajets « longue distance ».
Dès lors, au vu de ces éléments, sur la base d’une différence de rémunération mensuelle injustifiée de 152,58 euros, la cour accorde à l’appelant, par infirmation du jugement, la somme de 3 967,08 euros à titre de rappel de salaire de base outre 396,70 euros au titre des congés payés y afférents.
S’agissant des heures supplémentaires déjà prises en compte et payées par l’employeur, la cour constatant, au vu des bulletins de paie produits, que celles-ci ont été effectivement majorées conformément aux dispositions légales et conventionnelles applicables, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes de ce chef.
Sur la clause de non-concurrence
L’appelant fait valoir que son contrat de travail comporte une clause de non-concurrence alors qu’il était simple conducteur de car, qu’il appartient à l’employeur d’expliquer en quoi une telle clause était indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, qu’il ne disposait d’aucune connaissance spécifique à la société que celle-ci aurait souhaité protéger et que ladite clause de non-concurrence est en conséquence nulle. Il ajoute que l’employeur ne peut pas se prévaloir d’une clause de non-concurrence illicite pour réclamer le paiement de la clause pénale prévue en cas de non respect de l’obligation de non-concurrence, sollicitant à titre subsidiaire que le montant de ladite clause pénale soit révisé à la baisse.
L’intimée réplique que la violation par le salarié, après la rupture de son contrat de travail, de la clause de non-concurrence à laquelle il était soumis le prive, quand bien même cette violation aurait cessé, de l’indemnité convenue en contrepartie de l’obligation à laquelle il s’était soustrait. Il souligne que, s’étant soustrait à la clause de non-concurrence en effectuant au moins une mission d’intérim pour une entreprise concurrente, le salarié devra être condamné au paiement de la clause pénale prévue au contrat de travail.
En application du principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle, une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives, le juge devant prendre en compte, pour apprécier la validité de la clause, l’ensemble des limitations qu’elle comporte, dans le temps, dans l’espace, quant aux activités concernées et ce en tenant compte des spécificités de l’emploi.
En application de l’article 12 du contrat de travail liant les parties, le salariée était tenu, à compter de la cessation du contrat pour quelque motif que ce soit, hors licenciement pour motif économique, d’une obligation de non-concurrence pendant une durée de 6 mois limitée au périmètre régional de son lieu de rattachement à la société au cours des 5 années précédant la date de cessation du contrat, le salarié s’engageant, compte tenu de la nature de ses fonctions et des informations dont il dispose, à ne pas exercer sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, une activité susceptible de concurrencer celle de la société.
Au vu des éléments versés aux débats et au regard des seules fonctions de conducteur de car exercées par l’appelant, la cour estime que, compte tenu de l’absence de spécificités particulières de l’emploi occupé par l’intéressé, ce dernier n’étant détenteur d’aucune information spécifique ou à caractère confidentiel susceptible de constituer un trouble dans l’exercice normal de la concurrence pour son ancien employeur, la clause de non-concurrence litigieuse n’était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, ladite clause étant dès lors entachée de nullité.
Cependant, l’appelant ne justifiant, au vu des seuls éléments produits et mises à part ses propres affirmations relatives au fait d’avoir vécu dans la crainte d’être condamné à payer la clause pénale de 4 mois de salaire en cas de violation de l’obligation de non-concurrence, ni du principe ni du quantum du préjudice allégué, et ce alors qu’il apparaît que l’intéressé n’a pas hésité, contrairement aux affirmations précitées, à exercer à tout le moins une mission d’intérim pour le compte d’une entreprise de transport concurrente dès le mois de décembre 2017, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande formée de ce chef.
Par ailleurs, étant rappelé que la nullité produit au profit du salarié les mêmes effets que si la clause n’avait jamais existé, que ce dernier est donc libéré de son obligation de non-concurrence et ne peut dès lors pas être condamné pour non-respect de la clause, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté l’employeur de sa demande reconventionnelle en paiement de la clause pénale y afférente.
Sur les autres demandes
Il convient d’ordonner la remise à l’appelant d’un certificat de travail, d’une attestation Pôle Emploi et d’un bulletin de paie récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu’il apparaisse nécessaire d’assortir cette décision d’une mesure d’astreinte.
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il sera rappelé que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et, s’agissant des créances indemnitaires, à compter du présent arrêt.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à verser au salarié, au titre des frais exposés en cause d’appel non compris dans les dépens, la somme supplémentaire de 1 200 euros, la somme accordée en première instance étant confirmée.
L’employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [P] de ses demandes afférentes à l’annulation de la mise à pied disciplinaire du 4 août 2017 ainsi que de sa demande de rappel de salaire de base et sauf sur le quantum du rappel d’indemnité compensatrice de préavis ainsi que la charge des dépens ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Annule la mise à pied disciplinaire du 4 août 2017 ;
Condamne la société C6 venant désormais aux droits de la société SNCF-C6 à payer à M. [P] les sommes suivantes :
– 500 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée,
– 3 967,08 euros à titre de rappel de salaire de base outre 396,70 euros au titre des congés payés y afférents,
– 1 928,68 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice de préavis outre 192,86 euros au titre des congés payés y afférents ;
Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société SNCF-C6, aux droits de laquelle vient désormais la société C6, de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du présent arrêt ;
Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités de l’article 1343-2 du code civil ;
Ordonne à la société C6 venant désormais aux droits de la société SNCF-C6 de remettre à M. [P] un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et un bulletin de paie récapitulatif conformes à la présente décision ;
Rejette la demande d’astreinte ;
Condamne la société C6 venant désormais aux droits de la société SNCF-C6 à payer à M. [P] la somme supplémentaire de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [P] du surplus de ses demandes ;
Condamne la société C6 venant désormais aux droits de la société SNCF-C6 aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT