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24 MAI 2022
Arrêt n°
ChR/NB/NS
Dossier N° RG 20/00342 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FL36
S.A. DOCAPOSTE BPO IS
/
[C] [I]
Arrêt rendu ce VINGT QUATRE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Claude VICARD, Conseiller
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI, Greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
S.A. DOCAPOSTE BPO IS
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-sébastien LALOY de la SCP LALOY – BAYET, avocat au barreau de CUSSET/VICHY, avocat constitué, substitué par Me Sabine PORTAL, avocat suppléant Me Sophie MALTET de l’ASSOCIATION PERELSTEIN ZERBIB MALTET, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
APPELANTE
ET :
M. [C] [I]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par M. [F] [Z], défenseur syndical C.G.T muni d’un pouvoir de représentation du 03 mars 2020
INTIME
M. RUIN, Président en son rapport, après avoir entendu, à l’audience publique du 21 mars 2022, tenue en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans qu’ils ne s’y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La SA DOCAPOSTE BPO IS, dont le siège social est situé en région parisienne, est une filiale du Groupe LA POSTE. Elle a pour activité le traitement intégré du courrier dans les entreprises. Les prestations offertes aux entreprises sont l’audit, le conseil, et le traitement de la fonction courrier des entreprises. La société DOCAPOSTE BPO IS, à la demande des entreprises qui désirent sous-traiter ses services courriers, envoie les salariés chez une entreprise cliente afin d’y effectuer les prestations demandées.
Monsieur [C] [I], né le 13 avril 1969, a été embauché par la SA DOCAPOSTE BPO IS à compter du 22 mars 2014 (ancienneté au 20 janvier 2014), en qualité d’Agent technique (statut Employé), selon contrat de travail à durée indéterminée, à temps complet.
Monsieur [I] était initialement affecté sur le site client LIMAGRAIN, situé à [Localité 6] (63). Il était ensuite affecté sur le site client CAF 63 à compter du 2 décembre 2016. Le 12 décembre 2016, Monsieur [I] sollicitait une mobilité qui était
acceptée par l’employeur et il était alors affecté, à compter du 2 janvier 2017, à sa demande, sur le site CREDIT AGRICOLE situé PIC (Plateforme Industrielle Courrier) de [Localité 5] (63).
Par lettre recommandée datée du 22 octobre 2018, l’employeur a notifié au salarié une mise à pied conservatoire et l’a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui a été fixé au 6 novembre 2018. Monsieur [I] ne s’est pas présenté à cet entretien.
Par lettre recommandée datée du 28 novembre 2018, la société DOCAPOSTE BPO IS a notifié à Monsieur [C] [I] un licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
‘ Monsieur,
Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 22 octobre 2018, nous vous avons convoqué à un entretien préalable en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, prévu le 6 novembre 2018. Dans ce même courrier, nous vous notifions une mise à pied à titre conservatoire qui prenait effet à la première présentation dudit courrier, soit le 24 octobre 2018. Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien et vous n’avez pas prévenu ou fait prévenir d’une impossibilité d’y assister. Madame [D] [K], Responsable Ressources Humaines, et Monsieur [J] [E], Responsable de secteur, qui devaient assister à cet entretien étaient présents le 6 novembre 2018 à 10 heures et vous ont attendu…
Par conséquent, nous vous notifions par la présente notre décision de vous licencier pour les motifs ci-après exposés.
Le 22 octobre 2018, mécontent face à l’annonce faite par votre responsable concernant le non paiement de vos 25 minutes de retard cumulé de la semaine précédente, vous avez refusé de signer votre feuille de présence, lui arrachant alors violemment des mains. Nous ne pouvons que déplorer votre attitude agressive, purement déplacée et inappropriée compte tenu notamment de votre manque de ponctualité.
Puis vous vous êtes énervé, et ne laissant place à aucune maîtrise vous avez jeté au sol tous les courriers présents sur les tables de tri et renversé tables et sacoches. Par conséquent des plis sensibles de courrier interne se sont retrouvés au sol mélangés, au milieu de serflex et pince coupante.
Vous avez ensuite récupéré ‘ votre’ cafetière, sans précaution, en renversant son réservoir sur les machines à affranchir se trouvant à proximité. Vous avez quitté votre poste à 9h30 sans autorisation et en vociférant ‘Je fais grève’.
Face à un tel débordement, mettant à mal la sécurité de vos collègues présents au moment des faits, le bon déroulement de notre prestation, et dégradant le matériel mis à votre disposition, nous avons été contraints de vous signifier le jour même par courrier recommandé, votre mise à pied conservatoire dans l’attente de l’entretien préalable prévu le 6 novembre 2018.
Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien.
Par la présente, nous vous signalons que ce comportement est purement inacceptable.
Remettant en cause la qualité de la prestation et le sérieux de DOCAPOST BPU IS auprès de notre client, il dégrade l’image de marque de la société.
En effet, les violences physiques et/ou verbales ne peuvent être tolérées sur le lieu de travail, quel que soit leur degré de gravité.
Nous vous rappelons à ce titre qu’en vertu de l’article 13 du Règlement Intérieur de la société, ‘ les employés adopteront une tenue correcte et conforme à I’image de l’entreprise’.
Votre comportement déplacé en réaction à un constat objectif de votre Responsable de manque de ponctualité récurrent de votre part est totalement inacceptable et ne peut être toléré sur le lieu de travail.
Vous n’êtes pourtant pas sans ignorer la nécessité d’adopter un comportement irréprochable et respectueux des personnes qui vous entourent, et ce d’autant plus dans une position de prestataire de service présent dans les locaux de son client. C’est un élément primordial de toute relation de travail et plus encore du bon déroulement de toute prestation de service puisque cela contribue à la qualité et à la pérennité de la prestation.
Nous ne pouvons laisser place à une quelconque agressivité qui ne peut que nuire à la mise en ‘uvre de notre prestation et mettre en danger la sécurité de vos collègues et de vous-même.
En conséquence, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.
Compte tenu de la gravité de celle-ci et de ses conséquences, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible.
Votre licenciement est donc immédiat, sans indemnité de préavis ni de licenciement. Vous cesserez donc de faire partie des effectifs de DOCAPOST BPO IS dès la première présentation de cette lettre à votre domicile.
Nous vous confirmons pour les mêmes raisons que la mise à pied conservatoire qui a débuté le 24 octobre 2018 ne vous sera pas rémunérée.
Vous recevrez à domicile votre reçu pour solde de tout compte ainsi que tous les documents légaux se rapportant à la rupture du contrat de travail.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées.
[G] [H]
Directeur Ressources Humaines’
Le 8 avril 2019, Monsieur [I] a saisi le conseil de prud’hommes de RIOM afin de contester le bien-fondé de son licenciement.
L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation s’est tenue en date du 21 mai 2019 (convocation notifiée au défendeur employeur le 19 avril 2019) et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement rendu en date du 24 janvier 2020 (audience du 4 octobre 2019), le conseil de prud’hommes de RIOM a :
– dit et jugé qu`il existe un doute sur la réalité de l’imputation des faits à Monsieur [C] [I] ;
– dit et jugé que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
– requalifié la rupture de la relation de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamné la SA DOCAPOST BPO IS à payer à Monsieur [C] [I] les sommes suivantes :
* 7.571,65 euros net de CSG/CRDS au titre de dommages et intérêts réparant l’entier préjudice né de la rupture abusive du contrat,
* 1.828,55 euros au titre d’indemnité légale de licenciement,
* 1.396,92 euros au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et 139,69 euros au titre des congés payés afférents,
* 3.028,66 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 302,86 euros de congés payés afférents,
* 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté Monsieur [C] [I] du surplus de ses demandes ;
– débouté la SA DOCAPOST BPO IS de ses demandes ;
– condamné la SA DOCAPOST BPO IS aux entiers dépens.
Le 20 février 2020, la SA DOCAPOSTE BPO IS a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 27 janvier 2020.
Vu les conclusions notifiées à la cour le 5 juin 2020 par Monsieur [C] [I],
Vu les conclusions notifiées à la cour le 17 février 2022 par la SA DOCAPOST BPO IS,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 21 février 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, la SA DOCAPOSTE BPO IS demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de:
– dire que le licenciement pour faute grave de Monsieur [C] [I] est justifié ;
– débouter Monsieur [C] [I] de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner Monsieur [C] [I] à lui verser une somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Monsieur [C] [I] aux entiers dépens.
L’appelante soutient que le licenciement pour faute grave est justifié et proportionné puisque les fautes reprochées dans la lettre de licenciement sont établies et imputables au salarié dont le comportement violent a mis en danger la sécurité de ses collègues présents au moment des faits et a gravement nui à l’image de l’entreprise.
Dans ses dernières écritures, Monsieur [C] [I] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de débouter la SA DOCAPOST BPO IS de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, et, y ajoutant, de condamner l’appelante aux entiers dépens d’appel ainsi qu’à lui verser une somme de 1.600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Monsieur [C] [I] fait valoir l’absence de bien fondé du licenciement. Il soutient que le grief reproché a été monté pour les besoins de la cause, et ne nécessite en aucun cas le prononcé d’un licenciement pour faute grave. Il affirme n’avoir commis aucun fait fautif justifiant son licenciement. Il relève qu’il n`a jamais fait l’objet d’une seule sanction depuis son entrée dans l’entreprise en 2014. Il a toujours exercé ses obligations contractuelles avec loyauté et son professionnalisme n’a jamais été remis en cause. Il a un passé disciplinaire irréprochable en quasiment 5 ans de travail au sein de la société. L’employeur ne s’est jamais plaint une seule fois auparavant de son comportement avant son licenciement, ce qui montre, si ce n’est la mauvaise foi de l’employeur, que le licenciement constitue en tout état de cause une sanction disciplinaire disproportionnée.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
– Sur le licenciement –
Le licenciement correspond à une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige sur la cause du licenciement, ce qui interdit à l’employeur d’invoquer de nouveaux ou d’autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.
Pour que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c’est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l’existence ou matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c’est-à-dire que les faits invoqués par l’employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.
Le licenciement pour motif personnel est celui qui est inhérent à la personne du salarié. Un licenciement pour motif personnel peut être décidé pour un motif disciplinaire, c’est-à-dire en raison d’une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif du salarié (motif personnel non disciplinaire). Il ne doit pas être discriminatoire.
Si l’employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu’il considère comme fautif, il doit s’agir d’un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l’employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables. Un salarié ne peut pas être licencié pour des faits imputables à d’autres personnes, même proches.
En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu’établis, ne sont pas fautifs ou constituent une faute légère mais non sérieuse, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, donc abusif. En cas de licenciement fondé sur une faute constituant une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au règlement de l’indemnité compensatrice de congés payés, de l’indemnité de licenciement, du préavis ou de l’indemnité compensatrice de préavis (outre les congés payés afférents).Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Le licenciement pour faute lourde, celle commise par le salarié avec l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise, entraîne également pour le salarié la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement, avec possibilité pour l’employeur de réclamer le cas échéant au salarié réparation du préjudice qu’il a subi (dommages-intérêts). Dans tous les cas, l’indemnité compensatrice de congés payés reste due.
La sanction disciplinaire prononcée par l’employeur, y compris une mesure de licenciement, ne pas doit être disproportionnée mais doit être proportionnelle à la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l’employeur à l’encontre du salarié n’est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.
Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d’appréciation ou l’insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d’une faute n’est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté. La commission d’un fait isolé peut justifier un licenciement disciplinaire, y compris pour faute grave, sans qu’il soit nécessaire qu’il ait donné lieu à avertissement préalable.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d’une telle mesure n’est pas obligatoire. La faute grave ne saurait être admise lorsque l’employeur a laissé le salarié exécuter son préavis au salarié. En revanche, il importe peu que l’employeur ait versé au salarié des sommes auxquelles il n’aurait pu prétendre en raison de cette faute, notamment l’indemnité compensatrice de préavis ou les salaires correspondant à une mise à pied conservatoire.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l’employeur (la Cour de cassation juge que la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties), il incombe à l’employeur, en revanche, d’établir la faute grave ou lourde. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement, le doute doit profiter au salarié.
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires (date de convocation à l’entretien préalable ou de prononcé d’une mise à pied conservatoire / date de présentation de la lettre recommandée ou de remise de la lettre simple pour une sanction ne nécessitant pas un entretien préalable) au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.
Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s’est poursuivi ou s’est réitéré dans ce délai, l’employeur pouvant ainsi invoquer une faute prescrite lorsqu’un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d’un comportement identique. Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction.
En l’espèce, l’employeur a prononcé la sanction disciplinaire de licenciement pour faute grave en relevant le comportement violent et inadapté, en tout cas excessif, adopté par Monsieur [C] [I] en date du 22 octobre 2018, sur le lieu et au temps du travail, en ce que le salarié, mécontent face à l’annonce faite par sa responsable concernant le non paiement de 25 minutes de retard cumulé la semaine précédente, aurait refusé de signer sa feuille de présence, lui arrachant alors violemment des mains, se serait ensuite énervé, aurait jeté au sol tous les courriers présents sur les tables de tri et renversé tables et sacoches, puis aurait récupéré sa cafetière, sans précaution, en renversant son réservoir sur les machines à affranchir se trouvant à proximité, aurait enfin quitté son poste à 9h30 sans autorisation et en vociférant ‘Je fais grève’. Les faits se seraient déroulés sur le site CREDIT AGRICOLE situé PIC (Plateforme Industrielle Courrier) de [Localité 5] (63)
Monsieur [C] [I] conteste d’abord la matérialité ou réalité du grief invoqué par la société DOCAPOSTE BPO IS. Il relève ensuite le caractère disproportionné de la sanction disciplinaire.
À l’appui de ses dires, l’employeur produit une attestation de Madame [B], agent de maîtrise et supérieure hiérarchique de Monsieur [C] [I] à l’époque considérée. Le témoin indique que l’intimé a signé sa feuille de présence à son arrivée mais a contesté celle-ci puis haussé le ton en constatant le retrait de 25 minutes de temps de travail rémunéré la semaine précédente. N’acceptant pas les explications de sa supérieure hiérarchique, Monsieur [C] [I] s’est énervé encore plus, a déchiré la feuille de présence, a jeté du courrier par terre, a lancé des coups de pied dans la poubelle, a retourné des tables en donnant des coups de pied dedans, a répandu de l’eau de sa cafetière dans la pièce, en mouillant notamment une machine à affranchir, avant de quitter son lieu de travail (se déclarant ‘gréviste’).
Madame [B] a signalé ces faits à sa hiérarchie par courriel le 22 octobre 2018 à 10 heures 3 minutes.
Outre le témoignage de Madame [B], l’employeur verse quatre photographies montrant un espace de travail bouleversé avec des tables renversées et des feuilles ou documents éparpillés. Ces photographies ne portent aucune datation, ne montrent aucune personne présente et ne font l’objet d’aucune précision par témoignage s’y référant directement, en tout cas autre que celui de Madame [B].
S’agissant des faits allégués par l’employeur, hors Madame [B] et Monsieur [I], il n’est pas justifié ni même fait état de façon précise de la présence d’autres personnes sur les lieux au moment considéré.
Force est de constater que la justification du licenciement repose sur le seul témoignage de Madame [B] qui est contesté par Monsieur [I]. Le premier juge a donc relevé de façon légitime le doute devant profiter au salarié accusé quant à la matérialité des griefs mentionnés dans la lettre de licenciement.
Surabondamment, Madame [B] décrit une scène d’énervement ponctuel de la part de Monsieur [I], qui s’en serait pris à des objets, mais sans violences physiques ni verbales à l’égard d’une supérieure hiérarchique qui ne fait pas état d’un sentiment de peur ou de mise en danger d’elle-même ou d’autrui, ni même de la présence de collègues de travail ou de clients ou de tiers. Ainsi, en tout état de cause, en l’absence de passé disciplinaire pour le salarié concerné, ni justifié ni même allégué par l’employeur, une sanction disciplinaire de licenciement était manifestement disproportionnée.
La cour ne relève ni faute grave ni cause réelle et sérieuse de licenciement.
Le jugement sera confirmé en ce que le conseil de prud’hommes a dit le licenciement de Monsieur [I] sans cause réelle et sérieuse.
Selon l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable aux licenciements notifiés à compter du 24 septembre 2017, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et si l’une ou l’autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux exprimés en mois de salaire brut.
S’agissant des conséquences d’un licenciement abusif, le premier juge a fait une exacte appréciation des circonstances de la cause ainsi que des droits et obligations des parties sauf à condamner la SA DOCAPOST BPO IS à payer à Monsieur [C] [I] la somme de 7.571,65 euros en brut (maximum de 5 mois de salaire mensuel brut prévu par le barème ‘Macron’ pour un salaire mensuel brut de référence de 1.514,33 euros), à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi du fait d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– Sur les dépens et frais irrépétibles –
Le jugement sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.
La SA DOCAPOST BPO IS, qui succombe en son recours, sera condamnée aux entiers dépens d’appel ainsi qu’à verser à Monsieur [C] [I] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Réformant, condamne la SA DOCAPOST BPO IS à payer à Monsieur [C] [I] la somme de 7.571,65 euros en brut, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi du fait d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions non contraires ;
– Y ajoutant, condamne la SA DOCAPOST BPO IS à verser à Monsieur [C] [I] une somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel;
– Condamne la SA DOCAPOST BPO IS aux dépens d’appel;
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN