Arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence du 19 janvier 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 20/11306

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Arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence du 19 janvier 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 20/11306
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 19 JANVIER 2024

N° 2024/011

Rôle N° RG 20/11306 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BGRC5

S.A. HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE

C/

[Y] [H]

Copie exécutoire délivrée le :

19 JANVIER 2024

à :

Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Didier MIELLE, avocat au barreau des ALPES DE HAUTE-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIGNE-LES-BAINS en date du 19 Octobre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00012.

APPELANTE

S.A. HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [Y] [H], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Didier MIELLE, avocat au barreau des ALPES DE HAUTE-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique SOULIER, Président

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2024

Signé par Mme Véronique SOULIER, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

M. [Y] [H] a été engagé par la SA HABITATIONS DE HAUTE-PROVENCE suivant contrat de travail à durée indéterminée du 2 mai 2016 en qualité de responsable informatique, statut cadre, coefficient G5, de la convention collective des sociétés anonymes d’HLM.

Monsieur [H] a démisionné par lettre du 14 octobre 2018.

Par requête du 11 janvier 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes de Digne-les-Bains aux fins de solliciter la requalification de sa démission en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la condamnation de la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à payer un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, une indemnité au titre du préjudice subi pour l’absence de contrepartie obligatoire en repos, une indemnité au titre d’un travail dissimulé, des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, une indemnité légale de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, notamment.

Par jugement du 19 octobre 2020, le conseil de prud’hommes a :

– condamné la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à verser à M. [H] la somme de 18.193,45 euros en règlement des heures supplémentaires effectuées de la date de son embauche au jour de son départ de la société.

– condamné la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à verser à M. [H] la somme de 1.820 euros au titre des congés payés afférent au rappel des heures supplémentaires.

– condamné la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à verser à M. [H] la somme de 3.128.10 euros au titre du préjudice subi pour l’absence de contrepartie obligatoire en repos.

– ordonné à la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE de remettre à M. [H] les bulletins de salaire rectifiés dans les conditions du jugement à intervenir sous astreinte de 20 euros par jour de retard à l’issue de 30 jours suivants la notification de la décision à intervenir. Se réserve la liquidation de l’ astreinte.

– débouté M. [H] de sa demande de 3.000 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail/ou l’accord collectif.

– condamné la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à verser à M. [H] la somme de 17.001,60 euros correspondant au montant de l’indemnité forfaitaire fixé par l’article L. 8223.1 du code du travail, soit six mois de salaire pour travail dissimulé.

– débouté M. [H] de sa demande de requalification de sa démission en une prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur, de sa demande de requalification de la prise d’ acte en licenciement abusif et de toutes les demandes s’y afférent et citées ci-dessous, soit 2.267,97 euros d’indemnité légale du licenciement et 10.205,88 euros (trois mois de salaires) de dommages- intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de son emploi.

– condamné la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à verser à M. [H] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– ordonné l’exécution provisoire sur la totalité de la décision à intervenir.

– débouté la SAHABITATIONS DE HAUTE PROVENCE de toutes ses demandes reconventionnelles.

– rejeté le surplus des demandes.

– condamné la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE aux entiers dépens.

La SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE a interjeté appel de ce jugement par déclaration d’appel du 18 novembre 2020.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 26 octobre 2022, elle demande à la cour de :

– réformer le jugement dont appel.

– débouter M. [H] de toutes ses demandes fins et conclusions tant comme étant irrecevables que mal fondées.

– le condamner aux entiers dépens et à payer à la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 22 avril 2022, M. [H] demande à la cour de :

– dire et juger la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE irrecevable et infondée en son appel.

– la débouter de toutes ses demandes, fins et prétentions.

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il condamne la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à verser à M. [H] :

* 18.193,45 euros de rappel d’heures supplémentaires effectuées de la date de son embauche au jour de son départ de la société.

* 1.820 euros de rappel de congés payés sur ce rappel d’heures supplémentaires.

* 3.128,10 euros au titre du préjudice subi pour l’absence de contrepartie obligatoire en repos.

* 17.001,60 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de l’article L.8223.1 du code du travail pour travail dissimulé.

* 1.500 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile.

– confirmer aussi le jugement entrepris en ce qu’il condamne la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à remettre à M. [H] les bulletins de salaire rectifiés dans les conditions de la décision, sous astreinte de 20 euros par jour de retard à l’issue de 30 jours suivant la notification de l’arrêt à intervenir.

– dire et juger que M. [H] recevable et bien fondé en son appel.

– infirmer le jugement de première instance du 19 octobre 2020 en ce qu’il l’a débouté de ses demandes formulées aux motifs d’une exécution déloyale de son contrat de travail et/ou l’accord collectif et d’une requalification de sa démission en une prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur, elle-même requalifiée en licenciement abusif.

Statuant à nouveau :

– condamner la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à verser à M. [H] les sommes de :

* 3.000 euros en réparation du préjudice qu’elle lui a fait subir en n’exécutant pas de manière loyale le contrat de travail et/ou l’accord collectif.

– requalifier la démission de M. [H] en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail.

– dire et juger la prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur en raison de manquements graves et caractérisés.

– requalifier à la suite la prise d’acte en un licenciement abusif .

– condamner à ce titre la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à verser à M. [H] :

* 2.267,97 euros d’indemnité légale de licenciement.

* 10.205,88 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

– condamner la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à verser à M. [H] 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– condamner la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

1. Sur les heures supplémentaires et la contrepartie en repos

En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments, après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties. Dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Ainsi, M. [H], qui soutient avoir accompli de nombreuses heures supplémentaires non payées, produit les éléments suivants :

– l’attestation de M. [I], responsable informatique de la société, qui indique : ‘il (M. [H]) m’a assisté sur toutes les interventions et déplacements sans jamais compter ses heures pour mener ses opérations à succès. Son investissement et le solde d’heures supplémentaires est énorme’.

– l’attestation de M. [W], alternant, qui indique : ‘M. [H] n’a jamais compté ses heures et a effectué beaucoup d’heures supplémentaires’.

– l’attestation de Mme [J], responsable moyens généraux à la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE, qui indique : ‘j’ai pu également constater le nombre d’heures supplémentaires qu’il a effectuées à ce titre’.

– l’attestation de M. [E], agent d’entretien, qui atteste que M. [H] effectuait un ‘travail au-delà des horaires’.

– l’attestation de Mme [O], comptable, qui indique que M. [H] ‘ a été présent et a accompagné M. [C] [I] sur l’ensemble des projets informatiques sans jamais compter ni rechigner sur les heures à faire’.

– le règlement intérieur (en son article 6), l’accord d’aménagement de réduction du temps de travail du 22 décembre 1999 et l’avenant du 30 juin 2008 qui indiquent que toute entrée et/ou sortie donne lieu à pointage par le salarié et, concernant les salariés itinérants, qui prévoient les dispositions suivantes : ‘contrôle des heures travaillées : les salariés itinérants sont soumis au pointage. Cependant, en raison de la liberté qui leur est laissée dans leur organisation propre, l’enregistrement hebdomadaire de leur durée de travail est de leur responsabilité.

Ils doivent utiliser les supports de suivi et de contrôle (ex: agenda, Lotus Note, tooltime …), les soumettre à leur responsables hiérarchique et les transmettre au service des Ressources Humaines’.

– les relevés de pointage des années 2016, 2017 et 2018 et les décomptes des heures supplémentaires qui en découlent.

L’ensemble de ces éléments sont assurément suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que M. [H] prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement.

Pour sa part, la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE fait valoir que :

– les documents produits par M. [I] ne sont pas probants en ce que les attestations ne sont pas circonstanciées quant à la matérialité des horaires évoqués et les décomptes produits ne sont étayés par aucune pièce recevable.

– les heures supplémentaires étant interdites au sein de la société, M. [H] ne démontre pas qu’elles ont été effectuées à la demande l’employeur et ses allégations ne sont pas compatibles avec les propositions que le salarié avait faites à son employeur par mail du 6 juin 2018, à savoir de modifier le cycle de travail et d’effectuer le travail ordinaire de cinq jours dans une semaine de quatre jours, tout en s’engageant à ce qu’une personne soit toujours présente à la DSI pour couvrir les cinq jours ouvrés de la société. Les allégations du salarié sont également contredites par l’attestation établie par la société FM Infogérance, prestataire informatique à qui a été confiée la gestion informatique depuis les départs soudains et concomitants de Messieurs [H] et [I], et qui indique être intervenue à deux reprises seulement en dehors des heures et jours ouvrés dans le cadre d’interventions planifiées nécessitant un arrêt momentané de l’activité, en 23 mois, et n’avoir jamais eu à intervenir en dehors des heures de travail ordinaires entre le 1er janvier 2019 et le 3 décembre 2020.

– M. [H] faisait partie des rares personnes ayant accès aux dossiers et fichiers des mots de passe administrateurs du système informatique de sorte que les relevés informatiques produits n’ont plus aucune valeur probante.

– les tableaux et décomptes produits par M. [H] ne sont pas conformes aux règles de l’entreprise en ce que le poste de travail du salarié relevait de la catégorie des agents administratifs itinérants auxquels sont appliqués des règles spécifiques en raison de l’indépendance et de l’autonomie dont disposent ces salariés dans l’exercice de leurs fonctions (l’horaire hebdomadaire est de 36 heures 40 mais les agents sont libres de répartir leur temps de travail de manière inégale entre 7 heures et 20 heures sous réserve de respecter des coupures minimales de 45 minutes pour chaque journée de travail et de ne pas faire plus de 10 heures de travail effectif, interdiction d’effectuer des heures supplémentaires mais possibilité d’effectuer des heures additionnelles dans la limite de 4 heures 20 par semaine sous réserve de récupérer les crédits et débits d’heures dans leur plage de travail, impossibilité de reporter les crédits d’heures d’une année sur l’autre et contrôle des heures travaillés placé sous la responsabilité du salarié itinérant qui doit les soumettre à son supérieur hiérarchique).

* * *

Alors qu’il appartient à l’employeur d’assurer le contrôle des heures de travail effectuées par son salarié, la cour constate que la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE ne produit, au titre de ses propres pièces, qu’une liste des salariés ayant accès aux dossiers et fichiers des mots de passe ainsi que l’attestation de la société FM Infogérance, mais ne produit pas les relevés d’ heures de travail accomplies par le salarié issus du système d’enregistrement automatique en vigueur au sein de la société.

Pour sa part, M. [H] produit des relevés qui récapitulent précisément les heures de travail effectuées et les heures supplémentaires qui en découlent, en mentionnant, par jour, l’heure de sa prise de poste le matin, le temps de la coupure du déjeuner et l’heure de sortie, le soir et aucune des pièces de l’employeur ne vient contredire la matérialité de ces données.

Notamment, le simple fait que M. [H] avait accès aux dossiers et fichiers des mots de passe administrateurs du système informatique n’est pas de nature à remettre en cause la fiabilité des relevés produits par le salarié à défaut d’éléments précis démontrant que lesdits relevés ont été effectivement modifiés frauduleusement.

Par ailleurs, le rappel par l’employeur des règles conventionnelles et contractuelles en vigueur au sein de l’entreprise est inopérant dès lors que le salarié soutient qu’elles n’ont pas été respectées à son égard et notamment qu’il n’a pas été en mesure de procéder au report de ses crédits d’heures dans les conditions prévues par les accords et le contrat de travail et ce nonobstant les propositions d’organisation du temps de travail qui ont été présentées à l’employeur par son supérieur hiérarchique.

Enfin, il résulte des attestations produites – qui émanent de salariés ayant travaillé avec M. [H] et ayant personnellement constaté les faits précis qu’ils décrivent – que les heures supplémentaires ont été rendues nécessaires par la charge de travail imposée à M. [H]. Alors que M. [H] prétend que les prestations confiées à la société FM Infogérance ne couvrait de que 20% de ses attributions, la simple attestation de ladite société produite par la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE n’établit pas une équivalence entre le nombre d’interventions déclarées par la société FM Infogérance et la charge de travail effective et totale qui était celle de M. [H].

Ainsi, il résulte de l’examen de l’ensemble des éléments fournis par le salarié et par l’employeur que la cour a la conviction que M. [H] a bien accompli des heures supplémentaires dans les proportions indiquées dans ses conclusions et décomptes.

Ainsi, par confirmation du jugement, il convient d’accorder à M. [H] la somme de 18.193,45 euros à titre d’ heures supplémentaires et la somme de 1.820 euros à titre de congés payés afférents.

Dans le cadre d’un contingent annuel d’heures supplémentaires de 220 heures et au regard des heures supplémentaires accomplies par M. [H] au-delà du contingent légal, en 2016 et en 2018, il convient de confirmer la disposition du jugement du conseil de prud’hommes ayant condamné l’employeur à payer une indemnité équivalente au préjudice subi pour l’absence de contrepartie obligatoire en repos, à savoir la somme de 3.128,10 euros.

2. Sur la demande d’indemnité au titre d’un travail dissimulé

M. [H] sollicite la condamnation de la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE au titre des dispositions de l’article L.8223-5 du code du travail en ce que celle-ci a mentionné sur les bulletins de salaire un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli et ce de façon intentionnelle dès lors qu’elle avait tous les éléments et documents à sa disposition (feuilles de pointage, logiciel Tooltime et l’information du salarié lui-même) pour établir les bulletins de salaire conformes au temps de travail réellement exécuté.

La SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE soutient que le salarié ne communique aucune pièce attestant de l’intention de dissimulation de l’employeur et les accords d’entreprise démontrent que les heures supplémentaires étaient interdites.

* * *

L’article L 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

(…) 2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.

L’article L 8223-1 du code du travail prévoit qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Il appartient au salarié d’apporter la preuve d’une omission intentionnelle de l’employeur.

En l’espèce, le volume des heures concernées, la persistance et la constance dans le temps du recours aux heures supplémentaires non payées, l’absence totale de mention sur les bulletins de paie de l’accomplissement de la moindre heure supplémentaire, la présence d’un système d’enregistrement automatique des heures impliquant que l’employeur avait connaissance immédiatement du nombre d’heures effectivement accomplies par son salarié, caractérisent assurément l’intention frauduleuse de la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE. Cet agissement est constitutif d’un travail dissimulé justifiant l’allocation de l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L.8223-1 du code du travail.

Par confirmation du jugement, la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE sera en conséquence condamnée à payer à M. [H] la somme de 17.001,60 euros correspondant à six mois de salaire.

3. Sur la demande de dommages-intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail

M. [H] fait valoir que l’employeur ne respectait pas la législation sur la durée du travail et les relevés de pointage indiquent qu’il a été contraint de rester à son poste de travail plus de 10 heures par jour pour exécuter un travail effectif.

La SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE ne conclut pas sur ce point.

* * *

Il ressort des relevés de pointage que M. [H] a été amené à travailler au-delà des limites posées par l’avenant n°4 du 30 juin 2008 relatif à l’aménagement et la réduction du temps de travail au sein de la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE et qui prévoit qu’une durée de travail ne doit jamais excéder 10 heures, et notamment :

– le15 novembre 2016 : 10 heures et 22 minutes.

– le 16 novembre 2016 : 10 heures et 26 minutes.

– le 17 novembre 2016 : 10 heures et 23 minutes.

– le 28 février 2017 : 10 heures 27 minutes.

– le1er mars 2017 : 10 heures 24 minutes.

– le 29 mars 2017 : 10 heures 57 minutes.

– le 1er juin 2017 : 10 heures 27 minutes.

– le 2 juin 2017 : 10 heures et 17 minutes.

– le 14 novembre 2017 : 10 heures 38 minutes.

– le 21 novembre 2017 : 11 heures et 6 minutes.

– le 8 janvier 2018 : 10 heures 32 minutes.

– le 18 janvier 2018 : 11 heures 32 minutes.

Les manquements réitérés de la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE sont donc caractérisés.

Ces amplitudes de travail a causé à M. [H] un préjudice direct sur sa vie familiale et sur sa santé ainsi qu’il résulte des attestations de Mme [H] et des alertes de M. [I] auprès de l’employeur (pièce 31).

Ainsi, par infirmation du jugement, il convient d’accorder à M. [H] la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts.

II. Sur la demande de requalification de la démission en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [H] invoque les heures supplémentaires qu’il effectuait et la surcharge de travail qui empiétait sur sa vie familiale de manière préjudiciable. Il s’en était plaint auprès de son employeur par l’intermédiaire de son supérieur hiérarchique, M. [I] et, en l’absence de remise en cause des heures supplémentaires par l’employeur, M. [I] avait proposé une nouvelle organisation du travail qui n’engendrerait plus d’heures supplémentaires et préserverait la vie de famille, proposition qui a été rejetée par l’employeur. M.[H] explique que, ne pouvant plus continuer de travailler dans ces conditions, il a notifié sa démission, le 14 octobre 2018, et a saisi le conseil de prud’hommes pour voir requalifier cette démission – qui est équivoque même si elle ne contient pas en elle-même, les griefs évoqués – en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE conclut que M. [H] n’a pas pris acte de la rupture de son contrat puisqu’il a signifié une démission claire et non équivoque car elle ne fait état d’aucun manquement de l’employeur. De plus, alors que le salarié doit justifier de l’existence d’un différend antérieur ou contemporain à la démission et que la démission a été précédée d’une réclamation directe ou indirecte du salarié, M. [H] ne s’est jamais manifesté puisque le dossier a été entièrement construit par M. [I]. Enfin, dès lors que la situation présente un caractère ancien, le non-paiement de toutes les heures supplémentaires ne constitue pas un manquement suffisamment grave de nature à justifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail.

* * *

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié remet en cause sa démission en raison de faits ou manquements imputables à son employeur et lorsqu’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, la démission doit être analysée en une prise d’acte qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d’une démission.

Il ressort des échanges de mails intervenus en avril 2017, entre M. [I], supérieur hiérarchique de M. [H], et la direction que la circonstance d’un nombre d’heures supplémentaires excessif réalisées au sein du service informatique au mépris du respect de la vie privée des salariés, a été dénoncée par M. [I], lequel faisait directement référence à la situation de son subordonné, M. [H]. Par ailleurs, dès le 11 janvier 2019, M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes pour dénoncer le manquement de l’employeur en lien avec sa démission.

Ainsi, l’existence d’un différend et de griefs dénoncés par M. [H] sont bien antérieurs mais également contemporains à sa démission intervenue le 14 octobre 2018, ce qui la rend équivoque. La démission doit en conséquence être requalifiée en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail.

Il a été établi que M. [H] avait bien effectué de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées, au-delà même du contingent annuel autorisé . De plus, la violation des règles relatives à la durée quotidienne de travail en vigueur au sein de la société est également établie. Ces manquements, du fait de leur réitération, de leur ampleur et de leurs conséquences sur la vie privée et familiale du salarié, constituent des manquements suffisamment graves de l’employeur à ses obligations pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

En conséquence, et par infirmation du jugement, la démission doit être analysée en une prise d’acte qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il convient d’accorder à M. [H] la somme de 2.267,97 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement.

En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, et compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (39 ans), de son ancienneté (2 ans révolus), de sa qualification, de sa rémunération (3.401,96 euros ), des circonstances de la rupture mais également de l’absence de justification de sa situation professionnelle postérieurement à la rupture du contrat de travail, il convient d’allouer à M. [H] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 10.205,88 euros.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné la remise de bulletins de salaire rectificatifs conformes à la teneur de la décision du justice mais sera infirmé en ce qu’il a ordonné une astreinte dès lors qu’aucun élément laissant craindre une résistance de la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE n’est versé au débat.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées et il est équitable de condamner la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à payer à M. [H] la somme de 1.500 € au titre des frais non compris dans les dépens qu’il a engagés en cause d’appel.

Les dépens d’appel seront à la charge de la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE, partie succombante par application de l’article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud’homale,

Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions ayant rejeté la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, la demande de requalification de la démission en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les demandes en paiement d’une indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et sauf en sa disposition ayant fait droit à la demande d’astreinte,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Requalifie la démission de M. [Y] [H] intervenue le 14 octobre 2018 en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à payer à M. [Y] [H] les sommes de :

– 3.000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

– 2.267,97 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 10.205,88 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Rejette la demande au titre de l’astreinte,

Y ajoutant,

Condamne la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE à payer à M. [Y] [H] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Condamne la SA HABITATIONS DE HAUTE PROVENCE aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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