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ARRÊT DU
14 MARS 2023
PF/CO
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N° RG 21/01040 –
N° Portalis DBVO-V-B7F-C6KD
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[V] [T]
C/
SAS JUNGHEINRICH FRANCE
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Grosse délivrée
le :
à
ARRÊT n° 54 /2023
COUR D’APPEL D’AGEN
Chambre Sociale
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d’appel d’Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le quatorze mars deux mille vingt trois par Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de président assistée de Chloé ORRIERE, greffier
La COUR d’APPEL D’AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l’affaire
ENTRE :
[V] [T]
né le 09 décembre 1975 à [Localité 6] ([Localité 1])
demeurant [Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Laurent HUC, avocat inscrit au barreau du GERS
APPELANT d’un jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AUCH en date du 11 octobre 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 20/00060
d’une part,
ET :
La SAS JUNGHEINRICH FRANCE prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 3]
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Antoine PASQUET, avocat inscrit au barreau de PARIS
INTIMÉE
d’autre part,
A rendu l’arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 10 janvier 2023 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller rapporteur, assistée de Chloé ORRIERE, greffier. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré rendu compte à la cour composée, outre lui-même, de Jean-Yves SEGONNES et Benjamin FAURE, conseillers, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l’arrêt serait rendu.
* *
*
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Selon contrat de travail à durée indéterminée du 12 novembre 2014, M. [V] [T] a été embauché par la société Jungheinrich spécialisée dans la fabrication, la commercialisation et l’entretien de chariots élévateurs ainsi que l’offre de solutions de logistique, dont le siège social est situé à [Localité 7] (78),en qualité de vendeur secteur, statut cadre. Par la suite, le poste sera renommé chargé d’affaires.
La convention collective applicable est celle des commerces de gros du 23 juin 1970.
Le 25 avril 2019, M. [V] [T] a sollicité le versement de la somme de 20 000 euros au titre du préjudice subi dû à la baisse de sa rémunération et de la modification unilatérale de son contrat de travail, suite au retrait d’un client en 2017.
Le 16 mai 2019, la société Jungheinrich a répondu que cette perte de rémunération ne résultait pas du retrait du client, mais « d’une insuffisance prospection et d’un insuffisant suivi des affaires détectées », et que le « retrait d’un client de l’ensemble de son portefeuille ne constitue aucune modification de la structure de la rémunération : celle-ci reste inchangée ».
Le 25 juillet 2019, Mme [X] [H], chef des ventes, a adressé un courriel à M. [V] [T] lui indiquant qu’elle attendait de lui un investissement important sur les mois à venir afin d’atteindre ses objectifs.
Le 23 septembre 2019, l’employeur lui a notifié un avertissement selon les termes suivants concernant un appel d’offre auprès de la société UPSA. :
Par courrier du 15 janvier 2020, M. [V] [T] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 30 janvier 2020.
Par courrier du 5 février 2020, la société Jungheinrich a notifié son licenciement à M. [V] [T] pour insuffisance, aux motifs suivants :
« Lors de cet entretien, nous vous avons exposé les motifs qui nous ont conduits à envisager une mesure pouvant aller jusqu’à votre licenciement. Nous avons pris bonne note des observations que vous avez tenu à nous apporter au cours de cet échange. Cependant, elle ne nous ont pas permis de modifier l’appréciation des faits qui vous sont reprochés et qui nous contraignent à vous notifier votre licenciement, en raison des griefs rappelés ci-après.
Vous êtes Chargé d’Affaires à notre agence de [Localité 6] depuis novembre 2014.
Vos missions consiste à développer les ventes de produits et de services JUNGHEINRICH sur votre secteur, à assurer un reporting hebdomadaire ainsi que la remontée d’information à votre hiérarchie sur la concurrence, l’état du marché, vos actions commerciales via les outils informatiques mis à votre disposition.
Vous avez en charge les départements 32 et 47 que vous travaillez depuis votre entrée dans l’entreprise, de sorte que vous devez avoir une bonne connaissance des entreprises qui les composent.
Tout au long de l’année 2019, nous avons eu à déplorer un manque d’engagement et une activité insuffisante qui s’est traduite en fin d’année par des résultats très en deçà de ce qu’ils auraient dû être compte tenu de votre ancienneté et de votre expérience.
Mi-juillet, votre supérieure vous a alerté sur la faiblesse de ces résultats. Vous avez alors pris l’engagement d’un plus grand investissement. Or, les mois qui ont suivi n’ont fait que confirmer cette tendance tant par le manque de résultat que par les erreurs et négligences commises.
Vous résultat à la fin de décembre en sont l’illustration.
– Sur les ventes de chariots neufs (AE Secteur) vous totalisez 28 ventes sur un objectif annuel fixé à 64 soit 44 % de votre objectif.
– Sur les ventes de chariots neufs GC, vous réalisez 8 ventes pour un objectif annuel de 58 soit 13,5% de votre objectif.
Votre performance en vente de chariots neufs est nettement en dessous de celle des CA de l’agence. Pourtant le potentiel de votre marché est parmi les plus importants de l’agence.
– Votre part de marché s’établit à 5,2 % pour un objectif à 16 %. La part de marché de l’agence et à 16,2%
– Concernant vos engagements de vente, seul l’engagement de mars a été respecté soit un seul engagement en 12 mois. Ces informatisions sont pourtant essentielles pour la planification de nos productions usine.
C’est mauvais résultats s’expliquent par :
– Des visites insuffisantes : la moyenne de vos visites journalières en 2019 s’établit à 3,9 alors qu’elle devrait être au moins de 5,5.
Sur le département 32 vous n’avez visité que 32% des clients depuis 2017.
Sur le département 47 vous n’avez visité que 21% des clients depuis 2017.
– Des comptes importants insuffisamment travaillés : par exemple Syngenta et maître [D] (clients classe A) une visite par an ; Knauf qui nous indique qu’il n’a pas vu de commercial Jungheinrich depuis plusieurs années.
– Des leads qui vous sont adressés et que vous n’exploitez pas avec diligence malgré la faiblesse de vos résultats.
– Des dossiers insuffisamment préparés qui doivent être repris par votre supérieur. C’est le cas de l’affaire [Z] pour lequel un rendez-vous de négociation n’avait pas été préparé et qui a conduit votre supérieur à devoir négocier avec le client, par téléphone, une affaire de 5 chariots ou encore du dossier [E] que votre supérieur as dû reprendre.
Par ailleurs, alors que l’ensemble de la force commerciale est fortement sensibilisé sur la question de la rentabilité et de la préservation des marges, vous avez de grandes difficultés à assurer la rentabilité des affaires que vous traitez : (dossiers Nutriscience, Sas les Chats de la forge, et [F]).
Le dossier [O] est aussi une situation que vous n’avez pas su gérer. Ce client a eu des problèmes de financement pour des matériels qui lui étaient livrés. Ce n’est que grâce à l’intervention de votre supérieur qu’une solution a pu être trouvée après plusieurs mois d’inaction de votre part.
C’est insuffisance patente, notamment au regard de votre statut de vendeur expérimenté, nous conduit aujourd’hui à mettre un terme à votre contrat de travail.
Votre préavis d’une durée de 3 mois débutera le lendemain du jour de la première présentation de ce courrier.
Nous vous dispensons de toutes activités durant cette période, votre rémunération continuant à vous être versée aux échéances habituelles.
(‘) »
M. [V] [T] a saisi le conseil de prud’hommes d’Auch le 24 juillet 2020, aux fins notamment de voir reconnaître son licenciement comme étant abusif et condamner la société Jungheinrich à lui verser diverses sommes à ce titre.
Par jugement du 11 octobre 2021, le conseil de prud’hommes d’Auch, section encadrement, a :
– dit que le licenciement de M. [V] [T] notifié le 5 février 2020 reposait bien sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté M. [V] [T] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné M. [V] [T] à payer à la société Jungheinrich la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– mis à la charge de M. [V] [T] les éventuels dépens de l’instance.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 26 novembre 2021, M. [V] [T] a régulièrement déclaré former appel du jugement, en désignant la société Jungheinrich en qualité de partie intimée et en visant les chefs de jugement critiqué qu’il cite dans sa déclaration d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 novembre 2022 et l’affaire fixée pour plaider à l’audience du 10 janvier 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
I. Moyens et prétentions de M. [V] [T] appelant principal
Dans ses conclusions, enregistrées au greffe le 02 août 2022, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l’appelant, M. [V] [T] demande à la cour de :
– Infirmer le jugement en date du 11 octobre 2021 en ce qu’il a :
– dit que son licenciement notifié le 5 février 2020 reposait sur une cause réelle et sérieuse,
– l’a condamné à payer à la société Jungheinrich la somme de 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– mis à sa charge les éventuels dépens de l’instance,
– l’a débouté de l’ensemble de ses demandes à savoir :
– la reconnaissance du licenciement sans cause réelle et sérieux et la condamnation de la société Jungheinrich à hauteur de 31 848 euros au titre des indemnités de licenciement,
– la condamnation de la société Jungheinrich à 10 000 euros au titre de la perte de salaire et de son préjudice moral,
– la condamnation de la société Jungheinrich à 5 500 euros au titre des commissions impayées,
– la remise d’une nouvelle attestation pôle emploi et bulletins correspondants sous astreinte de 50 euros par jours de retard à compter de la décision à venir,
– la condamnation de la société Jungheinrich à 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau :
– dire et juger que les motifs invoqués à l’appui de son licenciement, à savoir l’absence de résultats et l’insuffisance professionnelle ne sont pas fondés,
– dire et juger en conséquence que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et par conséquent abusif,
– condamner la société Jungheinrich au paiement de la somme de 31 848 euros brut au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Jungheinrich à verser une indemnité au titre de dommages et intérêts qui ne sauraient être inférieurs à 10 000 euros,
– prendre acte du réglement de la société Jungheinrich à hauteur de 2 090,44 euros au titre de la commission pour le dossier Ethiquable
– condamner la société Jungheinrich à régulariser l’attestation Pôle emploi et à lui en délivrer une nouvelle sous astreinte de 50 euros par jours de retard à compter de la décision à venir,
– condamner la société Jungheinrich sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile lui à verser la somme de 3 000 euros au titre de la première instance et de 2 000 euros au titre de l’appel
Au soutien de ses prétentions, M. [V] [T] fait valoir que :
I. Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse
Sur le licenciement pour insuffisance de résultats déduit d’une comparaison inégale prenant en compte des faits non imputables au salarié et s’appuyant sur des moments épars de sa carrière
– l’employeur doit apporter la preuve d’éléments objectifs et matériellement vérifiables
– le conseil n’a retenu que les seuls résultats sur l’exercice 2019 alors qu’il avait été le meilleur vendeur en 2015, 2016 et 2018
– Sur l’année 2019, il a rempli ses objectifs sur l’occasion. Le conseil de prud’hommes ne s’est basé que sur une partie de ses ventes, à savoir la vente de matériel neuf
– les tableaux versés aux débats ne concernent que les chariots neufs et non ceux d’occasion ou le rayonnage, qui n’ont jamais été produits
– il obtenait de ‘bons résultats sur l’occasion’
– le conseil ne s’est basé que sur une partie de ses ventes de matériel neuf
– l’employeur a choisi de privilégier les ventes de chariots neufs
– or, le retrait de son client, la société Satar en 2017, a fortement impacté ses chiffres
-les tableaux versés démontrent que ses résultats étaient meilleurs que ceux de ses collègues sur le secteur des chariots neufs :
– en 2015 : 67 ventes pour lui, contre 34 pour M. [I] et 46 pour M. [Y],
– en 2016 : 80 ventes pour lui, contre 47,5 pour M. [I] et 41 pour M. [Y]
– ses résultats en 2019 ne peuvent pas être comparés à ceux de ses deux collègues qui bénéficiaient de secteurs grands comptes alors qu’à cette époque, il n’intervenait plus que sur le département du Gers et une partie du Lot-et-Garonne.
– en créant une confusion entre les ventes de chariots neufs et d’occasion et la vente secteurs et grands comptes, la comparaison est faussée et la preuve de l’existence d’une cause réelle et sérieuse n’est pas rapportée
– les collaborateurs doivent ête placés dans les mêmes conditions pour comparer leurs résultats, ce qui n’est pas le cas en l’espèce
– il a subi des pressions pour accroître ses résultats en prospection alors qu’il ne pouvait pas modifier les paramètres de vente extérieurs
– son démarrage en 2020 n’a pas été produit aux débats, alors que le volume de ses commandes était important
– si les objectifs n’ont pas été atteints en 2019, cela tient aux difficultés de communication avec la direction et sa supérieure, Mme [X] [H]
– La direction incite le commercial à se fixer des objectifs mensuels qui ne correspondent pas forcément à la réalité du marché, ni à l’objectif annuel. Il s’agit en réalité « d’engagements de vente », qui n’ont jamais été contractualisés. Ainsi son licenciement ne peut reposer sur un engagement de vente qui lui a été imposé et qui n’est pas prévu dans son contrat de travail
Sur l’absence de visite des clients :
– Il n’avait obligation contractuelle quant au nombre de visite à effectuer et ses objectifs pouvaient être atteints sans. L’opposabilité au salarié de la clause contractuelle d’objectifs est subordonnée à trois conditions cumulatives, qui n’ont pas été respectées :
– l’employeur doit prouver que les objectifs assignés étaient réalistes et réalisables : la perte du client Satar, pour lequel il consacrait la majeure partie de son temps de travail, a rendu impossible la réalisation de ses objectifs. Il n’avait pas sollicité le retrait de ce client, mais seulement une aide administrative. Sa zone de prospection a été directement impactée par le choix de la direction, et les objectifs demandés étaient irréalisables au regard de sa zone de prospection. La suppression de son client principal a entraîné une baisse de sa rémunération sans que ne soit changé ses objectifs. La modification de la part variable de la rémunération suite à une réorganisation de l’entreprise constitue une modification du contrat de travail si elle n’est pas assortie d’une garantie suffisante,
– les critères et modalités d’application des objectifs ne doivent pas être purement potestatifs, ils ne doivent donc pas dépendre de la seule volonté de l’employeur : l’employeur a fixé, de manière unilatérale, les éventuels objectifs, sans rapport avec les possibilités de travail offertes, puisqu’il avait perdu son principal client
– le principe même de ces objectifs doit avoir été préalablement accepté de manière expresse par le salarié : le seul document qu’il a signé lui a été imposé sans concertation et le détail ne lui a pas été donné.
– La décision de l’employeur de le licencier pour insuffisance de résultats doit être requalifiée en licenciement abusif
Sur la gestion des dossiers clients :
– Il n’a jamais délaissé ses clients et a toujours tenté de trouver une solution quand un problème survenait. Il a suivi ses dossiers et n’a perdu aucun client, l’employeur n’a subi aucun préjudice :
– dossier UPSA : alors même qu’il travaillait sur ce dossier pendant ses vacances d’été, il n’a eu aucun retour de sa hiérarchie, ce qui explique le retard.
– dossier [K] : ce client a déploré un manque de visite en octobre 2019. Il verse aux débats les échanges avec le responsable logistique du client, qui démontre que celui-ci était peu présent sur le site . La direction ne l’a d’ailleurs jamais avisé d’un éventuel défaut de suivi, sachant que le nombre de visite n’était pas pour autant facteur de commandes.
– dossier SYNGENTA : l’employeur invoque une absence de suivi relayé par le client qui souhaitait un rendez-vous annuel. Des échanges de courriels remontant à octobre 2018 démontrent que le client était suivi, avec un renvoi sur le premier trimestre 2019, or la direction n’a là encore donné aucune suite à ses demandes.
– dossier CHAIS DE LA FORGE : il ne peut lui être reproché un problème de marge, alors que les commandes recevaient toute l’approbation de Mme [X] [H] qui devaient valider les conditions tarifaires.
– dossier [F] : il lui reproché d’avoir procédé à une offre commerciale au client et d’avoir signé le bon de commande sans avoir préalablement validé le prix avec sa hiérarchie. Or, le client a bien validé les conditions de paiement et la relation commerciale, il n’y a donc eu aucune conséquence pour la société
– dossier EARL DE BREIZH : le client s’est plaint d’une absence de réponse quant à l’achat d’un matériel. L’offre a été formulée le 11 juillet 2019 et l’événement n’a eu aucune conséquence pour la société
– dossier [E] : il lui est reproché d’avoir appliqué une marge négative. Or il avait informé Mme [X] [H] des négociations en cours. Il lui était très difficile de pouvoir formuler une offre cohérente au client sans retour de sa hiérarchie. D’ailleurs, avant son départ, une commande rayonnage à hauteur de 200 000 euros a été effectuée
– dossier [O] : il lui est reproché une absence de suivi du dossier financement. Or c’est M. [W], vendeur sédentaire, qui a proposé au client d’opter pour un crédit-bail sans passer par les moyens de financement de la société. Il n’était donc pas à l’origine de l’opération et a d’ailleurs interrogé Mme [X] [H] sur ce dossier
– dossier [Z] : une erreur de commande invoquée n’a causé aucune perte à la société
– dossier NUTRISCIENCE : il a commis une erreur en omettant une option demandée par le client sur le produit. Il a finalement trouvé une solution, satisfaisant toutes les parties
– Plusieurs collègues et clients attestent de son professionnalisme. M. [P], vendeur SAV et M. [S] [J] témoignent n’avoir rencontré aucune difficulté à prendre sa suite sur le secteur du Lot
– La société [E] atteste que les relations se sont dégradées depuis son départ.
– M. [N], client, indique regretter son départ
II. Sur la réparation du préjudice
Sur l’indemnité au titre du licenciement abusif et la délivrance d’une attestation Pôle-emploi modifiée :
– Sur son attestation Pôle-emploi, ses revenus moyens sur les 12 derniers mois sont de 3 479 euros bruts, alors qu’il convient de prendre en compte les primes perçues, augmentant en réalité le revenu moyen à la somme de 3 981 euros bruts. Il sollicite l’octroi de la somme de 31 848 euros, équivalente à huit mois de salaire.
Sur le préjudice matériel et moral :
– L’employeur n’a pas nié l’existence d’un préjudice moral ou la perte de rémunération suite à la perte de son principal client, SATAR. L’employeur a tout mis en place pour dégrader ses conditions de travail. Depuis la perte de ce client, il ne pouvait correctement remplir ses objectifs. Il est légitime à revendiquer une compensation sur son manque à gagner en 2017
– Cette situation a entraîné une perte financière estimée à 20000 euros, ce qui lui a causé directement un préjudice. Entre 2016 et 2017, son avis d’imposition fait état d’une différence liée indubitablement à la perte de ce client
– A ce jour, il n’a retrouvé aucune activité et son ancien employeur livre une très mauvaise image de lui aux employeurs potentiels. Il présente une « dépression réactionnelle à des événements douloureux de cette année 2020 », comme l’a indiqué le Docteur [L]. Mme [A] [M], son ex-compagne, a également témoigné des conséquences désastreuses sur sa santé psychologique
Sur l’absence de règlement des commissions :
– l’employeur a fini par lui régler la commission due dans le dossier ethiquable à hauteur de 2 090,44 euros avant impôts . Il prend acte dudit réglement
– il demande la remise des documents de fin de contrat sous astreinte de 50 euros par jour de retard
II. Moyens et prétentions de la société Jungheinrich, intimée sur appel principal
Dans ses dernières conclusions enregistrées au greffe le 24 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour une parfaite connaissance des moyens et prétentions, la société Jungheinrich demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Auch le 11 octobre 2021
– en conséquence, débouter M. [V] [T] de l’ensemble de ses demandes
Et y ajoutant :
– condamner M. [V] [T] à lui verser une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, l’employeur, la société Jungheinrich, fait valoir que :
I. Sur le licenciement pour cause réelle et sérieuse
L’insuffisance des résultats de M. [V] [T] est établie :
– En 2019, le salarié devait vendre 64 chariots sur son secteur et 58 chariots auprès de clients grands comptes. Il a finalement réalisé 28 ventes sur son secteur et 8 ventes auprès de clients grands comptes. Cet objectif avait été porté à la connaissance du salarié le 3 janvier 2019, qui ne l’a jamais contesté. Le salarié n’a pas respecté ses propres engagements mensuels de vente, à l’exception d’un seul mois.
– A titre de comparaison, M. [C] a vendu 49 chariots sur son secteur et 126 chariots à des clients grands comptes. Des résultats supérieurs ont été réalisés par d’autres salariés comme M. [W], M. [B] [G], M. [Y], M. [R], M. [J].
– Avec 36 ventes, le salarié était classé dernier vendeur.
– Contrairement à ce que prétend le salarié, il n’était pas le meilleur vendeur en 2015 mais M. [I]. En 2016, il s’agissait de MM. [I] et [Y].
L’insuffisance de résultats est imputable à M. [V] [T] :
– Le salarié a été alerté à plusieurs reprises. Lorsque son chef des ventes lui avait indiqué qu’il devait davantage s’investir, le salarié avait même répondu par courriel du 26 juillet 2019 « Tu pourras compter sur moi pour le 2ème semestre ». Cependant, le salarié n’a pas amélioré sa situation, justifiant l’avertissement notifié deux mois après seulement. Après avoir vendu seulement 15,5 chariots au premier semestre, il n’en vendait finalement que 12,5 au second semestre.
– Cette insuffisance de résultats s’explique notamment par une insuffisance de prospection. Il n’a réalisé que 3,9 visites quotidiennes en moyenne. Depuis 2017, le salarié n’a visité que 28% des clients et prospects de son secteur commercial. S’il est possible que le chiffre puisse être réalisé sans procéder à un nombre minimum de visites, cet argument est malvenu puisque lui-même a réalisé le chiffre de vente le plus bas de l’agence.
– Les mauvais résultats du salarié s’expliquent par ses négligences dans le suivi commercial des clients. Le client Knauf s’était plaint le 4 octobre 2019 de ce qu’il n’avait pas reçu de visite de représentant de la société depuis plusieurs années. Le salarié tente de se défendre en produisant un courriel postérieur, daté du 17 octobre, en réponse à cette plainte. Il en est de même concernant le client Syngenta qui jugeait le suivi commercial du salarié insuffisant. Également, en juillet 2019, le client [U] avait fait part de son mécontentement alors que le salarié devait trouver une solution concernant une reprise de chariot.
– Le 26 juin 2019, les coordonnées d’un potentiel client Earl de Breizh étaient données au salarié pour que celui-ci le contacte immédiatement. Le 10 juillet sa supérieure lui faisait remarquer son inaction et il reconnaissait avoir ‘oublié’.
– Le salarié montrait des carences et négligences professionnelles dans la préparation et le traitement des dossiers :
– concernant le client [Z] : suite à un dossier insuffisamment préparé, le salarié a commandé cinq chariots avec un écart de fourches erroné, obligeant sa supérieure à lui indiquer qu’à défaut d’acceptation des chariots par le client en l’état, il y aurait une perte sèche pour la société. Le fait que le client ait accepté la commande et que l’entreprise n’ait subi aucun préjudice est inopérant,
– concernant le client [E] : sa supérieure a dû reprendre la gestion de son dossier lorsqu’elle a découvert, sans explication préalable du salarié, une proposition commerciale avec une marge négative inexpliquée de -62%,
– concernant le client [O] : après avoir été livré, le client n’a pas réglé le prix suite à un refus de financement de sa banque. Le salarié n’a pas traité le problème et la solution n’a été trouvée que plusieurs mois après
– Son attitude négligente se manifestait dans tous les domaines. Le 8 octobre 2019, sa supérieure lui a adressé un courriel concernant l’état de son véhicule de fonction, non nettoyé, accidenté sans déclaration de sinistre, sans vignette d’assurance
– Le salarié commettait aussi des négligences quant au respect des règles applicables. Il ne se souciait pas de la rentabilité et de la préservation des marges sur ses affaires. Au mois de décembre 2019, après avoir établi une commande pour le client Nutriscience, le salarié s’est aperçu qu’il avait omis une option, ce qui dégradait le marge déjà négative si le prix de vente n’était pas revu à la hausse, ce qu’avait refusait le client. Mme [X] [H] a refusé cette dégradation supplémentaire de marge, puisqu’une erreur identique s’était déjà produite le mois précédent avec le client Chais des Forges. Malgré la solution trouvée, il en est résulté une dégradation de la marge. Mme [X] [H] a dû également, concernant le client [F], valider, a posteriori, une offre en dehors des conditions tarifaires normalement possibles.
– Ces négligences se traduisent par le taux de réalisation le plus faible de l’agence, à savoir 8%, contre 47% pour M. [G].
La défense de M. [V] [T] est inopérante :
– Le salarié affirme que ses objectifs étaient irréalistes à la suite du retrait unilatéral de l’employeur du secteur du Lot en 2016 et du client Satar en 2017. Or, lors du retrait du département du Lot, le salarié ne l’a pas contesté. Ce retrait trois ans auparavant ne saurait impacter les objectifs devant être réalisés en 2019, alors même que le salarié a affirmé avoir été le meilleur vendeur de l’agence en 2016.
– Le salarié n’a jamais contesté le caractère réaliste de ses objectifs pour les années 2018 et 2019 du fait de son principal client. Sa seule contestation, en novembre 2018, ne portait que sur ses objectifs 2017. De plus, il avait atteint ces mêmes objectifs au cours de l’année 2018.
Subsidiairement, sur l’indemnité réclamée au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse :
– Le salaire moyen de M. [V] [T] sur les 12 derniers mois s’établit à 3 479,78 euros. Celui-ci ne peut prétendre qu’à une indemnité comprise entre 3 et 6 mois de salaire, puisqu’il avait 5 ans d’ancienneté. Il ne peut donc pas réclamer 31 848 euros, correspondant à 8 mois de salaire. Il ne justifie pas non plus de son préjudice au-delà de 3 mois de salaire.
II. Sur les autres demandes
Sur la demande au titre d’un préjudice matériel et moral :
– Il n’a pas dégradé les conditions de travail du salarié et n’y avait aucun intérêt. Il conteste avoir renvoyé une mauvaise image du salarié auprès de potentiels employeurs.
– La demande du salarié, en « perte de salaire », résulte de ce qu’il considère être une modification unilatérale de son contrat de travail, consistant en la perte en 2017 de rémunération variable liée au retrait du client Satar. Or, ce retrait n’a pas rendu irréalisables ses objectifs, il ne s’agit donc pas d’une modification du contrat de travail. Ce client ne représentait d’ailleurs que 8% des commissions du salarié en 2016. Selon le Cisma, syndicat des entreprises du matériel et de manutention, le volume du secteur de M. [V] [T] était estimé à 619 machines, et la part de marché de l’agence de [Localité 6] étant de 19,7% en 2017, le potentiel du secteur du salarié était de 122 chariots, de sorte que son objectif de 73 chariots était réalisable.
– Si le client Satar a été retiré de son portefeuille, c’est uniquement parce que le salarié a prétendu qu’il ne pouvait plus gérer ce client en raison d’une charge administrative trop lourde. De plus, le salarié a continué à bénéficier du commissionnement sur les matériels vendus à ce client, livrés sur son secteur, conformément aux règles de l’entreprise.
Sur la demande de rappel de commissions :
– le salarié a abandonné sa demande car les commissions lui ont été réglées. Le commissionnement concernant le dossier Ethiquable lui a été versé en mai 2022.
MOTIVATION
A titre liminaire, la cour constate qu’aux termes des écritures des parties, les commissions ont été payées et l’appelant ne sollicite plus leur règlement mais seulement d’en « prendre acte ».
Or, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les « dire et juger », les « constater » ou les « prendre acte » ne sont pas des prétentions, mais des rappels des moyens invoqués à l’appui des demandes, ne conférant pas – hormis les cas prévus par la loi – de droit à la partie qui les énonce.
I- Sur l’insuffisance de résultats :
Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
L’insuffisance de résultats se définit comme l’incapacité d’un salarié à atteindre les objectifs qui lui ont été assignés.
Aux termes de l’article L.1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.
En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l’article L.1235-2, alinéa 2 du code du travail, l’employeur reproche à M. [V] [T] une insuffisance de résultats due à ses carences et ses négligences.
Pour confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [V] [T] notifié le 5 février 2020 reposait bien sur une cause réelle et sérieuse et l’a débouté de sa demande en dommages et intérêts, la cour ajoutera que :
– l’insuffisance de résultats peut résulter de l’incapacité du salarié à atteindre des objectifs fixés. En l’espèce, l’employeur soutient que cette insuffisance de résultats résulte d’une insuffisance professionnelle due à des carences et à des négligences du salarié. Les éléments caractérisant l’insuffisance de résultats doivent être objectivement vérifiables.
– les objectifs quantifiables pour l’année 2019 ont été portés à sa connaissance par courriel du 3 janvier 2019 et le salarié ne les a pas contestés.
La cour relève qu’en 2019, l’objectif de vente de chariots neufs était de 64 alors qu’en 2018, il en avait vendu 72. En conséquence, l’objectif 2019 ne peut être qualifié d’irréalisable.
– les quotas pour lesquels il s’était lui-même engagé, dénommés «engagements de vente », fin novembre 2019, relatifs à la vente de 41 chariots n’ont pas été tenus. Il n’en a vendu que 27 soit 28 pour toute l’année 2019. Or, des objectifs définis et acceptés par le commercial, tels qu’en l’espèce, prennent une portée contractuelle si bien que le licenciement trouve sa justification dans la non réalisation de l’objectif contractuellement fixé.
– en dépit d’une mise en garde du 25 juillet 2019 et d’un avertissement du 23 septembre 2019, les résultats du salarié se sont dégradés et celui-ci n’a pas atteint les objectifs fixés qui étaient pourtant réalistes. De même qu’en première instance, le salarié impute cette baisse à la perte du client Satar et le retrait du département du Lot.
Or, le retrait de ce client a eu lieu deux ans auparavant, en 2017 et ses résultats ont été meilleurs en 2018 qu’en 2017.
De même, le retrait du département du Lot de son secteur de prospection date de 2016 et il ne l’a jamais contestée d’autant plus que son contrat de travail prévoit que la précision des départements n’a qu’une valeur informative.
– l’insuffisance des visites commerciales en 2019 et du suivi commercial est justifié par l’employeur :
– le salarié n’a réalisé que 3,9 visites commerciales en moyenne alors que la moyenne des visites par jour à l’agence de [Localité 6] est de 4,8
– en 2017, il n’a visité que 28 % des clients et prospects de son secteur
Le salarié produit des courriels pour démontrer un suivi constant depuis 2018. Mais force est de constater, qu’hormis un seul courriel daté de 2018, les suivants sont postérieurs à janvier 2020 soit après la réclamation du client Knauf du 4 octobre 2019 et du client [U] du 2 juillet 2019.
– l’employeur démontre des négligences dans le suivi des futurs clients comme l’EARL de Breizh pour lequel le salarié a reconnu sa carence par courriel du 10 juillet 2019 ou encore dans la préparation et le traitement des dossiers : [Z], Nutriscience, Chais des Forges, [F]. L’absence de préjudice causé à la société du fait des erreurs, que le salarié reconnaît avoir commises alors qu’il est un commercial expérimenté, laisse subsister sa faute.
En conséquence, la cour considère que la non réalisation des objectifs est imputable à une insuffisance professionnelle.
La cour confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [V] [T] de sa demande en régularisation de l’attestation Pôle Emploi et des bulletins correspondants sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
II- Sur la demande en dommages et intérêts
Par simple adoption de motifs, la cour confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande en dommages et intérêts en ajoutant que ce dernier ne rapporte pas la preuve d’un préjudice indemnisable.
III- Sur les demandes annexes :
M. [V] [T], qui succombe, sera condamné aux dépens d’appel et à payer à la société Jungheinrich la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour confirme la condamnation de M. [V] [T] aux dépens de première instance et sa condamnation au titre des frais non répétibles de procédure.
La cour déboute M. [V] [T] de ses demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement du 11 octobre 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [V] [T] aux dépens d’appel,
CONDAMNE M. [V] [T] à payer à la société Jungheinrich la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE M. [V] [T] de ses demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de président et Chloé ORRIERE, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT