Arrêt de la Cour d’Appel d’Agen du 29 mars 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 22/00085

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Arrêt de la Cour d’Appel d’Agen du 29 mars 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 22/00085
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ARRÊT DU

29 mars 2023

DB / NC

———————

N° RG 22/00085

N° Portalis DBVO-V-B7G -C64F

———————

SA MMA IARD

C/

[M] [W]

[Z] [W]

SAS ELUDOM

SCI R²

SAS [E]

——————

GROSSES le

aux avocats

ARRÊT n° 147-23

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Civile

LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,

ENTRE :

SOCIÉTÉ D’ASSURANCE MUTUELLE MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES pris en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège

RCS LE MANS 440 048 882

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Arnaud Silvère YANSOUNOU, membre associé de la SELARL YANSOUNOU, avocat au barreau d’AGEN

APPELANTE d’un jugement du tribunal de grande instance d’AGEN en date du 14 décembre 2021, RG 20/00766

D’une part,

ET :

Monsieur [M] [W]

né le 12 mai 1954 à [Localité 9] ([Localité 9])

de nationalité française

domicilié : [Adresse 8]

[Localité 3]

Monsieur [Z] [W]

né le 12 mai 1954 à [Localité 9] ([Localité 9])

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

SCI R² pris en la personne de ses représentants légaux demeurant audit siège

Lieu dit ‘Côte de France’

[Localité 4]

tous trois représentés par Me Marie-Hélène THIZY, membre de la SELARL AD-LEX, avocate au barreau d’AGEN

SAS ELUDOM (anciennement SAS [E] CONSTRUCTION) pris en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 10]

[Localité 7]

représentée par Me Hélène GUILHOT, avocate associée de la SCP TANDONNET ET ASSOCIES, avocate postulante au barreau d’AGEN

et Me Pascal TESSIER, SELARL ATLANTIC JURIS, avocat plaidant au barreau de LA ROCHE-SUR-YON

INTIMÉS

SAS [E], venant aux droits de la société [E] CONSTRUCTION devenue ELUDOM, agissant en la personne de son Président actuellement en exercice domicilié en cette qualité audit siège RCS LA ROCHE SUR YON B 892 298 324

[Adresse 5]

[Localité 7]

représentée par Me Hélène GUILHOT, avocate associée de la SCP TANDONNET ET ASSOCIES, avocate postulante au barreau d’AGEN

et Me Pascal TESSIER, SELARL ATLANTIC JURIS, avocat plaidant au barreau de LA ROCHE-SUR-YON

INTERVENANTE VOLONTAIRE

D’autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

l’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 11 janvier 2023 devant la cour composée de :

Président : André BEAUCLAIR, Président de chambre

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller qui a fait un rapport oral à l’audience

Jean-Yves SEGONNES, Conseiller

Greffière : Lors des débats : Charlotte ROSA , adjointe administrative faisant fonction

Lors de la mise à disposition : Nathalie CAILHETON

ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

‘ ‘

FAITS :

Selon contrat du 10 avril 2008, la SCI R², co-gérée par [Z] [W] et [M] [W], a confié à la SA [E] Construction la construction d’un bâtiment composé de cinq modules préfabriqués sur un terrain à bâtir situé ‘[Adresse 11]’ à Marmande (47) dont elle venait de faire l’acquisition, destiné à abriter l’activité professionnelle des deux gérants.

Le prix de la prestation a été fixé à 131 919,94 Euros TTC.

La SA [E] Construction était alors titulaire d’une assurance n° 104 258 981 ‘tous risques chantiers y compris effondrement’ souscrite auprès de la société d’assurance mutuelle MMA IARD Assurances Mutuelles (la société MMA).

Le bâtiment a été construit et les travaux facturés le 30 mai 2008.

La SCI R² a pris possession des locaux et payé la SA [E] Construction dans des conditions valant réception tacite sans réserve le 1er juillet 2008.

Elle a ensuite mis en cause l’isolation thermique du bâtiment ainsi que des intrusions de rongeurs, qui ont fait l’objet d’échanges avec le constructeur à l’automne 2012, puis ont donné lieu à l’intervention de l’expert amiable de la SCI R², M. [X], qui a établi une note le 9 octobre 2012 relevant plusieurs manquements aux règles de l’art lors de la construction, relatifs à l’isolation et au vide sanitaire.

La Matmut, assureur de la SCI R², a également fait procéder à une expertise par le cabinet Ixi qui a préconisé la réalisation d’une étude thermique effectuée par la SARL Ennoar (d’un coût de 3 312 Euros) concluant à la non-conformité de l’isolation.

La SA [E] Construction et la société MMA ne se sont pas présentées à cette expertise et n’ont pas donné suite aux demandes amiables présentées par la SCI R².

Un soubassement isolant sur toute la périphérie du bâtiment et des coffres de volets roulants ont néanmoins été mis en place.

Mettant en cause la persistance des désordres, la SCI R² a fait assigner la SA [E] Construction et la société MMA devant le juge des référés du tribunal de grande instance d’Agen qui, par ordonnance du 4 juillet 2017, a ordonné une expertise des désordres confiée à [O] [T], ingénieur en climatiques et fluides.

M. [T] a établi son rapport le 29 avril 2019 dans lequel il a confirmé l’existence de ponts thermiques et l’absence de respect de la norme d’isolation RT 2005, chiffrant les travaux de réfection à 47 576,98 Euros TTC.

Par acte délivré les 23 et 28 avril 2020, la SCI R², [M] [W] et [Z] [W], ont fait assigner la SA [E] Construction et la société MMA devant le tribunal judiciaire d’Agen afin d’être indemnisés du coût des travaux de réfection à réaliser ainsi que des préjudices de jouissance subis.

Par jugement rendu le 14 décembre 2021, le tribunal judiciaire d’Agen a :

– condamné in solidum la société [E] Construction et la société MMA IARD à payer à la SCI R² les sommes de :

* 16 524 Euros au titre de la réalisation d’un capot isolant avec indexation sur l’évolution de l’indice BT 01 entre la date du rapport d’expertise judiciaire du 29 avril 2019 et la date du présent jugement,

* 17 097,60 Euros au titre de la mise en oeuvre de menuiseries à rupture de pont thermique avec indexation sur l’évolution de l’indice BT 01 entre la date du rapport d’expertise judiciaire du 29 avril 2019 et la date du présent jugement,

* 13 955,38 Euros au titre de la réfection de l’installation de VMC avec indexation sur l’évolution de l’indice BT 01 entre la date du rapport d’expertise judiciaire du 29 avril 2019 et la date du présent jugement,

* 15 962,64 Euros au titre du coût des travaux de mise en conformité de l’isolation sous plafond avec indexation sur l’évolution de l’indice BT 01 entre la date du rapport d’expertise judiciaire du 29 avril 2019 et la date du présent jugement,

– condamné in solidum la société [E] Construction et la société MMA IARD à payer à la SCI R² les sommes de :

* 1 056 Euros en remboursement du coût de travaux de contrôle de l’installation électrique et de rebouchage des orifices ayant servi d’accès aux rongeurs,

* 3 312 Euros en remboursement du coût de l’étude réalisée par la société Ennoar,

– condamné in solidum la société [E] Construction et la société MMA IARD à payer à M [M] [W] la somme de 3 000 Euros en réparation de son préjudice de jouissance,

– condamné in solidum la société [E] Construction et la société MMA IARD à payer à M. [Z] [W] la somme de 3 000 Euros en réparation de son préjudice de jouissance,

– dit que la société MMA IARD est en droit d’opposer à la société [E] Construction, son assurée, les franchises contractuelles prévues au contrat d’assurance des responsabilités civiles de l’entreprise du bâtiment et du génie civil au titre de la garantie décennale,

– débouté la SCI R², M. [M] [W] et M. [Z] [W] du surplus de leurs demandes,

– condamné in solidum la société [E] Construction et la société MMA IARD à payer à la SCI R², M. [Z] [W] et M. [M] [W] la somme de 1 500 Euros au titre des frais irrépétibles,

– condamné in solidum la société [E] Construction et la société MMA IARD aux dépens de l’instance en ce compris le coût de l’expertise judiciaire,

– dit que les avocats en cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision en application de l’article 699 du code civil,

– rappelé que la décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

Le tribunal a estimé que si les désordres relatifs à l’isolation ne compromettent pas la solidité de l’ouvrage, ils le rendent impropre à sa destination compte tenu de l’inconfort généré par les ponts thermiques, des risques sanitaires liés à l’absence de ventilation correcte et du risque de détérioration des câbles électriques par les rongeurs ; que la garantie décennale du constructeur peut être invoquée ; que l’article L. 111-13-1 du code de la construction et de l’habitation créé par la loi du 17 août 2015 relatif à la limitation de responsabilité en matière de performance énergétique, abrogé le 1er juillet 2021, ne peut être invoqué par la société MMA dont la garantie pour désordres de nature décennale est acquise ; que le coût de réfection calculé par l’expert devait être entériné avec ajout du coût de mise en conformité de l’isolation sous plafond ; qu’il convenait également d’allouer le coût d’obturation des orifices permettant aux rongeurs de pénétrer dans les bâtiments ainsi que le coût de l’intervention de la société Ennoar ; que seul pouvait en sus être indemnisé un préjudice de jouissance subi par MM. [W].

Par acte du 31 janvier 2022, la société MMA a déclaré former appel du jugement en désignant la SCI R², [M] [W], [Z] [W] et la SA [E] Construction en qualité de parties intimées et en indiquant que l’appel porte sur la totalité du dispositif du jugement sauf en ce qu’il a dit que la société MMA IARD est en droit d’opposer à la société [E] Construction, son assurée, les franchises contractuelles prévues au contrat d’assurance des responsabilités civiles de l’entreprise du bâtiment et du génie civil au titre de la garantie décennale.

La clôture a été prononcée le 5 décembre 2022 et l’affaire fixée à l’audience de la Cour du 11 janvier 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

Par dernières conclusions notifiées le 29 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, la société d’assurance mutuelle MMA IARD Assurances Mutuelles présente l’argumentation suivante :

– Elle a présenté dès ses premières conclusions une demande de réformation du jugement.

– La SA [E] Construction a engagé sa responsabilité contractuelle :

* la non-conformité de l’isolation à la norme RT 2005 relève de la responsabilité contractuelle du constructeur.

* la garantie responsabilité civile du contrat exclut le coût ‘des travaux nécessaires pour compléter l’ouvrage et dont l’absence est à l’origine des dommages’ de sorte que sa garantie ne peut être mobilisée s’agissant d’une construction non conforme à la norme RT 2005.

– La garantie décennale n’est pas due :

* l’expert a expliqué que la solidité de la construction n’est pas atteinte.

* les défauts d’isolation conduisent à augmenter la température intérieure pour compenser l’inconfort.

– Sa franchise est opposable à la SA [E] Construction :

* le contrat d’assurance fait corps avec les conventions spéciales, les conventions générales et les conditions particulières.

* un avenant technique a été signé par l’assuré à effet du 1er janvier 2017.

* si la garantie décennale devait être retenue, elle opposerait à l’assuré une franchise de 20 % avec un plancher de 4 178 Euros et un plafond de 38 859 Euros.

Au terme de ses conclusions, (abstraction faite des multiples ‘dire’ qui constituent un rappel des moyens et non des prétentions) elle demande à la Cour de :

– réformer le jugement sur les points de son appel,

– rejeter les demandes présentées par la SCI R², MM. [W] et la SA [E] Construction au titre de la garantie décennale,

– les condamner à lui payer la somme de 2 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

*

* *

Par dernières conclusions notifiées le 22 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, la SCI R², [M] [W] et [Z] [W] présentent l’argumentation suivante :

– La société MMA doit être considérée comme ne présentant aucune prétention :

* dans ses conclusions initiales, la société MMA se limitait à demander à la Cour de dire que les désordres ne rendent pas l’ouvrage impropre à sa destination et que sa garantie n’est pas due.

* elle n’y précisait pas qu’elle sollicitait l’infirmation du jugement.

* elle n’a ainsi saisi valablement la Cour d’aucune prétention à l’exception de la demande d’application de l’article 700 du code de procédure civile.

* conformément à l’article 910-4 du code de procédure civile, cette carence ne peut être rattrapée par les conclusions du 17 novembre 2022.

– La SA [E] Construction lui doit garantie décennale :

* la construction n’est pas conforme au marché, notamment du fait qu’elle ne respecte pas la norme d’isolation RT 2005.

* les défauts d’isolation sont à ce point graves qu’ils rendent l’ouvrage impropre à sa destination de bureaux, indépendamment de la notion de performance énergétique.

* l’expert a noté que le confort élémentaire n’est pas assuré.

* le débit de la VMC est insuffisant et le bâtiment est ouvert à la pénétration des rongeurs, ce qui créé un risque d’incendie à partir des câbles électriques.

– La garantie de la société MMA est due :

* la franchise invoquée par la société MMA IARD lui est inopposable.

* les conventions spéciales n’ont pas été signées par l’assuré de sorte que les clauses d’exclusion ne lui sont pas opposables.

* ces clauses ne sont pas rédigées en termes très apparents et ne visent que les garanties complémentaires de l’article 4, c’est à dire les travaux réalisés en sous-traitance et les garanties facultatives de l’article 5, de sorte qu’elles ne concernent pas la garantie décennale.

* les désordres proviennent, non pas de l’omission de certains travaux, mais du non-respect des règles de l’art.

– Ils ont été préjudiciés :

* les sommes qui ont été allouées à la SCI R² doivent être confirmées, incluant la réfection du plafond.

* MM. [W] ont occupé les locaux de juin 2008 à décembre 2017 de sorte qu’ils ont subi un préjudice de jouissance pendant 10 hivers.

* ils peuvent invoquer le manquement commis par le constructeur et aucune prescription ne peut leur être opposée compte tenu que ce n’est que le rapport d’expertise qui les a informés des fautes commises par le constructeur.

* c’est une somme de 10 000 Euros qui doit être allouée à chacun d’eux en réparation de ce préjudice.

Au terme de leurs conclusions, ils demandent à la Cour de :

– déclarer irrecevable la prétention de la société MMA IARD présentée aux termes de conclusions signifiées le 17 novembre 2022, postérieurement à l’expiration du délai de l’article 908 du code de procédure civile tendant à les voir débouter de l’intégralité de leurs demandes,

– confirmer le jugement sauf à condamner in solidum la SAS Eludom et la SAS [E], venant aux droits de la SA [E] Construction, et la société MMA IARD, à payer à [M] et [Z] [W], chacun, la somme de 10 000 Euros en réparation du préjudice de jouissance,

– leur déclarer inopposable toute franchise, exclusion, ou plafond de garantie invoqués par la société MMA IARD,

– condamner tout succombant à leur payer la somme supplémentaire de 3 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

*

* *

Par dernières conclusions notifiées le 21 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, la SAS Eludom et la SAS [E], qui viennent aux droits de la SA [E] Construction, présentent l’argumentation suivante :

– Les demandes présentées à son encontre par MM. [W] ne sont pas recevables :

* les locaux appartenant à la SCI R² sont pris à bail par les sociétés Avenir Finance et Andante qui sont seules susceptibles d’invoquer un préjudice de jouissance.

* MM. [W] devaient lancer leur action dans le délai de 5 ans qui a couru à compter de l’année 2008 au cours de laquelle ils ont constaté les problèmes d’isolation de sorte que leur action est prescrite, voire à compter de l’année 2012, date d’intervention du premier sachant.

– La demande d’indemnisation d’un préjudice de jouissance est forfaitaire et injustifiée.

– La société MMA ne présente aucune prétention recevable : elles s’associent sur ce point aux explications données par la SCI R² et MM. [W].

– La société MMA leur doit sa garantie :

* le défaut d’isolation ne permet pas de jouir normalement des locaux de sorte qu’ils doivent être considérés comme étant impropres à leur destination.

* l’expert a reconnu que l’immeuble ne peut être occupé normalement et qu’il existe un risque d’incendie.

* c’est la garantie décennale qui doit être retenue et non la responsabilité civile.

* l’exclusion de garantie qui est opposée pour la responsabilité contractuelle n’a pas été portée à la connaissance de la SA [E] Construction, ainsi que la franchise invoquée.

Au terme de leurs conclusions, elles demandent à la Cour de :

– confirmer le jugement sauf en ce qu’il a condamné la SA [E] Construction à verser les sommes de 3 000 Euros à MM. [W] et dit que la société MMA IARD pouvait leur opposer ses franchises contractuelles,

– rejeter les demandes présentées au titre du préjudice de jouissance,

– rejeter la demande de l’assureur tendant à opposer ses franchises contractuelles,

– condamner l’assureur à les garantir de toutes les condamnations prononcées à leur encontre et à leur payer la somme de 6 000 Euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux dépens incluant les frais de référé expertise, avec distraction.

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MOTIFS :

1) Sur la recevabilité des demandes présentées par la société MMA :

Vu l’article 910-4 du code de procédure civile,

Le dispositif des conclusions d’appelante déposées le 8 avril 2022 par la société MMA est ainsi rédigé :

‘Plaise à la Cour,

– réformer intégralement le jugement dont appel du 14 décembre 2021,

– statuant à nouveau :

– dire que les désordres allégués sont exclusivement de nature contractuelle

– dire que les désordres allégués ne rendent pas l’ouvrage impropre à sa destination

– dire, en conséquence, que les garanties responsabilité civile décennale obligatoire et facultative de l’assureur MMA IARD ne sauraient être mobilisées,

– subsidiairement :

– dire que la compagnie MMA est en droit d’opposer à la société [E] Construction les franchises responsabilité civile décennale obligatoire et facultative confondues de 20 % avec un minimum de 4 178 Euros et un maximum de 38 859 Euros,

– en tout état de cause :

– condamner in solidum M. [M] [W], M. [Z] [W] et la SCI R² aux dépens et à payer à la compagnie MMA IARD une indemnité de 2 000 Euros en dédommagement des frais exposés pour assurer la défense de ses intérêts dans le cadre du présent procès.’

Il contient par conséquent une demande de réformation intégrale du jugement rendu et s’il ne mentionne pas expressément que la société MMA réclame que les prétentions formées à son encontre soient rejetées, la formule ‘dire, en conséquence, que les garanties responsabilité civile décennale obligatoire et facultative de l’assureur MMA IARD ne sauraient être mobilisées’ implique cette demande, ensuite expressément formulée dans les dernières conclusions du 29 novembre 2022.

Par conséquent, la Cour est régulièrement saisie d’une demande de rejet des prétentions formées à l’encontre de la société MMA et l’argument présenté par les intimés doit être rejeté.

2) Sur les désordres et leur nature :

Aux termes de l’article 1792 du code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.

Ainsi, contrairement à ce que plaide l’appelante, la garantie décennale n’est pas limitée aux désordres qui portent atteinte à la solidité de l’ouvrage et s’applique également à ceux qui le rendent impropre à sa destination, c’est-à-dire qui rendent impossible son utilisation normale.

En l’espèce, l’expert judiciaire a constaté les éléments suivants :

– les calculs fournis par la SA [E] Construction ne correspondent pas au bâtiment construit, sont erronés et les ponts thermiques ne sont pas définis convenablement.

– la norme RT 2005 n’est pas respectée.

– aucune ventilation du vide sanitaire n’a été mise en oeuvre.

– cette malfaçon a été causée par l’absence de thermicien au sein de la SA [E] Construction, générant une méconnaissance totale des règles de calcul de la réglementation et un défaut de conception.

– la réglementation sur l’aération des locaux n’est pas respectée.

– le coût de réfection est d’un total de 47 576,98 Euros TTC correspondant aux postes suivants : réfection de la VMC, remplacement des menuiseries coulissantes par des ouvrants à rupture de ponts thermiques avec double vitrage renforcé et coffre des volets roulants, capot de mousse recouvert de tôle enveloppant la poutre périphérique du plancher bas de l’ensemble du bâtiment avec ventilation du vide sanitaire.

M. [T] a conclu que le confort des bâtiments n’est pas assuré compte tenu des ponts thermiques très importants au niveau du plancher en raison du grand nombre d’ossatures métalliques rendant la température du plancher incompatible en hiver avec les notions de confort élémentaire, ce qui contraint alors les occupants à pousser le système de chauffage pour tenter de compenser cet inconfort et aboutit à tripler la consommation électrique.

Dès lors que les bâtiments sont utilisés à usage de bureaux, ils doivent présenter, en hiver, le confort permettant d’y travailler normalement.

Tel n’est pas le cas selon les conclusions de l’expert.

Le désordre relatif à l’isolation doit par conséquent être considéré comme rendant l’ouvrage impropre à sa destination.

Par suite, il ouvre droit à la garantie décennale de l’article 1792 du code civil.

Le jugement doit être confirmé sur ce point ainsi que sur la fixation de l’ensemble des indemnités de réfection, et sommes annexes, accordées, qui ne sont discutées par aucune des parties.

3) Sur les préjudices de jouissance invoqués par [M] [W] et [Z] [W] :

a : intérêt à agir :

MM. [W], co-gérants de la SCI R², ont travaillé dans les locaux en litige pour l’exercice de leur activité professionnelle.

Ils ont donc, par principe, un intérêt à agir, sur un fondement délictuel, à l’encontre du constructeur et de son assureur, en invoquant le trouble de jouissance qui leur a été personnellement causé par les désordres relatifs à l’isolation du bâtiment.

Cette fin de non-recevoir doit être rejetée.

b : prescription de l’action à l’encontre du constructeur :

L’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

En l’espèce, les désordres sont apparus au cours de l’hiver 2008.

Dès la note du 9 octobre 2012, M. [X] a informé la SCI R² de la non-conformité de l’épaisseur de la laine de verre en sous-face de la couverture acier, et surtout d’une ‘isolation thermique non conforme à l’avis technique et la norme RT 2005″ au vu des déclarations du maître de l’ouvrage mettant en cause des températures ‘très faibles lors des périodes hivernales (inférieures à 7°)’ ou ‘hautes lors des périodes estivales (supérieures à 28°)’.

Cette analyse a été confirmée par le rapport du cabinet Ixi déposé le 29 avril 2013 et par l’étude thermique établie le 19 mars 2014 par la SARL Ennoar.

C’est donc au plus tard le 19 mars 2014 que MM. [W] ont eu connaissance que la SA [E] Construction avait commis des manquements lors de la construction du bâtiment, générant un important désordre de l’isolation thermique.

Or, ils n’ont assigné la SA [E] Construction et son assureur à comparaître en indemnisation que par actes des 23 et 28 avril 2020, soit au-delà du délai de la prescription quinquennale qui a couru au plus tard à compter du 19 mars 2014.

Il convient de préciser que l’assignation en référé expertise n’a pas interrompu ce délai de prescription dès lors qu’elle n’a été délivrée que par la SCI R².

En effet, l’effet interruptif de prescription institué à l’article 2241 du code civil ne profite qu’à celui qui délivre l’acte interruptif.

Par conséquent, l’action en indemnisation du préjudice de jouissance intentée par MM. [W] à l’encontre de la SA [E] Construction est prescrite et doit être déclarée irrecevable.

Le jugement doit être réformé en ce sens.

c : fond (de la demande contre l’assureur) :

C’est par des motifs pertinents que la Cour adopte que le tribunal a retenu que MM. [W], occupant les locaux et y travaillant en leur qualité de co-gérants de la SCI R², ont subi un trouble personnel de jouissance pour la période comprise entre l’hiver 2008 et décembre 2017, date à laquelle ils ont cédé leurs parts et quitté les lieux, et a indemnisé ce préjudice par le versement d’une somme de 3 000 Euros.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

4) Sur la garantie de la société MMA :

a : principe de la garantie :

La SA [E] Construction a souscrit auprès de la société MMA un contrat d’assurance de responsabilité civile décennale n° 104258981 en cours de validité lors de la réalisation des travaux en litige.

En application des articles L. 241-1 et A. 243-1 du code des assurances et de son annexe I instituant les clauses types, ce contrat couvre obligatoirement le paiement des travaux de réparation de l’ouvrage à la réalisation duquel l’assuré a contribué.

Par conséquent, la société MMA doit prendre en charge à ce titre le coût des réparations de l’immeuble appartenant à la SCI R² en exécution de son contrat de responsabilité civile décennale.

Le jugement doit être confirmé sur ce point ainsi que sur la prise en charge du préjudice de jouissance subi par MM. [W] dès lors que la société MMA ne leur a pas opposé la prescription de leur action.

b : franchises :

L’appelante déclare opposer à son assurée les franchises stipulées au contrat, ce que contestent les SAS Eludom et [E] qui déclarent que les franchises n’ont pas été portées à la connaissance de la SA [E] Construction.

L’article L. 112-2 du code des assurances dispose qu’avant la conclusion du contrat, l’assureur remet à l’assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d’information sur le contrat qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions ainsi que les obligations des assurés.

L’article R. 112-3 du même code définit les moyens de constater la remise effective de ces documents en précisant que cette remise l’est par une mention signée et datée par le souscripteur apposée au bas de la police par laquelle il reconnaît avoir reçu au préalable ces documents et précisant leur nature et leur date de remise.

Il en résulte que l’assureur ne peut opposer à son assuré une clause qui n’a pas été portée à la connaissance de ce dernier au plus tard avant la survenance du sinistre.

En l’espèce, la société MMA verse aux débats les documents suivants relatifs au contrat souscrit par la SA [E] Construction :

– les conditions particulières DEFI : ce document est relatif à un contrat n° 104173419 et non au contrat de responsabilité civile décennale n° 104258981 et a été signé le 16 novembre 2017, soit plusieurs années après la construction en litige.

– le tableau des garanties du contrat ‘assurance des entreprises du BTP’ qui contient un tableau relatif aux franchises applicables en assurances de responsabilité décennale, mais il n’est pas signé par l’assuré et aucun document attestant de sa remise effective, avant les travaux en litige, n’est produit.

– un contrat d’assurance des entreprises du bâtiment et de génie civil ‘conditions générales’ qui n’est pas un contrat d’assurance de responsabilité civile décennale.

– un contrat d’assurance des responsabilités civiles de l’entreprise du bâtiment et de génie civil ‘conventions spéciales n° 971 L, annexes à un contrat n° 248″ qui contient un titre I relatif à l’assurance décennale du constructeur dont l’article 13 prévoit une franchise en renvoyant son montant aux conditions particulières, qui n’est pas signé par l’assuré et aucun document relatif à sa remise effective, avant les travaux en litige, n’est produit, étant au surplus précisé qu’il y est mentionné qu’il s’agit d’une édition de décembre 2011, postérieure aux travaux effectués au profit de la SCI R².

Par conséquent, en l’absence de preuve que les franchises dont se prévaut la société MMA ont été portées à la connaissance de la SA [E] Construction, elles ne lui sont pas opposables.

Le jugement doit être infirmé sur ce point.

Enfin, l’équité nécessite de condamner la société MMA, en cause d’appel, à payer à la SCI R² et aux SAS Eludom et [E] la somme de 3 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

– la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

– DECLARE les demandes présentées par la société d’assurance mutuelle MMA IARD Assurances Mutuelles recevables ;

– REJETTE la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir présentée par la SAS Eludom et la SAS [E], venant aux droits de la SA [E] Construction, à l’encontre de [Z] [W] et [M] [W] ;

– CONFIRME le jugement SAUF en ce qu’il a :

– condamné in solidum la société [E] Construction avec la société MMA IARD à payer à M [M] [W] la somme de 3 000 Euros en réparation de son préjudice de jouissance,

– condamné in solidum la société [E] Construction avec la société MMA IARD à payer à M. [Z] [W] la somme de 3 000 Euros en réparation de son préjudice de jouissance,

– dit que la société MMA IARD est en droit d’opposer à la société [E] Construction, son assurée, les franchises contractuelles prévues au contrat d’assurance des responsabilités civiles de l’entreprise du bâtiment et du génie civil au titre de la garantie décennale ;

– STATUANT A NOUVEAU sur les points infirmés,

– DÉCLARE l’action en indemnisation du trouble de jouissance intentée par [Z] [W] et [M] [W] à l’encontre de la SAS Eludom et de la SAS [E], venant aux droits de la SA [E] Construction, prescrite et par suite irrecevable ;

– DÉCLARE les franchises du contrat de responsabilité civile décennale souscrit par la SA [E] Construction auprès de la société d’assurance mutuelle MMA IARD Assurances Mutuelles inopposables la SAS Eludom et la SAS [E], venant aux droits de la SA [E] Construction et, en conséquence, CONDAMNE la société d’assurance mutuelle MMA IARD Assurances Mutuelles à relever la SAS Eludom et la SAS [E], venant aux droits de la SA [E] Construction, indemnes du paiement de l’ensemble des sommes mises à leur charge ;

– Y ajoutant,

– CONDAMNE la société d’assurance mutuelle MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à la SCI R², en cause d’appel, la somme de 3 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNE la société d’assurance mutuelle MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à la SAS Eludom et la SAS [E], en cause d’appel, la somme totale de 3 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNE la société d’assurance mutuelle MMA IARD Assurances Mutuelles aux dépens de l’appel qui pourront être recouvrés directement par la SCP Tandonnet et Associés pour ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

– Le présent arrêt a été signé par André Beauclair, président, et par Nathalie Cailheton, greffière, à laquelle la minute a été remise.

La Greffière, Le Président,

 


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