ARRET
N°
S.A. SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR)
C/
SOCIETE CREDIT MUTUEL QUESNOY SUR DEÛLE
DB
COUR D’APPEL D’AMIENS
CHAMBRE ÉCONOMIQUE
ARRET DU 30 JUIN 2022
N° RG 20/06070 – N° Portalis DBV4-V-B7E-H5PR
Arrêt Au fond, origine Cour de Cassation de PARIS 04, décision attaquée en date du 22 Janvier 2020, enregistrée sous le n° 63 FD
Arrêt Au fond, origine Cour d’Appel de DOUAI, décision attaquée en date du 19 Avril 2018, enregistrée sous le n° 16/04638
Jugement Au fond, origine Tribunal d’Instance de LILLE, décision attaquée en date du 27 Mai 2016, enregistrée sous le n° 14/004534
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A. SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Audrey BOUDOUX D’HAUTEFEUILLE, avocat postulant au barreau d’AMIENS, vestiaire : 90, et ayant pour avocat plaidant Me Pierre-Olivier CHARTIER, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMEE
SOCIETE CREDIT MUTUEL QUESNOY SUR DEÛLE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Mathilde LEFEVRE de la SCP MATHILDE LEFEVRE, AVOCATS, avocat postulant au barreau d’AMIENS, vestiaire: 19, et ayant pour avocat plaidant Me Carole FOLLET, avocat au barreau de LILLE
DEBATS :
A l’audience publique du 18 Novembre 2021 devant :
Mme Dominique BERTOUX, Présidente de chambre,
Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,
et Mme Cybèle VANNIER, Conseillère,
qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 28 Janvier 2022.
Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions de l’article 785 du Code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame Vanessa IKHLEF
PRONONCE :
Le délibéré a été prorogé au 30 juin 2022.
Le 30 juin 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile ; Mme Dominique BERTOUX, Présidente de chambre a signé la minute avec Madame Charlotte RODRIGUES, Greffier.
DECISION
Mme [U] [X] est titulaire d’un contrat d’abonnement de téléphonie mobile n°01-V0404 portant sur le numéro d’appel [XXXXXXXX01] souscrit auprès de la Société Française du Radiotéléphone (SA) depuis le 14 février 2003 et résilié le 17 novembre 2014.
Mme [X] est titulaire d’un compte ‘Eurocompte Duo’s Confort’ [XXXXXXXXXX07] ouvert dans les livres de la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle (59890) depuis le 17 juillet 2012, comprenant le service de banque à distance et d’une carte bancaire Visa n°[XXXXXXXXXX04].
Le 3 janvier 2014, un changement de carte sim a été effectué sur la ligne de téléphonie mobile de Mme [X].
Le même jour, celle-ci a constaté sur son compte bancaire trois opérations frauduleuses par l’utilisation des dispositifs ‘Payweb Card’ et ‘E-retrait’ du Crédit Mutuel.
Mme [X] a fait opposition sur sa carte bancaire le 4 janvier 2014.
Faute d’obtenir le remboursement des sommes frauduleusement prélevées sur son compte bancaire, Mme [X] a, par acte d’huissier du 11 décembre 2014, fait assigner la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle devant le tribunal d’instance de Lille.
Par acte d’huissier du 10 septembre 2015, la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle a fait assigner en intervention forcée la SA Société Française du Radiotéléphone, aux fins de garantie devant le tribunal d’instance de Lille.
Par jugement contradictoire du 27 mai 2016, le tribunal d’instance de Lille a :
– condamné la Caisse de Crédit mutuel à payer à Mme [X] la somme de 1.913 euros, ainsi que l’ensemble des frais de commissions et d’interventions pour une somme de 225,23 euros arrêtée provisoirement au mois d’octobre 2014, le tout assorti des intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2014, date de l’assignation valant mise en demeure;
– condamné la SA Société Française du Radiotéléphone à garantir la Caisse de Crédit mutuel de la somme de 956,50 euros;
– condamné la Caisse de Crédit mutuel à payer à Mme [X] :
* la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
* la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens;
– et débouté les parties de toutes autres demandes plus amples, différentes ou contraires.
La Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle a relevé appel de cette décision par déclarations des 21 et 22 juillet 2016.
La SA Société Française du Radiotéléphone a relevé appel de la même décision par déclaration du 29 juillet 2016.
Les trois affaires ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 19 janvier 2017 sous le numéro RG n° 16/04638.
Suivant arrêt contradictoire du 19 avril 2018, la cour d’appel de Douai a :
– confirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a :
* condamné la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle à payer à Mme [X] l’ensemble des frais de commissions et d’interventions pour une somme de 225,23 euros arrêtée provisoirement au mois d’octobre 2014, le tout assorti des intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2014, date de l’assignation valant mise en demeure ;
* condamné la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle à payer à Mme [X] la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
* condamné la SA Société Française du Radiotéléphone à garantir la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle de la somme de 956,50 euros;
– infirmé le jugement entrepris des chefs susvisés;
et statuant à nouveau,
– condamné la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle à payer à Mme [X] la somme de 336,69 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2014, au titre des frais de commissions et d’interventions;
– débouté Mme [X] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive;
– débouté la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle de sa demande de condamnation de la SA Société Française du Radiotéléphone à la garantir de l’intégralité des sommes qu’elle pourrait devoir être tenue de payer à Mme [X];
y ajoutant,
– condamné la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle à payer à Mme [X] une somme complémentaire de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’appel, ainsi qu’aux dépens d’appel;
– débouté la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle et la SA Société Française du Radiotéléphone de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle a formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt du 22 janvier 2020, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a :
– cassé et annulé l’arrêt rendu le 19 avril 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Douai, mais seulement en ce qu’il déboute la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle de sa demande de condamnation de la SA Société Française du Radiotéléphone à la garantir de l’intégralité des sommes qu’elle pourrait devoir être tenue de payer à Mme [X]; en ce qu’il statue sur les dépens d’appel exposés par les sociétés Caisse de crédit mutuel de Quesnoy-sur-Deûle et Société Française du Radiotéléphone; et en ce qu’il déboute la Caisse de crédit mutuel de Quesnoy-sur-Deûle et Société Française du Radiotéléphone de leurs demandes réciproques formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;
– remis, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel d’Amiens ;
– mis hors de cause, sur sa demande, Mme [X], dont la présence devant la cour de renvoi n’est plus nécessaire à la solution du litige.
La SA Société Française du Radiotéléphone a saisi la cour d’appel d’Amiens sur renvoi après cassation partielle par déclaration du 26 novembre 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions remises le 26 octobre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, la SA Société Française du Radiotéléphone demande à la cour de :
– la recevoir en son appel;
à titre principal, sur l’infirmation totale du jugement en ce qu’il a considéré que le Crédit Mutuel était recevable et bien fondé à agir à son encontre :
– dire et juger que SA Société Française du Radiotéléphone n’a aucunement participé à la mise en place par le Crédit Mutuel du système d’authentification des opérations bancaires sur Internet par l’envoi d’un sms;
– dire et juger que SA Société Française du Radiotéléphone ne s’est jamais engagée auprès de quiconque, et notamment pas auprès du Crédit Mutuel, à assurer la fiabilité du système de sécurisation des paiements que le Crédit Mutuel a fait le choix discrétionnaire d’employer, sns prendre la précaution élémentaire de consulter en amont les opérateurs de communications électroniques, tels que la SA Société Française du Radiotéléphone, pour s’assurer auprès d’eux que l’utilisation de leurs services à cette fin permettait d’assurer la fiabilité requise;
– dire et juger que la responsabilité de l’opérateur téléphonique n’est pas prévue par les dispositions du code monétaire et financier, et notamment apr l’article L.133-19, dont les dispositions sont d’ordre pulic, qui définit la répartititon des responsabilités en cas d’opérations de paiement non autorisées;
– dire et juger que l’article L.133-15 de ce code, dont les dispositions sont d’ordre public, fait peser sur le prestataire de paiement et lui seul la responsabilité en matière de dispositifs de paiements sécurisés;
– dire et juger que le Crédit Mutuel n’a en tout état de cause pas subi un préjudice du fait du prétendu manquement contractuel reproché à la SA Société Française du Radiotéléphone;
– dire et juger que l’action du Crédit Mutuel fondée sur le principe général selon lequel un tiers à un contrat peut invoquer un manquement contractuel lorsqu’il lui a causé préjudice vise donc à contourner des règles légales d’ordre public en faisant peser sur un tiers la responsabilité que le législateur a entendu faire exclusivement peser sur la banque;
En conséquence :
– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à garantir le Crédit Mutuel d’une partie des condamnations prononcées au profit de Mme [X];
statuant à nouveau,
– dire et juger que le Crédit Mutuel est irrecevable et en tout cas mal fondé à agir contre elle;
– débouter le Crédit Mutuel de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions;
subsidiairement, à supposer que l’action du Crédit Mutuel soit jugée recevable
– dire et juger que l’obligation de résultat de SA Société Française du Radiotéléphone consiste à transmettre les communications (appels et sms) depuis ou sur le numéro de téléphone associé à la carte sim de l’abonné et n’inclut pas celle de transmettre les communications vers le bon destinataire, l’opérateur de communications électroniques étant dans l’impossibilité matérielle de s’en assurer;
– dire et juger que du fait du risque d’emploi de manoeuvres frauduleuses (fausse pièce d’identité, usurpation d’identité et de données personnelles, etc.), l’obligation pour la SA Société Française du Radiotéléphone de s’assurer que la personne qui demande la remise et/ou l’activation d’une nouvelle carte sim est bien le titulaire de la ligne ne peut constituer qu’une obligation de moyen, et que le Crédit Mutuel n’apporte pas la preuve du manquement de la SA Société Française du Radiotéléphone à cette obliagtion;
– dire et juger que du fait de l’appropriation frauduleuse des données personnelles de Mme [X], les fraudeurs ont pu usurper son identité pour obtenur et activer une nouvelle carte sim en son nom;
– dire et juger en tout état de cause qu’il n’existe pas de lien de causalité entre la prétendue négligence de la SA Société Française du Radiotéléphone et les opérations bancaires incriminées;
En conséquence:
– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à garantir le Crédit Mutuel d’une partie des condamnations prononcées au profit de Mme [X];
statuant à nouveau,
– débouter le Crédit Mutuel de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions;
à titre encore plus subsidiaire, sur l’infirmation partielle du jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à garantir le Crédit Mutuel à hauteur de la moitié des sommes résultant directement de la fraude :
– dire et juger que la SA Société Française du Radiotéléphone ne peut en aucun cas être condamnée à garantir le Crédit Mutuel des sommes qu’il a été tenu de payer à Mme [X] au titre de la résistance abusive et du remboursement des frais de commission et d’intervention facturés
– dire et juger que la cause des paiements frauduleux n’est pas la prétendue ‘négligence’ de la SA Société Française du Radiotéléphonelors de la délivrance et l’activiation de la carte sim, mais les manoeuvres frauduleuses dont a été victime en amont Mme [U] [X];
En conséquence :
– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à garantir le Crédit Mutuel à hauteur de la moitié des sommes résultant directement de la fraude;
statuant à nouveau,
– débouter le Crédit Mutuel de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ou, à tout le moins, limiter la garantie à une somme purement symbolique;
en tout état de cause,
– dire et juger que le Crédit Mutuel n’est pas recevable ni bien fondé à demander, dans le cadre de son appel incident, la condamnation de la SA Société Française du Radiotéléphone à lui rembourser l’intégralité de la somme de 2.249,49 euros qu’il a dû payer à Mme [X];
– débouter le Crédit Mutuel de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions;
– condamner le Crédit Mutuel à lui payer une somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, ou à défaut tout succombant.
Aux termes de ses dernières conclusions remises le 15 novembre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle demande à la cour de :
– réformer le jugement entrepris;
– condamner la SA Société Française du Radiotéléphone à lui payer la somme de 2.249,49 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2015, date de l’assignation en intervention forcée de la SA Société Française du Radiotéléphone;
– condamner la SA Société Française du Radiotéléphone à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de l’instance.
L’affaire a été fixée à bref délai pour plaider à l’audience du 3 juin 2021.
SUR CE
A titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif , et que les « dire et juger » et les « constater » ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi ; en conséquence , la cour ne statuera pas sur celles ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.
– Sur la recevabilité de l’action de la Caisse de Crédit Mutuel à l’encontre de la SA Société Française du Radiotéléphone sur le fondement de la responsabilité délictuelle
La Cour de cassation a cassé et annulé, au visa de l’article 1382 devenu 1240 du code civil, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai qui pour rejeter la demande de la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle de condamnation de la société Société Française du Radiotéléphone à la garantir des sommes qu’elle serait tenue de payer à Mme [U] [X], après avoir condamné la banque à rembourser à celle-ci le montant des opérations contestées et des frais de commissions et d’interventions, énonce que la garantie traduit le rapport d’obligation qui existe entre deux personnes, le garant intervenant pour garantir l’obligation, de source conventionnelle ou légale, liant le demandeur au défendeur appelant en garantie, puis retient que la demande figurant au dispositif des conclusions de la banque est une demande de garantie, qui n’est ni conventionnelle ni légale, à tel point que le fondement juridique figurant dans les motifs des conclusions est la responsabilité délictuelle, et en déduit que, face à une telle contradiction, la cour d’appel, qui n’est tenue que par le dispositif des conclusions de la banque, ne peut que rejeter la demande de garantie, aux motifs qu’en statuant ainsi, alors que rien ne s’opposait à ce que la banque invoque un fondement délictuel au soutien de la mise en cause de la société Sfr, qui tendait, nonobstant la formualtion d’une demande de condamnation de cette dernière à la ‘garantir des sommes qu’elle serait tenue de payer’, à ce que cette société la relève indemne des condamnations susceptibles d’être prononcées contre elle, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
Au soutien de son appel, la SA Société Française du Radiotéléphone, après avoir rappelé le mode opératoire de récupération frauduleuse de l’identifiant et du mot de passe de l’espace personnel de Mme [X] par phishing ou installation d’un logiciel malveillant sur son ordinateur à la suite de la manipulation d’un email dont la pièce jointe est infectée et/ou de la navigation sur un site infecté, fait valoir :
– qu’il est toutefois parfaitement impossible de commettre une fraude telle que celle dont Mme [X] a été victime, sans qu’il y ait eu préalablement communication au fraudeur des données (identifiant et code secret) permettant d’accéder à la banque en ligne de la victime;
– qu’il est permis de se demander comment le fraudeur a pu en l’espèce avoir connaissance de la liste de 64 codes à quatre chiffres (carte de clés personnelles) préalablement fournie par le Crédit mutuel et permetant de sécuriser les opérations bancaires particulièrement sensibles telles que les paiements par carte en ligne avec le service Paywebcard.
Elle prétend, tout d’abord :
– que la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle est irrecevable à agir à son encontre en l’absence de relations contractuelles entre elles, la Société Française du Radiotéléphone n’ayant pas participé à la mise en place par la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle du système d’authentification des opérations bancaires sur internet par l’envoi d’un sms et la banque ne l’ayant même pas consultée à ce sujet;
– que la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle est mal fondée à agir car le législateur a édicté des règles très précises de répartition des responsabilités en cas d’opérations de paiement non autorisées;
– que la responsabilité de l’opérateur de communications électroniques n’est pas prévue par les textes applicables, de sorte qu’en prétendant se défausser sur la SA Société Française du Radiotéléphone, la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle tente de contourner la loi ;
– que la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle ne peut pas se fonder sur la règle générale selon laquelle une personne peut se prévaloir de l’existence d’un manquement à un contrat auquel il n’est pas partie pour caractériser une faute de nature délictuelle, lorsqu’il a subi un préjudice du fait de ce manquement, d’autant que, dans le cas présent, ce n’est pas la banque qui a subi un préjudice du fait du prétendu manquement invoqué, de sorte qu’elle n’est en toute hypothèse pas légitime à se prévaloir de cette règle.
La Caisse de Crédit Mutuel de Quesboy-sur-Deûle réplique :
– qu’elle invoque un fondement délictuel au soutien de sa mise en cause de la SA Société Française du Radiotéléphone, qui tendait à la garantir des sommes qu’elle serait tenue de payer et à ce que cette société la relève indemne des condamnations susceptibles d’être prononcées contre elle;
– et que les deux arguments invoqués par la SA Société Française du Radiotéléphone sont inopérants.
Elle fait valoir en outre :
– que l’absence de consultation préalable de la SA Société Française du Radiotéléphone est sans incidence; que l’authentification des paiements réalisés à distance est effectuée de façon quasi systématique par l’envoi d’un code transitant par le service de téléphonie et particulièrement les sms;
– que selon le rapport annuel de 2015 de l’observatoire de la sécurité des cartes de paiement, les opérateurs de téléphonie mobile jouent un rôle central dans l’une des principales modalités de mise en oeuvre du dispositif d’authentification forte déployées en France, en assurant la transmission des codes à usage unique pour la validation des paiements sur internet des porteurs de carte via leur ligne de téléphonie mobile, et si des failles ont pu être mises en évidence lors d’opérations réalisées à distance, elles n’ont jamais été le fait des établissements bancaires, mais soit la résultante de défaillances humaines (réponse à des e-mails d’hameçonnage en communiquant toutes leurs données personnelles et confidentielles ou des prestataires d’opérateur de téléphonie qui remettent ou activent des cartes sim sans vérifier l’identité de leur interlocuteur);
– que la SA Société Française du Radiotéléphone est liée à Mme [X] par un contrat auquel la banque est tiers.
L’intimée souligne :
– que les dispositions du code monétaire et financier concernent uniquement les obligations et les responsabilités respectives de l’utilisateur de service de paiement et du prestataire de service de paiement à l’occasion d’opérations de paiement non autorisées;
– que ces textes ne peuvent remettre en cause les principes généraux posés par les articles 331 et suivants du code de procédure civile et l’article 1382 devenu 1240 du code civil;
– qu’elle n’a aucunement besoin d’un texte spécifique pour agir; que le droit commun a vocation à s’appliquer;
– que les établissements bancaires et les opérateurs de téléphonie sont l’un et l’autre des professionnels;
– que le législateur intervient régulièrement et plus spécifiquement en cette matière aux fins de protéger le consommateur en édictant des règles particulières à cet égard;
– et que c’est à cette fin qu’il a prévu des conditions dans lesquelles l’utilisateur d’un service de paiement pourrait obtenir le remboursement d’une opération qu’il indique ne pas avoir effectuée; qu’il n’a aucunement exclu, dans un tel contexte, le recours de la banque à l’égard d’un tiers.
Selon l’article 331 du code de procédure civile, un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d’agir contre lui à titre principal, et il peut également l’être, par la partie qui y a intérêt, afin de lui rendre commun le jugement.
L’article 1382 devenu 1240 du code civil dispose que ‘ Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.’
Il est admis que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén, 6 octobre 2006, n°05-13.255; 27 octobre 2016, n° 15-22.920).
En l’espèce, il n’est pas contesté :
– que Mme [X], titulaire d’un compte dans les livres de la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle a assigné cette banque en remboursement d’opérations de paiement du prix d’achats effectués par internet au moyen des systèmes de paiement ‘Payweb’ et ‘e-retrait’, qu’elle contestait avoir autorisés;
– que la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle est tiers au contrat liant Mme [X] à la SA Société Française du Radiotéléphone;
– qu’invoquant le fait que la fraude alléguée par Mme [X] n’aurait été rendue possible que par la remise fautive à un fraudeur, par la SA Société Française du Radiotéléphone, d’une carte sim ayant permis l’accès aux sms de validation adressés à sa cliente, la banque a mis cette société en cause et demandé qu’elle la garantisse de l’intégralité des sommes qu’elle serait tenue de payer à Mme [X].
La banque se prévalant de l’existence d’un dommage propre que lui aurait causé le manquement de la SA Société Française du Radiotéléphone à ses obligations contractuelles dans le cadre du contrat de téléphonie mobile souscrit avec Mme [X], et plus particulièrement liées à la remise d’une carte sim, le fait que la SA Société Française du Radiotéléphone n’ait pas participé à la mise en place par la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle du système d’authentifiation des opérations bancaires sur internet par l’envoi d’un sms est sans incidence sur la recevabilité de son action sur un fondement délictuel.
Certes, comme le relève la SA Société Française du Radiotéléphone, le choix de telle ou telle méthode d’identification permettant de s’assurer de la légitimité des transactions en ligne, en l’occurence, la saisine par le titulaire de la carte bancaire d’un code reçu sur son téléphone portable par le biais d’un sms à usage unique, appartient à la banque qui doit s’assurer de la fiabilité du mécanisme qu’elle a unilatéralement choisi de mettre en place comme l’y obligent les dispositions de l’article L.133-15 du code monétaire et financier.
Pour autant, l’absence de participation de la SA Société Française du Radiotéléphone à la mise en place par la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle du système d’authentification des opérations bancaires sur internet par l’envoi d’un sms ne prive pas la banque qui invoque une faute de l’opérateur de téléphonie dans la remise de la carte sim à son abonnée, de la faculté d’engager une action à l’encontre de la société de téléphonie sur le fondement délictuel, si elle justifie d’un dommage propre.
Par ailleurs, les dispositions d’ordre public des articles L.133-15 à L.133-19, IV et L.133-23 du code monétaire et financier qui concernent uniquement les obligations et les responsabilités respectives de l’utilisateur de services de paiement et du prestataire de services de paiement à l’occasion d’opérations de paiement non autorisées, réalisées au moyen d’un instrument doté de données de sécurité personnalisées, et notamment lorsqu’elles ont lieu à distance, et qui ne prévoient aucunement que la responsabilité de l’opérateur téléphonique puisse être engagée dans une telle hypothèse, n’empêchent pas davantage la banque de se prévaloir des règles du droit commun de la responabilité civile.
La demande en garantie de l’intégralité des sommes dues à Mme [X] de la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle, qui considère qu’elle est victime d’une faute commise par la SA Société Française du Radiotéléphone dans l’exécution de ses obligations contractuelles à l’égard de son abonnée, Mme [X], sur le fondement délictuel est par conséquent recevable.
Sur le manquement contractuel de la société Société Française du Radiotéléphone et le préjudice subi par la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle
Pour condamner la SA Société Française du Radiotéléphone à garantir la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle pour la moitié de la somme de 1.913 euros relevant directement de la fraude, soit 956,50 euros, le tribunal, après avoir rappelé les stipulations des articles 3.1 et 3.2 des conditions générales, a retenu :
– que, soit la SA Société Française du Radiotéléphone a procédé au changement de la carte sim à la demande de l’abonnée sans justifier de la procédure mise en place afin de vérifier l’identité de l’abonnée, ce qui apparaît comme une négligence au regard de son obligation générale de fourniture de service, soit la carte sim a été déclarée volée ou perdue et les modatités de l’article 3.2 n’ont pas été respectées;
– que si la SA Société Française du Radiotéléphone rappelle à l’article 10.7 ‘qu’Internet n’est pas un réseau sécurisé’, il lui appartient de faire en sorte que la remise physique de la carte sim le soit en toute sécurité, que cette défaillance contractuelle, même si elle n’est pas soulevée par Mme [X], a nécessairement causé un préjudice à la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle, la fraude n’ayant pu être finalisée pour partie que par cette défaillance.
* sur la faute
Au soutien de son appel, la SA Société Française du Radiotéléphone fait valoir que :
– la preuve de sa négligence qui consisterait à n’avoir pas justifié de la procédure mise en place afin de vérifier l’identité de l’abonnée, lors de l’activation de la nouvelle carte sim, n’est pas rapportée;
– les fournisseurs d’accès à internet, a fortiori les opérateurs de téléphonie mobile ne sont pas soumis à des obligations de résultat pour l’ensemble des services qu’ils proposent ; en conséquence les juges du fond doivent approfondir ‘l’analyse des prestations pour déterminer si une prestation est constituée d’une obligation de moyen ou/et de résultat’;
– la SA Société Française du Radiotéléphone ne s’est pas contractuellement engagée à garantir que la personne qui demande le changement de carte sim est bien le titulaire de la ligne;
– une telle garantie s’avère impossible du fait du risque de l’emploi de manoeuvres frauduleuses (fausse pièce d’identité, usurpation d’identité et de données personnelles, etc.);
– de ce fait, il est impossible de garantir que la personne qui demande le changement de carte sim est bien le titulaire de la ligne, l’opérateur de communications électroniques, qui ne dispose pas de pouvoirs de police, ne pouvant déceler la manoeuvre frauduleuse;
– le rôle joué par le titulaire de l’abonnement est important;
– si l’abonné a été imprudent et qu’il a permis à des fraudeurs d’entrer en possession d’informations leur permettant de réaliser une fausse carte d’identité et/ou de disposer de données personnelles qui ne sont normalement connues que du titulaire de l’abonnement, l’opérateur de communications électroniques ne pourra pas s’assurer qu’il remet la carte sim à la bonne personne;
– si l’obligation principale de la SA Société Française du Radiotéléphone consiste à transmettre des communications téléphoniques est une obligation de résultat, cette obligation ne peut aucunement inclure celle de transmettre les communications vers le bon destinataire et, partant, d’empêcher toute interception par un tiers; en effet, il est impossible pour l’opérateur téléphonique de s’assurer que la personne qui prend l’appel ou lit le sms est bien le titulaire de la ligne, le téléphone portable de l’abonné pouvant être entre les mains d’un tiers au moment de la réception de l’appel ou du sms, sans que la SA Société Française du Radiotéléphone n’en sache rien;
– l’obligation pour la SA Société Française du Radiotéléphone de s’assurer que la personne qui demande la délivrance et/ou l’activation d’une nouvelle carte sim est bien le titulaire de la ligne est une obligation de moyen;
– la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle échoue à démontrer une quelconque négligence de la SA Société Française du Radiotéléphone dans le cadre de la délivrance et de l’activation de la nouvelle carte sim de Mme [X], puisque du fait de l’obtention frauduleuse et préalable des données personnelles de Mme [X], les fraudeurs étaient en mesure de tromper la Société Française du Radiotéléphone en se faisant passer pour elle;
– la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle est d’autant moins légitime à soutenir que la SA Société Française du Radiotéléphone aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité, que Mme [X] elle-même n’a jamais soutenu que la SA Société Française du Radiotéléphone aurait commis un manquement contractuel à son égard, et n’a jamais formulé la moindre prétention à son encontre pendant toute la durée de la procédure.
L’intimée fait valoir que:
– en délivrant sur un point de vente le 3 janvier 2014 vers 14h10, une carte sim de remplacement pour le numéro d’abonnée de Mme [X], à une personne qui en a fait la commande au nom de Mme [X], alors qu’il ne s’agissait pas d’elle, puis en activant cette carte sim au moyen d’un appel au service client passé le même jour à 14h14, par une pesonne qui n’était pas Mme [X], la SA Société Française du Radiotéléphone a violé les conditions d’abonnement et d’utilisation (article 3.1) qui encadraient ses rapports contractuels avec Mme [X];
– la délivrance, puis l’activation de la carte sim litigieuse à un tiers constituent des manquements à une obligation contractuelle de vérification de l’identité du demandeur comme étant celle de la personne abonnée au numéro correspondant, ladite obligation étant :
* soit de résultat, et alors l’opérateur ne peut s’exonérer d’une violation qu’en rapportant la preuve d’un cas de force majeure, ce qui n’est pas démontré en l’espèce;
* soit de moyen, et alors l’opérateur ne peut s’exonérer d’une violation qu’en rapportant la preuve qu’il a fait tout son possible pour vérifier que le demandeur était effectivement le titulaire de la ligne, ce qui n’est pas davantage rapporté en l’espèce, puisque l’appelante ne démontre pas avoir demandé, ni conservé la copie d’une pièce d’identité de la personne à qui la carte sim de remplacement a été remise et qui a demandé son activation par téléphone quelques minutes plus tard, au mépris des consignes de sécurité que cette dernière indique avoir communiqué à ses distributeurs, à savoir vérifier que la demande émane du titulaire de la ligne au moyen de la présentation de la version originale d’une pièce d’identité, dont une copie doit être conservée pendant au moins six mois, et ne pas remettre une nouvelle carte sim sans l’avoir activée en magasin;
– la SA Société Française du Radiotéléphone est responsable :
* des fautes commises par ses distributeurs, sur le fondement de l’article 1242 du code civil;
* ainsi que, par ricochet, du préjudice consécutif à des opérations bancaires rendues possibles par des communications téléphoniques passées frauduleusement, soit l’envoi de sms destinés à authentifier Mme [X] sur une carte sim au nom de cette dernière, mais délivrée fautivement à un tiers dont l’identité n’a pas été vérifiée, en l’absence de preuve contraire.
Selon l’article 1382 devenu 1240 du code civil : ‘ Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.’
Il est admis que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén, 6 octobre 2006, n°05-13.255; 27 octobre 2016, n° 15-22.920).
Selon l’article 1147 du code civil, dans sa version applicable au litige : ‘Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part’.
Il n’est pas contesté que le 3 janvier 2014, vers 14h10, une carte sim de remplacement au nom de Mme [X] a été délivrée à un tiers usurpant l’identité de cette dernière dans un point de vente de produits de la SA Sfr, ladite carte ayant été activée quelques minutes plus tard (14h14) au moyen d’un appel passé au service client de la SA Société Française du Radiotéléphonepar un tiers usurpant l’identité de Mme [X].
Aux termes de l’article 3.1 des conditions générales d’abonnement produites (version de novembre 2013) qui encadraient les relations contractuelles entre la SA Société Française du Radiotéléphone et Mme [X] lors de la délivrance à un tiers, puis de l’activation par téléphone, sur demande d’un tiers, de la carte sim de remplacement litigieuse : ‘Sfr remet à l’abonné une carte sim, à laquelle est associé le numéro d’appel attribué par Sfr et qui permet l’accès aux services de Sfr. La carte sim reste la propriété exclusive, incessible et insaisissable de Sfr qui peut la remplacer soit à son initiative, pour permettre à l’abonné de bénéficier d’améliorations techniques ou en cas de défaillance constatée de la carte, soit à la demande de l’abonné’.
Cet article impose à la SA Société Française du Radiotéléphone une obligation de moyen consistant à vérifier, faute de pouvoir garantir, que la personne à qui elle délivre en point de vente, et/ou sur demande de qui, elle active par téléphone une carte sim de remplacement, est l’abonnée au numéro de téléphone mobile correspondant.
La délivrance en personne le 3 janvier 2014, vers 14h10, à un tiers usurpant l’identité de Mme [X], puis l’activation quelques minutes plus tard, à 14h14, sur demande téléphonique d’un tiers usurpant l’identité de Mme [X], d’une carte sim de remplacement au nom et à l’insu de cette dernière sont préétablies, en l’absence de contestation, et valent commencement de preuve de la violation par la SA Société Française du Radiotéléphone de son obligation de vérification de l’identité de la personne lui indiquant être abonnée au numéro de téléphone mobile correspondant à la carte sim concernée, en application de l’article 3.1 précité des conditions générales d’abonnement.
Par conséquent, il n’appartient pas à la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle, mais à l’appelante, débitrice de l’obligation de moyen en cause, de renverser ce commencement de preuve en démontrant qu’elle a fait tout son possible pour vérifier l’identité de la personne ayant demandé le remplacement, puis l’activation de la carte sim litigieuse, en se faisant passer pour Mme [X].
Or, la SA Société Française du Radiotéléphone, qui se borne à faire valoir qu’il lui est impossible de garantir l’identité d’une personne qui se présente à l’un de ses points de vente ou qui appelle son service client, ne rapporte aucun élément susceptible de démontrer qu’elle a procédé à une vérification de l’identité du tiers usurpateur à qui la carte sim en cause a été délivrée en point de vente, donc physiquement, le 3 janvier 2014, vers 14h10.
Si le service client de l’appelante a pu être trompé par téléphone sur l’identité du tiers usurpateur, au moyen de la transmission de données personnelles appartenant à Mme [X], après la récupération hypothétique de ces données par un accès en fraude à l’espace personnalisé de cette dernière sur le site internet du Crédit mutuel, la preuve attendue d’une éventuelle tromperie par la présentation au point de vente concerné d’une fausse pièce d’identité au nom de Mme [X] n’est pas rapportée en l’espèce.
Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que la SA Société Française du Radiotéléphone a commis une faute contractuelle, au sens de l’article 1147 précité du code civil, en s’abstenant par négligence de vérifier l’identité de la personne à qui la carte sim de remplacement a été délivrée en point de vente, le 3 janvier 2014, vers 14h10.
Cette faute contractuelle étant invoquée par le Crédit mutuel, en qualité de tiers au contrat d’abonnement, sur le fondement de la responsabilité délictuelle de la SA Société Française du Radiotéléphone, l’argument suivant lequel Mme [X], cocontractante de l’opérateur de téléphonie, n’a formulé aucune réclamation à ce titre et en cette qualité, est inopérant.
* Sur le lien de causalité
La SA Société Française du Radiotéléphone explique que :
– la fraude aux paiements a été rendue possible par le choix discrétionnaire du Crédit Mutuel de mettre un place un dispositif de paiement sécurisé via l’envoi de codes par sms, sans la consulter sur la fiabilité de l’utilisation de ses services à cette fin;
– le Crédit mutuel a été gravement négligent lors de la mise en place de son système de sécurisation des paiements en ligne;
– elle ne s’est jamais engagée envers quiconque à assurer la fiabilité du dispositif de sécurisation des paiements mis en place par le Crédit mutuel;
– elle ne pourrait donc, le cas échéant, n’être tenue pour responsable que du péjudice lié au coût d’éventuelles communications téléphoniques passées frauduleusement à partir de la ligne téléphonique de Mme [X], ce qu’aucune des parties n’allègue;
– le détournement d’une carte sim ou même le vol d’un téléphone portable ne permet pas au voleur d’effectuer une quelconque opération bancaire sur internet;
– ce détournement permet uniquement d’émettre ou de recevoir des appels ou des sms à partir de la ligne téléphonique de l’abonné et à l’insu de ce dernier;
– avec le code seul reçu sur le téléphone portable, le fraudeur ne peut rien faire s’il ne dispose pas par ailleurs de la carte bancaire ou des identifiant et mot de passe permettant d’accéder à l’espace bancaire en ligne de l’abonné et également de la liste des 64 codes à quatre chiffres permettant de sécuriser les opérations bancaires particulièrement sensibles tels que les paiements par carte en ligne avec le service Payweb card;
– la cause des mouvements bancaires frauduleux n’est pas la transmission par sms du code de sécurisation à 6 chiffres à une personne autre que l’abonné, mais l’obtention par le fraudeur des identifiant et mot de passe permettant d’accéder à l’espace bancaire en ligne de l’abonné, ainsi que de la liste des 64 codes à quatre chiffres uniques permettant en principe d’authentifier que la personne qui souhaite effectuer une opération est bien le titulaire du compte bancaire;
– la transmission du sms concernant le code de sécurisation à une mauvaise personne n’est possible que si le fraudeur a préalablement obtenu les identifiant et mot de passe permettant d’accéder à l’espace bancaire en ligne de la victime et d’y récupérer le numéro de téléphone portable de cette dernière, ainsi que des données personnelles nécessaires à l’obtention de la carte sim litigieuse.
La Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle fait valoir que les opérations bancaires frauduleuses n’auraient pu être effectuées sans la réception de plusieurs sms d’authentification adressés à Mme [X] sur une carte sim de remplacement correspondant au numéro de cette dernière, mais délivrée à un tiers, en conséquence d’une négligence fautive de l’appelante, étant précisé que:
– l’identifiant et le mot de passe de Mme [X] pour accéder à son espace personnel sur le site internet de la banque, ainsi que la carte de clés personnelles de celle-ci, à considérer qu’ils aient effectivement été récupérés en fraude, ne suffisent pas pour effectuer un paiement sécurisé au profit d’un tiers, par virement, payweb card ou e-retrait, un code confidentiel à six chiffres adressé par sms au numéro du titulaire du compte étant indispensable pour le finaliser;
– il n’a aucun moyen de savoir qui a pratiqué les e-retraits et achats en ligne frauduleux.
Il est constant que:
– la mise en oeuvre des dispositifs Payweb Card et E-retrait du Crédit mutuel implique de renseigner :
* les identifiant et mot de passe du client pour accéder à son espace bancaire personnel sur internet;
* une clé personnelle à quatre chiffres obtenue au moyen d’ une carte de clés personnelles (document papier) préalablement remise au client;
* et un code à usage unique, de six chiffres et d’une durée de validité limitée, adressé par sms au numéro de téléphone portable du client;
– les circonstances dans lesquelles certaines données personnelles de Mme [X], y compris son numéro de téléphone mobile, ont pu être interceptées par un tiers ne sont pas connues;
– les opérations frauduleuses ne résultent pas d’une défaillance du site internet de la banque;
– les opérations frauduleuses de paiement, effectuées le 3 janvier 2014, entre 14h43 et 14h46, sont contemporaines de la délivrance fautive, vers 14h10, puis de l’activation, à 14h14, de la carte sim litigieuse par l’appelante.
Les dispositifs Payweb Card et E-retrait du Crédit mutuel, alternativement mis en oeuvre dans le cadre des paiements frauduleux effectués le 3 janvier 2014, entre 14h43 et 14h46, comportent plusieurs volets cumulatifs de sécurité, dont le dernier consistait à renseigner un code à usage unique, de six chiffres et d’une durée de validité limitée, adressé par sms au numéro de téléphone portable de Mme [X].
La délivrance et l’activation de la carte sim litigieuse par la SA Société Française du Radiotéléphone ont permis la réception par un tiers ayant usurpé l’identité de Mme [X] des codes à six chiffres indispensables à la finalisation de chacune des trois opérations frauduleuses.
Dès lors, un lien de causalité est établi entre la faute de l’appelante et le préjudice allégué par l’intimée à raison de ses condamnations à rembourser Mme [X] des paiements effectués en fraude à hauteur de 1.913 euros, ainsi que de frais bancaires se rapportant à un découvert subséquent, suivant le jugement rendu par le tribunal d’instance de Lille le 27 mai 2016, lequel a été confirmé par l’arrêt du 19 avril 2018 de la cour d’appel de Douai, étant précisé que ce chef du dispositif n’a pas été remis en cause par l’arrêt du 22 janvier 2020 de la Cour de cassation.
Le moyen de l’appelante tiré du fait que le code à usage unique, de six chiffres et d’une durée de validité limitée, adressé par sms au numéro de téléphone portable du client par la banque, ne suffit pas à réaliser la fraude, puisque son auteur doit préalablement disposer de l’identifiant et du mot de passe du client pour accéder à son espace bancaire personnel sur internet, ainsi que d’une clé à quatre chiffres obtenue au moyen d’ une carte de clés personnelles (document papier) préalablement remise au client par la banque, est inopérant, aux motifs que:
– le fait de passer avec succès les deux premières étapes de sécurisation des dispositifs Payweb Card et E-retrait du Crédit mutuel ne permet pas de finaliser les opérations frauduleuses, en l’absence, pour chacune d’elles, de la réception du code à usage unique, de six chiffres et d’une durée de validité limitée, adressé par sms au numéro de téléphone portable du client par la banque ;
– la responsabilité de l’intimée au titre de la récupération par un tiers des données personnelles de Mme [X] nécessaires à l’accomplissement des deux premières étapes de sécurisation des dispositifs Payweb Card et E-retrait, n’est pas établie en l’espèce;
– la responsabilité délictuelle de la SA Société Française du Radiotéléphone est engagée au titre de la troisième et dernière étape de sécurisation des dispositifs Payweb Card et E-retrait du Crédit mutuel, étant rappelé qu’il n’est pas reproché à l’appelante de ne pas avoir garanti la fiabilité du choix effectué par l’intimé de sécuriser des opérations bancaires au moyen de codes adressés par sms, mais d’avoir délivré à un tiers, sans vérifier son identité, une carte sim destinataire de sms d’authentification bancaire adressés au numéro de Mme [X], cela :
* en violation du contrat d’abonnement de Mme [X], ladite violation étant en l’espèce constitutive d’une faute délictuelle à l’égard de la banque;
* et au préjudice de la banque, sachant que la délivrance fautive de cette carte sim par l’appelante a rendu possible la finalisation des paiements frauduleux en cause par la réception, pour chacun desdits paiements, du code à usage unique, de six chiffres et d’une durée de validité limitée, que la banque a envoyé par sms au numéro de téléphone portable de Mme [X].
* Sur le préjudice
La SA Société Française du Radiotéléphone fait valoir qu’elle ne peut être tenue de garantir le Crédit mutuel de condamnations relatives à la politique tarifaire (frais de commissions et d’intervention facturés) ou au titre de la résistance abusive de cette dernière, lesquelles restent sans rapport avec la délivrance de la carte sim litigieuse.
S’agissant des paiements et retraits frauduleux à hauteur de 1.913 euros, l’appelante rappelle que leur cause n’est pas sa négligence prétendue, mais les manoeuvres frauduleuses dont Mme [X] a été victime en amont, de sorte qu’une condamnation, le cas échéant, à garantir le Crédit mutuel au titre de ces opérations, ne devrait pas dépasser une somme purement symbolique.
La Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle prétend au remboursement par l’appelante de l’intégralité des sommes versées à Mme [X] par suite de la fraude, soit un montant total de 2.249,69 euros, dont 336,69 euros au titre des frais de commissions et d’intervention, en réparation du préjudice qu’elle indique avoir subi en conséquence de la délivrance et de l’activation de la carte sim litigieuse.
Au vu des développements précédents relatifs à la faute et au lien de causalité, l’intimée est bien fondée à se prévaloir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, d’un préjudice correspondant à ses condamnations de première instance, telles que confirmées le 19 avril 2018 par la cour d’appel de Douai, sans être remises en cause par l’arrêt de cassation partielle du 22 janvier 2022, à rembourser Mme [X] :
– des trois opérations frauduleuses rendues possibles par la négligence fautive de la SA Sfr, soit au paiement d’une somme de 1.913 euros comprenant:
* une commande ‘e-retrait’ d’un montant de 300 euros exécutée le 3 janvier 2014 à 14h43, acceptée en totalité par le commerçant;
* une commande ‘payweb card’ d’un montant de 830 euros exécutée le 3 janvier 2014 à 14h44, acceptée à hauteur de 825 euros par le commerçant;
* et une commande ‘payweb card’ d’un montant de 1.000 euros, exécutée le 3 janvier 2014 à 14h46, acceptée à hauteur de 788 euros par le commerçant.
– ainsi que des frais bancaires de commissions et d’intervention facturés à Mme [X] pour un montant limité à 336,69 euros, étant précisé que ces frais ont été générés par un découvert en compte courant lui-même provoqué par la fraude.
L’appelante sera condamnée sur le fondement de l’article 1382 précité du code civil, à relever indemne l’intimée de ses condamnations judiciaires, non visées par la cassation partielle, à rembourser Mme [X] une somme totale de (1.913 + 336,69 =) 2.249,69 euros correspondant aux paiements frauduleux exécutés à ses dépens le 3 janvier 2014, ainsi qu’aux frais bancaires engendrés par lesdits paiements.
Le jugement entrepris sera confirmé sur le principe de la condamnation de la SA Société Française du Radiotéléphone, au titre de sa responsabilité délictuelle, à garantir le Crédit mutuel de la fraude rendue possible par la délivrance fautive d’une carte sim, mais infirmé en ce qu’il a limité cette condamnation à hauteur de 956,50 euros, soit à la moitié de la somme des trois opérations frauduleuses.
Sur les demandes accessoires
La SA Société Française du Radiotéléphone, qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel.
Enfin, il paraît inéquitable de laisser à la charge de la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle ses frais irrépétibles d’appel non compris dans les dépens, qu’il convient d’évaluer à la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par arrêt contradictoire sur renvoi après cassation partielle, rendu par mise à disposition au greffe,
– DECLARE recevable l’action de la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle recevable;
– CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a limité à un montant de 956,50 euros, la condamnation de la SA Société Française du Radiotéléphone à garantir la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle;
statuant de nouveau sur le chef infirmé,
– CONDAMNE la SA Société Française du Radiotéléphone, au titre de sa responsabilité délictuelle, à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle une somme de 2.249,69 € avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2015, date de l’assignation en intervention forcée;
– DEBOUTE la SA Société Française du Radiotéléphone de toutes ses demandes;
– CONDAMNE la SA Société Française du Radiotéléphone à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de Quesnoy-sur-Deûle la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;
– CONDAMNE la SA Société Française du Radiotéléphone aux dépens d’appel.
Le Greffier,La Présidente,