Savoir-faire : 30 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/01145

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Savoir-faire : 30 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/01145
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30 novembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
23/01145

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 7

ARRÊT DU 30 NOVEMBRE 2023

(n° 25, 32 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 23/01145 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CG6JK

Décision déférée à la Cour : Décision de l’Autorité de la concurrence n° 22-D-24 rendue le 06 décembre 2022

REQUÉRANTE :

TDF S.A.S.U. (anciennement TÉLÉDIFFUSION DE FRANCE)

Prise en la personne de ses représentants légaux

Immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 342 404 399

Dont le siège social est au [Adresse 2]

[Localité 7]

Élisant domicile au cabinet Lexavoué Paris-Versailles

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Matthieu BOCCON-GIBOD de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Maîtres Jacques-Philippe GUNTHER et Mathilde SALTIEL de l’AARPI LATHAM & WATKINS, avocats au barreau de PARIS, toque : T09

EN PRÉSENCE DE :

L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Prise en la personne de son président

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Messieurs [Y] [W] et [Z] [D], dûment mandatés

LE MINISTRE CHARGÉ DE L’ÉCONOMIE

TELEDOC 252 – D.G.C.C.R.F.

[Adresse 8]

[Localité 5]

Représenté par M. [I] [E], dûment mandaté

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 26 octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

‘ Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,

‘ Madame Isabelle FENAYROU, présidente de chambre,

‘ Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : M. Valentin HALLOT

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté lors débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale.

ARRÊT PUBLIC :

‘ contradictoire,

‘ prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

‘ signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre et par M. Valentin HALLOT, greffier à qui la minute a été remise par le magistrat signataire.

Vu la déclaration de recours à l’encontre de la décision n° 22-D-24 de l’Autorité de la concurrence du 6 décembre 2022 notifiée le 27 décembre 2022, déposée au greffe le 23 janvier 2023 par la société TDF ;

Vu le mémoire en annulation/réformation de cette décision et le mémoire récapitulatif, déposés au greffe les 8 février et 15 mai 2023 par la société TDF ;

Vu les observations déposées au greffe le 4 avril 2023 par l’Autorité de la concurrence et par le ministre chargé de l’économie ;

Vu l’avis du ministère public en date du 20 octobre 2023, communiqué le même jour à la requérante, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’économie ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 26 octobre 2023, en leurs observations orales le conseil de la société TDF, les représentants de l’Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l’économie, puis le ministère public, les parties ayant été mises en mesure de répliquer.

FAITS ET PROCÉDURE

§ 1

I. LE SECTEUR CONCERNÉ

§ 2

II. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

§ 8

FPS Towers

§ 8

TDF

§ 12

III. LA PROCÉDURE D’ENGAGEMENTS DE 2015

§ 14

IV. LA PROCÉDURE EN CAUSE

§ 20

MOTIVATION

§ 35

I. SUR LA RECEVABILITÉ DU RECOURS

§ 35

II. SUR LES MOYENS D’ANNULATION TIRÉS D’UNE VIOLATION DU

PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE ET DES DROITS DE LA DÉFENSE

§ 44

III. SUR L’ÉVOCATION DE L’AFFAIRE AU FOND

§ 77

A. Sur la position de TDF sur le marché et l’analyse des préoccupations de concurrence identifiées à la lumière de la structure actuelle du marché

§ 77

B. Sur la révision des engagements

§ 124

IV. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS

§ 143

PAR CES MOTIFS

§ 144

FAITS ET PROCÉDURE

1.Le 30 juillet 2014, la société FPS Towers (devenue ATC France) a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») d’une plainte à l’encontre de la société TDF (ci-après « TDF ») alléguant de pratiques d’abus de position dominante sur le marché de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile. Cette saisine était assortie d’une demande de mesures conservatoires sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce.

I. LE SECTEUR CONCERNÉ

2.Le secteur concerné est celui des infrastructures d’hébergement des équipements de télécommunication pour les opérateurs de téléphonie mobile.

3.Les sites de télécommunication mobile comprennent, d’une part, des infrastructures dites « passives », généralement composées d’un pylône ou d’un mât, d’un local technique et d’équipements techniques permettant leur exploitation et, d’autre part, des infrastructures dites « actives » de téléphonie mobile permettant de diffuser les ondes de radiocommunication dont les opérateurs mobiles restent propriétaires.

4.Il est constant que dans les zones urbaines les opérateurs n’ont d’autre choix que d’utiliser des toits terrasses, tandis que les zones rurales et périurbaines offrent une plus grande diversité de points hauts. Les pylônes y constituent la principale catégorie d’infrastructure sur laquelle les opérateurs s’appuient pour développer leur réseau.

5.Ces infrastructures passives sont principalement détenues ou exploitées :

‘ soit directement par les opérateurs de réseaux mobiles : « mobile network operators » (ci-après « MNO »), qui peuvent les partager avec d’autres opérateurs de réseaux ;

‘ soit par des opérateurs d’infrastructure spécialisés, généralement désignés sous l’appellation de « Tower Companies » (ci-après « TowerCo »).

6.Un MNO dispose généralement de trois options pour héberger ses équipements de téléphonie mobile (infrastructures actives) :

‘ faire appel à une offre d’hébergement d’un MNO tiers sur l’un de ses sites, dans le cadre d’un partage d’infrastructures passives, appelé colocalisation ou mutualisation passive ;

‘ souscrire une offre d’hébergement émanant d’une TowerCo à partir de sites préexistants, au moyen de contrats qui peuvent être, soit des contrats de prestation de services d’hébergement, tels que les contrats de service points hauts de TDF visés dans la décision n° 15-D-09, soit des accords de type Master Services Agreements [contrats cadre de services]. Ces derniers sont le plus souvent conclus dans le cadre d’opérations dites de « sale and lease back » [achat et prestation de service en retour]. À l’issue de ce type d’opération, le MNO transfère la propriété de sites existants à une TowerCo et conserve ses équipements de téléphonie mobile installés sur ces sites. La TowerCo fournit alors un service d’hébergement sur une longue durée compte tenu de l’importance de l’investissement nécessaire à ce type d’opérations, raison pour laquelle ces contrats proposés dans le cadre d’opérations de sale and lease back sont généralement d’une durée relativement longue, comprise entre 15 et 20 ans ;

‘ décider de construire un site avec le concours d’une TowerCo. Dans ce cas, l’opération intervient dans le cadre d’accords de déploiement reposant sur l’engagement du MNO de céder à une TowerCo un certain nombre de sites à construire (contrats dits de « build and lease back » [construction et prestation de service en retour] ‘ ou encore de « build to suit » [déploiement sur mesure]). La TowerCo acquiert la propriété des sites et conclut des baux d’hébergement avec le MNO pour les sites en question. Les accords de ce type portent généralement sur le déploiement de plusieurs sites sur une période étendue, pour les mêmes raisons que les contrats de sale and lease back.

7.Il n’est pas contesté qu’à la différence de ceux qui ont été construits par des TowerCo, les pylônes des opérateurs mobiles n’ont pas été construits pour accueillir plusieurs services et que l’installation d’antennes supplémentaires sur ces derniers implique la réalisation de travaux de renforcement.

II. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

FPS Towers

8.L’opérateur de téléphonie Bouygues Telecom a construit un parc de sites pylônes pour accueillir ses équipements dans le cadre du déploiement de son réseau de téléphonie mobile. Il a ensuite créé, le 8 décembre 2011, une filiale, la société France Pylônes Services, à laquelle il a cédé une grande partie des contrats de bail afférents à son parc de pylônes puis, dans un second temps, la quasi-totalité de ses sites pylônes.

9.Cette filiale a ensuite été cédée au fonds d’investissements Antin Infrastructure Partners, filiale à l’époque du groupe BNP Paribas. Le protocole de cession conclu le 21 novembre 2012 prévoyait qu’Antin détenait 85 % du capital de France Pylônes Services, Bouygues Telecom conservant les 15 % restants.

10.Le 25 février 2013, à la suite de l’acquisition de la majorité de son capital social par Antin, France Pylônes Services a adopté la dénomination sociale de « FPS Towers » (ci-après « FPS »).

11.Les prestations offertes à Bouygues Telecom par FPS, qui est une Towerco, s’inscrivent dans le cadre d’un contrat d’hébergement particulier, d’une durée de 20 ans, conclu en contrepartie du protocole de cession des 2 045 sites pylônes qu’elle détenait (contrat dit de « sale and lease back »).

TDF

12.Selon les termes de la décision n° 15-D-09, à sa création en 1975, TDF était un établissement public à caractère industriel et commercial disposant du monopole de la radiodiffusion et de la télédiffusion hertzienne. Après l’abrogation, le 31 décembre 2003, de l’article 51 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (dite « Loi Léotard »), TDF a perdu le monopole de la diffusion et de la transmission hertzienne, au terme d’une période transitoire s’achevant en 2005. En 1987, elle a été transformée en société anonyme dont le capital était majoritairement détenu par l’État. En 1991, TDF est devenue une filiale à 100 % du groupe France Télécom qui, en 2002, a cédé sa participation à un consortium international composé de fonds d’investissements et de la Caisse des Dépôts et Consignations. En 2007, TDF a été transformée en société par actions simplifiée. Le capital social a connu plusieurs changements d’actionnaires.

13.Elle exploite et gère des infrastructures de télécommunication (téléphonie mobile), étant à ce titre une Towerco, ainsi que de diffusion hertzienne (télévision et radio). Seule son activité d’hébergement d’équipements de télécommunication au service des opérateurs mobiles est concernée par la présente procédure.

III.LA PROCÉDURE D’ENGAGEMENTS DE 2015

14.Dans la décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile (ci-après « la décision n° 15-D-09 »), le marché pertinent a été défini comme étant celui des services d’hébergement proposés exclusivement par des TowerCo sur sites pylônes, limité aux zones périurbaines et rurales. Il a également été retenu qu’il ne comprenait pas les offres des MNO proposées dans le cadre de la colocalisation, dans la mesure où elles présentaient des différences significatives par rapport aux offres d’hébergement des TowerCo, d’un point de vue technique (délai de mise à disposition des sites, hauteur ou emplacement des sites) et commercial (contenu des offres plus varié). En outre, il a été exclu du périmètre des engagements, les contrats de sale and lease back (points 2.1 et 3.1 des engagements).

15.Ayant relevé que la part de marché de TDF pouvait être évaluée à 85 % du chiffre d’affaires du secteur en cause ‘ et encore à 55 % en y intégrant les offres de mutualisation des MNO ‘ et qu’il existait d’importantes barrières à l’entrée de nature à renforcer le pouvoir de marché de l’opérateur disposant du réseau historique le plus étendu, l’Autorité a conclu à une position dominante de TDF sur ce marché (§ 67 à 79 de la décision n° 15-D-09).

16.Elle a considéré, dans ce contexte, que la conclusion par TDF de contrats longs (supérieur à 10 ans) comprenant des clauses de résiliation anticipées restrictives, assorties de pénalités importantes, était susceptible de produire des effets anticoncurrentiels réels ou potentiels contraires aux articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») et L. 420-2 du code de commerce.

17.L’Autorité a, en conséquence, rendu obligatoires les trois engagements proposés par TDF pour y remédier, après qu’ils eurent été mis en ligne le 3 février 2015 pour un test de marché puis modifiés à l’issue de la séance du 7 mai 2015.

18.Ces engagements, adoptés pour une durée de onze ans, soit jusqu’au 3 juin 2026, consistent à :

‘ limiter la durée des futurs contrats-cadres d’hébergement à une durée de 10 ans ;

‘ accroître la faculté de résiliation anticipée de sites au bénéfice des clients MNO à 4 % du nombre total de sites-pylônes visés par les contrats et permettre le report des possibilités de résiliation non utilisées d’année en année dans la limite de 10 % ;

‘ limiter le montant de l’indemnité forfaitaire et libératoire pour les contrats en cours et futurs à trois mois de loyer.

19.Ils prévoient, au point 4.3, que « [l]es engagements décrits au point 2, s’agissant des contrats postérieurs à l’adoption de la décision de l’Autorité de la concurrence les rendant obligatoires, et au point 3 sont souscrits pour une durée de onze (11) ans à compter de la date de réception de la notification à TDF de ladite décision. Toutefois, au cours de cette période l’Autorité de la concurrence et TDF pourront se rencontrer pour discuter de la pertinence du maintien de ces engagements jusqu’à leur échéance, au vu notamment de l’évolution de la structure de la concurrence sur le marché concerné. Ce point est sans préjudice de la possibilité pour TDF de saisir l’Autorité de la concurrence d’une demande de révision ou de suppression de tout ou partie des engagements décrits aux points 2 et 3, en application des dispositions du point 46 du communiqué de procédure de l’Autorité du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence, en particulier s’il intervient une modification significative des circonstances de droit ou de fait pertinentes pour apprécier le caractère approprié desdits engagements ».

IV. LA PROCÉDURE EN CAUSE

20.Le 17 mars 2021, TDF a saisi l’Autorité d’une requête en révision des engagements, lui en demandant la levée totale.

21.En juin 2021, les services d’instruction de l’Autorité ont réalisé un test de marché au cours duquel quatre opérateurs mobiles (les MNO : Bouygues, Iliad, Orange et SFR) et sept opérateurs d’infrastructures (les TowerCo : TDF, ATC France, Cellnex, Hivory, Infracos, Phoenix Tower International et Towercast) ont été interrogés.

22.Il en ressort que :

‘ l’ensemble des opérateurs mobiles a indiqué que la durée des contrats limitée à 10 ans n’était plus importante à l’économie du secteur. Ils ont relevé que les contrats qui ont été signés depuis la décision n° 15-D-09 sont d’une durée bien plus élevée, en moyenne 20 ans (dans le cadre de contrats de sale and lease back, build to suit etc.), ainsi que la nécessité de contrats plus longs pour assurer la rentabilité des nouvelles Towerco et sécuriser l’approvisionnement des MNO ;

‘ certains opérateurs ont toutefois indiqué que la levée de l’engagement relatif à la durée des contrats devait être conditionnée au maintien de l’engagement relatif aux facultés de sortie anticipée, afin d’être en capacité de résilier un certain nombre de sites de manière anticipée et de conserver ce levier de négociation et de changement au cours de la durée d’exécution du contrat ;

‘ la majorité des répondants (trois opérateurs sur quatre) a estimé que la limitation de l’indemnité pécuniaire à trois mois de loyers était nécessaire à l’économie du secteur.

23.Le 8 juillet 2021, sur saisine de l’Autorité, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ci-après l’ « ARCEP ») a rendu l’avis n° 2021-1360 sur la demande de levée des engagements, conformément à l’article R. 463-9 du code de commerce. Aux termes de celui-ci, l’ARCEP a relevé que, depuis la décision n° 15-D-09, le secteur de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile a connu des modifications structurelles importantes, notamment dues à un mouvement de cession d’infrastructures par les opérateurs mobiles qui s’est amplifié. Elle observe que le nombre de TowerCo actives sur le marché français métropolitain a, en conséquence, fortement augmenté depuis 2015 : outre TDF et FPS Towers (devenu ATC France en 2016), sont désormais présentes sur ce marché Cellnex France, On Tower France, Hivory, ainsi que Phoenix France Infrastructures. À cet égard, elle souligne que les TowerCo ont pris un poids considérable dans le secteur de l’hébergement d’équipements mobiles en France métropolitaine et que, d’après les données de l’ANFR (mars 2021) et les échanges menés par l’Autorité avec les acteurs du secteur, les TowerCo détiennent ou gèrent, à date, 61 % des toits-terrasses et 47 % des pylônes.

24.Elle indique également qu’il ressort des évolutions observées que :

‘ la concurrence entre TowerCo s’est accrue à la suite de l’émergence de ces nouveaux opérateurs d’infrastructures et que les opérateurs mobiles bénéficient désormais d’une offre plus large ;

‘ à situation de marché stable, quelle que soit la définition de marché retenue, les analyses en propre de l’ARCEP, réalisées à partir des données de l’Agence nationale des fréquences (ci-après « ANFR »), démontrent l’affaiblissement de la part de marché de TDF, par rapport à la situation prévalant en 2015 ;

‘ les données de l’ANFR (mars 2021) révèlent que TDF détient 16 % des pylônes/mâts.

25.L’ARCEP constate par ailleurs « l’hétérogénéité des besoins et des stratégies des opérateurs mobiles en matière d’hébergement et l’intérêt manifesté par certains opérateurs mobiles pour des contrats longs afin de disposer d’une visibilité accrue sur les conditions d’hébergement, ce que TDF ne peut offrir actuellement » et que « les contrats de prestations de services conclus par les opérateurs mobiles avec des TowerCo concurrentes de TDF sont de durée largement supérieure à 10 ans » (avis page 8)

26.En conclusion, l’ARCEP indique qu’à la lumière des échanges menés avec les opérateurs mobiles et de ses propres analyses, elle « n’a pas identifié a priori d’obstacles à la levée des engagements de TDF, à situation de marché stable ».

27.Dans le rapport déposé le 27 janvier 2022, les services d’instruction ont noté une érosion de la position de TDF sur le marché et relevé que les parts de marché de celle-ci en nombre de sites et en zones périurbaine et rurale ne s’élèvent plus qu’à [25-35 %] et celles en nombre de points de présence (ci-après « PoP » pour Point of presence) plus qu’à [30-40 %]. Ils ont néanmoins retenu que TDF conservait un pouvoir de marché qui reste notable (rapport § 94-95), tenant, en substance, à son rôle historique dans la gestion des infrastructures permettant la télédiffusion hertzienne, à la création de hautes tours constituées de nombreux faisceaux hertziens, permettant de couvrir une zone étendue du territoire avec une communication performante, au caractère non réplicable de ses tours en raison de leurs emplacements stratégiques et bien spécifiques et du taux de mutualisation de ses sites qui peuvent accueillir simultanément les équipements des quatre MNO avec le taux de colocation le plus élevé (1,85 contre 1,1 à 1,5 pour ses concurrents). Ils ont proposé, au vu des changements intervenus sur le marché et des réponses des opérateurs aux questionnaires du test de marché, de lever l’engagement relatif à la durée des contrats et de maintenir ceux relatifs aux facultés de sortie anticipée.

28.Par la décision n° 22-D-24 du 6 décembre 2022 relative à la demande de révision des engagements de la société TDF rendus obligatoires par la décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015 (ci-après la « décision attaquée ») l’Autorité a admis l’existence d’un changement important, au sens de l’alinéa 2 de l’article L. 464-2 du code de commerce, tenant, d’une part, à la cession de sites pylônes par les MNO au profit de TowerCo qui a accru le nombre de TowerCo et, d’autre part, aux besoins opérationnels des MNO. Elle en a déduit qu’il était de nature à justifier l’examen de la demande de révision de ses engagements. Après avoir relevé que le marché de l’hébergement sur sites pylônes était circonscrit aux seuls points de présence effectivement proposés à tout MNO sur le marché pertinent, elle a retenu que TDF n’avait pas procédé à une telle analyse lorsqu’elle avait évalué ses parts de marché actuelles. Elle a, en conséquence, rejeté sa demande de révision pour défaut d’éléments prouvant la disparition effective des préoccupations de concurrence (§ 77).

29.Elle a, ensuite, considéré que les parts de marché de TDF et les autres éléments analysés relatifs à son pouvoir de marché ne permettaient pas d’exclure l’existence d’une position dominante de l’opérateur sur le marché de l’hébergement sur sites pylône ni d’écarter la persistance des préoccupations de concurrence identifiées dans la décision n° 15-D-09. S’appuyant sur les données ANFR utilisées par TDF au soutien de sa demande, et les actualisant à la date d’octobre 2022, l’Autorité a retenu que la part de marché de TDF, en nombre de PoP, sur le marché de l’hébergement sur sites pylônes en zones périurbaines et rurales, s’élevait, fin 2020, à [40-50] % (et [40-50] % toutes zones confondues) et qu’elle était restée stable puisqu’elle s’établissait à [40-50 %] en 2022. Elle a également relevé qu’en tout état de cause, les parts de marché de TDF étaient deux à trois fois supérieures à celles de son plus proche concurrent, Cellnex/Hivory qui sont de [15-25] % sur le marché de l’hébergement sur sites pylônes toutes zones confondues et [15-25] % sur le segment de l’hébergement sur sites pylônes ne comprenant que les points situés en zone périurbaine et rurale.

30.Le 23 janvier 2023, TDF a formé un recours en annulation et en réformation contre cette décision.

31.Aux termes de ses dernières écritures, TDF demande à la Cour de :

‘ recevoir son recours ;

‘ annuler la décision n° 22-D-24 en son intégralité ;

‘ à défaut, réformer son unique article ;

‘ en tout état de cause et statuant à nouveau, ordonner la levée de chacun des trois engagements ;

‘ condamner l’Autorité à lui payer la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

32.L’Autorité invite la Cour :

‘ à titre principal, à déclarer le recours irrecevable ;

‘ à titre subsidiaire, à rejeter la demande d’annulation et de réformation de la décision attaquée et, dans la négative à renvoyer l’affaire à l’Autorité aux fins de poursuite de la procédure.

33.Le ministre chargé de l’économie invite la Cour à rejeter l’ensemble des moyens et à confirmer la décision attaquée.

34.Le ministère public invite la Cour à :

‘ déclarer recevable le recours formé par TDF ;

‘ rejeter les demandes relatives à la levée des engagements n° 1 et n° 2 ;

‘ lever l’engagement n° 3.

MOTIVATION

I. SUR LA RECEVABILITÉ DU RECOURS

35.L’Autorité rappelle qu’en application de l’article L. 464-2 du code du commerce, TDF a conçu et proposé volontairement des engagements pour une durée déterminée. Elle estime que si l’alinéa 2 de l’article L. 464-2 du code du commerce prévoit qu’elle peut modifier, compléter ou mettre fin aux engagements qu’elle a acceptés, il n’existe pas de droit acquis à leur révision avant terme. Elle considère qu’elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de faire droit ou non à une telle demande et qu’il incombe à l’auteur de la demande d’établir que les changements de fait allégués, en plus d’être suffisamment importants, sont de nature à entraîner la disparition effective de l’ensemble des préoccupations de concurrence identifiées dans la décision d’engagements. Elle ajoute que l’article L. 464-8 du code du commerce ne prévoit aucun recours à l’encontre de la décision de rejet de la demande de révision, dès lors qu’il renvoie à l’article L. 464-2 du code du commerce qui ne mentionne pas de telles décisions. L’Autorité en déduit que le recours de TDF est irrecevable.

36.En réplique, TDF fait valoir que la recevabilité du recours résulte clairement de l’article L.464-8 du code de commerce, qui fait référence aux décisions rendues par l’Autorité sur le fondement de l’article L. 464-2 du code de commerce. Elle soutient que le législateur n’ayant prévu aucune différence de traitement entre les décisions rendues sur ce fondement, la décision de rejet est bien susceptible de recours.

37.Elle ajoute qu’il ne peut être admis que la décision attaquée n’entre pas dans le champ d’application de l’article L. 464-8 du code de commerce, au motif qu’il s’agit d’une décision de « rejet » et non « d’acceptation » d’une révision d’engagements, une telle interprétation procédant, selon elle, d’une lecture erronée des articles L. 464-2 et L. 464-8 du code de commerce qui prévoient un droit de recours contre un type de décision (décisions portant sur le fait de modifier ou mettre fin à des engagements) sans préjuger de leur issue (rejet ou acceptation de la révision). Elle estime que la décision de rejet de levée des engagements est susceptible de recours dès lors qu’elle lui fait grief et invoque, par analogie, la décision rendue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, par laquelle le Conseil constitutionnel a admis la recevabilité d’un recours contre la décision de l’Autorité refusant les engagements proposés par une société (Conseil constitutionnel, 10 février 2023, décision n° 2022-1035 (QPC)). Elle soutient également que l’article L. 464-8 du code de commerce s’applique aussi aux procédures « négociées », dès lors qu’il n’est pas limitatif.

38.Le ministère public considère qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la combinaison des deux textes précités qu’est recevable le recours en cause formé contre la décision attaquée qui a rejeté la demande de levée des engagements rendus obligatoires par décision du 4 juin 2015.

Sur ce, la Cour :

39.Aux termes de l’article L. 464-8 du code de commerce « [l]es décisions de l’Autorité de la concurrence mentionnées aux articles (‘) L. 464-2, (‘) sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l’économie, qui peuvent, dans le délai d’un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d’appel de Paris (‘) ».

40.L’article L. 464-2 du code de commerce, auquel il renvoie, dispose que « [l’] Autorité de la concurrence peut (‘) accepter des engagements, d’une durée déterminée ou indéterminée, proposés par les entreprises ou associations d’entreprises et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 (‘).

Elle peut, de sa propre initiative ou sur demande de l’auteur de la saisine, du ministre chargé de l’économie ou de toute entreprise ou association d’entreprises ayant un intérêt à agir, modifier, compléter les engagements qu’elle a acceptés ou y mettre fin :

a) Si l’un des faits sur lesquels la décision d’engagements repose a subi un changement important, ou

b) Si la décision d’engagements repose sur des informations incomplètes, inexactes ou trompeuses fournies par les parties à la procédure ».

41.C’est ainsi sur le fondement de l’article L. 464-2 du code de commerce que l’Autorité examine, de sa propre initiative ou sur demande, la nécessité de modifier, compléter les engagements qu’elle a acceptés ou y mettre fin. Les décisions, modifiant des engagements rendus obligatoires comme refusant de telles demandes, sont ainsi incluses dans le champ d’application de l’article L. 464-8 du code de commerce, et ce peu important le caractère négocié de la procédure, au regard des conséquences qu’est susceptible d’entraîner pour l’entreprise en cause le refus de modification des engagements lorsque l’un des faits sur lesquels la décision d’engagements repose a subi un changement important.

42.À cet égard, la Cour observe que le législateur a expressément prévu la possibilité de modifier des engagements avant terme, nonobstant le fait qu’ils ont été acceptés et rendus obligatoires par l’Autorité, de sorte que cette circonstance ne saurait faire obstacle au droit de saisir la Cour d’un recours portant sur les conditions d’application de l’article L. 464-2, a), du code de commerce.

43.Le recours de TDF est en conséquence déclaré recevable.

II. SUR LES MOYENS D’ANNULATION TIRÉS D’UNE VIOLATION DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE ET DES DROITS DE LA DÉFENSE

44.TDF fait grief à l’Autorité, en premier lieu, d’avoir défini le marché de façon inédite et d’avoir eu recours à une méthode de calcul de ses parts de marché nouvelle, sans avoir jamais évoqué ces points ni lors de l’instruction, ni lors de la séance devant le collège. Elle lui reproche également de s’être appuyée sur des données postérieures à la phase contradictoire. Elle fait valoir que le principe du contradictoire implique que la partie concernée ait pu prendre connaissance des moyens de fait et de droit sur lesquels l’Autorité fonde sa décision et qu’elle ait pu les discuter en temps utile. Elle rappelle que le principe précité a valeur constitutionnelle, constitue un principe général du droit indivisible et un corollaire du droit à un procès équitable prévu par l’article 6, paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CSDH »), qu’il est régi par les articles 14 à 17 du code de procédure civile et s’applique aux procédures en droit de la concurrence par le biais de l’article L. 463-1 du code de commerce. Elle en déduit, en l’espèce, une violation du caractère contradictoire de l’instruction et de la procédure prévue par ce texte, tenant au fait que l’Autorité a adopté, sans l’évoquer préalablement, une nouvelle définition du marché pertinent excluant une partie de l’offre (à savoir les PoP du MNO cédant contractés dans le cadre d’accords de sale and lease back et build to suit) et a calculé sa part de marché en se fondant sur des données de l’ANFR datant d’octobre 2022, postérieures de cinq mois à la fin de la phase contradictoire et qui n’étaient pas non plus accessibles lors de la phase contradictoire. Elle estime que la nouvelle définition du marché est en contradiction avec celle retenue en 2015, ainsi que, plus récemment, dans les affaires Cellnex/Iliad de 2019 et Cellnex/Hivory de 2021, mais aussi avec celle du rapport. Elle relève que cela aboutit à des parts de marchés supérieures de plus de 10 points de pourcentage à l’estimation des services d’instruction et à celle qu’elle a réalisée.

45.Elle estime, en deuxième lieu, que la décision attaquée a été rendue en violation des droits de la défense, dès lors que l’Autorité disposait de la faculté de renvoyer l’affaire à l’instruction, conformément à l’article R. 463-7 du code de commerce, si la méthodologie employée pour le calcul des parts de marché lui paraissait incomplète ou, à défaut aurait dû partager ses doutes lors de la séance, ce qu’elle n’a pas fait. Elle soutient que cette violation lui a directement fait grief puisque l’adoption d’une définition de marché et d’une méthode de calcul des parts de marché inédites a été déterminante dans sa décision de ne pas lever les engagements, et qu’elle n’a pas pu s’en défendre.

46.Elle s’oppose enfin à tout renvoi à l’instruction, estimant qu’après annulation la Cour dispose de tous les éléments utiles pour évoquer le fond et que les délais qu’il impliquerait pour aboutir à une décision reviendrait à maintenir les engagements jusqu’à leur terme.

47.L’Autorité rappelle que la décision attaquée, qui refuse la levée des engagements qu’une entreprise a souscrit sans faire peser sur elle de contraintes nouvelles, n’est pas une décision contentieuse pouvant conduire à l’adoption d’une sanction et que les garanties relatives à la protection des droits de la défense ne s’appliquent donc pas avec la même intensité. Elle fait valoir que le principe de la contradiction, applicable en vertu de l’article L. 463-1 du code du commerce, revêt un champ d’application plus limité en la matière et que le législateur ne donne d’ailleurs aucune précision quant à la façon dont le principe du contradictoire doit s’exercer dans le cadre de l’examen des demandes de révision d’engagements. Elle souligne également que l’article L. 464-2 du code de commerce ne lui impose aucun formalisme, témoignant de ce que le législateur a voulu donner à cette procédure une grande souplesse. Elle estime que le fait que certains éléments, notamment la méthodologie d’évaluation des parts de marché de TDF, n’aient pas été discutés lors de la séance ne saurait caractériser une atteinte au principe du contradictoire. Elle observe, en outre, que la décision attaquée s’appuie soit sur des éléments figurant au dossier et dont disposait TDF, soit sur des données sectorielles publiques et qu’elle n’est pas contraire à celle figurant au rapport, qui retient un pouvoir de marché notable de TDF.

48.Elle précise par ailleurs que TDF l’a sollicitée informellement à deux reprises en 2016 et 2019 afin de s’assurer du périmètre des engagements auxquels elle est tenue et qu’il lui a ainsi été indiqué que les contrats de sale and lease back et les contrats de build to suit étaient exclus du champ d’application des engagements. Elle en conclut que l’argument de TDF selon lequel l’Autorité n’a pas évoqué préalablement avec elle la délimitation du marché qu’elle entendait retenir n’est pas fondé.

49.Sur sa méthodologie, elle précise s’être appuyée sur les mêmes données que celles utilisées par TDF, à savoir les données ANFR datant d’octobre 2020 et les données INSEE. Elle détaille ses calculs aux paragraphes 84 et suivants de ses observations, dont il ressort qu’elle a comptabilisé l’ensemble des points de présence existants, à partir du deuxième, sur les pylônes ayant fait l’objet de contrats de sale and lease back, ce qui suit la même méthodologie que les calculs effectués dans la note économique de TDF produite devant la Cour, qui prennent soin de n’éliminer qu’un seul point de présence dans les contrats de sale and lease back (point A.20, page 38 de l’étude économique). Elle précise que le calcul au titre de l’année 2022, effectué à titre surabondant dans la décision attaquée, avait pour finalité de vérifier que les parts de marché de TDF n’avaient pas évolué significativement depuis la saisine, du fait notamment de la mutualisation croissante des sites existants, et elle observe que cela lui a permis de constater que les parts de marché sont restées stables. Elle précise que ce constat demeure, en tout état de cause, inchangé si l’ensemble des pylônes construits entre 2020 et 2022 sont pris en compte et que la part de marché de TDF demeure plus de deux fois supérieure à celle de son plus proche concurrent.

50.Enfin, elle fait valoir, dans l’hypothèse où l’annulation de la décision attaquée devait intervenir, que la Cour ne pourrait que déclarer irrecevable la demande de TDF visant à lever les engagements et qu’il conviendrait alors de renvoyer l’affaire à l’Autorité aux fins de poursuite de la procédure. Elle estime que si, en application du principe de l’effet dévolutif du recours, la Cour, après avoir annulé une décision de sanction de l’Autorité, est tenue de statuer en fait et en droit sur les demandes des parties, il en va toutefois différemment dans de nombreuses hypothèses, mises en évidence dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui a rappelé, en substance, que la Cour « ne dispose ni des pouvoirs, ni des moyens de procéder à l’instruction d’une saisine du Conseil dans les conditions prévues par les articles L. 450-1 et suivants du code de commerce ». Elle relève, qu’en l’espèce, la décision attaquée, adoptée sur le fondement du deuxième alinéa de l’article L. 464 2 du code de commerce, n’est pas une décision de fond et ne s’est pas prononcée sur la disparition des préoccupations de concurrence identifiées en 2015, se bornant à constater un défaut d’éléments probant présentés à l’appui de la demande. Elle en déduit qu’au cas où la décision serait annulée, lever les engagements nécessiterait des mesures d’instruction complémentaires qui ne peuvent être mises en ‘uvre que par l’Autorité et non par la Cour.

51.Le ministre chargé de l’économie rappelle que le principe du contradictoire ne revêt pas un caractère absolu et que son étendue varie en fonction des spécificités des procédures en cause. Il évoque la jurisprudence européenne en ce sens et le principe qui en est issu, selon lequel le requérant doit prouver que le résultat, auquel est parvenu une autorité de concurrence dans sa décision, aurait été différent, si devait être écarté, comme moyen de preuve à charge, un document non communiqué sur lequel ladite autorité s’est fondée pour incriminer cette entreprise. S’agissant de la délimitation du marché pertinent, il relève que la pratique décisionnelle de l’Autorité ne présente pas de caractère immuable et peut évoluer en fonction du contexte juridique et économique lié aux marchés examinés. En l’espèce, il considère que l’exclusion de l’analyse de marché des sites issus des contrats de sale and lease back et build to suit s’inscrit dans la logique des décisions d’acceptation des engagements du 4 juin 20l5 et dans celle de l’autorisation de la prise de contrôle d’INWIT par Telecom Italia et Vodafone. Enfin il rappelle que l’Autorité a la faculté d’exprimer une position distincte de celle du rapport des services d’instruction.

Sur ce, la Cour :

52.En application de l’article L. 463-1 du code de commerce, « [l]’instruction et la procédure devant l’Autorité de la concurrence sont contradictoires sous réserve des dispositions prévues à l’article L. 463-4 du code de commerce », lesquelles sont relatives à la protection du secret des affaires.

53.La décision par laquelle l’Autorité refuse de faire usage de la faculté qu’elle tient de l’alinéa 2, sous a), de l’article L. 464-2 du code de commerce de modifier, compléter les engagements qu’elle a acceptés ou y mettre fin « si l’un des faits sur lesquels la décision d’engagements repose a subi un changement important », bien que n’étant pas de nature à conduire à l’adoption d’une sanction, est susceptible de faire grief à l’entreprise sur laquelle pèsent les engagements, selon l’appréciation qui peut être portée sur le changement intervenu et son incidence sur les préoccupations de concurrence auxquelles les engagements souscrits devaient remédier. Par conséquent, le respect du principe précité implique que le destinataire d’une telle décision soit mis en mesure, au cours de la procédure, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances qui la fondent, peu important qu’aucun formalisme n’ait été imposé pour y procéder.

54.Dans la présente espèce, concernant la délimitation du marché pertinent à retenir, la Cour rappelle que la décision n°15-D-09 l’avait défini en tenant compte du périmètre des services diffusés (l’hébergement d’équipements de téléphonie mobile) et du type de points hauts (pylônes), le limitant aux seuls pylônes exploités par les TowerCo et distinguant les zones urbaines des zones rurales et périurbaines où ils sont implantés compte tenu des contraintes particulières d’accessibilité et des investissements spécifiques pour les adapter aux besoins des opérateurs (§ 42 à 57). Elle avait également précisé, compte tenu du faible taux de mutualisation des pylônes autoproduits par les opérateurs mobiles, inhérent aux travaux de renforcement qu’ils nécessitaient et de l’allongement des délais de livraison observé en l’absence d’équipes dédiées à la production de solutions d’hébergement au sein des MNO, par rapport aux TowerCo, qu’il n’y avait pas lieu de remettre en cause l’analyse traditionnelle du secteur qui considère que les services d’hébergement offerts par les TowerCo et ceux offerts par les MNO ne sont pas sur le même marché pertinent et qu’ainsi les pylônes des opérateurs exploités en autoproduction ne devaient pas être pris en compte pour le calcul des parts de marché (§ 58 à 66).

55.Le rapport déposé le 27 janvier 2022 par les services d’instruction (§ 41 et suivants) a rappelé la segmentation des marchés opérée dans la décision de 2015 et retenu que les réponses au test de marché réalisé ne permettaient pas de revenir sur ces différentes segmentations (§ 58). Il a également indiqué qu’aux termes de l’engagement rendu obligatoire (point 2 (i) ) les contrats dits de sale and lease back avaient été expressément exclus du périmètre de l’engagement. Sur la base de l’annexe 2 de la saisine de TDF, correspondant à la note d’un cabinet d’économistes relative à la méthodologie de calcul des parts de marché dans le secteur de l’hébergement d’antennes d’opérateurs mobiles, le rapport a précisé que le périmètre retenu pour l’analyse quantitative des parts de marché de TDF en nombre de PoP « est donc celui des pylônes opérés par les TowerCo » (rapport § 71). Il a précisé que les résultats de TDF ont été présentés sur la base de données publiées par l’ANFR retraitées, après que différentes opérations de cession soient intervenues sur le marché. C’est sur cette base que TDF, en réponse au rapport, a entendu démontrer que les préoccupations de concurrence identifiées en 2015 avaient aujourd’hui disparu.

56.Or, pour rejeter la demande de levée des engagements avant leur terme, la décision attaquée a relevé que l’analyse des parts de marché de TDF était effectuée sur un périmètre trop large au regard du marché pertinent retenu dans la décision n° 15-D-09 (§ 64 et suivants). Elle a en particulier contesté « l’inclusion, dans le périmètre du marché de l’hébergement sur sites pylônes, de l’ensemble des sites transférés par les MNO aux nouvelles TowerCo dans le cadre de contrats de sale and lease back » (§ 65 de la même décision), précisant également que, par extension, ceux de build to suit devaient être exclus également. Elle a estimé que « (‘) contrairement à ce que soutient TDF dans l’étude économique jointe à sa demande de levée des engagements, [‘] il n’y a pas lieu de prendre en considération, dans le calcul des parts de marché de TDF sur le marché des services d’hébergement sur sites pylônes, la part de ces sites faisant l’objet de contrats de sale and lease back avec les TowerCo ». (§ 75 de la même décision).

57.En introduisant, pour la première fois au stade de la décision attaquée, une distinction concernant l’origine contractuelle des sites compris dans le périmètre du marché pertinent à retenir, là où la décision n° 15-D-09 s’était bornée à opposer les pylônes « exploités par les TowerCo » et ceux exploités par des MNO en autoproduction ‘ en limitant le marché pertinent aux premiers ‘ et où le rapport avait reproduit les évaluations de TDF sans les remettre en cause, l’Autorité n’a pas respecté le principe du contradictoire et adopté une analyse nouvelle préjudiciable à TDF. En effet, celle-ci n’a pas été mise en mesure de discuter la portée de cette délimitation plus étroite du marché, qui ne pouvait être raisonnablement escomptée, ni au regard des termes du rapport d’instruction ni à l’occasion des débats tenus en séance qui n’avaient relevé aucune difficulté quant au périmètre servant de fondement aux calculs présentés par TDF. La Cour rappelle à cet égard que le rapport avait posé pour base des discussions que « [d]epuis 2015, la situation a changé, avec l’arrivée sur le marché de concurrents. Ces arrivées, issues pour grande partie de la cession, par les opérateurs de réseau mobile, de leurs infrastructures à des entités distinctes ou des filiales, ont eu pour conséquence de réduire la part de marché de TDF en nombre de points hauts » (§ 62), « TDF n’est plus en position dominante en nombre de points hauts quelle que soit la définition de marché retenue » tout en relevant que « son pouvoir de marché reste notable » (rapport, § 95).

58.Concernant la méthodologie suivie pour le calcul des parts de marché, la Cour rappelle que la décision n°15-D-09 s’était appuyée sur des parts de marché calculées par rapport au montant annuel des dépenses des opérateurs mobiles auprès des différentes TowerCo, qui révélaient une concentration sur TDF représentant près de 85 % du chiffre d’affaires du secteur pour l’année 2013 et même, subsidiairement, une part de 55 % en valeur en considérant un marché étendu aux sites en autoproduction disponibles à la mutualisation.

59.Dans sa note du 11 mars 2021 (annexe 2 à sa demande de levée des engagements), TDF a envisagé une évaluation des parts de marché en proportion du nombre de sites actifs et en proportion du nombre de PoP pour tenir compte de l’évolution structurelle du marché, notamment du développement des contrats de sale and lease back et de l’accroissement du nombre de TowerCO qui en est résulté.

60.Le rapport des services d’instruction a admis cette approche, se référant expressément à l’arrivée de concurrents sur le marché « issues pour grande partie de la cession, par les opérateurs de réseau mobile, de leurs infrastructures » (§ 62) et faisant le constat qu’en calculant les parts de marché de TDF selon la méthodologie de la décision de 2015 « [e]n 2020, cette part de marché ne s’élève plus qu’à 26 % » dans la mesure où « la conclusion de contrats dits sale and lease back a conduit à faire gonfler le chiffre d’affaires d’hébergement des TowerCo (‘) » (§ 74).

61.Le rapport a ainsi fait état d’une analyse quantitative des parts de marché de TDF, en proportion du nombre de sites (pylônes) et par zones, renvoyant à la décision n° 21-DCC-197 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Hivory par la société Cellnex France Groupe, TDF se situant à [30-40 %] en zone rurale après la fusion Hivory/Cellnex, contre [50-60 %] pour cette nouvelle entité. Il a également mentionné une analyse quantitative en nombre de PoP, le périmètre retenu étant celui des « pylônes opérés par les TowerCo », sans restriction. Il a renvoyé à l’annexe 2 de la saisine de TDF, précitée, pour la chiffrer : TDF se situant ici à [30-40 %] contre [40-50 %] pour Cellnex/Hivory et [10-20 %] pour ATC. (rapport § 71)

62.Il est constant que les services d’instruction ont ainsi mentionné les parts de marché invoquées par TDF, sans remettre en cause la pertinence des calculs effectués en nombre de PoP selon la nature des contrats auxquels ils étaient rattachés et que l’avis déposé par l’ARCEP le 8 juillet 2021, repris au rapport, relevait également le fait « que la concurrence entre TowerCo s’est accrue à la suite de l’émergence de ces nouveaux opérateurs d’infrastructures et que les opérateurs mobiles bénéficient désormais d’une offre plus large » et qu’ « [e]n tout état de cause et à situation de marché stable, quelle que soit la définition de marché retenue (marché de l’offre de pylônes des Towercos, marché de l’offre de pylônes des TowerCo et des opérateurs mobiles, marché de l’offre de pylônes, marché de l’offre d’hébergement tous sites confondus), les analyses en propre de l’Arcep, réalisées à partir des données de l’ANFR, démontrent l’affaiblissement de la part de marché de TDF, par rapport à la situation prévalant en 2015 ».

63.Les services d’instruction ont ainsi essentiellement discuté l’importance de son pouvoir de marché « en dépit d’une position qui s’est affaiblie depuis la décision de 2015 » (rapport § 87) retenant, comme il a déjà été dit, que « [s]i TDF n’est plus en position dominante en nombre de points hauts quelle que soit la définition de marché retenue, il ressort des éléments de l’instruction que son pouvoir de marché reste notable ». (rapport § 95) et que « l’analyse en points de présence et non en nombre de points hauts en fait un acteur unique » (§ 82) TDF étant « la seule TowerCo pouvant proposer des sites mutualisés pour les quatre opérateurs de téléphonie mobile » (§ 83) avec un taux de colocalisation « beaucoup plus élevé que ceux constatés chez les principaux concurrents » (§ 84).

64.La décision attaquée ne s’est pas écartée de l’analyse du rapport, en ce qu’il avait considéré que « [d]ans un contexte de mutualisation des points hauts, l’approche en points de présence des opérateurs sur les infrastructures d’hébergement d’équipement de téléphonie mobile détenus par les TowerCo apparaît la plus pertinente car elle est seule de nature à refléter l’offre » (rapport § 82), ni en ce qui concerne le pouvoir de marché de TDF. Elle a, en revanche, relevé d’office que les évaluations proposées par TDF, qui avaient servi de fondement aux analyses des services d’instruction ainsi qu’à l’ensemble des échanges réalisés après dépôt du rapport, par écrit et en séance, devaient être écartées, au motif, notamment, qu’elles ne prenaient pas en considération les caractéristiques économique et juridique des contrats de sale and lease back conclus par les MNO et les TowerCo (décision attaquée, § 69 et suivants).

65.Tenant compte du nombre significatif de sites concernés par ce type de contrats, l’Autorité a estimé que l’inclusion « de l’ensemble des sites » transférés par les MNO aux nouvelles TowerCo dans le cadre de contrats de sale and lease back conduisait à un accroissement mécanique de la taille du marché au-delà des limites de la décision d’acceptation des engagements. À cet égard, la Cour observe une certaine contradiction dans le fait de rejeter les évaluations de TDF en renvoyant aux limites qui avaient été définies dans la décision d’engagements, alors qu’elle s’en est précisément affranchie pour tenir compte des évolutions importantes intervenues sur le marché, résultant d’une amplification du recours à ce type de contrat depuis 2015 et à l’accroissement du nombre de TowerCo actives sur le marché en résultant.

66.Par ses observations devant la Cour, l’Autorité a précisé qu’il s’agissait de procéder ici à l’exclusion des PoP du MNO cédant faisant l’objet d’accords de sale and lease back, (et non de l’ensemble des sites), ces derniers étant considérés comme « captifs » et non disponibles sur le marché. Elle a ainsi expliqué avoir comptabilisé l’ensemble des points de présence existants, à partir du deuxième, sur les pylônes ayant fait l’objet de contrats de sale and lease back, ainsi que tous les points de présence situés sur les autres pylônes de TowerCo, mais avoir exclu les sites construits à partir de novembre 2020 en raison de l’impossibilité pour elle d’identifier les constructions liées aux contrats build to suit et par suite d’éliminer du calcul le point de présence captif du MNO signataire de ces contrats.

67.Outre que ces éléments n’ont jamais été débattus au cours de la procédure devant l’Autorité, pas plus que les données concrètement retenues pour le calcul des parts de marché, la Cour constate que la motivation des paragraphes 78 à 82, au regard des termes très généraux employés, ne permettait pas davantage de comprendre la manière dont la part de marché retenue dans la décision attaquée a été établie, ni de la critiquer utilement dans le cadre du recours, jusqu’à ce que l’Autorité explicite sa méthode dans le cadre des observations qu’elle a déposées le 4 avril 2023 et transmette les éléments de son calcul.

68.Si le collège de l’Autorité ne saurait être lié par les termes du rapport déposé par les services d’instruction, ni tenu de faire connaître sa position avant même d’en avoir délibéré, le respect du principe du contradictoire, qui participe de la loyauté procédurale, implique, lorsqu’il s’écarte radicalement des hypothèses débattues, de renvoyer l’affaire à l’instruction afin que les services compétents puissent analyser les éléments du dossier à l’aune de la nouvelle interprétation donnée par le collège et que la partie concernée puisse présenter des observations sur la base des données et calculs considérés comme pertinents par le collège, et ce afin d’être mise en mesure de défendre utilement sa demande.

69.La nouvelle approche de l’Autorité, qui a abouti à une évaluation significativement supérieure à celle retenue dans le rapport, est préjudiciable à TDF dès lors qu’il en a été déduit que les parts de marché ainsi obtenues « demeurent indicatives d’une position dominante » (décision attaquée, § 78), lorsque les services d’instruction concluaient au fait que « la position de TDF s’est affaiblie depuis la décision de 2015 (‘) » (§ 87) et que « (‘) TDF n’est plus en position dominante en nombre de points hauts quelle que soit la définition de marché retenue (‘) » (rapport, § 95). C’est en conséquence à juste titre que TDF fait valoir que la décision attaquée s’est affranchie du respect du principe du contradictoire en modifiant le périmètre sur lequel s’exerce la concurrence entre les entreprises, sans l’avoir préalablement invitée à s’expliquer sur ce point.

70.De la même manière, concernant les données chiffrées exploitées pour le calcul des parts de marché, la Cour rappelle que TDF avait précisé avoir eu recours aux données de l’ANFR « à fin 2020 » (point 2.1), rappelant que « [c]es données publiques présentent l’ensemble des sites qui sont utilisés pour l’hébergement d’antennes mobiles en France métropolitaine. Elles fournissent pour chacun des informations sur le type de site, sa localisation, son propriétaire et les équipements qu’il héberge » (point 2.2) et qu’ « [e]lles présentent l’avantage de fournir une vision exhaustive de l’ensemble des sites exploités sur le marché et de provenir d’un organisme indépendant ». TDF relevait néanmoins que « [l]es données brutes de l’ANFR fournissent une vision exhaustive des sites actifs, cependant elles ne permettent pas directement de rendre compte de la situation en vigueur sur le secteur de l’hébergement antennaire. En effet, ces données ne tiennent compte des réallocations de sites résultant des opérations de cession qu’avec un certain décalage temporel » (point 3.6) et précisait que la base ANFR de fin 2020 ne reflète pas encore les effets de certaines cessions (« cession par Free de plus de 2 000 pylônes à Cellnex » ou encore « pylônes cédés récemment par Orange à ATC »).

71.Le rapport avait précisé, concernant l’analyse quantitative en nombre de PoP reproduite sous forme de tableau au paragraphe 71 (qui est extrait de l’annexe 2 de la saisine de TDF), établissant les parts de marché de TDF à [30-40 %], que ces données étaient « issues du retraitement des données ANFR après les différentes opérations de cessions intervenues sur le marché mais ne tient pas compte des cessions auxquelles Cellnex s’est engagée dans la décision du 21 octobre 2021 ».

72.Pour retenir des parts de marché de TDF « de [40-50] %, fin 2020, restée stable en 2022 [même fourchette] » et conclure que ces dernières demeurent indicatives d’une position dominante (décision attaquée, § 78), l’Autorité a comparé les données de l’ANFR datant d’octobre 2020, utilisées par TDF au soutien de sa demande (disponibles publiquement), avec les données ANFR actualisée d’octobre 2022, puis les a croisées avec des données INSEE en vue de ne prendre en compte que les points de présence loués à un opérateur autre que le MNO cédant, dont elle a présumé qu’ils l’étaient dans le cadre d’une prestation d’hébergement classique.

73.S’il ne saurait être exigé de l’Autorité qu’elle renvoie l’affaire à l’instruction lorsqu’elle s’estime en possession de données lui permettant de remplir son office, encore faut-il, pour admettre le caractère contradictoire du recours à de telles données, que la partie à laquelle on les oppose aient pu être en mesure de les discuter. Tel n’est pas le cas, en l’espèce, des données ANFR exploitées, qui ont été publiées en octobre 2022 et qui n’étaient donc pas accessibles à l’intéressée lors de la séance de l’Autorité qui s’est tenue le 5 juillet 2022. Cette situation est préjudiciable aux droits de TDF dès lors que l’Autorité a retenu, sur cette base, que les parts de marché de TDF demeurent indicatives d’une position dominante, ce que les conclusions du rapporteur n’avaient pas retenu.

74.La Cour ajoute que ces données 2022 n’ont pas uniquement servi à effectuer, à titre surabondant, un calcul au titre de l’année 2022, pour vérifier que les parts de marché de TDF n’avaient pas évolué significativement depuis la saisine, comme l’indique l’Autorité. Elles ont également été utilisées pour évaluer les parts de marché à la date de la demande, en vue de retraiter les données ANFR 2020, pour inclure les cessions intervenues jusqu’à la fin de l’année 2020 qui n’apparaissaient pas dans la base ANFR d’octobre 2020. Ces données ont ainsi fondé le constat figurant au paragraphe 82 de la décision attaquée, selon lequel la part de marché en points de présence de TDF sur le marché de l’hébergement sur sites pylônes en zones périurbaines et rurales s’élevait, fin 2020, à [40-50] % et que cette part était « restée stable puisqu’elle s’établit à [40-50] % en 2022 ». Elles ont également conduit l’Autorité à inclure la TowerCo Totem dans la répartition des parts de marché pour l’année 2020, réduisant mécaniquement les parts du principal concurrent de TDF et augmentant l’écart existant entre eux, alors même qu’il n’est pas contesté que Totem a été créée à la fin de l’année 2021.

75.Ces différentes atteintes au principe du contradictoire, qui n’ont pas permis à TDF de débattre et pouvoir utilement critiquer les éléments qui lui ont été opposés avant que sa demande ne soit rejetée, justifient l’annulation de la décision attaquée.

76.La Cour constate que l’annulation n’affecte pas le reste de la procédure, qui comprend, notamment, un test de marché, l’avis du régulateur et le rapport qui prend position pour un maintien partiel des engagements. Par ailleurs, les parties ont débattu devant la Cour des données permettant d’apprécier l’actuelle position de marché de TDF, incluant une étude économique du 15 mai 2023, critiquant les données et explications fournies par l’Autorité à l’appui des calculs retenus dans la décision attaquée et fournissant des chiffrages alternatifs que l’Autorité a été mise en mesure de discuter. Elles ont également pris position sur l’incidence de la nouvelle structure du marché sur les préoccupations de concurrence identifiées en 2015. Par conséquent, la Cour dispose des éléments lui permettant de statuer sur le fond de la demande. Le renvoi de l’affaire à l’instruction n’est pas nécessaire et aurait des conséquences manifestement excessives en compromettant le caractère effectif du recours compte tenu des délais écoulés, de ceux prévisibles et du terme des engagements dont il est demandé la levée (3 juin 2026).

III. SUR L’ÉVOCATION DE L’AFFAIRE AU FOND

A. Sur la position de TDF sur le marché et l’analyse des préoccupations de concurrence identifiées à la lumière de la structure actuelle du marché

77.TDF, concernant la délimitation du marché pertinent, remet principalement en cause l’exclusion des contrats de sale and lease back et build to suit et incidemment le maintien de la segmentation de marchés par type de zones.

78.Sur le premier point, elle rappelle, d’abord, que dans la décision n°15-D-09 les accords sale and lease back ont été écartés uniquement du périmètre d’application des engagements, mais, pour autant, que tous les sites faisant l’objet de ces contrats ont bien été intégrés dans le périmètre du marché pertinent. Elle relève que les parts de marché du concurrent FPS, essentiellement fondées sur des sites acquis dans le cadre d’un contrat de sale and lease back conclu avec Bouygues Telecom, avaient bien été comptabilisés pour sa part de marché et que rien ne justifie de faire une différence de traitement. Elle observe également que l’Autorité inclut dans le calcul des parts de marchés de TDF tous les sites issus du contrat sale and lease back conclu avec Bouygues, alors qu’elle exclut des PoP issus d’accords de même nature pour ses concurrents, créant une asymétrie de traitement qui conduit à surestimer ses parts de marché par rapport à celles de ses concurrents. En faveur de l’inclusion de ces contrats dans le périmètre du marché pertinent, elle invoque également les réponses au test de marché. Elle constate que les sites exclus représentent 11 800 PoP sur un marché comptant au total 27 300 PoP en 2020 et 28 200 PoP en 2022, de sorte que le changement de définition de marché de l’Autorité la conduit à exclure une proportion très significative des sites du marché. Elle estime que l’analyse de marché réalisée dans le cadre d’une opération de concentration est intéressante pour éclairer celle du marché concerné par les pratiques anticoncurrentielles alléguées, dès lors qu’elle est contemporaine de ces faits et relatives aux mêmes entreprises, et qu’en l’espèce, l’analyse opérée dans la décision Cellnex/Hivory remplie ces deux conditions. Elle renvoie à l’analyse des parts de marché réalisée dans cette dernière, qui date d’un an, et notamment à celle de Cellnex qui se révèle leader du marché. Elle ajoute que l’approche de la décision attaquée conduit à sortir du périmètre d’application du droit de la concurrence les sites issus d’accords financiarisés, alors que ces derniers renforcent la position concurrentielle des TowerCo.

79.Elle conteste, ensuite, le caractère captif des sites faisant l’objet de contrats de sale and lease back et renvoie à cet égard à l’avis n° 02-A-04 du 11 avril 2002 relatif à l’acquisition par TDF d’un ensemble de sites pylônes de la société Bouygues Télécom (pièce TDF n° 11, page 4) qui relevait que les sites cédés sont « par nature mutualisables ». Elle relève également que si en 2015 l’Autorité pouvait prétendre que les accords sale and lease back étaient une « exception », aujourd’hui un tel argument n’est plus du tout valable. Elle renvoie aussi à l’avis de l’ARCEP, précité, qui a constaté que les contrats de prestations de services conclus par les opérateurs mobiles avec des TowerCo concurrentes de TDF sont de durée largement supérieure à 10 ans. Elle en déduit que la caractéristique relative à la durée prétendument longue des contrats sale and lease back (supérieure à 10 ans) ne constitue plus une « caractéristique particulière » justifiant d’exclure du marché en cause les sites acquis par les TowerCo par le biais de ces contrats. Elle ajoute qu’il n’existe pas de lien entre la durée des accords et la supposée « captivité » des sites concernés par ces contrats et souligne l’absence de clause d’exclusivité, ce qui permet d’accueillir d’autres opérateurs sur les infrastructures. Elle fait ainsi valoir que dès lors qu’un site peut être mutualisé, celui-ci peut accueillir simultanément plusieurs PoP, de sorte que le fait que le PoP du MNO cédant soit hébergé à long terme n’implique aucune captivité du site qui l’héberge. Elle rappelle que le fait que, sur un site donné, un MNO occupe une capacité disponible ne signifie pas pour autant que ce site est fermé à des MNO concurrents puisque chaque site peut accueillir plusieurs MNO. Elle estime que le fait d’exclure les PoP issus de contrats sale and lease back mais de conserver les autres PoP contractés sur des périodes de dix ans ou plus pour répondre aux attentes des MNO qui ont besoin de stabilité relève d’un choix arbitraire et irrationnel de l’Autorité. Elle ajoute que les investissements nécessaires à la conclusion des contrats sale and lease back ne constituent pas (ou plus) un obstacle pour les TowerCo, qui au contraire privilégient de plus en plus ce type de contrat. Elle observe que six accords de sale and lease back ont été conclus entre les MNO et les TowerCo depuis 2015 et que dans la décision Cellnex/Hivory, l’Autorité avait d’ailleurs souligné le rôle majeur que jouent désormais ces accords, la majorité des sites actifs détenus aujourd’hui par Cellnex ayant été acquis dans ce cadre. Elle constate également que les pylônes concernés par ces accords sont intégrés à l’offre commerciale de ses concurrentes TowerCo et sont donc disponibles sur le marché. Elle souligne que retenir, comme le fait l’Autorité, l’offre commerciale composée des pylônes mutualisés, en écartant en outre le PoP du MNO cédant, conduit à exclure plus de 7000 pylônes, soit près de la moitié de l’offre effectivement disponible sur le marché. Elle rappelle que le modèle économique d’une TowerCo repose entièrement sur la mutualisation de ses infrastructures et signale l’évolution significative de la colocalisation entre 2015 et 2022, pour les pylônes actifs appartenant aux autres MNO (Bouygues, Free, Orange, SFR) avec un taux très proche de celui de TDF (renvoyant au rapport, § 84). Elle ajoute que, de manière générale, hormis le cas d’une structure trop légère qui nécessiterait un renfort de pylônes ou une adaptation des installations électriques, il n’y a pas non plus de contrainte technique à la mutualisation, ce qui a été confirmé par le test de marché. Elle souligne par ailleurs que, même dans le cas où un pylône ne serait pas compatible pour l’accueil de plusieurs MNO, le coût des travaux pour le rendre compatible est marginal et surtout en général très largement inférieur au coût de la construction d’un nouveau pylône.

80.Concernant les accords build to suit, elle rappelle que leur inclusion dans le périmètre du marché de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile de l’ensemble des sites actifs des TowerCo n’a jamais été remis en cause dans la décision d’engagement, le test de marché, le rapport et au cours de la séance. Elle conteste leur exclusion et estime qu’ils ne correspondent pas à des ventes captives dès lors que de telles opérations ont pour principal intérêt économique et financier de permettre à la TowerCo d’accroître le potentiel de colocalisation des nouveaux sites construits. Elle prend pour illustration le contrat conclu entre Bouygues et PTI en mars 2020 dont les données ANFR révèlent qu’en mars 2021 18 % des sites construits ont été commercialisés auprès d’un autre MNO, en plus du MNO cédant. Elle en déduit que ces sites font partie intégrante du marché et concurrencent l’offre de TDF. Elle ajoute que dans la décision Cellnex/Hivory, l’Autorité a constaté que ce type d’accords exerçait une pression concurrentielle forte et jouaient un rôle significatif dans le pouvoir de marché exercé par Cellnex ‘ dont la majorité des sites actifs ont été développés dans ce cadre ‘ et qu’elle a noté l’intensification à venir du recours à ce type de contrat du fait du « New deal mobile » intervenu en 2018 qui les conduit à augmenter leur couverture du territoire. Elle indique que, depuis 2015, au moins six accords build to suit portant chacun sur des milliers de sites ont été conclus entre les MNO et les TowerCo concurrentes de TDF, dont la moitié ont déjà été construits depuis la conclusion de ces contrats. Elle signale que ces accords portent sur plus de 14 000 sites (soit 74 % des pylônes actifs en zones périurbaine et rurale et 49 % sur l’ensemble du territoire national), de sorte que le fait de les exclure du marché conduit à adopter une vision significativement fausse du marché et à sous-estimer les parts de marché des concurrents de TDF.

81.Sur le deuxième point, elle souligne qu’il ressort du test précité que les opérateurs estiment que le marché dans son ensemble devrait être défini plus largement que la pratique décisionnelle antérieure en supprimant les segmentations selon le type de zone et type de points hauts, qui ne sont plus pertinentes au regard des nouveaux critères et besoins des MNO. Elle renvoie au rapport (§ 47) qui fait état du fait que les MNO, SFR et Orange, ainsi que les TowerCo, Hivory, PTI, Cellnex et TDF, ont répondu que cette segmentation n’était plus pertinente, dans la mesure où « le critère pertinent pour l’opérateur est celui de la couverture proposée par un site » quelle que soit la localisation géographique ou le type d’infrastructure. Elle soutient que même en retenant une définition de marché similaire à celle de la décision d’engagements, les services d’instruction arrivent à la conclusion que TDF n’est plus en position dominante (rapport § 71 et 95).

82.Elle fait également valoir l’imprécision de la méthode de calcul de l’Autorité, mise en évidence par les nouvelles explications fournies devant la Cour, et dénonce différents biais méthodologiques. Ainsi, les parts de marché pour l’année 2022 sont calculées sur la base des pylônes actifs en 2020 (et non pas en 2022), excluant l’ensemble des pylônes apparus entre 2020 et 2022 (pièce TDF n° 17, points B.21 à B.24 et tableau 13) et la société Totem est prise en compte dans les calculs de parts de marché sur l’année 2020 alors que celle-ci a été créée en novembre 2021. Elle constate également que les parts de marché calculées sur le périmètre de marché pertinent issu de la pratique décisionnelle antérieure (soit l’ensemble des pylônes (calculés en nombre de PoP) situés en zones périurbaine et rurale) révèlent que TDF, Cellnex/Hivory et Totem ont en 2022 une part de marché similaire, de même qu’en appliquant les calculs de l’Autorité, sans exclure les contrats sale and lease back, ses parts de marché sont similaires à celles de Totem et proches de celles de Cellnex/Hivory. Elle relève que le simple fait d’avoir modifié la définition de marché (en excluant les sites issus d’accords sale and lease back) a conduit à un différentiel de part de marché de TDF en 2022 de 20 points par rapport à celle validée dans le rapport. Elle demande en conséquence à la Cour d’évaluer les parts de marché de TDF au regard de la méthode de calcul entérinée par les services d’instruction et conforme à la pratique décisionnelle passée de l’Autorité.

83.Elle invoque les éléments du dossier, incluant le test de marché et l’avis de l’ARCEP, qui situent la part de marché de TDF en 2020 derrière Cellnex, le nouveau leader du marché qui s’apprête à devenir un opérateur en position dominante. Elle relève la contradiction affectant la part de marché de Cellnex/Hivory résultant de la décision attaquée et celle figurant dans la décision Cellnex/Hivory : [50-60] % sur le marché de l’hébergement sur sites pylônes toutes zones confondues (soit un delta de 30 à 40 points de pourcentages) et [40-50] % sur le segment de l’hébergement sur sites pylônes en zones périurbaine et rurale (soit un delta de 20 à 30 points de pourcentage) alors même que tous les acteurs du marché témoignent de sa croissance significative.

84.Elle précise que la tendance baissière de ses parts de marché s’explique par l’intensification de la mutualisation des sites (qui produit ses effets sur la structure concurrentielle du marché) et la difficulté pour elle de proposer des offres attractives pour les MNO, qui est aggravée par le maintien des engagements. Elle indique, sur la base des données ANFR disponibles, que l’ensemble des TowerCo concurrentes de TDF a vu ses parts de marché augmenter en 2022, grâce notamment à la mutualisation des infrastructures.

85.Elle demande en conséquence à la Cour de juger que l’Autorité a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle n’a pas procédé à une analyse suffisante de l’ensemble des éléments pertinents et que les éléments retenus dans la décision attaquée ne sont pas de nature à justifier le rejet de la demande de levée des engagements.

86.Sur la base d’une analyse complète de la position de marché de TDF et des autres facteurs devant être pris en compte ‘ tenant à l’effondrement des barrières à l’entrée (démontré par un nombre de TowerCo passant de 2 à 7) et à l’accroissement du pouvoir de négociation des MNO ‘ elle demande à la Cour de juger que la prétendue position dominante de TDF et les risques concurrentiels ayant conduit aux engagements ont disparu et d’ordonner la levée intégrale des engagements.

87.Elle considère enfin que le maintien partiel ou total des engagements, alors même que les conditions de l’article L. 464-2, I. a) du code de commerce sont remplies, viole les principes de nécessité, proportionnalité et neutralité associés à toute mesure corrective. Elle soutient également que le maintien des engagements crée une distorsion de concurrence entre TDF et ses concurrents.

88.L’Autorité invoque l’adaptation de la méthode de calcul de parts de marchés (tenant au niveau des PoP dénombrés par site effectivement proposés à tout MNO sur le marché) pour exclure la part de l’offre qui demeure indisponible, considérant qu’elle permet d’apprécier la pression concurrentielle réellement exercée par les nouvelles TowerCo et la dynamique du marché en tenant compte de l’offre venant effectivement limiter celle de TDF.

89.Sur la conformité de son analyse par rapport à la pratique antérieure et notamment la décision n° 15-D-09, elle ne décèle aucune contradiction. Elle rappelle en effet que la décision d’engagements pouvait exclure les accords de sale and lease back du périmètre du marché pertinent dans la mesure où, selon les informations à disposition de l’Autorité à l’époque, les sites concernés ‘ qui représentaient une fraction marginale du marché ‘ ne comportaient pas encore ou très peu de PoP effectivement offerts sur le marché à d’autres MNO que le MNO cédant et qu’elle n’a fait qu’adapter cette approche en 2022 afin de ne pas surestimer la part de marché de TDF. Elle précise que la circonstance que l’exclusion des PoP (et non de l’ensemble des sites) faisant l’objet d’accords de sale and lease back ne s’étend pas aux sites pylônes acquis par TDF auprès de Bouygues s’explique par les caractéristiques spécifiques du contrat, dont la durée initiale de quinze ans était arrivée à son terme. Elle estime que ces contrats, à les supposer reconduits, font l’objet d’une remise en concurrence tous les cinq ans, ce qui permet de considérer ces actifs comme remis en concurrence sur le marché. S’agissant de la décision n° 21-DCC-197 du 25 octobre 2021, rendue en matière de concentration, elle rappelle, outre qu’elle n’est pas tenue par une telle analyse lorsqu’elle se détermine en matière de pratiques anticoncurrentielles, qu’en tout état de cause cette décision avait laissé ouverte la question de savoir si les infrastructures des MNO hébergeant d’autres MNO devaient être finalement incluses dans le marché pertinent.

90.Sur la portée de son analyse, elle rappelle qu’elle n’a exclu de son évaluation des parts de marché de TDF que les PoP réservés à l’utilisation exclusive du MNO cédant dans le cadre de contrats de type Master Services Agreements et non l’ensemble des sites concernés par ces contrats, comme semble le soutenir TDF. Pour justifier cette exclusion elle invoque d’abord leur durée particulièrement longue, qui les distingue des contrats « classiques ». Elle soutient que les PoP cédés par les MNO cédants lors de contrats sale and lease back ne sont pas mis en concurrence sur le marché au moment de la signature du contrat mais font l’objet d’une exclusivité de long terme et qu’il est donc pertinent de les considérer comme des ventes captives et de limiter l’analyse aux seuls PoP effectivement disponibles sur l’ensemble des pylônes concernés par ces accords.

91.S’agissant des éléments de nature non-quantitative invoqués au soutien de la demande, et notamment le développement de la colocalisation, elle estime les avoir concrètement pris en compte dans ses calculs et observe que ceux réalisés dans la note économique de TDF confirment que la croissance de la mutualisation, qui a pu être importante entre 2015 et 2020, a été moins importante après 2020 ce qui tend à corroborer la relative stabilité de la part de marché de TDF relevée dans la décision attaquée entre 2020 et 2022.

92.En ce qui concerne les futures colocalisations sur les sites existants ou à construire, elle considère que les accords de build to suit n’étaient pas pertinents pour évaluer la disparition effective des préoccupations de concurrence identifiées en 2015 puisqu’il lui appartenait de se prononcer sur la disparition des préoccupations de concurrence dans le contexte contemporain de la décision et non de conduire une analyse prospective. Elle relève, au demeurant, que la prise en compte dans les calculs des actifs construits depuis 2020 montre que TDF conserve une part de marché très importante et que celle-ci demeure fortement supérieure à son plus proche concurrent (près de 2 fois plus importante).

93.Concernant ensuite la disparition des barrières à l’entrée, elle considère que celle-ci est surestimée par TDF dans la mesure où, s’il y a effectivement davantage de TowerCo actives sur le marché, cette évolution ne s’est pas automatiquement traduite par une augmentation sensible du nombre de PoP disponibles sur le marché et qu’il doit être tenu compte de l’existence des barrières à l’entrée constituées par les contrats de type Master Service agreement dont TDF ne tient pas compte. Elle relève en outre que la diminution « relative » des barrières à l’entrée entraînée par les efforts de colocalisation des TowerCo ne permet pas de constater la disparition « effective » des préoccupations de concurrence à la date de la décision. Elle estime qu’il en va de même du pouvoir de négociation accru des MNO, qui a été relativisé par le test de marché. À cet égard elle rappelle que le rapport avait souligné que même si la position de TDF s’est affaiblie depuis la décision de 2015, celle-ci dispose néanmoins toujours d’un pouvoir de marché important en zone rurale et périurbaine compte tenu de l’historique de son parc, de son implantation et des caractéristiques techniques de ses points hauts. En définitive elle considère avoir pris en compte les éléments qualitatifs avancés par TDF, sans dénaturation.

94.Le ministre chargé de l’économie observe que plusieurs TowerCo se sont prononcées en faveur de la spécificité de chaque type de points hauts et de chaque zone géographique et ont estimé que les offres des TowerCo et des MNO présentent des différences significatives, tant d’un point de vue technique que commercial. Il considère que cela justifie de conserver le même périmètre que celui de la décision attaquée. Il estime également que les spécificités des contrats sale and lease back ou construits via un accord de build to suit ont pu raisonnablement conduire l’ADLC à retenir la délimitation du marché pertinent en cause.

95.Concernant le caractère captif des sites couverts par des contrats sale and lease back, il observe, en premier lieu, que la décision attaquée, qui ne conteste pas la nature colocalisable des sites, relève que la mutualisation de ces sites demeure limitée, tandis que l’avis de l’Autorité du 11 avril 2002 se prononce uniquement sur la nature mutualisable des sites cédés par Bouygues à TDF, sans se prononcer sur leur colocalisation effective, ni renseigner davantage sur le nombre éventuel de MNO présents sur chaque site. Il en déduit que cet avis n’est pas de nature à remettre en cause le caractère captif des sites cédés aux TowerCo tel qu’évoqué dans la décision attaquée. Il considère, en deuxième lieu, que l’évolution entre 2015 et 2022 des taux de mutualisation des pylônes qui appartenaient à des MNO, ne contredit pas la décision attaquée qui fait ressortir qu’une proportion significative des sites construits par les MNO ont été « autoconsommés », entrainant une faible mutualisation de ces derniers lorsqu’ils ont été transférés aux TowerCo. Il ajoute que la mutualisation évoquée par TDF est majoritairement illustrée par des éléments postérieurs à la séance devant l’Autorité, comme le contrat entre Totem et Illiad conclu le 24 novembre 2022. En troisième lieu, il constate que la décision attaquée a mis en évidence les particularités intrinsèques des sites des MNO qui viennent limiter le potentiel de colocalisation des TowerCo du fait de la nécessité de réaliser des travaux afin d’accueillir les équipements de nouveaux MNO. Il en déduit que l’exclusion des accords de sale and lease back a été correctement justifiée par la décision attaquée et demande à la Cour de rejeter les moyens.

96.Concernant l’exclusion des contrats de build to suit du marché, à l’instar des contrats sale and lease back, il relève que la décision attaquée a justifié sa position en considérant que ces deux catégories de contrats présentent des caractéristiques communes et considère que la multiplication de ce type d’accords ne remet pas en cause l’incertitude quant à l’effectivité de la colocalisation des sites concernés. Il estime que la conclusion de ce type de contrats ne signifie pas pour autant qu’un déploiement opérationnel de l’ensemble des sites sera effectif avant juin 2026 (terme des engagements), ni même qu’il exercera une pression concurrentielle suffisante sur les autres offres d’hébergement de téléphonie mobile.

97.Le ministère public constate qu’il n’apparaît pas que l’Autorité se soit écartée de sa pratique décisionnelle ou de la jurisprudence européenne en matière de définition du marché pertinent et considère qu’elle a valablement justifié les raisons pour lesquelles elle n’était pas tenue par une précédente définition de marché, notamment en matière de contrôle des concentrations.

98.Il estime que la distinction selon l’offreur des services d’hébergement opérée par la décision de 2015 demeure pertinente, de sorte qu’il n’y a pas lieu de prendre en compte dans le périmètre du marché pertinent l’offre des MNO proposée dans le cadre de la colocalisation. Il est également d’avis, que la décision du 4 juin 2015 qui a rendu obligatoires les engagements ne contient aucun développement accréditant la thèse de l’intégration des contrats de sale and lease back dans le marché pertinent et qu’à l’époque l’Autorité considérait en outre que la conclusion de ces contrats constituait une exception dans ce secteur. S’agissant des contrats de build to suit, il invite la Cour à admettre le raisonnement de l’Autorité qui aboutit à leur exclusion du périmètre du marché pertinent, par analogie avec les contrats de sale and lease back dès lors que, comme le souligne à juste titre le ministre chargé de l’économie, leur conclusion ne signifie pas qu’un déploiement opérationnel de l’ensemble des sites sera effectif avant le terme des engagements le 3 juin 2026, ni qu’il exercera une pression concurrentielle suffisante sur les autres offres d’hébergement de téléphonie mobile. Il conclut au rejet des moyens.

99.Il rappelle ensuite que la caractérisation de la position dominante d’une entreprise sur un marché donné résulte de l’évaluation du pouvoir de marché de celle-ci et renvoie à la jurisprudence constante de la Cour de justice en la matière (notamment CJCE, 13 février 1979. C-85 /76. Hoffrnann-La Roche. point 38. CJCE. 14 févr. 1978. aff. C-27/76, United Brands c/Commission). Il relève que la détention par une entreprise d’une part de marché importante, si elle constitue le premier critère pour apprécier l’existence d’une situation dc position dominante, ne suffit pas toujours pour la démontrer et qu’il convient également d’examiner d’autres facteurs caractérisant le marché lui-même, tels que les barrières à l’entrée, la situation particulière de l’entreprise et le contre-pouvoir de marché de la demande. Il retient en l’espèce que l’estimation de la part de marché à 50 % environ retenue par l’Autorité semble surévaluée au regard des autres estimations effectuées par TDF, les services d’instruction et l’ARCEP, ces dernières reposant en outre sur une analyse économique approuvée par l’ARCEP et les services d’instruction de l’Autorité. Sur la prise en compte des indices qualitatifs, il relève qu’il n’apparaît pas dans l’exposé de la décision attaquée l’étude de certains éléments qualitatifs tels que les barrières à l’entrée ou le contrepouvoir des MNO. En revanche, il invite la Cour à faire sienne la conclusion des services de l’instruction, selon laquelle, en l’absence d’une part de marché supérieure au seuil requis pour établir la présomption d’une position dominante ils se sont fondés sur le pouvoir de marché dont dispose TDF en zone rurale et péri-urbaine compte tenu du caractère historique de cet opérateur, de son parc, son implantation et des caractéristiques techniques de ses points hauts.

Sur ce, la Cour :

100.À titre liminaire, la Cour rappelle que la définition d’un marché, au niveau tant des produits que de sa dimension géographique, permet de déterminer s’il existe des concurrents réels capables d’empêcher l’entreprise en cause d’agir indépendamment des pressions qu’exerce une concurrence effective et que calculer les parts de marché apporte des informations utiles concernant le pouvoir de marché pour l’appréciation d’une position dominante.

101.En l’espèce, les contraintes différentes s’exerçant selon les zones du territoire et l’hétérogénéité des réponses apportées au test de marché ne justifient pas de faire évoluer les segmentations entre zones et infrastructures, retenues dans la décision n° 15-D-09. Contrairement à ce que laisse entendre TDF, il n’y a pas d’unanimité pour remettre en cause ces différentes catégories. À titre d’illustrations, si SFR, Hivory/Cellnex et PTI ont estimé que la segmentation n’était plus pertinente, en revanche le groupe Iliad [Free] a indiqué que « la segmentation la plus pertinente nous semble être de nature d’abord géographique (zone denses ou urbaines versus zones moins denses i.e. péri-urbaines et rurales, lesquelles conduisent à utiliser des infrastructures passives différentes), cette distinction se recoupant largement avec celle basée sur le type d’infrastructure (toits-terrasses versus pylônes) ». (cote 260, pièce TDF n° 3, page 287), à l’instar de Bouygues Telecom, Infracos et ATC qui ont confirmé la pertinence de la segmentation par zones (cotes 419, 279 et 344, même pièce, respectivement pages 407, 305 et 352). L’évaluation des parts de marché proposée par TDF toutes zones confondues n’est en conséquence pas appropriée. Il convient donc de maintenir une analyse circonscrite à la zone dans laquelle les préoccupations de concurrence ont été identifiées, à savoir en zone rurale et périurbaine, sur les sites pylônes exploités par les TowerCo.

102.Il est constant que la part de marché de TDF pour l’année 2013 retenue dans la décision n° 15-D-09, qui représentait 85 % du chiffre d’affaires de ce marché, ne s’élève plus qu’à 26 % en 2020, en raisonnant en termes de montant annuel des dépenses des opérateurs mobiles auprès des différentes TowerCo.

103.Il est tout aussi constant que l’analyse des parts de marché en nombre de sites actifs ne traduit plus, non plus, la position de marché constatée en 2015. En effet, les données disponibles, notamment extraites de la décision n° 21-DCC-197 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Hivory par la société Cellnex France Groupe citée au rapport et invoquée par TDF, démontrent sans ambiguïté qu’en zone périurbaine et rurale, TDF détient environ un tiers des sites, le plaçant en deuxième position derrière Cellnex qui détient plus de 50 % des points hauts. L’avis de l’ARCEP n° 2021-1360 précité prend soin, d’ailleurs, de relever que les analyses en propre réalisées à partir des données de l’ANFR démontrent « l’affaiblissement de la part de marché de TDF, par rapport à la situation prévalant en 2015. À titre d’exemple, d’après les données de l’ANFR (mars 2021), TDF détient 16 % des pylônes/mâts » (point 2.2, page 7).

104.Une troisième méthodologie, adaptée à l’évolution du marché et qui n’est pas contestée en son principe, a été suivie tout au long de la procédure. La Cour constate qu’un consensus existe pour retenir que l’analyse des parts de marché en points de présence est la mesure la plus adaptée pour refléter l’offre d’hébergement d’équipement de téléphonie mobile sur le marché pertinent. Cette approche, que la Cour approuve, est justifiée par le contexte précité, correspondant au nombre croissant de cessions d’infrastructures par les opérateurs de réseau mobile, au développement du nombre de TowerCo et au fait que le pouvoir de marché peut s’exercer nonobstant une part plus faible de sites actifs par rapport aux concurrents, en fonction des spécificités des points d’hébergement proposés et du taux de mutualisation des pylônes exploités. Il existe en effet une différence entre le nombre de sites d’une TowerCo et le nombre de prestations d’hébergement qu’elle peut offrir, en fonction du taux de mutualisation possible (compris entre 1 et 4 eu égard au nombre actuel de MNO actifs sur le marché aval des services mobiles). Comme il a déjà été dit, un point haut peut en effet héberger simultanément les équipements de plusieurs MNO.

105.Sur le périmètre des offres prises en compte dans le calcul des parts de marché, il n’est pas contesté qu’en 2015 les sites pylônes concernés par des accords de sale and lease back représentaient une fraction marginale du marché et, en l’état du faible développement des TowerCo, qu’ils ne comportaient pas encore ou très peu de PoP effectivement offerts sur le marché à d’autres MNO que le MNO cédant. Il est tout aussi constant que le marché a évolué à la suite du recours croissant aux contrats de sale and lease back et accords de build to suit pour répondre aux besoins des MNO. Cette évolution a modifié la position de TDF en termes de nombre de points hauts détenus, comme en valeur. Il est donc pertinent de retenir, dans le périmètre du marché de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile servant de base au calcul de la part de marché de TDF en nombre de PoP, l’ensemble des sites actifs des TowerCo (en ce compris ceux issus d’opérations de sale and lease back), afin de refléter de la manière la plus fidèle possible la part de marché détenue sur les offres entrant en concurrence.

106.Pour retenir que les PoP commercialisés sur les sites concernés par des contrats sale and lease back bénéficiant au MNO cédant devraient être exclus du périmètre du marché pertinent, l’Autorité les qualifie de « non disponibles sur le marché » à court ou moyen terme, dans la mesure où ils ont été réservés au MNO cédant lors de la cession de l’infrastructure et relèvent de contrats de longue durée. Une telle approche méconnaît toutefois la similitude de situation existant entre les PoP issus d’un contrat d’hébergement rattaché à une opération de sale and lease back (bénéficiant au MNO cédant) et ceux rattachés aux contrats d’hébergement classiques proposés par les concurrents de TDF, dont la durée est souvent supérieure à 10 ans et atteint parfois 20 ans. À cet égard, Bouygues a indiqué en réponse au test de marché (question 24) qu’il « ne fait pas de distinction entre des contrats de prestations de services et des Master Service Agreement (MSA) dans la mesure où les contrats de prestations de services conclus avec les Towerco sont des contrats sui generis. (‘) La durée de ces accords cadre est généralement longue : entre 10 et 25 ans, selon les Towerco, et sont reconductibles » (pièce TDF n° 3, cote 427). Il s’ensuit que, dans les deux cas, les PoP souffrent de la même indisponibilité, à court ou moyen terme, sur toute la durée de l’engagement. En raison des volumes importants de PoP qu’ils concernent, ces offres d’hébergement originairement rattachées à des contrats sale and lease back ne sont pas sans incidence sur le fonctionnement du marché. En effet, de nombreux MNO y ont recours pour satisfaire leurs besoins d’hébergement. Les réponses au test de marché n’ont d’ailleurs pas exclu toute substituabilité entre les prestations d’hébergement selon le cadre contractuel dans lequel elles s’inscrivent. La valeur d’un parc de sites pylônes est en effet essentiellement rattachée à la répartition géographique des points-hauts disponibles et de sa capacité à étendre le réseau de l’opérateur mobile. En outre, il n’est justifié d’aucune clause d’exclusivité sur les sites acquis en contrat sale and lease back ou build to suit.

107.L’ARCEP, dans son avis, a mentionné que « [l]e secteur de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile connait des évolutions structurelles, tenant, d’une part, à l’émergence de nouveaux opérateurs d’infrastructures en France et, d’autre part, aux évolutions des besoins des opérateurs mobiles, tant financiers qu’opérationnels », que « la concurrence entre TowerCo s’est accrue », que « les opérateurs mobiles bénéficient désormais d’une offre plus large ». Elle a également relevé que l’évolution des besoins des opérateurs mobiles a eu une incidence sur les évolutions structurelles observées (pour répondre à leur besoin de sites additionnels et obligations de déploiement) et que « [l]e poids des TowerCo sur les pylônes est encore amené à progresser dans les prochaines années, les nouveaux pylônes destinés au déploiement de sites mobiles étant désormais construits dans leur très grande majorité en partenariat avec des TowerCo » (avis n° 2021-1360 précité). Il s’ensuit que le déploiement de sites construits dans le cadre d’accords build to suit est également une alternative offerte aux MNO pour satisfaire leur besoin d’hébergement. À cet égard la Cour renvoie à l’exemple fourni par TDF (§ 191 de son mémoire récapitulatif), que l’Autorité n’a pas contesté, concernant l’accord build to suit conclu entre PTI et Bouygues en mars 2020, dont il ressort qu’en mars 2021, sur les 580 sites pylônes accueillant Bouygues, 104 d’entre eux accueillaient également un autre MNO que Bouygues, de sorte qu’en un an 18 % des sites construits ont déjà été commercialisés auprès d’un autre MNO que le MNO cédant. Ces accords exercent donc bel et bien une pression concurrentielle sur les offres d’hébergements, susceptible de conduire les MNO à privilégier ce type de sites plutôt que les sites historiques tels que ceux de TDF, justifiant d’inclure les PoP d’ores et déjà disponibles dans le périmètre.

108.La Cour constate, sur la base des principes qui viennent d’être énoncés, que les parts de marché de TDF se situent nettement sous le seuil de 50 %, qui constitue habituellement un indice de l’existence d’une position dominante sur le marché.

109.En effet, établies à partir des calculs de TDF sur la base des données ANFR, qui ne sont pas utilement contestées au regard des développements qui précèdent, les parts de marché de TDF se situent à [30-40%], à parts égales avec Cellnex/Hivory (tableau 7, pièce TDF n° 17).

110.Établies à partir des calculs de l’Autorité qui tiennent compte de l’entrée sur le marché de Totem, mais en incluant les PoP des MNO cédants, les parts de marché de TDF sont également comprises dans une fourchette de [20-30 %] (tableau 8, pièce TDF n° 17).

111.Il convient toutefois d’observer que la méthodologie de l’Autorité, qui intègre la TowerCo Totem dans le calcul des parts de marché d’octobre 2020, alors qu’elle n’a été créée qu’en fin d’année 2021, est à l’origine qu’une analyse doublement biaisée, d’abord concernant la stabilité des parts de marché de TDF observée entre 2020 et 2022, ensuite concernant la position de marché du principal concurrent (Cellnex) en 2020 qui s’en trouve sous-évaluée.

112.Les évaluations situant la part de marché de TDF sous le seuil des 50 % sont cohérentes par rapport aux réponses apportées au test de marché, ainsi qu’aux constatations opérées par l’ARCEP concernant « l’affaiblissement de la part de marché de TDF, par rapport à la situation prévalant en 2015 » (avis 2021-1360 précité, page 7) et aux appréciations portées par l’Autorité concernant la place désormais occupée par Cellnex/Hivory, à raison de parts de marché qualifiées d’ « élevées quelle que soit l’approche retenue » sur chacun des marchés (décision n° 21-DCC-197, § 37). À cet égard, l’appréciation portée dans le cadre d’une opération de concentration, comprenant des données contemporaines de la saisine et portant sur les mêmes acteurs et secteur, reste un élément d’appréciation pertinent même si l’analyse en matière anticoncurrentielle peut amener, dans certaines circonstances, à s’en écarter.

113.Il s’ensuit que les éléments du dossier ne traduisent plus de parts de marché indicatives d’une position dominante.

114.La part de marché n’étant toutefois qu’un indice à prendre en compte, parmi d’autres critères, afin d’apprécier le pouvoir de marché d’un opérateur, il convient d’examiner les autres facteurs relatifs aux caractéristiques du marché, en particulier les barrières à l’entrée, ainsi que les spécificités des sites et implantations de TDF.

115.Concernant les barrières à l’entrée tenant notamment à la nécessité d’obtenir des autorisations administratives pour construire de nouveaux sites, des délais de construction ou des préoccupations environnementales et de santé publique, la Cour constate qu’elles ont été significativement réduites avec le recours aux contrats de sale and lease back qui a contribué à l’émergence de nombreuses TowerCo depuis 2015. Comme l’avait relevé l’ARCEP dans son avis n° 2021-1360 du 8 juillet 2021, « outre TDF et FPS Towers (devenu ATC France en 2016), sont désormais présentes sur ce marché Cellnex France, On Tower France, Hivory, ainsi que Phoenix France Infrastructures », à laquelle s’ajoute depuis la fin de l’année 2021 la TowerCo européenne Totem, dont la filiale française Towerco France exploite les infrastructures jusqu’alors détenues en propre par Orange. Le nombre de TowerCo est ainsi passé de 2 à 7 depuis 2015.

116.Il ressort également de l’avis de l’ARCEP que « d’après les données de l’ANFR (mars 2021) (‘) les TowerCo détiennent ou gèrent à date (‘) 47 % des pylônes », étant observé qu’à l’issue du transfert des infrastructures d’Orange à sa filiale TowerCo France l’ARCEP portait ce chiffre « aux trois-quarts des pylônes en France » et signalait que « [l]e poids des TowerCo sur les pylônes est encore amené à progresser dans les prochaines années, les nouveaux pylônes destinés au déploiement de sites mobiles étant désormais construits dans leur très grande majorité en partenariat avec des TowerCo », renvoyant implicitement aux accords Build to suit. Ces éléments lui ont permis de conclure que la concurrence entre TowerCo s’est donc accrue et l’offre offerte aux opérateurs mobile est désormais plus large. Les réponses au test de marché confirment également cette évolution. Il est vain à cet égard d’alléguer, comme le fait l’Autorité, que l’augmentation du nombre de TowerCo actives sur le marché ne s’est pas automatiquement traduite par une augmentation sensible du nombre de PoP disponibles sur le marché, alors qu’il n’est pas utilement contesté que le développement des contrats sale and lease back qui y a contribué a également concouru au développement du taux de mutualisation des sites, les TowerCo ayant des moyens précisément dédiés à cet objectif.

117.Cependant, la durée d’engagement des contrats d’hébergement (de longue durée, tant pour les contrats de sale and lease back que pour les contrats classiques proposés par les concurrents de TDF) et le taux de mutualisation des sites, plus limité lorsqu’ils ont été dimensionnés pour répondre aux besoins d’un seul opérateur, restent de nature à maintenir des barrières à l’entrée concernant certains sites existants.

118.Concernant le contre-pouvoir des MNO, il est constant que la forte concentration de la demande résultant du nombre limité de MNO (quatre) face à la multiplication des offres réduit la capacité des TowerCo, et notamment TDF, à se comporter de manière autonome. Des opérateurs mobiles ont d’ailleurs observé à l’occasion du test de marché que « [l]’arrivée des nouveaux acteurs (notamment de nouvelles Towerco) et la colocalisation croissante des infrastructures passives ont conduit à une diminution des prix des hébergements des équipements au cours de ces dernières années » (pièce TDF n° 3, réponse SFR cote 403). Cellnex, en réponse à la question 15 du test de marché relevait également que « [l]es MNO exercent un contre-pouvoir très significatif dans la mesure où ils disposent toujours de la possibilité de construire leurs propres sites s’ils ne souhaitent pas héberger leurs infrastructures actives de télécommunication mobile sur les infrastructures passives d’une Towerco » « Cellnex a pu constater ce fort pouvoir de négociations des MNO depuis son entrée sur le marché en 2016 : les MNO exigent ainsi la diminution des prix d’hébergement, et les négociations conduisent Cellnex à réduire systématiquement le niveau de la grille tarifaire proposée et/ou de proposer des remises supplémentaires au fur et à mesure des négociations ». (cotes 385).

119.Les spécificités du réseau de TDF tempèrent toutefois ce contre-pouvoir. En effet, comme l’observait déjà la décision n° 15-D-09, sans que ce point ne soit contredit par l’évolution récente du marché, « les opérateurs s’accordent à dire que, les sites historiques de TDF étant de bonne qualité, leur remplacement pourrait les conduire à construire non pas un mais plusieurs sites de substitution pour éviter des pertes de couverture de la population » (§ 74 de cette décision) de sorte que les alternatives s’avèrent souvent plus coûteuses dans un grand nombre de cas.

120.Concernant les caractéristiques des sites pylônes du marché, il n’est pas utilement contesté, au regard des données ANFR invoqués par TDF, que le taux de colocalisation des sites existants a fortement augmenté entre 2015 et 2022, passant de 1,3 à 1,7 % (pièce TDF n° 12), de sorte que l’écart s’est réduit par rapport au taux des sites de TDF évalué à 1,85 (rapport, § 84). Cette situation est de nature à augmenter la pression concurrentielle sur TDF, dès lors que les MNO disposent d’une pluralité d’offres pour répondre à leurs besoins.

121.Il n’en demeure pas moins, cependant, que TDF, en sa qualité d’opérateur historique, dispose d’une bonne couverture géographique dans les zones périurbaines et rurales, qui sont celles les plus compliquées et les moins rentables à couvrir pour les opérateurs. Elle reste par ailleurs, nonobstant un nombre de sites détenus inférieur à son concurrent Cellnex/Hivory, un acteur unique en ce qu’elle est la seule TowerCo pouvant proposer des sites mutualisés pour les quatre MNO du marché et détient des points hauts disposant d’un positionnement stratégique souvent non réplicable (§ 79 et suivants du rapport) qui lui permettent d’offrir une meilleure communication entre les différents sites et ainsi une plus grande fluidité du réseau.

122.Le constat opéré dans le rapport (§ 141), selon lequel TDF impose toujours, contrairement à la plupart des TowerCo, une indemnité forfaitaire et libératoire de résiliation anticipée de ses contrats (limitée à trois mois de loyers par la décision n° 15-D-09), n’a, par ailleurs, jamais été contesté (pièce TDF n° 6 et écritures déposées devant la Cour).

123.Ces éléments sont de nature à démontrer que TDF dispose toujours d’un fort pouvoir de marché qui ne permet pas de considérer que les préoccupations de concurrence identifiées en 2015 n’ont plus d’objet. Le moyen est rejeté.

B. Sur la révision des engagements

124.TDF demande à la Cour d’ordonner la levée intégrale des engagements. Elle considère en effet, compte tenu du fait qu’elle n’occupe plus de position dominante et que les préoccupations de concurrence ont disparu, que le maintien partiel ou total des engagements, viole les principes de nécessité, proportionnalité et neutralité associés à toute mesure corrective.

125.À cet égard elle rappelle que les engagements avaient été pris pour prévenir de possibles effets de verrouillage du marché des contrats de TDF sur le fondement d’une éventuelle position dominante de TDF. Elle soutient que le maintien des engagements crée une distorsion de concurrence entre TDF et ses concurrents, constitue une restriction à sa liberté d’entreprendre et lui cause un préjudice grave. En effet, TDF ne dispose pas de la flexibilité nécessaire pour répondre de façon compétitive et efficace aux nouvelles demandes de ses clients et rivaliser avec les propositions commerciales agressives de ses concurrents.

126.Concernant la durée contractuelle en particulier, elle indique que celle-ci a un impact considérable sur la valeur actuelle nette des accords conclus, qui permet d’apprécier la rentabilité d’un investissement. Or, elle constate que l’ensemble des opérateurs sur le marché proposent des contrats d’une durée bien supérieure à 10 ans et en moyenne de 20 ans, comme l’indiquait le rapport (§ 89). Elle observe que les MNO privilégient désormais les offres plus attractives de type sale and lease back et build to suit et considère que cette asymétrie va s’accentuer à mesure que les TowerCo concurrentes se structureront pour maximiser la commercialisation de leurs infrastructures. Elle signale qu’en 2025 l’accord d’itinérance Free-Orange prendra fin et que cette échéance a poussé Free à rechercher de nouvelles infrastructures et a commencé les négociations avec les TowerCo, notamment avec Totem. Elle fait valoir qu’il est important pour elle de pouvoir également proposer ses sites et ses offres à des conditions équivalentes de celles que pourraient proposer son concurrent. Elle précise à cette fin qu’il est nécessaire que les engagements soient levés dans les plus brefs délais, d’autant que l’ARCEP, la majorité des répondants au test de marché et les services d’instruction ne s’y sont pas opposés.

127.L’Autorité indique que l’atteinte alléguée aux principes de nécessité, de proportionnalité et de neutralité associés à toute mesure corrective suppose que les préoccupations de concurrence identifiées dans la décision d’engagements ont effectivement disparu. Elle en déduit, dès lors que celles-ci perdurent, que le moyen manque en fait.

128.Elle relève, ensuite, et en tout état de cause, concernant la distorsion de concurrence allégué, que les engagements de TDF portent uniquement sur les contrats d’hébergement classiques, et non sur les contrats de sale and lease back et de build to suit, pour lesquels TDF est en mesure de concurrencer les autres TowerCo à armes égales. Elle souligne que la baisse de parts de marché de TDF (telle que calculée par elle) depuis 2015 n’est pas tant imputable aux engagements qu’au développement de ces contrats.

129.Elle fait valoir que le test de marché a pu confirmer l’utilité des engagements pour tempérer le pouvoir de marché de TDF dans le cadre des contrats d’hébergement classiques, certains ayant indiqué que « ces engagements ont permis de rétablir un certain équilibre contractuel entre TDF et les opérateurs télécom, en limitant la portée de certaines clauses pénalisantes pour les opérateurs télécom et favorables à TDF » (renvoyant aux cotes 433 (VC) et 748 (VNC)).

130.Concernant la résiliation anticipée, elle rappelle encore que, dans le test de marché, trois MNO ont a minima invité l’Autorité à faire preuve de vigilance, l’un d’entre eux estimant par exemple qu’« il n’est pas exclu qu’à échéance du contrat, TDF arrive à imposer une clause de résiliation anticipée moins favorable (‘) compte tenu du pouvoir de marché qu’il conserve sur certaines zones locales » (renvoyant aux cotes 269, 460 et 434, cet opérateur ayant également étendu cette conclusion à l’engagement de TDF sur les pénalités de sortie).

131.Le ministre chargé de l’économie estime, compte-tenu des préoccupations de concurrence qui sous-tendent la décision n° 15-D-09, et au regard du pouvoir de marché actuel de TDF, que la décision de maintien de l’ensemble des engagements se justifie, dès lors que leur levée entraînerait des préoccupations de concurrence plus importantes que leur continuation. Il rappelle que la liberté d’entreprendre, constitutionnellement protégée, doit être conciliée avec le droit des pratiques anticoncurrentielles. Il invite la Cour à rejeter les moyens venant au soutien de la demande de levée des engagements.

132.Le ministère public est d’avis que TDF et les éléments du dossier ont apporté des éléments suffisamment précis et circonstanciés pour justifier une modification des engagements rendus obligatoires en 2015, lesquels doivent respecter les principes de nécessité, d’adéquation et de proportionnalité. Les engagements n° 1 et 2 avaient pour objet de faciliter la résiliation anticipée partielle du contrat, tant en augmentant la quantité d’hébergements auxquels l’opérateur peut renoncer, qu’en diminuant le coût de sortie. Il observe qu’il a été constaté dans le rapport que TDF impose encore, et contrairement à la plupart des TowerCo, une indemnité forfaitaire et libératoire de résiliation anticipée de ses contrats, et rappelle que trois MNO ont invité l’Autorité à faire preuve de vigilance s’agissant des engagements n° 1 et 2. En revanche, dès lors que les concurrents de TDF usent de contrats de durée plus longue, l’engagement n° 3 ne trouve plus de raison d’être et devrait être levé.

Sur ce, la Cour :

133.Il est constant que les engagements rendus obligatoires répondaient à des préoccupations de concurrence reposant, en partie, sur la structure du marché de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile., laquelle a évolué depuis 2015.

134.Il convient donc de vérifier si le maintien de chacun des engagements s’avère toujours nécessaire et proportionné pour remédier aux préoccupations de concurrence identifiées dans le contexte de marché actuel.

135.La décision n° 15-D-09 avait retenu que les pratiques, consistant à conclure des contrats longs, souvent renégociés par anticipation, et prévoyant des quotas de résiliation anticipée très limités assortis de pénalités importantes, mises en ‘uvre par une entreprise susceptible d’être en position dominante, pourraient produire des effets anticoncurrentiels réels ou potentiels.

136.Concernant l’engagement limitant la durée des nouveaux contrats-cadres d’hébergement sur sites pylônes de TDF à une période maximale de dix ans, la Cour constate que de nouvelles TowerCo sont désormais présentes sur le marché et certaines d’entre elles disposent d’un nombre de sites actifs supérieurs à celui de TDF. Il ressort par ailleurs du test de marché que l’ensemble des MNO a indiqué que la durée des contrats limitée à 10 ans n’était plus importante à l’économie du secteur et qu’une durée plus longue permettait de sécuriser davantage leurs investissements.

137.Dans l’avis n° 2021-1360 l’ARCEP a ainsi constaté « l’intérêt manifesté par certains opérateurs mobiles pour des contrats longs afin de disposer d’une visibilité accrue sur les conditions d’hébergement, ce que TDF ne peut offrir actuellement » alors que « les contrats de prestations de services conclus par les opérateurs mobiles avec des TowerCo concurrentes de TDF sont de durée largement supérieure à 10 ans ». La Cour relève, à titre d’exemple, que SFR a répondu au test de marché en ces termes : « (‘) une durée des contrats supérieure à 10 ans pourrait en effet être nécessaire à l’économie du secteur puisqu’elle permettrait d’assurer une sécurité et stabilité de l’architecture du réseau dans les relations contractuelles avec les Towerco (‘) » (cote 406, pièce TDF n° 3 p.398). Par suite, la limitation en cause ne permet plus à TDF de proposer des offres répondant aux attentes du marché pour les contrats d’hébergement classiques qui y sont soumis.

138.En conclusion, l’ARCEP indique qu’à la lumière des échanges menés avec les opérateurs mobiles et de ses propres analyses, elle « n’a pas identifié a priori d’obstacles à la levée des engagements de TDF, à situation de marché stable ».

139.L’engagement relatif à la limitation de la durée des contrats n’est en conséquence plus nécessaire et proportionné pour remédier au risque de verrouillage du marché. Il créée, en outre, entre TDF et ses concurrents, une distorsion dans les conditions de concurrence au regard des durées existantes dans d’autres contrats similaires sur le marché justifiant d’en ordonner la levée.

140.Concernant l’engagement consistant à proposer aux clients opérateurs de réseau mobile un plafond annuel de résiliations anticipées partielles de 4 % reportable pour atteindre un maximum annuel de 10 % de résiliations anticipées partielles, concernant les contrats-cadres d’hébergement sur sites pylônes en France métropolitaine, force est de constater qu’il constitue un corollaire nécessaire à la levée de la limitation de durée des contrats afin de conserver la capacité de changement au cours de la durée d’engagement et préserver ce que les acteurs du secteur ont désigné comme étant un « levier de négociation » (en ce sens notamment la réponse de Iliad (Free), cote 269 ; pièce TDF n° 3 p. 294). Outre que les facultés de sortie anticipée correspondent à un mécanisme qui s’est généralisé à tout le secteur, cet engagement répond aux préoccupations de concurrence qui subsistent en raison du pouvoir de marché de TDF qui demeure important. Son maintien est en conséquence nécessaire et proportionné.

141.Concernant la limitation à trois mois de loyers de l’indemnité forfaitaire et libératoire de résiliation anticipée des contrats, la Cour constate, comme l’avaient fait les services d’instruction, que la majorité des opérateurs ayant répondu au test de marché (trois opérateurs sur quatre) estime que cette limitation est nécessaire à l’économie du secteur. La Cour relève que le fait de conditionner l’exercice d’une clause de résiliation anticipée au paiement d’une indemnité pécuniaire est de nature à dissuader les opérateurs de télécommunications de l’exercer si son montant est trop important. Au regard du pouvoir de marché de TDF qui s’avère toujours important, pour les motifs déjà exposés, et des modifications ordonnées par la Cour concernant la durée des contrats, cet engagement reste proportionné et nécessaire. Il n’y a pas lieu d’en ordonner la levée avant terme.

142.Au regard des changements intervenus sur le marché et des éléments versés aux débats, la Cour ordonne une levée partielle des engagements, dans les termes du dispositif du présent arrêt.

IV. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS

143.TDF demande à la Cour de condamner l’Autorité à lui payer à la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur ce, la Cour :

144.TDF succombant partiellement en son recours, il n’y a pas lieu de faire droit à sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, chaque partie conservant la charge de ses entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE recevable le recours formé par la société TDF contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 22-D-24 du 6 décembre 2022 ;

DIT que cette décision, rendue en violation du principe du contradictoire, fait grief à la société TDF ;

ANNULE, en conséquence, la décision précitée ;

REJETTE la demande de renvoi à l’instruction présentée par l’Autorité de la concurrence ;

Statuant à nouveau par l’effet dévolutif du recours :

ORDONNE, à compter de la notification du présent arrêt, la levée de l’engagement 3.2 annexé à la décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile, par lequel la société TDF s’est engagée « à ce que les contrats-cadres visés au (i) soient conclus pour une durée maximale de dix (10) ans » ;

REJETTE le surplus des demandes ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

LAISSE à chaque partie la charge de ses dépens.

LE GREFFIER,

Valentin HALLOT

LA PRÉSIDENTE,

Agnès MAITREPIERRE

 


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