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11 janvier 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
23/07499
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRÊT DU 11 JANVIER 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/07499 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHQE4
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Avril 2023 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2023005421
APPELANTE
Société QATAR NATIONAL BANK (Q.P.S.C.) société de droit Qatari, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Marie-catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
Représentée à l’audience par Me David GILBERT-DESVALLONS, avocat au barreau de PARIS, toque : L12
INTIMEE
S.A.S. GULFCAM société de droit étranger, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 2] (CAMEROUN)
Ayant pour avocatpostulant Me Manon BARNEL, avocat au barreau de PARIS
Représentée à l’audience pr Me Abubekr NJIFOUTAHOUO-WOUOCHAWOUO, avocat au barreau de NAMUR (BELGIQUE)
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 23 Novembre 2023, en audience publique, Laurent NAJEM, Conseiller, ayant été entendu en son rapport dans les conditions prévues par l’article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Qatar National Bank Q.P.S.C. est une banque internationale dont le siège est situé à Doha.
La société Gulfcam est une société de droit étranger, dont le siège social est établi à [Localité 6] (Cameroun). Elle est titulaire d’un compte bancaire portant le n° [XXXXXXXXXX01], ouvert dans les livres de la Banque Gabonaise et Française Internationale (BGFI Bank Cameroun).
Elle expose que dans le cadre de l’exploitation de son activité commerciale, elle est entrée en relation d’affaires avec la société Petroleum Energy Gas, ” PEG “, en vue de la fourniture de produits pétroliers, dans le cadre d’un ” Sales and Purchase Agreement “, signé entre les parties en date du 20 juin 2019.
Elle fait valoir que le 8 décembre 2019 un virement bancaire d’un montant de 1.497.787,02 euros a été débité de son compte bancaire en faveur d’une destinataire inconnu et sans qu’elle en ait donné l’ordre.
Faisant valoir qu’il ressort des données probantes du bordereau d’exécution du virement que la Qatar National Bank est l’établissement bancaire qui a accueilli le montant litigieux, la société Gulfam l’a fait citer par acte du 28 février 2023 devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de :
– ordonner à la société Qatar National Bank de communiquer à la société Gulfcam, sous astreinte journalières de 1.500 euros :
– l’identité complète du bénéficiaire final du virement d’un montant de 1.497.787,83 euros exécuté par débit non consenti et frauduleux du compte bancaire professionnel n° [XXXXXXXXXX01] dont est titulaire la demanderesse ;
– le relevé d’identité bancaire du compte bancaire domicilié à la Qatar National Bank ayant accueilli le virement dont question, opéré au préjudice de la société Gulfcam ;
– les précisions quant à ce qu’il est advenu des fonds ainsi distraits ;
– dire et juger qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Gulfcam les frais exposés aux fins de défendre ses intérêts ;
et en conséquence :
– condamner la société Qatar National Bank au paiement de la somme de 12.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Qatar National Bank aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Njifoutahouo-Wouochawhouo Abubekr, Avocat aux offres de droit, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par ordonnance contradictoire du 06 avril 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, a :
– ordonné à la société Qatar National Bank de communiquer à la société Gulfcam, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard, à compter du 15ème jour suivant le prononcé de l’ordonnance et pendant une durée de 30 jours :
– l’identité complète du bénéficiaire final du virement d’un montant de 1.497.787,83 euros exécuté par débit non consenti et frauduleux du compte bancaire professionnel n° [XXXXXXXXXX01] dont est titulaire la demanderesse ;
– le relevé d’identité bancaire du compte bancaire domicilié à la Qatar National Bank ayant accueilli le virement dont question, opéré au préjudice de la société Gulfcam ;
– les précisions quant à ce qu’il est advenu des fonds ainsi distraits ;
– condamné la société Qatar National Bank à payer à la société Gulfcam, la somme de 5.000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Qatar National Bank, société de droit étranger aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,93 euros TTC dont 6,78 euros de TVA.
Par déclaration du 20 avril 2023, la société Qatar National Bank a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 22 juin 2023, la société Qatar National Bank demande à la cour de :
– recevoir la banque Qatar National Bank en son appel et l’y juger bien fondée ;
– annuler l’acte introductif d’instance et par voie de conséquence l’ordonnance entreprise et ce sans effet dévolutif ;
A titre subsidiaire,
– infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé du 6 avril 2023 (RG n°2023005421);
Statuant à nouveau :
– dire n’y avoir lieu à référé et renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;
En tout état de cause :
– condamner la société Gulfcam à restituer à la banque Qatar National Bank la somme de ” 5.340,845 euros ” exécutée par elle en vertu de l’ordonnance infirmée ;
– condamner la société Gulfcam à payer la banque Qatar National Bank la somme de 10.000 euros du chef des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Gulfcam aux entiers dépens.
Elle fait valoir que l’ordonnance relève que la société Gulfcam a élu domicile chez un avocat présenté comme inscrit au barreau de Lille, or ce n’est pas le cas ; qu’il n’y a qu’un bureau secondaire à [Localité 7] ; qu’en réalité, cet avocat était inscrit au bureau de Namur en Belgique, de sorte qu’il ne pouvait porter seul l’assignation dans le cadre d’une procédure à représentation obligatoire. Elle fait état d’une nullité de fond de l’assignation qui ne suppose pas la démonstration d’un grief.
Elle allègue que le premier juge a rapporté une décision de radiation, en lui substituant une heure plus tard et hors de sa présence une décision de renvoi. Elle considère qu’elle s’est trouvée jugée sans être entendue ni appelée et elle en déduit que le juge n’a pas fait observer le principe de la contradiction.
S’agissant du principe de loyauté, elle souligne qu’elle n’a jamais été informée par la partie adverse du renvoi finalement ordonné et que l’existence d’une procédure pénale a par ailleurs été occultée. Elle estime que s’agissant d’informations bancaires, la protection du secret était à considérer.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 06 novembre 2023, la société Gulfcam demande à la cour de :
– accueillir les présentes et les déclarer bien fondées,
Et statuant à nouveau,
– ordonner à la Qatar National Bank de communiquer à la société Gulfcam sous astreintes journalières de 1.500 euros ;
– l’identité complète du bénéficiaire final du virement d’un montant de 1.497.787,83 euros exécuté par débit non consenti et frauduleux du compte bancaire professionnel n° [XXXXXXXXXX01] dont est titulaire la société Gulfcam ;
– le relevé d’identité bancaire du compte bancaire domicilié à la Qatar National Bank ayant accueilli le virement dont question, opéré au préjudice de la société Gulfcam ;
– les précisions quant à ce qu’il est advenu des fonds ainsi distraits ;
– dire et juger qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Gulfcam les frais exposés aux fins de défendre ses intérêts ;
– débouter la partie appelante de l’ensemble de ses demandes ;
– rejeter toutes fins ou conclusions contraires aux présentes ;
– confirmer dans toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise rendue par le tribunal de commerce en date du 06 avril 2023, en ce compris les astreintes dues telles que prononcées par le tribunal de commerce de Paris ;
– condamner la société Qatar National Bank au paiement de la somme de 12.500 euros au titre de l’article 700, dont distraction au profit de Maître Njifoutahouo Wouochawouo Abubekr, conformément à l’article 699 du code de procédure civile, eu égard à cette instance en appel ayant contraint la partie intimée à exposée derechef des frais pour assurer la défense de ses intérêts ;
– condamner la société Qatar National Bank aux entiers dépens de l’instance.
La société Gulfcam considère que le moyen de nullité de l’assignation révèle la méconnaissance de l’appelante du droit positif en l’état et notamment des prescriptions du code de procédure civile et de la législation européenne. Elle entend s’en remettre sur ce point à l’appréciation souveraine de la présente juridiction.
Elle souligne que seul le premier juge dirigeait les débats et rappelle que la faculté d’accepter ou de refuser le renvoi à une audience ultérieure relève de son pouvoir discrétionnaire dès lors que les parties ont été mises en mesure d’exercer leur droit à un débat oral.
Elle fait valoir qu’il ne lui incombait pas de convoquer la société Qatar National Bank à l’audience de renvoi et cette dernière ne justifie pas de diligences auprès du greffe.
Sur le fond du référé, elle expose qu’elle n’a jamais consenti au débit de son compte pour un virement de la somme de 1 497 787,83 euros, qu’elle a déposé une plainte et que la rétention abusive des informations requises suggère des questions légitimes quant à son degré d’implication dans un délit d’escroquerie dont elle a été victime.
Elle soutient que l’appelante ne s’est pas interrogée sur l’origine des fonds ; que les données bancaires du destinataire des fonds sont nécessaires à l’action en répétition de l’indu et, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, elle souligne que l’objet de la procédure est de se procurer une preuve dont elle pourrait avoir besoin à l’appui d’un procès potentiel.
Elle souligne le refus de la partie adverse d’exécuter l’ordonnance entreprise.
Elle détaille les frais exposés pour défendre ses intérêts.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2023.
SUR CE, LA COUR
Sur l’exception de nullité de l’acte introductif d’instance
Selon l’article 202 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, pour l’application du titre V relatif à l’exercice de la profession d’avocat, sous leur titre professionnel d’origine, par les ressortissants des états membres de l’Union européenne notamment, sont reconnus en France comme avocats les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne, des autres Etats parties à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse qui exercent leurs activités professionnelles dans l’un de ces Etats membres ou parties autres que la France ou dans la Confédération suisse sous l’un des titres professionnels suivants, en Belgique : avocat, advocaat, rechtsanwalt.
Aux termes de l’article 202-1 de ce décret :
” Lorsqu’un avocat mentionné à l’article 202 assure la représentation ou la défense d’un client en justice ou devant les autorités publiques, il exerce ses fonctions dans les mêmes conditions qu’un avocat inscrit à un barreau français.
Il respecte les règles professionnelles françaises, sans préjudice des obligations non contraires qui lui incombent dans l’Etat dans lequel il est établi.
En matière civile, lorsque la représentation est obligatoire devant le tribunal judiciaire, il ne peut se constituer qu’après avoir élu domicile auprès d’un avocat établi près le tribunal saisi et auquel les actes de la procédure sont valablement notifiés. Il joint à l’acte introductif d’instance ou à la constitution en défense, selon le cas, un document, signé par cet avocat, attestant l’existence d’une convention qui autorise l’élection de domicile pour l’instance considérée. (‘). ”
Les dispositions de l’article 202-1 qui conditionnent la constitution de l’avocat à l’élection de domicile auprès d’un avocat établi auprès du tribunal saisi vise le tribunal judiciaire et non le tribunal de commerce.
L’avocat n’a pas davantage à justifier d’un pouvoir spécial devant le tribunal de commerce.
Dès lors, l’acte introductif d’instance mentionnant la constitution d’un avocat dont le cabinet principal est situé à [Localité 8] et qui a un cabinet secondaire à [Localité 7], est valable.
L’exception de nullité sera rejetée.
Sur le fond du référé
Vu l’article 444 du code de procédure civile.
Aux termes de l’article 542 du code de procédure civile :
” L’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel. ”
La société Qatar National Bank fait état d’une violation des principes de la contradiction, de la loyauté et de l’office du juge tenant à :
– un rétablissement, après le départ de son conseil, d’une instance initialement radiée à la même audience sans qu’elle ne soit avertie de la date de renvoi de l’affaire ;
– l’absence d’information par l’avocat de la partie adverse de ce renvoi ;
– l’occultation de certains éléments de procédure pénale ;
– la méconnaissance de l’office de juge s’agissant de la protection du secret des affaires, estimant que le premier juge aurait dû relever son incompétence ou écarter l’exécution provisoire au visa de l’article R.153-8 du code de commerce.
Elle conclut dans le corps de ses écritures à ” l’anéantissement ” de l’ordonnance, ce qui au regard des moyens invoqués au soutien de cette demande, doit s’interpréter en une demande d’annulation de la décision déférée, s’agissant en particulier de la violation du principe du contradictoire.
L’appel est dépourvu d’effet dévolutif sur le fond lorsque le jugement est déclaré nul en raison d’une irrégularité qui affecte l’acte introductif d’instance ou de l’absence de celui-ci (Cass. 2e civ., 4 mars 2021, n° 19-22.193), l’instance étant éteinte en son principe même. Dans les autres cas de nullité de la première décision, la dévolution s’opère pour le tout, en application de l’article 562 alinéa 2 du code de procédure civile.
Or, en l’espèce, après avoir sollicité l’anéantissement de la première décision et demandé la ” restitution ” des sommes payées au titre des frais irrépétibles et des dépens – ce qui n’incombe pas à la cour mais résulterait le cas échéant de l’exécution de sa décision – la société Qatar Bank National ne conclut pas sur le fond du référé.
La cour observe par ailleurs que le dispositif de ses conclusions n’est donc pas conforme à ces développements puisque l’appelante ne vise l’annulation de l’ordonnance entreprise qu’au titre de l’acte introductif d’instance, sans effet dévolutif. A titre subsidiaire, elle sollicite l’infirmation de la décision et qu’il soit dit n’y avoir lieu à référé.
Compte tenu de l’effet dévolutif, dans l’hypothèse d’une annulation de l’ordonnance qui ne résulte pas de la nullité de l’assignation, la cour devra examiner la demande de la société Gulfcam.
Il y a lieu d’inviter la Qatar National Bank à conclure au soutien de sa demande d’infirmation.
La société Gulfcam sera quant à elle invitée à justifier, par toutes pièces utiles, de la procédure pénale qu’elle a éventuellement diligentée en France.
L’ensemble des demandes, y compris les dépens, sera réservé.
PAR CES MOTIFS
Rejette l’exception de nullité de l’acte introductif d’instance ;
Avant dire droit,
Ordonne la réouverture des débats ;
Invite la société Qatar National Bank à notifier des conclusions tenant compte de l’effet dévolutif rappelé dans les motifs de la présente décision pour le 20 janvier 2024 et réplique éventuelle de la société Gulfcam pour le 5 février 2024 ;
Invite la société Gulfcam à justifier, le cas échéant, par toutes pièces utiles, de la procédure pénale qu’elle a diligentée en France pour le 20 janvier 2024 ;
Renvoie l’affaire à l’audience de plaidoirie du jeudi 22 février 2024 à 14 heures, salle Muraire, escalier T, 1er étage ;
Dit que la clôture interviendra le mardi 13 février 2024, à 13 heures, salle E0-K-20 ;
Réserve l’ensemble des demandes, y compris les dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE