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11 janvier 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
23/08632
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRÊT DU 11 JANVIER 2024
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/08632 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHTLW
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 21 Avril 2023 -Président du TC de PARIS – RG n° 2022057523
APPELANTS
M. [V] [I]
[Adresse 8]
[Localité 6]
M. [Z] [K]
[Adresse 4]
[Localité 9]
M. [R] [T]
[Adresse 3]
[Localité 7]
S.A.S. ENSEIGNE LIBRE, RCS de Paris sous le n°918 096 405, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentés par Me Rachid ELMAM, avocat au barreau de PARIS, toque : C0240, présent à l’audience
INTIMEE
S.A.R.L. CONSULT’IM, RCS de Paris sous le n°511 411 324, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Estelle FERNANDES de la SELAS INSOLIDUM AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : E1907, présente à l’audience
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 23 Novembre 2023, en audience publique, Michèle CHOPIN, Conseillère, ayant été entendue en son rapport dans les conditions prévues par l’article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
****
EXPOSE DU LITIGE
La société Consult’im, dont le siège social est situé [Adresse 2] à [Localité 10], exerce depuis 13 ans une activité de transaction sur immeubles et fonds de commerce et une activité d’intermédiaires en achat, vente, locations, de biens fonciers et commerciaux.
La société Enseigne Libre a été constituée par M. [I] et M. [K] le 22 juillet 2022 et immatriculée au RCS de Paris le 3 août 2022. Le 5 septembre 2022, M. [Z] [T] a acquis la moitié des actions possédées par M. [K] et est devenu également associé de cette société.
La société Enseigne Libre exerce, à son siège social situé [Adresse 1] à [Localité 10], une activité d’agence immobilière.
M. [I], M. [K] et M. [T] sont anciens salariés de la société Consult’im.
Précisément, M. [I] était titulaire d’un contrat d’apprentissage au sein de la société Consult’im, du 19 octobre 2020 au 31 août 2021.
M. [K] et M. [T] ont été salariés de la société Consult’im, respectivement du 3 avril 2017 au 22 juillet 2022, et du 3 décembre 2018 au 25 août 2022, en qualité de négociateurs immobiliers, « consultants commerce ”, sans avoir le statut d’indépendant ou de VRP. A l’article 19 de leurs deux contrats de travail figurait une clause de non-concurrence.
La société Consult’im, estimant que la société Enseigne Libre et/ou M. [K] et/ou M. [T], avec la participation de M. [I], démarchent activement ses clients, mandants et partenaires, en violation de leurs obligations de fidélité, de loyauté, d’exclusivité, de non-concurrence et de propriété commerciale, et que ces agissements, selon elle fautifs, ont des conséquences préjudiciables pour elle, notamment des pertes de commissions, a présenté le 12 octobre 2022 devant le président du tribunal de commerce de Paris une requête en sollicitant une mesure d’instruction au sens de l’article 145 du code de procédure civile, ce qui lui a été accordé par ordonnance du 19 octobre 2022.
Par exploit du 02 décembre 2022, la société Enseigne Libre, M. [I], M. [K] et M. [T] ont fait assigner la société Consult’im devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :
– juger que la société Consult’im ne justifie pas d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile ;
A titre principal :
– prononcer la rétractation de l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris et signifiée le 7 novembre 2022 aux demandeurs ;
A titre subsidiaire :
– modifier l’ordonnance rendue en restreignant dans le temps et dans l’objet la recherche par le commissaire de justice de documents litigieux ;
En tout état de cause :
– condamner la société Consult’im au paiement de la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Consult’im aux entiers dépens de la procédure.
Par ordonnance contradictoire du 21 avril 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
– débouté la société Consult’im de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de I’assignation en référé-rétractation du 2 décembre 2022 ;
– dit que l’ordonnance du 19 octobre 2022 est conforme aux dispositions des articles 145 et 493 du code de procédure civile ;
– débouté M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre de leur demande de rétractation de l’ordonnance rendue le 19 octobre 2022 ;
– débouté M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre de leur demande subsidiaire de modification de l’ordonnance du 19 octobre 2022 ;
– dit que la levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par le commissaire de justice instrumentaire doit se faire conformément aux articles R 153-3 à R 153-8 du code de commerce ;
– dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante :
– demandé à M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre de faire un tri sur les fichiers des pièces séquestrées en trois catégories :
catégorie « A ” les pièces qui pourront être communiquées sans examen ;
catégorie « B ” les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que les demandeurs à la rétractation, M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre, refusent de communiquer ;
catégorie « C ” les pièces que M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre refusent de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;
– dit que ce tri sera communiqué à la SCP [X] [B] et [L] [G], commissaire de justice instrumentaire, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré ;
– dit que pour les pièces concernées par le secret des affaires, M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre, conformément aux articles R 153-3 à R 153-8 du code de commerce, communiqueront au président « un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires ” ;
– fixé le calendrier suivant :
– communication à la SCP [X] [B] et [L] [G], et au président, les tris des fichiers demandés pour le 23 juillet 2023 au plus tard ;
– renvoyé l’affaire, après contrôle de cohérence par le commissaire de justice instrumentaire, à l’audience du 8 septembre 2023 à 14h30 pour examen de la fin de la levée de séquestre ;
– dit que la SCP [X] [B] et [L] [G], ès qualités de séquestre, ne pourra procéder à la libération des éléments susvisés entre les mains de la société Consult’im et/ou la destruction des pièces communicables, qu’après que tous les délais d’appel soient expirés, ou s’il y a appel, qu’après qu’une décision définitive soit intervenue, que, dans cette attente, la SCP [X] [B] et [L] [G], ès qualités, conservera sous séquestre l’ensemble des pièces ;
– condamné in solidum M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre, à verser 5.000 euros à la société Consult’im, déboutant sur le surplus, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné in solidum M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre, aux dépens de I’instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 109,89 euros TTC dont 18,10 euros de TVA ;
– rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ;
– commis d’office l’un des commissaires de justice-audienciers de ce tribunal pour signifier notre décision.
Par déclaration du 10 mai 2023, la société Enseigne Libre, M. [I], M. [K] et M. [T] ont relevé appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 02 novembre 2023, la société Enseigne Libre, M. [I], M. [K] et M. [T] demandent à la cour de :
– confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a débouté la société Consult’im de sa demande de prononcer la nullité de l’assignation en référé rétractation du 2 décembre 2022,
– infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a :
– dit que l’ordonnance du 19 octobre 2022 est conforme aux dispositions des articles 145 et 493 du code de procédure civile ;
– débouté M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre de leur demande de rétractation de l’ordonnance rendue le 19 octobre 2022 ;
– débouté M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre de leur demande subsidiaire de modification de l’ordonnance rendue le 19 octobre 2022 ;
– dit que la levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par le commissaire de justice instrumentaire doit se faire conformément aux articles R 153-3 à R 153-8 du code de commerce ;
– dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante :
– demandé à M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre de faire un tri sur les fichiers des pièces séquestrées en trois catégories,
Catégorie « A » les pièces qui pourront être communiquées sans examen ;
Catégorie « B » les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que les demandeurs à la rétractation, M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre, refusent de communiquer :
Catégorie « C » les pièces que M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre refusent de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;
– dit que ce tri sera communiqué à la SCP [X] [B] et [L] [G], commissaire de justice instrumentaire, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré, Disons que pour les pièces concernées par le secret des affaires, M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre, conformément aux articles R 153-3 à R 153-8 du code de commerce, communiqueront au président « un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires » ,
– fixé le calendrier suivant :
communication à la SCP [X] [B] et [L] [G], et au président, les tris des fichiers demandés pour le 23 juillet au plus tard ;
– renvoyé l’affaire, après contrôle de cohérence par le commissaire de justice instrumentaire, à l’audience du 8 septembre 2023 à 14h30 pour examen de la fin de la levée de séquestre,
– dit que la SCP [X] [B] et [L] [G], ès qualités de séquestre, ne pourra procéder à la libération des éléments susvisées entre les mains de la société Consult’im et/ou la destruction des pièces communicables, qu’après que tous les délais d’appel soient expirés, ou s’il y a appel, qu’après qu’une décision définitive soit intervenue, que dans cette attente la SCP [X] [B] et [L] [G], ès qualités, conservera sous séquestre l’ensemble des pièces
– condamné in solidum M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre, à verser 5.000 euros à la société Consult’im, déboutant sur le surplus, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné in solidum M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre, aux dépens de l’instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 108,89 euros TTC, dont 18,10 euros de TVA,
Statuant à nouveau,
– recevoir les appelants en leurs demandes, fins et conclusions ;
– rejeter la demande de la société Consult’im visant à obtenir la nullité de l’assignation délivrée par M. [I], M. [K], M. [T] et la société Enseigne Libre ;
– juger que la société Consult’im ne justifie pas d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile ;
A titre principal :
– rétracter l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris, signifiée le 7 novembre dernier aux demandeurs ;
A titre subsidiaire :
– modifier l’ordonnance rendue en restreignant dans le temps (du 22 juillet 2022 à la date des constatations) et exclure de la saisie et de la recherche par le commissaire de justice tout élément appartenant à M. [I] (ordinateurs et téléphone de M. [I] …) ;
En tout état de cause :
– débouter la société Consult’im de l’intégralité de ses demandes ;
– condamner la société Consult’im au paiement de la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Consult’im aux entiers dépens de la procédure.
Ils exposent notamment que :
– l’assignation n’est pas nulle au sens de l’article 114, alinéa 2 du code de procédure civile puisque de jurisprudence constante, le défaut de désignation de l’organe représentant légalement une personne morale dans un acte de procédure lorsque cette mention est prévue à peine de nullité ne constitue qu’un vice de forme, nécessitant la démonstration d’un grief,
– la société Consult’im ne justifie pas de la perte alléguée de six clients mandants et partenaires alors que ces clients sont encore en relation d’affaires avec elle et que, par ailleurs, toute la présentation de faits par la société Consult’im est mensongère, de sorte qu’il n’existe aucun motif légitime,
– l’intimée soutient que les appelants poursuivent leur activité commerciale en violation de leur clause de non-concurrence, alors que M. [V] [I], en apprentissage pour sa part, n’était tenu à aucune clause de non-concurrence, de sorte qu’il s’agit d’une tentative d’intimidation,
– s’agissant de M.[T] et de M.[K], ils sont en droit d’exercer leur activité en raison de l’absence de paiement d’une quelconque indemnité au titre de la non-concurrence, la société Consult’im ne leur ayant au surplus envoyé aucune lettre leur notifiant la suspension du
versement de l’indemnité au titre du non-respect de la clause de non concurrence,
– ils ont parfaitement respecté les obligations issues des contrats de travail les liant à la société Consult’im, pendant l’exécution et à l’issue de ces contrats de travail,
– par ailleurs, la clause de non-concurrence mentionnée dans les contrats de travail de ces deux anciens salariés ne respecte pas les dispositions prévues par la convention collective de l’immobilier, ce qui rend nulle cette clause,
– la société Consult’im tente de faire croire que M. [T] et M.[E] useraient de manoeuvres déloyales afin de démarcher de manière frauduleuse sa clientèle, ses mandants et partenaires, ce qui est totalement erroné, alors que les activités de la société Enseigne Libre et Consult’im sont différentes, que la clientèle ou les mandants de la société Consult’im n’ont pas été détournés, et qu’il n’existe aucune similarité entre les documents utilisés par la société Enseigne Libre et ceux de la société Consult’Im,
-l’ordonnance rendue est extrêmement large et permet à l’huissier de saisir sans distinction tous les documents appartenant à la société Enseigne Libre, MM. [I], [T] et [K], de sorte qu’elle porte atteinte au secret des affaires et à la liberté d’entreprendre des appelants.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 02 novembre 2023, la société Consult’im demande à la cour de :
– confirmer l’ordonnance de référé rendue le 21 avril 2023 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande de nullité de l’assignation ;
Par conséquent, statuant à nouveau,
A titre principal,
– prononcer la nullité de l’assignation en référé rétractation signifiée à la société Consult’im à la demande de la société Enseigne Libre ainsi que de M. [I], M. [K] et M. [T] , en date du 2 décembre 2022 ;
En tout état de cause :
– débouter la société Enseigne Libre ainsi que M. [I], M. [K] et M. [T] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
– condamner solidairement la société Enseigne Libre ainsi que M. [I], M. [K] et M. [T] à verser à la société Consult’im la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner solidairement la société Enseigne Libre ainsi que M. [I], M. [K] et M. [T] aux entiers dépens de la procédure.
Elle expose notamment que :
– il est aisé de constater que l’assignation en rétractation délivrée à la demande de la société Enseigne Libre, MM. [I], [K] et [T] ne comporte pas toutes les mentions légales prescrites par l’article 54 du code de procédure civile, ce, à peine de nullité,
– sur le fond, l’ordonnance est bien fondée, en ce que les conditions de l’article 145 du Code
de procédure civile sont parfaitement réunies,
– il est manifeste que la société Enseigne Libre met tout en oeuvre et utilise des moyens déloyaux pour récupérer et détourner sa clientèle, ses mandants et ses partenaires ainsi que les locaux commercialisés par elle, en utilisant notamment les moyens mis à leur disposition dans le cadre de leurs anciennes fonctions,
-les agissements fautifs de la société Enseigne Libre et de ses dirigeants et associés ont des conséquences très préjudiciables, puisqu’elle voit se cumuler des pertes de commissions, ce qui entraîne une diminution de son chiffre d’affaires,
– eu égard aux agissements déloyaux et parasitaires de ses anciens salariés, qui entendent reprendre et détourner sa clientèle, ses mandants et partenaires, et notamment ceux avec lesquels ils étaient en relation et dont ils avaient la charge, eu égard aux conséquences pouvant en résulter elle dispose bien d’un motif légitime à établir, avant tout procès, la preuve de ces actes de concurrence déloyale dont elle est victime,
– l’existence et la vraisemblance des faits rapportés sont propres à qualifier une situation anormale de concurrence, née à la suite de la volonté d’organiser le détournement frauduleux de sa clientèle, ce, dans le cadre d’une véritable stratégie de captation,
– elle a déjà perdu, sur une courte période, six clients, mandants et partenaires ainsi que la commercialisation de leurs biens,
– la mesure d’instruction a été sollicitée sur requête car il est évident que la seule connaissance par la société Enseigne Libre et ses dirigeants et associés, d’une procédure à leur encontre aurait eu pour effet de conduire ces derniers à supprimer purement et simplement des éléments de preuves recherchés et en particulier, des messages qui expliciteraient les démarches tendant notamment à la captation de sa clientèle,
– même si cette condition n’est plus exigée, l’urgence est caractérisée en l’espèce, la société Consult’im étant fondée à craindre que la société Enseigne Libre et ses dirigeants et associés ne perpétuent leurs actes de concurrence déloyale, venant ainsi aggraver le préjudice subi,
– il importe de relever que la mesure ordonnée est bien limitée dans le temps (à compter du 1er septembre 2021), dans son objet et manifestement proportionnée au but poursuivi.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE,
– sur la nullité de l’assignation en référé-rétractation
Il résulte des dispositions combinées de l’article 648 et de l’article 114 du code de procédure civile, que l’acte introductif d’instance ne mentionnant pas l’identification précise de la personne morale, avec l’identité de son représentant légal, ni les professions des personnes physiques est nul et de nul effet, sous réserve que soit démontrée l’existence d’un grief.
Si l’acte introductif d’instance du 11 octobre 2018 ne comporte pas ces mentions, dont il n’est par ailleurs pas établi qu’elles aient été régularisées dans le cadre d’un acte subséquent, la société Consult’im se contente d’une formule générale par laquelle elle affirme l’existence d’un grief, sans établir précisément quelles conséquences préjudiciables cette absence d’identification et de mentions aurait dans le cadre de la présente procédure.
Ce moyen ne peut donc qu’être rejeté et l’ordonnance critiquée sera confirmée de ce chef.
– sur le fond du référé
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
L’application de ces dispositions suppose que soit constatée l’existence d’un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés sans qu’il revienne au juge statuant en référé de se prononcer sur le fond.
Lorsqu’il statue sur le fondement de ce texte, le juge n’est pas soumis aux conditions imposées par l’ article 872 du code de procédure civile, il n’a notamment pas à rechercher s’il y a urgence à la mise en oeuvre de la mesure sollicitée, l’application de cet article n’impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé.
En l’espèce, il apparaît que :
– il est constant que MM [I], [K] et [T] ont quitté leurs fonctions au sein de la société Consult’im pour créer la société Enseigne Libre, dont l’activité est identique, concurrente, et exercée dans des locaux situés à 350 mètres du siège de leur ancien employeur,
– il est fait état, par la production de courriels et pièces circonstanciées que plusieurs clients de la société Consult’im (gestion crèches, [O], groupe Madar, groupe Mousquetaires, groupe Oxima, société V and B Concept) ont été démarchés par MM.[K] et [T],
– en effet, il ressort notamment d’une invitation Outlook du 22 septembre 2022 qu’une visite de locaux était organisée le 26 septembre 2022 entre son client Gestion Crèches et M. [T], ce dernier venant de quitter la société Consult’Im le 25 août 2022, et d’échanges de mails parvenus sur les anciennes adresses professionnelles de MM. [K] et [T] les 21, 26 et 28 septembre 2022 que M. [O], le groupe Madar, le groupe Mousquetaires, le groupe Oxima, et société V and B Concept étaient en contact avec MM. [K] et [T] pour des locaux commercialisés par leur intermédiaire pour le compte de la société Consult’im,
– s’il n’est pas méconnu que la clientèle pouvait librement choisir de contracter avec une autre entreprise exerçant dans le même secteur d’activité, il apparaît néanmoins que sur une période de temps très courte, trois des salariés de l’intimée ont entendu conserver la clientèle de leur portefeuille créée au sein de la société Consult’im mais au profit de la société Enseigne Libre,
– il est encore relevé que la confusion entretenue entre les messageries professionnelles de MM. [K] et [T] est propre à caractériser une désorganisation de la société Consult’im et une dissimulation de comportements déloyaux de salariés envers leur ancien employeur,
– enfin, il est produit une “lettre d’intérêt” de la société Enseigne Libre, parvenue sur l’ancienne adresse professionnelle de M. [T], qui présente des similarités avec celle de la société Consult’im,
– si ces éléments ne peuvent à eux seuls suffire à caractériser un détournement de clientèle, ils constituent néanmoins des indices sérieux permettant de démontrer l’existence d’un motif légitime pour justifier la mesure d’instruction sollicitée.
Il est rappelé qu’agissant sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, la société Consult’im n’a pas à rapporter, à ce stade de la procédure, la preuve des actes de concurrence déloyale suspectés et du préjudice en résultant.
A cet égard, les critiques des appelantes quant à l’absence d’indemnisation de leur clause de non-concurrence pour MM.[K] et [T], et l’absence d’une telle clause dans le contrat d’apprentissage de M. [I] sont inopérantes, dès lors que ces pièces ne sont pas produites pour justifier des demandes dans le cadre d’une procédure au fond mais seulement pour étayer la pertinence des motifs allégués pour demander une mesure d’instruction par voie de requête.
Ainsi, au regard des éléments qui précèdent, la société Consult’im peut légitimement avoir besoin de déterminer l’ampleur de la concurrence déloyale suspectée, susceptible de résulter d’un possible détournement de clientèle par ses anciens salariés au profit de la société Enseigne Libre. Elle établit donc l’existence d’un procès en germe possible en concurrence déloyale dont l’échec manifeste n’est pas démontré par les moyens développés par les appelantes ni par les pièces qu’elles produisent et, donc, un motif légitime justifiant la mesure d’instruction sollicitée.
La nécessité de déroger au principe du contradictoire ne fait pas débat et est caractérisée tant au sein de la requête que de l’ordonnance par le risque de disparition des preuves, dans un contexte tendu de concurrence déloyale.
Les sociétés appelantes soulignent que l’ordonnance rendue serait extrêmement large en autorisant l’huissier à saisir sans distinction tous les documents appartenant à MM. [K], [T], [I] ainsi qu’à la société Enseigne Libre.
Cependant, il ressort des termes de la requête que la société Consult’im invoque le détournement de clientèle pendant l’exécution et postérieurement à la rupture des contrats de travail de ses anciens salariés. Ce fait, qui rend vraisemblable un transfert des données et des échanges sur les messageries personnelles ou encore des échanges entre les salariés, à partir de ces messageries, justifie la disposition critiquée de l’ordonnance.
Il sera en outre relevé que la mission confiée à l’huissier de justice a été circonscrite dans son objet puisque les recherches ont été limitées, par l’indication de mots-clés et noms des clients, mandant et partenaires de Consult’im, identifiés sur une liste transmise, et des supports (couriels, fichiers, contrats, offres, lettres d’intérêts, correspondances notamment) éléments limités au seul transfert de sa clientèle.
Au surplus, l’ordonnance a fait interdiction à l’huissier de justice de collecter des informations manifestement personnelles et sans rapport avec la mission.
Ainsi, la mission ne présente aucun caractère général et préserve les droits des personnes concernées par la mesure d’instruction.
Elle est également limitée dans le temps pour débuter le 1er septembre 2021, soit le lendemain de la fin du contrat de travail de M. [I], date qui apparaît comme étant pertinente.
Il convient encore de rappeler qu’une mesure de séquestre des éléments recueillis a été prévue pour protéger, le cas échéant, le secret des affaires, en l’espèce non invoqué, ou encore toute atteinte qui serait portée aux droits des personnes visées par la mesure et que l’huissier s’y est conformé.
Enfin, le respect de la vie privée ne constitue pas, en lui-même, un obstacle à l’application de l’article 145 du code de procédure civile, dès lors que la mesure ordonnée repose sur un motif légitime et qu’elle est nécessaire et proportionnée à la protection des droits du requérant.
En conséquence, la mesure ordonnée, utile et proportionnée à la solution du litige, ne porte pas une atteinte illégitime aux droits des personnes concernées par la mesure d’instruction et, tenant compte de l’objectif poursuivi, concilie le droit au respect de la vie privée de ces dernières et le droit à la preuve de la société Consult’im.
Au regard des motifs qui précèdent, il convient, confirmant l’ordonnance entreprise de ce chef, de débouter les appelants de leur demande de rétractation de l’ordonnance rendue.
En l’absence de rétractation de l’ordonnance rendue sur requête le 19 octobre 2022, il y a également lieu de confirmer la levée du séquestre ordonnée par le premier juge et la remise des pièces saisies pour lesquelles il n’a pas été sollicité de procédure de tri, entre les mains de la société Consult’im.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l’article 696 du même code. En effet, les mesures d’instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les sollicite, en vue d’un éventuel procès au fond, et sont donc en principe à la charge de ce dernier.
En revanche, il est possible de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et, dès lors, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une d’elles.
Au regard de l’issue du litige, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens exposés tant en première instance qu’en appel, l’ordonnance critiquée étant infirmée de ce chef.
L’indemnité allouée par le premier juge à la société Consult’im le fondement de l’article 700 du code de procédure civile a été exactement appréciée. Les appelants seront condamnés à payer à la société Consult’im, contrainte d’exposer des frais irrépétibles pour assurer sa défense en appel, la somme globale de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme l’ordonnance entreprise sauf sur le sort des dépens de première instance,
Statuant à nouveau de ce chef, et y ajoutant,
Laisse à chacune des parties la charge des dépens de première instance et d’appel par elle exposés,
Condamne M. [K], M. [I], M. [T] et la société Enseigne Libre à payer à la société Consult’Im la somme globale de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE