Savoir-faire : 23 janvier 2024 Cour d’appel de Poitiers RG n° 23/01051

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Savoir-faire : 23 janvier 2024 Cour d’appel de Poitiers RG n° 23/01051
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23 janvier 2024
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
23/01051

ARRET N°32

CL/KP

N° RG 23/01051 – N° Portalis DBV5-V-B7H-GZJC

[N]

S.A.S. CARESTER

S.A.S. CAREHUB

S.A.S. CAREMAG

S.A.S. CAREMAG PARTNER

C/

S.A.S. RHODIA OPERATIONS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

2ème Chambre Civile

ARRÊT DU 23 JANVIER 2024

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/01051 – N° Portalis DBV5-V-B7H-GZJC

Décision déférée à la Cour : ordonnance du 02 mai 2023 rendue par le Président du Tribunal Judicaire de LA ROCHELLE.

APPELANTS :

Monsieur [W] [N]

né le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 7] (38)

[Adresse 3]

[Localité 4]

Ayant pour avocat postulant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Sébastien SEMOUN, avocat au barreau de LYON.

S.A.S. CARESTER représentée par son Président en exercice.

[Adresse 2]

[Localité 5]

Ayant pour avocat postulant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Sébastien SEMOUN, avocat au barreau de LYON.

S.A.S. CAREHUB représentée par son Président.

[Adresse 2]

[Localité 5]

Ayant pour avocat postulant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Sébastien SEMOUN, avocat au barreau de LYON.

S.A.S. CAREMAG représentée par son Président en exercice.

[Adresse 2]

[Localité 5]

Ayant pour avocat postulant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Sébastien SEMOUN, avocat au barreau de LYON.

S.A.S. CAREMAG PARTNER représentée par son Président en exercice.

[Adresse 2]

[Localité 5]

Ayant pour avocat postulant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Sébastien SEMOUN, avocat au barreau de LYON.

INTIMEE :

S.A.S. RHODIA OPERATIONS prise en la personne de son Président, en exercice, et de tous autres représentants légaux domiciliés ès-qualité audit siège.

[Adresse 6]

[Localité 5]

Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Thomas BOUVET, avocat au barreau de PARIS.

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 06 Décembre 2023, en chambre du conseil, devant la Cour composée de :

Monsieur Claude PASCOT, Président

Monsieur Fabrice VETU, Conseiller

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

Monsieur [J] [R], Monsieur [V] [Z], Monsieur [F] [L], Monsieur [U] [K], Madame [X] [P], Monsieur [F] [I], Monsieur [W] [N], Monsieur [F] [M] et Monsieur [C] [A] sont d’anciens salariés de la société Rhône Poulenc, de la société Solvay et de la société par actions simplifiée Rhodia Opérations (la société Rhodia) ayant oeuvré pour celles-ci dans le domaine de la conception, la construction ou l’exploitation d’unités de séparation de terres rares.

Monsieur [W] [N] est ingénieur chimiste et a travaillé pour le groupe Solvay de 1969 à 2005, notamment en qualité de manager industriel de l’usine de [Localité 8], date à laquelle il a été licencié pour motif économique à la suite de la suppression de son poste de responsable amont terres rares.

Immatriculée le 1er février 2019, la société par actions simplifiée Carester a pour objet social :

«accompagner les acteurs du domaine des métaux rares au travers de conseils et études techniques concernant toute la chaîne de traitement de la mine jusqu’au recyclage des équipements de fin de vie ».

La société par actions simplifiée Carehub a pour objet social:

« l’approvisionnement, achat et transformation de composés de terres rares, pures ou en mélange, leur commercialisation ».

La société par actions simplifiée Caremag a pour objet social:

« l’exploitation de procédés de recyclage d’aimants, vente de produits issus des procédés de recyclage d’aimants, conseil relative au recyclage. Exploitation d’une usine, approvisionnement achat et transformation de composés de terres rares, purs ou en mélange, leur commercialisation ainsi que celle de tous produits ou services associés ».

La société par actions simplifiée Caremag Partners est la société détentrice des petits porteurs d’actions de la société Caremag.

Monsieur [J] [R], Monsieur [V] [Z], Monsieur [F] [L], Monsieur [U] [K], Madame [X] [P], Monsieur [F] [I], Monsieur [W] [N], Monsieur [F] [M] et Monsieur [C] [A], sont associés, dirigeants, salariés, consultants ou prestataires de service des sociétés Carester, Carehub, Caremag, Caremag Partners (les sociétés Carester et affiliées).

Madame [X] [P] est responsable supply chain de la société Carester.

Par requête en date du 27 octobre 2022, la société Rhodia a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle afin de solliciter l’autorisation de faire pratiquer une mesure de constat à domicile à l’encontre d’un certain nombre d’associées/et ou partenaires personne physiques des sociétés Carester et affiliées, à savoir Monsieur [J] [R], Monsieur [V] [Z], Monsieur [F] [L], Monsieur [U] [K], Madame [X] [P], Monsieur [F] [I], Monsieur [W] [N], Monsieur [F] [M] et Monsieur [C] [A].

Cette demande avait pour objectif de recueillir la preuve d’actes de violation de secrets des affaires appartenant à la société Rhodia relatifs à des procédés industriels d’extraction de terres rares.

Par ordonnance sur requête en date du 17 novembre 2022, le juge des référés du tribunal de La Rochelle a autorisé les mesures demandées par la société Rhodia à l’encontre de Monsieur [W] [N].

Les mesures ont été exécutées par le commissaire de justice le 25 novembre 2022.

Dans le même temps, dans le cadre du même litige, quatre ordonnances sur requête avaient été rendues le 26 novembre 2022 afin d’autoriser les mêmes mesures dans les locaux des sociétés Carester et affiliées.

Le 23 février 2023, le tribunal de commerce de Lyon a rétracté ces ordonnances, en constatant l’absence de motif légitime et le caractère disproportionné des mesures de constats.

Le 22 décembre 2022, Monsieur [W] [N] a fait délivrer assignation à la société Rhodia aux fins de rétractation de l’ordonnance sur requête du 17 novembre 2022.

Les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub sont intervenues volontairement à l’instance.

En dernier lieu, Monsieur [W] [N] a demandé de :

A titre principal,

– rétracter l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle le 27 octobre 2012 sur requête de la société Rhodia ;

– subséquemment, faire obligation aux commissaires de justice ayant pratiqué des mesures de :

– procéder à la destruction de tous les duplicatas ayant pu être saisis au cours des opérations du 25 novembre 2022, qu’elle qu’en ait été leur forme ;

– dresser procès-verbal de destruction de l’ensemble des duplicatas ayant pu être récupérés, aux frais de la société Rhodia, et d’en justifier auprès des sociétés demanderesses ;

– restituer aux demanderesses les originaux ayant pu être saisis au cours des opérations du 25 novembre 2022 ;

– faire interdiction aux commissaires de justice ayant pratiqué les mesures de remettre à quiconque quelque élément que ce fût recueilli lors des opérations du 25 novembre 2022, ainsi que tout constat qui eût pu être établi sur la base de ces documents ;

à titre subsidiaire,

– dire et juger que le juge des référés disposait de la faculté de modifier l’ordonnance rendue à la requête de la société Rhodia ;

– dire et juger que l’étendue de la mesure sollicitée ainsi que la situation de concurrence directe existante entre les deux groupes imposaient que la mesure autorisée fût strictement encadrée afin de garantir une réelle protection du secret des affaires;

par conséquent supprimer les attendus suivants :

– de toute prestation de consultant fournie par la société Carester à ses clients dans le domaine de l’extraction des terres rares, notamment aux sociétés Three Arch Mining (Tam), Iluka et Energy Fuels et en particulier concernant les caractéristiques techniques et économiques des installations proposées, notamment rapport d’analyse et de faisabilité, propositions techniques, plans d’installation, détail du matériel et des réactifs, et ce sous différentes versions de chaque document ;

– de tout document détenu par la partie saisie concernant tout dossier déposé par la société Carester ou ses filiales les sociétés Caremag, Caremag Partners et Carehub en vue de l’obtention de financement pour ses projets de construction d’unités d’extraction de terres rares, en particulier descriptif technique des unités envisagées ;

en tout état de cause,

– condamner la société Rhodia à lui payer la somme de 15’000 € au titre des frais irrépétibles.

En dernier lieu, Monsieur [W] [N] et les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub ont demandé, outre rétractation de la dite ordonnance :

– de dire recevable l’intervention volontaire à titre principal des sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub ;

In limine litis,

– de dire et juger que l’ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Lyon du 23 février 2023 rétractant quatre ordonnances strictement identiques rendues sur la base de quatre requêtes strictement identiques de la société Rhodia à celle présentée au juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle avait autorité de la chose jugée, a minima, dans les rapports entre les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub et la société Rhodia, et était, à tout le moins opposable à la société Rhodia ;

– par conséquent, de rétracter l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle du 27 octobre 2022, sur requête de la société Rhodia ;

– de condamner la société Rhodia à payer aux sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles.

En dernier lieu, la société Rhodia a demandé :

– d’ordonner la mise en place d’un cercle de confidentialité listant les personnes pouvant avoir accès aux pièces confidentielles et imposant à ces personnes des obligations de confidentialité, sur la base du projet d’engagement de confidentialité communiquée comme pièce Rhodia n°12.11;

– dire que l’audience de plaidoirie se tiendrait en chambre du conseil ;

– dire que la motivation de l’ordonnance à venir et ses modalités de publicité seraient adaptées aux nécessités de la protection des secrets des affaires des parties ;

– juger que l’ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Lyon du 23 février 2023 ne bénéficiait pas de l’autorité de la chose jugée dans la présente procédure ;

– rejeter les demandes en rétractation de l’ordonnance aux fins de constat du 27 octobre 2022 formée par Monsieur [W] [N] et les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub ;

– rejeter les demandes subsidiaires de modification de l’ordonnance destinée à réduire l’étendue de la mesure autorisée et la demande de contribution aux frais irrépétibles ;

– condamner Monsieur [W] [N] à lui payer la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles ;

– condamner in solidum les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub à lui payer la somme de 15’000 € au titre des frais irrépétibles.

Par ordonnance en référé en date du 2 mai 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle a :

– dit que la motivation de l’ordonnance et ses modalités de publicité seraient adaptées aux nécessités de la protection des secrets des affaires des parties ;

– déclaré les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub recevables en leur intervention volontaire ;

– rejeté la fin de non recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée formée par Monsieur [W] [N] et les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub ;

– rejeté les demandes en rétractation de l’ordonnance de requête du 27 octobre 2022 formées par Monsieur [W] [N] et les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub ainsi que les demandes subsidiaires de modification de ladite ordonnance ;

– condamné la société Carester à payer à la société Rhodia la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Le 4 mai 2023, Monsieur [W] [N] et les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub ont relevé appel de cette ordonnance, en intimant la société Rhodia.

Le 30 août 2023, Monsieur [W] [N] et les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub ont demandé de réformer dans toutes ses dispositions l’ordonnance déférée, et statuant à nouveau, de :

A titre principal ;

– rétracter l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle du 17 novembre 2022 ;

Subséquemment et en toute hypothèse :

– faire obligation aux commissaires de justice ayant pratiqué les mesures de :

‘ procéder à la destruction de tous les duplicatas ayant pu être saisis au cours des opérations du 30 novembre 2022, quelle qu’en fût leur forme;

‘ dresser procès-verbal de destruction de l’ensemble des duplicatas ayant pu être récupérés, aux frais de la société Rhodia, et d’en justifier auprès des sociétés demanderesses;

‘ restituer aux demanderesses les originaux ayant pu être saisis au cours des opérations du 30 novembre 2022;

– faire interdiction aux commissaires de justice ayant pratiqué les mesures de remettre à quiconque quelque élément que ce fût recueilli lors des opérations du 30 novembre 2022, ainsi que tout constat qui eût pu être établi sur la base de ces documents;

A titre subsidiaire,

– modifier l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle le 17 novembre 2022 sur requête de la société Rhodia de la façon suivante:

Supprimer les attendus ci-dessous:

« De toute prestation de consultant fournie par la société Carester à ses clients dans le domaine de l’extraction des terres rares, notamment aux sociétés Three Arch Mining (TAM), Iluka et Energy Fuels, et en particulier concernant les caractéristiques techniques et économiques des installations proposées, notamment rapport d’analyse et de faisabilité, propositions techniques, plan d’installations, détail du matériel et des réactifs, et ce sous différentes versions de chaque document;

« De tout document détenu par la partie saisie concernant tout dossier déposé par la société Carester ou ses filiales les sociétés Caremag, Caremag Partners ou Carehub en vue de l’obtention de financement pour ses projets de construction d’unités d’extraction de terres rares, en particulier les descriptifs techniques des unités envisagées »

en tout état de cause,

– débouter la société Rhodia Operations de l’ensemble de ses demandes;

– condamner la société Rhodia Operations à payer au titre des frais irrépétibles des deux instances les sommes de:

‘ 15.000 euros à Monsieur [W] [N];

‘ 5.000 euros à chacune des sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub.

Le 7 novembre 2023, la société Rhodia a demandé:

Avant toute autre mesure et décision:

– d’ordonner la mise en place d’un cercle de confidentialité listant les personnes pouvant avoir accès aux pièces confidentielles et imposant à ces personnes des obligations de confidentialité, sur la base du projet d’engagement de confidentialité communiqué comme pièce Rhodia n° R.12.11 ;

– de dire que l’audience des plaidoiries se tiendrait en chambre du conseil;

– de dire que la motivation de l’ordonnance à venir et ses modalités de publicité seraient adaptées aux nécessités de la protection des secrets des affaires des parties ;

Sur les demandes des parties, de :

– confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée ;

– débouter les appelants de toutes demandes en rétractation de l’ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle du 17 novembre 2022, rendue sur requête de la société Rhodia, autorisant les mesures de constat in futurum au domicile de Monsieur [W] [N] et rejeter leurs prétentions ;

A titre subsidiaire, de :

– réformer et modifier l’ordonnance du juge des référés du 17 novembre 2022 pour limiter l’étendue des mesures autorisées ;

– Supprimer de l’ordonnance du 17 novembre 2022 les deux attendus ci-dessous :

« De toute prestation de consultant fournie par la société Carester à ses clients dans le domaine de l’extraction des terres rares, notamment aux sociétés Three Arch Mining (TAM), Iluka et Energy Fuels, et en particulier concernant les caractéristiques techniques et économiques des installations proposées, notamment rapport d’analyse et de faisabilité, propositions techniques, plan d’installations, détail du matériel et des réactifs, et ce sous différentes versions de chaque document ;

« De tout document détenu par la partie saisie concernant tout dossier déposé par la société Carester ou ses filiales les sociétés Caremag, Caremag Partners ou Carehub en vue de l’obtention de financement pour ses projets de construction d’unités d’extraction de terres rares, en particulier les descriptifs techniques des unités envisagées »;

En tout état de cause,

– débouter les appelants de toutes demandes contraires aux présentes écritures;

– condamner Monsieur [I] ((Monsieur [N], Monsieur [M], Monsieur [A]) à lui payer la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles;

– condamner in solidum les sociétés Carester, Caremag, Carehub et Caremag Partners à lui payer la somme de 30 000 € au titre des frais irrépétibles.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

Le 8 novembre 2023, a été rendue l’ordonnance de clôture de l’instruction de l’affaire.

MOTIVATION:

Sur la tenue des débats en chambre du conseil:

Selon l’article 22 du code de procédure civile,

Les débats sont publics, sauf les cas où la loi exige ou permet qu’ils aient lieu en chambre du conseil.

Selon l’article 433 du même code,

Les débats sont publics, sauf les cas où la loi exige qu’ils aient lieu en chambre du conseil. Ce qui est prévu à cet égard en première instance doit être observé en cause d’appel, sauf s’il en est autrement disposé.

Selon l’article 435 du même code,

Le juge peut décider que les débats auront lieu où se poursuivront en chambre du conseil s’il doit résulter de leur publicité une atteinte à l’intimité de la vie privée, ou si toutes les parties le demandent, ou s’il survient des désordres de nature à troubler la sérénité la justice.

Selon l’article 437 du même code,

S’il apparaît aussi qu’il est prétendu, soit que les débats doivent avoir lieu en chambre du conseil alors qu’ils se déroulent en audience publique, soit l’inverse, le président se prononce sur-le-champ et il est passé outre à l’incident.

Si l’audience est poursuivie sous sa forme régulière, aucune nullité fondée sur son déroulement antérieur ne pourrait être ultérieurement prononcée, même d’office.

Selon l’article L. 153-1 du code de commerce,

Lorsque, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense:

….

3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil;

En faisant valoir que les débats touchent à ses procédés industriels qu’elle estime couverts par le secret des affaires, la société Rhodia demande que les débats devant la cour se déroulent en chambre du conseil, ce à quoi s’opposent les appelants.

Il sera renvoyé aux observations figurant plus bas, pour en retenir que la substance du secret allégué ayant été suffisamment rapportée par la société Rhodia, il y aura lieu de dire que l’audience de plaidoirie à hauteur de cour se tiendra en chambre du conseil.

Sur les mesures de protection du secret des affaires:

Selon l’article L. 151-1 du code de commerce,

Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants:

1° elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exact de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’information en raison de leur secteur d’activité;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret;

3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.

Selon l’article L. 153-1 du code de commerce,

Lorsque, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense:

1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;

2° Décider de limiter la communication la production de cette pièce à certains de ces éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter;

3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil;

4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.

Selon l’article R. 153-10 du même code,

A la demande d’une partie, un extrait la décision ne comportant pas son dispositif, revêtu de la formule exécutoire, peut lui être remis pour les besoins de son exécution forcée.

Une version non confidentielle de la décision, dans laquelle sont occultées les informations couvertes par le secret des affaires, peut être remise au tiers et mise à la disposition du public sous forme électronique.

La société Rhodia soutient que l’objet du litige, portant sur la communication de pièces relatives à ses propres procédés d’extraction de terres rares, est de nature à porter atteinte au secret des affaires.

Et selon elle, il en va de même que l’invocation, par les appelants de plusieurs projets afférents à un site industriel.

* * * * *

Les appelants lui rétorquent que le présent litige ne contient aucun élément nécessitant la mise en oeuvre de mesures de protection du secret des affaires.

Les pièces présentées par l’intimée à l’appui de sa requête, portant sur son savoir-faire en matière de séparation et de purification des terres rares, en particulier sur son site de [Localité 8], séparant les terres rares par la voie dite ‘nitrate’ (reposant sur l’utilisation d’acide nitrique pour la mise en solution des matières premières contenant les terres rares comme toute première étape du procédé), dont notamment des rapports de cabinets d’audit et de conseil, mettent en évidence qu’il s’agit d’un procédé difficilement reproductible.

Et les pièces de comparaison produites par les intimés eux-mêmes mettent en évidence l’extrême rareté de sa mise en ‘uvre au niveau mondial.

Avec les appelants, il y aura lieu d’observer que la séparation et la purification des terres rares par la voie dite « chlorure » (utilisant l’acide chlorhydrique pour la mise en solution de matières premières contenant les terres rares comme toute première étape du procédé), utilisée notamment dans l’usine chinoise de Liyang exploitée par la société Rhodia, est beaucoup plus courante.

La seule production, par ceux-ci, d’une documentation générale sur ces deux processus industriels n’est pas exclusive du secret afférent à leur mise en oeuvre opérationnelle, conduisant à la conception et à l’exploitation d’une unité industrielle de séparation des terres rares, susceptibles de porter tant sur:

– les points de fonctionnement de la chimie, notamment les bilans matières (liste des entrants et sortants leurs proportions) et les concentrations et dilutions précises de chaque solvant;

– le design des équipements (conception des séquences de séparation, organisation des batteries, leur nombre et leur dimensionnement, les détails de leur conception, la conception des agitateurs, la taille, le nombre la géométrie des réacteurs de mélange et décantation avec leurs entrées et sorties, le choix des matières premières, des solvants et des adjuvants et les quantités utilisées, les paramètres de circulation, la mise au point de méthodes de contrôle des étapes du procédé).

Quand bien même émaneraient-elles des personnes à l’encontre desquelles la société Rhodia entendait voir pratiquer les mesures d’instruction in futurum, le caractère secret des informations contenues dans ses pièces n’en subsisterait-il pas moins.

Ainsi, la société Rhodia fait-elle valoir, exactement, qu’eu égard à la complexité, la longueur et le coût des techniques de purification et de séparation des terres rares, celles-ci sont mieux protégées par le secret, et impossibles ou à tout le moins difficile à découvrir par l’ingénierie inverse des produites commercialisées, que par des brevets d’invention, lui conférant certes des droits exclusifs, mais pendant une durée limitée à 20 ans au maximum avant de tomber dans le domaine public.

Car eu égard à la rareté de la mise en oeuvre du procédé dont se prévaut la société Rhodia, et dont conviennent les appelants eux-mêmes, qui se bornent à mentionner une seule autre usine, située en Estonie, utilisant elle aussi la séparation des terres rares par voie nitrate, la société Rhodia a suffisamment justifié de la plausible confidentialité du processus de production litigieux.

De même, les appelants laissent sans réplique les rappels de la société Rhodia, soulignant le verrou technologique afférent à ce processus industriel, par suite notamment de l’importance du taux d’échec des projets de construction d’unités de séparation des terres rares depuis la crise affectant ce secteur en 2010, seuls les industriels chinois et australiens étant parvenus à développer et exploiter cette technologie.

Il sera donc admis que cette confidentialité touche ainsi les points de fonctionnement de la chimie (notamment le bilan matière et les détails de concentration en solvants), le design des équipements et les données économiques attendues.

Cette plausible confidentialité ne se trouve pas affectée par la circonstance que la société Solvay aurait déjà communiqué, de manière générale, sur certains points de ces processus de production.

En ce sens, il est topique de relever que selon les appelants eux-mêmes (page 97 de leurs conclusions), Monsieur [R], oeuvrant désormais pour les sociétés Carester et affiliées, lors de l’un de ses points bimensuels du 19 novembre 2020 au cours de sa collaboration avec la société Three Arc Mining (en matière d’ingénie conseil d’usine de séparation de terres rares), avait lui-même indiqué que le type de pale proposé par plusieurs constructeurs d’agitateurs pour extraction liquide-liquide était une information qu’il était opportun de ne pas diffuser aux Chinois, étant rappelé, au regard àleurs écritures respectives, que les parties se rejoignent quant à la prépondérance mondiale des producteurs chinois sur le marché des terres rares.

Et ce constat rejoint l’affirmation de l’intimée, non contestée par les appelants, selon laquelle les industriels chinois ont interdiction d’exporter leur technologie hors de Chine, laquelle réserve la séparation des terres rares à des sociétés nationales. Et dans le même sens, la société Rhodia rappelle que son usine de Lyang, en Chine, comportant des unités de séparation par la voie chlorure, avait été fermée sur demande des autorités chinoises, sans réplique des appelants sur ce point.

Enfin, le document de la société Carester, afférent à un procédé d’ingénierie en matière de batterie, à l’occasion de son activité de conseil avec la société Three Arc Mining, porte lui-même l’indication de son caractère confidentiel et de l’interdiction de sa reproduction (pièce Rhodia R. 7.3).

* * * * *

Les appelants soutiennent que la société Rhodia aurait abandonné toute activité d’extraction de terres rares par la voie nitrate, et aurait perdu toute compétence en ce domaine, de telle sorte que le procédé industriel dont elle se prévaut n’aurait plus aucune actualité.

De manière liminaire, la seule production d’articles de presse évoquant l’activité de la société Rhodia, ou la restructuration sur son site rochelais dédié aux terres rares, sans évoquer le moindre processus industriel détaillé qui aurait été abandonné, n’est pas de nature à abonder dans le sens défendu par les appelants.

Il n’y a pas lieu, de les suivre dans leur argumentation selon laquelle:

– sur son site de [Localité 8], la société Rhodia aurait depuis des années abandonné toute activité de séparation des terres rares, pour se consacrer à leur seule repurification de terres rares pré-séparées, ou bien encore à leur reformulation ;

– les investissements prétendus par la société Rhodia dans l’activité de séparation des terres rares, porteraient en réalité sur leur seul recyclage, l’activité de séparation ayant été abandonnée par cette dernière.

En effet, tant l’article de Monsieur [F] [L], un des demandeurs à la rétractation, que le rapport du projet européen Hypercog mettent en évidence la capacité unique ou à tout le moins rare à l’échelle mondiale de l’usine de la Rochelle quant à la séparation par la voie nitrate.

Car les appelants reconnaissent eux-mêmes (page 22/127) que la société Rhodia a opéré à l’été 2022 un revirement stratégique, consistant à relancer son activité de séparation de terres rares qu’elle avait arrêtée de développer 20 ans plus tôt, après avoir mis en sommeil son outil de production.

Et encore, il ressort d’un rapport du Sénat datant de 2016 que sur son site de [Localité 8], la société Rhodia continuait à cette date à exercer une activité de séparation des terres rares, non exclusive de son activité de reformulation ou de recyclage.

Et les appelants reconnaissent eux-mêmes dans leurs écritures (page 13/127) que ce rapport sénatorial mentionne la présence de 4 unités de séparations en activité au sein de l’usine de [Localité 8].

En outre, le rapport du 6 septembre 2019, présentant le projet Recomag consacré au recyclage des terres rares présentes dans les aimants, vient encore illustrer les capacités d’innovation de la société Rhodia dans ce domaine, et donner force et crédit à ses allégations de poursuite de son activité de séparation des terres rares par la voie nitrate.

De même, dans son attestation du 4 mai 2023, Monsieur [E], directeur de l’activité terres rares de la société Rhodia, vient confirmer la permanence de l’activité de séparation des terres rares par la société Rhodia sur son site de [Localité 8], dont les coûts fixes sont restés stables aux alentours de 6 millions d’euros depuis 2012.

La seule circonstance que l’auteur de cette attestation soit le salarié de la requérante ne peut suffire à remettre en cause la teneur des constatations qui y sont rapportées, alors que cette pièce n’est pas arguée de faux.

* * * * *

Les appelants arguent encore que la valeur commerciale du processus de production confidentiel dont se prévaut la société Rhodia n’aurait pas été démontrée par cette dernière, notamment eu égard à leur ancienneté.

Mais alors que les éléments produits par la requérante démontrent que, contrairement aux affirmations des appelants, elle n’a jamais abandonné au sein de son usine de la Rochelle son activité de séparation des terres rares par la voie nitrate, et que la société Rhodia souligne le caractère fonctionnel de son unité de production, notamment dans la perspective de l’arrivée à maturité, soit vers 2030, du marché de la séparation des terres rares issues de la filière du recyclage des aimants permanents, dans lequel d’ailleurs se sont déjà engagées les sociétés Carester et affiliées, la société Rhodia a suffisamment démontré la valeur économique du processus de production dont elle se prévaut.

Et il est sur ce point topique de relever que la société Carester et ses affiliées se sont elles-mêmes déjà lancées sur le marché du recyclage des aimants permanents.

* * * * *

Enfin, la société Rhodia justifie suffisamment de la confidentialité de ses procédés et bases de données touchant à l’extraction des terres rares, et avoir soumis l’ensemble de ses salariés oeuvrant dans ce domaine à une obligation de confidentialité, notamment sur son site de [Localité 8].

* * * * *

Les éléments sus évoqués par les parties établissent ainsi suffisamment que les pièces produites à tout le moins par la société Rhodia sont susceptibles de porter sur le secret des affaires de l’intimée.

Il y aura donc lieu de dire que la motivation de la décision et ses modalités de publicité seront adaptées aux nécessités de la protection du secret des affaires des parties, et l’ordonnance déférée sera confirmée de ce chef.

Et il en ira de même s’agissant du présent arrêt.

Mais alors que les conseils des appelants sont eux-mêmes soumis au secret professionnel, et que la société Rhodia, soutient en substance que la divulgation, par les appelants eux-mêmes du secret des affaires touchant ses propres processus de production serait entièrement consommée, l’intimée n’expose pas en quoi la présente procédure générerait par elle-même un risque particulier, nouveau et distinct, de divulgation des pièces qu’elle a communiquées, fussent-elle touchées elles-mêmes par le secret des affaires.

Il sera ajouté que dans le cadre de la présente procédure, notamment en première instance, alors qu’une telle prétention n’avait pas été accueillie, et à hauteur d’appel, avant que la cour ne statue sur ce point, les appelants et leurs conseils ont déjà pu prendre connaissance des pièces versées par l’intimée, selon elle touchées par le secret des affaires, sans que cette dernière ne démontre alors une quelconque atteinte à ses intérêts.

Il y aura donc lieu de rejeter la demande de la société Rhodia tendant à ordonner la mise en place d’un cercle de confidentialité listant les personnes pouvant avoir accès aux pièces confidentielles et imposant à ces personnes des obligations de confidentialité, sur la base du projet d’engagement de confidentialité communiqué comme pièce Rhodia n° R.12.11.

Sur l’intervention volontaire des sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub:

Le premier juge a déclaré recevables en leur intervention volontaire les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub.

Alors que les parties ne présentent à hauteur d’appel aucune prétention ou moyen critiquant sur ce point l’ordonnance déférée, celle-ci sera confirmée de ce chef.

Sur la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée:

En première instance, l’ancien salarié de la société Rhodia et les sociétés Carester et affiliées avaient soutenu que l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance en date du 23 février 2023 rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon, dans le cadre des mesures d’instruction sollicitées par la société Rhodia à l’encontre des 4 sociétés Carester et affiliées s’imposerait dans la présente instance.

Devant la cour, les appelants n’ont présenté aucune prétention ou moyen de ce chef.

Il y aura donc lieu de confirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a rejeté la fin de non-recevoir de l’autorité de la chose jugée formée par les appelants.

Sur la rétractation de l’ordonnance sur requête:

Sur la condition d’urgence:

L’article 845 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire peut ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement.

L’urgence n’est pas une condition requise pour que soient ordonnées sur requête des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile (Cass. 2e civ., 15 janvier 2009, n°08-10.771, Bull., II, n°15).

Les appelants avancent qu’au cas d’espèce, aucune urgence n’est caractérisée s’agissant des mesures d’instructions réclamées sur requête par la société Rhodia, de telle sorte que la seule absence de cette condition d’urgence doit conduire à la rétractation de l’ordonnance ayant fait droit à la mesure d’instruction sollicitée.

Ils ajoutent que la seule allégation, par la requérante, de la nécessité du recueil des preuves résultant des mesures sollicitées pour engager des procédures au fond ne saurait pas sérieusement caractériser l’existence de cette condition d’urgence, et ce d’autant plus qu’à la suivre dans son argumentation, la société Rhodia aurait eu connaissance des violations de ses prétendus secrets d’affaires de la part de ses adversaires au moins depuis l’année 2019.

Mais alors que les mesures d’instructions sollicitées sur requête de la société Rhodia sont fondées sur l’article 145 du code de procédure civile, exposé ci-dessous, le moyen tiré de l’absence d’urgence affectant ces mesures, à la supposer établie, est inopérant.

Sur la nécessité de la dérogation au principe du contradictoire:

Selon l’article 145 du code de procédure civile,

S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Selon l’article 493 du même code,

L’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Selon l’article 494 même code,

La requête est présente en double exemplaire. Elle doit être motivée. Elle doit comporter l’indication précise des pièces invoquées.

Si elle est présentée à l’occasion d’une instance, elle doit indiquer la juridiction saisie.

En cas d’urgence, la requête peut être présentée au domicile du juge.

Selon l’article 495 du même code,

L’ordonnance sur requête est motivée.

Elle est exécutoire au seul vu de la minute.

Copie de la requête de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée.

Une ordonnance rendue sur requête, faisant corps avec celle-ci, en a nécessairement adopté les motifs (Cass. 2e civ., 18 novembre 2004, n°20-21.252, diffusé).

Il appartient au juge, saisi d’une demande de rétractation d’une ordonnance sur requête, de rechercher si la requête et l’ordonnance rendue sur son fondement exposent et caractérisent les circonstances exigeant que la mesure réclamée ne soit pas prise contradictoirement.

Ces circonstances doivent ressortir de la requête et de l’ordonnance rendue sur sa base, et non pas des pièces jointes à la requête, ou bien encore de l’analyse des circonstances de la cause par le juge lui-même.

Viole article 145 du code de procédure civile la cour d’appel qui rejette la demande de rétractation d’une ordonnance sur requête ordonnant une mesure d’instruction in futurum alors que ni la requête, qui se bornait à viser les textes en mentionnant « tout particulièrement lorsque les circonstances exigent que la mesure d’instruction ne soit pas prise contradictoirement (effet de surprise) », ni l’ordonnance n’avait caractérisé les circonstances susceptibles de justifier une dérogation au principe de la contradiction (Cass. 2e civ., 26 juin 2014, n°13-18.895, Bull. II, n°157).

Ayant relevé, d’une part que la requête était muette sur les circonstances susceptibles de justifier qu’il soit procédé non contradictoirement et énoncé que, pour être efficace et éviter tout risque de dépérissement de preuve, la mesure de constat ne pouvait pas être sollicitée contradictoirement, ce qui ne constituait que la reprise des termes de l’article 493 du code de procédure civile sans démonstration ni prise en compte d’éléments propres au cas d’espèce et, d’autre part que l’ordonnance se bornait à viser la requête et les pièces jointes sans faire état de circonstances autres justifiant la dérogation au principe de la contradiction, c’est à bon droit et sans encourir les griefs du moyen que la cour d’appel, tenue de statuer au vu des seuls motifs exposés dans la requête, a décidé qu’il y avait lieu de rétracter l’ordonnance (Cass. 2e civ., 19 mars 2015, n°14-14.389, publié).

Ayant constaté que l’ordonnance sur requête vise seulement « la nécessité de procéder par requête non contradictoire pour la conservation des preuves dans le cas d’un contentieux à venir» et que la requête se bornait à énoncer qu’il existait, en cas de procédure contradictoire, un risque que la société défenderesse dissimule ou détruise les documents nécessaires à l’action en concurrence déloyale que souhaitait introduire la société requérante, la cour d’appel en a exactement déduit, qu’en l’état des motifs généraux de l’ordonnance et de l’insuffisance des motifs de la requête, les circonstances susceptibles de justifier qu’il soit dérogé au principe de la contradiction n’étaient pas établies (Cass. 2e civ., 22 septembre 2016, n°15-22.393).

Pour dire n’y avoir lieu à rétracter une ordonnance sur requête, la cour d’appel, qui retient que, s’agissant de la dérogation au principe de la contradiction, les appelants soutenaient à juste titre que l’efficacité de la mesure dépendait de l’effet de surprise et qu’ils étaient fondés à agir non contradictoirement, afin d’éviter la disparition des éléments de preuves recherchées, alors que ni la requête ni l’ordonnance ne faisaient état de circonstances susceptibles de justifier qu’il fut dérogé au principe de la contradiction, a violé les articles 145, 493 et 494 du code de procédure civile (Cass. 2e civ., 14 novembre 2019, n°18-22.937).

Ayant exactement énoncé qu’il incombe au juge, saisi de la demande de rétractation d’une ordonnance sur requête ayant autorisé une mesure d’instruction en application de l’article 145 du code de procédure civile, de vérifier que la mesure sollicitée est fondée sur des motifs légitimes susceptibles de justifier une dérogation au principe de la contradiction ainsi que les circonstances justifiant cette dérogation, la cour d’appel, qui a relevé que ces circonstances ne pouvaient résulter d’une pétition de principe de risque de destruction de documents et de disparition des informations, a, par ces seuls motifs, justifié sa décision (Cass. com., 25 mars 2020, n°18-18.910).

Après avoir constaté que la requête faisait état d’actes de concurrence déloyale sans préciser les circonstances justifiant que la mesure ne soit pas prise contradictoirement, et en retenant que l’ordonnance rendue sur cette requête n’exposait pas non plus les motifs justifiant le recours à une mesure d’instruction non contradictoire, le juge se contentant de considérer qu’il est établi que la requérante justifie de circonstances exigeant que la mesure soit ordonnée sans débat contradictoire préalable, la cour d’appel en a exactement déduit que ce défaut de motivation ne pouvait faire l’objet d’une régularisation a posteriori devant le juge de la rétractation, et que l’ordonnance sur requête devait être rétractée (Cass. 2e civ., 3 mars 2022, n°20-22.349, publié).

Ainsi, s’agissant de la dérogation au principe du contradictoire, au défaut de motifs figurant dans l’ordonnance dans la requête, doit aussi être assimilée non seulement l’insuffisance de motifs, mais encore la simple reproduction dans les motifs de la requête des textes susdits ou de la formule de style relative à la nécessité d’un effet de surprise.

Si le risque de dissimulation ou de dépérissement des preuves suffit à justifier que l’adversaire ne soit pas appelé à la procédure, encore faut-il que la caractérisation de ces circonstances soit précise, ce qui exclut les motifs généraux, abstraits ou stéréotypés.

Il convient de souligner que les débats devant le juge de la rétractation ne peuvent suppléer la carence de la requête initiale et de l’ordonnance attaquée dans l’énonciation des éléments de fait et de droit qui auraient été de nature à autoriser une dérogation au principe de la contradiction.

Enfin, la justification de la nécessité de la dérogation au contradictoire ne peut pas résulter de circonstances postérieures à la requête ou à l’ordonnance. (Cass. 2e civ., 3 mars 2022, n°20-22.349, publié).

* * * * *

Dès lors de manière liminaire, y aura-t-il lieu de dire inopérant le moyen développé par la société Rhodia, tendant à voir dire que le risque de dépérissement des preuves est établi par le comportement procédural des personnes objets des mesures d’instruction non contradictoires qu’elle-même a requises et obtenues, et qui s’attachent à rechercher la rétractation des requêtes les autorisant, ou à voir ordonner la destruction des éléments de preuve ainsi saisis.

* * * * *

L’examen de l’ordonnance sur requête rendue le 17 novembre 2022 met en évidence que celle-ci ne comporte aucune motivation qui lui est propre, et se borne à viser la requête qui la précède et les pièces à l’appui de cette dernière.

Mais en ce que cette ordonnance fait corps avec la requête qu’elle vise, il importe peu qu’elle ne comporte pas elle-même de motivation qui lui soit propre.

En revanche, il y aura lieu de s’attacher à la motivation de la requête elle-même s’agissant de la nécessité au cas d’espèce de la dérogation au principe du contradictoire.

* * * * *

Car les appelants soutiennent que ni la requête, ni l’ordonnance sur requête ne présentent de motivation concrète propre aux faits de l’espèce justifiant une dérogation au principe du contradictoire, pour se contenter de termes génériques.

Ils avancent notamment que la seule invocation, générale et stéréotypée, d’un risque de dépérissement ou destruction des preuves, ou bien encore de collusion frauduleuse, abstraite, et générale, ne saurait suffire à caractériser cette motivation précise et circonstanciée.

Dans sa requête, la société Rhodia a exposé de manière précise et circonstanciée, avoir développé elle-même un savoir-faire spécifique sur le procédé de séparation des terres rares, d’une importante valeur économique, dont avait alors connaissance ses anciens salariés susnommés, tous tenus à une obligation de confidentialité, au nombre desquels figure celui-ci à l’encontre de laquelle a été pratiquée la mesure litigieuse, et qui avaient fondé la société Carester et ses autres sociétés affiliées susnommées, ou en étaient devenus les salariés ou prestataires; la société Rhodia y a développé de manière circonstanciée ses suspicions selon lesquelles ensuite des activités de consultant spécialisé dans la conception d’unités d’extraction de terres rares, ou dans le cadre de leurs propres activités de construction de telles unités, développées par les sociétés Carester et affiliées, ses propres méthodes industrielles étaient susceptibles d’avoir été ainsi divulguées.

Plus spécialement, la société Rhodia rapporte dans sa requête qu’à l’occasion d’une mission d’ingénierie-conseil en 2019 pour le compte de la société Three Arc Mining, la société Carester a présenté des schémas relatifs à son usine de [Localité 8] (notamment sur ses batteries et ses cannes de récupération, le schéma de séparation, la concentration des solvants, et sa méthode de traitement des effluents à froid, ses batteries à double étage, le plan de ses mélangeurs).

Elle présente un e-mail de Monsieur [M] du 1er novembre 2018 demandant à un de ses salariés de lui transmettre un certain nombre de documents appartenant à elle-même, relatifs à son usine de [Localité 8], que l’intéressé reconnaissait dans son mail avoir conservés, puis égarés, d’où sa demande de nouvelle communication.

Elle produit un mail en date du 7 octobre 2021, par lequel la société Carester lui demande de lui livrer de l’Aliquat 336, la demanderesse lui précisant en avoir besoin pour les essais pilotes sur un mélangeur décanteur, en rappelant que ce produit avait été utilisé à la Rochelle par le passé.

Elle verse un écrit en date du 23 février 2022, par lequel la société Carester lui réclame des échantillons de nitrates de terres rares du même type que ceux produits dans sa propre usine de [Localité 8].

Or, la requête avait énoncé qu’il était indispensable que la mesure sollicitée soit ordonnée sur requête, sans informer préalablement la personne qui en était l’objet, la société Carester ou ses affiliés pour éviter toute dissimulation, destruction ou déplacement des preuves recherchées (pages 1,42,43), susceptible d’intervenir dans le respect du principe du contradictoire, en mentionnant les circonstances de la cause.

Elle avait ajouté que le risque de dépérissement des preuves et d’atteinte à ses droits par le biais de l’utilisation et de la divulgation des secrets des affaires obtenus illicitement était aggravé par le fait que ces secrets avaient une valeur commerciale très importante.

Ainsi, pour justifier d’une dérogation au principe du contradictoire, la requête se borne à énoncer que la personne visée par la mesure d’instruction qu’elle sollicite serait susceptible de dissimulation, destruction ou déplacement des preuves recherchées, ces risques étant aggravés par la valeur commerciale des secrets des affaires ainsi violés, en alléguant de la nécessité de procéder sur requête par renvoi aux circonstances de la cause.

Or, l’exposé de la cause figurant dans la requête, dont la cour reconnaît par ailleurs le caractère concret, précis et circonstancié, se borne à faire valoir l’intérêt légitime de la requérante à obtenir la mesure d’instruction sollicitée.

Et à supposer établi en l’espèce cet intérêt légitime, la requête n’expose en quoi la violation du secret des affaires, dont elle se prévaut, devrait nécessairement et concrètement conduire à déroger au principe du contradictoire à l’encontre de son ancien salarié, sauf à essentialiser cette nécessité par l’invocation de la seule nature de la violation alléguée.

Ainsi, la requête ne comporte donc aucun motif et ne caractérise pas, par une référence aux éléments propres au cas d’espèce, l’existence de circonstances justifiant de déroger au principe de la contradiction.

Surabondamment, la cour observe qu’en raison des échanges entre la société Rhodia et les sociétés Carester et affiliées ou les autres personnes physiques dans sa mouvance, notamment à l’occasion de la collaboration tripartite avec la société Three Arc Mining en 2019, ou bien encore en raison du caractère public du projet de construction d’une unité de séparation des terres rares suivie par les sociétés Carester et associées, les risques de dépérissement de preuve imputables à la personne physique visée par la mesure d’instruction ne peuvent être caractérisés avec une suffisante pertinence.

En conséquence, et pour ce seul moyen tiré de l’absence d’exposition de la nécessité d’une dérogation au contradictoire dans la requête, l’ordonnance du 17 novembre 2022 doit être rétractée, et l’ordonnance déférée sera donc infirmée en toutes ses autres dispositions que celles afférentes à l’adaptation de sa motivation et de sa publicité au secret des affaires, d’une part, et à la recevabilité des interventions volontaires des sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub, d’autre part.

Il y aura donc lieu de débouter la société Rhodia de l’intégralité de des demandes, de faire droit aux demandes des appelants, et d’ordonner à la société Rhodia, partie à l’instance, (et non pas aux commissaires de justice ayant pratiqué les mesures) de:

– faire procéder à la destruction de tous les duplicatas ayant pu être saisis au cours des opérations du 25 novembre 2022 diligentées à l’égard de Monsieur [N], qu’elle qu’en ait été leur forme;

– faire dresser procès-verbal de destruction de l’ensemble des duplicatas ayant pu être récupérés, aux frais de la société Rhodia, et d’en justifier auprès des sociétés Carester et affiliées;

– faire restituer aux sociétés Carester et affiliées les originaux ayant pu être saisis au cours des opérations du 25 novembre 2022.

Il y aura également lieu de faire interdiction à la société Rhodia de remettre à quiconque quelque élément que ce soit recueilli lors des opérations du 25 novembre 2022, ainsi que tout constat qui eût pu être établi sur la base de ces documents.

* * * * *

Il sera rappelé que le présent arrêt vaudra titre de restitution des sommes allouées en exécution de l’ordonnance déférée.

L’ordonnance sera infirmée en ce qu’elle a condamné la société Carester aux entiers dépens et aux frais irrépétibles de première instance.

La société Rhodia sera déboutée de ses demandes au titre des frais irrépétibles des deux instances, et sera condamnée aux dépens des deux instances et à payer à chacun des appelants la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles des deux instances.

PAR CES MOTIFS:

La Cour,

statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Dit que les débats devant la cour se tiendront en chambre du conseil;

Dit que la motivation de la décision et ses modalités de publicité seront adaptées aux nécessités de la protection du secrets des affaires des parties;

Infirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a:

– dit que la motivation de l’ordonnance et ses modalités de publicité seraient adaptées aux nécessités de la protection des secrets des affaires des parties;

– déclaré les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub recevables en leur intervention volontaire;

– rejeté la fin de non recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée formée par Monsieur [N], et les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub;

Confirme l’ordonnance déférée de ces seuls chefs;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant:

Rétracte l’ordonnance sur requête rendue le 17 novembre 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle;

Ordonne à la société par actions simplifiée Rhodia Opérations de:

– faire procéder à la destruction de tous les duplicatas ayant pu être saisis au cours des opérations du 25 novembre 2022 diligentés à l’égard de Monsieur [W] [N], quelle qu’en ait été leur forme;

– faire dresser procès-verbal de destruction de l’ensemble des duplicatas ayant pu être récupérés, aux frais de la société par actions simplifiée Rhodia Opérations, et d’en justifier auprès de la société par actions simplifiée Carester, la société par actions simplifiée Caremag, la société par actions simplifiée Caremag Partners et la société par actions simplifiée Carehub;

– faire restituer à la société par actions simplifiée Carester, la société par actions simplifiée Caremag, la société par actions simplifiée Caremag Partners et la société par actions simplifiée Carehub les originaux ayant pu être saisis au cours des opérations du 25 novembre 2022 diligentées à l’encontre de Monsieur [W] [N];

Fait interdiction à la société par actions simplifiée Rhodia Opérations de remettre à quiconque quelque élément que ce soit recueilli lors des opérations du 25 novembre 2022, diligentées à l’encontre de Monsieur [W] [N] ainsi que tout constat qui eût pu être établi sur la base de ces documents;

Déboute la société par actions simplifiée Rhodia Opérations de l’ensemble de ses prétentions plus amples ou contraires au présent dispositif;

Condamne la société par actions simplifiée Rhodia Opérations aux dépens de première instance et d’appel et à payer au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel:

– la somme de 1000 euros à Monsieur [W] [N];

– la somme de 1000 euros à la société par actions simplifiée Carester;

– la somme de 1000 euros à la société par actions simplifiée Caremag;

– la somme de 1000 euros à la société par actions simplifiée Caremag Partners;

– la somme de 1000 euros à la société par actions simplifiée Carehub.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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