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1 février 2024
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
23/07963
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-1
ARRÊT
DU 01 FEVRIER 2024
N°2024/28
Rôle N° RG 23/07963 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BLOR3
[H] [P]
S.A.R.L. DNA YACHTING
C/
S.A.R.L. P. BLATTES YACHTING
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Maud DAVAL-GUEDJ
Me Gilles ALLIGIER
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Tribunal de Commerce de CANNES en date du 08 Juin 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 2022R00043.
APPELANTS
Monsieur [H] [P],
domicilié [Adresse 2]
représenté par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ – MONTERO – DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et assisté de Me Noëlle ROUVIER-DUFAU, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
S.A.R.L. DNA YACHTING prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité au siège social sis
dont le siege social est sis [Adresse 3]
représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ – MONTERO – DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et assistée de Me Noëlle ROUVIER-DUFAU, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
INTIMEE
S.A.R.L. P. BLATTES YACHTING représenté par son représentant légal domicilié audit siège es qualité [Localité 4] centre stockage
dont le siege social est sis , [Adresse 1]
représentée par Me Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et assistée de Me Estelle CIUSSI de la SCP KLEIN, avocat au barreau de NICE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Novembre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère Présidente suppléant et Madame Marie-Amélie VINCENT, Conseillère, chargés du rapport.
Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, Présidente suppléante, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre
Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère
Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Février 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Février 2024.
Signé par Madame Stéphanie COMBRIE, Présidente suppléante et Madame Marielle JAMET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
EXPOSE DU LITIGE
Le 1er août 2000 M. [H] [P] a été embauché en qualité de commercial au sein de la société P. Blattes Yachting (dite PBY), spécialisée dans la vente de yachts, notamment de la marque Azimut, dont elle était titulaire de l’exclusivité commerciale sur les territoires français et monégasque.
En 2017, dans un contexte de dégradation des relations entre la société P. Blattes Yachting et son employé, M. [H] [P] a été licencié pour faute lourde le 19 octobre 2017, licenciement qui a été jugé sans cause réelle et sérieuse par décision du conseil de prud’hommes de Grasse en date du 4 juin 2021.
Le 7 juillet 2022, reprochant à M. [H] [P] une concurrence déloyale, notamment par le détournement de fichiers clients et par la création d’une nouvelle société, la société DNA Yachting, ainsi que la création de la société V-Marine France reprenant la distribution de la marque Azimut, la société P. Blattes Yachting a saisi par requête le président du tribunal de commerce de Cannes, au visa des articles 145 et 873 du code de procédure civile, d’une demande de désignation de commissaires de justice afin de se rendre aux sièges des sociétés V Marine France et DNA Yachting pour avoir communication d’un certain nombre de pièces.
Par ordonnance du 21 juillet 2022 le président du tribunal de commerce de Cannes a fait droit à cette désignation, et un procès-verbal de constat a été établi le 14 septembre 2022.
Saisi d’une demande en rétractation de l’ordonnance sur requête, le juge des référés du tribunal de commerce de Cannes a statué ainsi par ordonnance en date du 8 juin 2023 :
-déboutons la SARL P.Blattes Yachting de sa demande de nullité de l’assignation ;
-déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande d’exception d’incompétence matérielle au profit du Tribunat judiciaire de Grasse ;
-déboutons Monsieur [H] [P] et la SARI. DNA Yachting de leur demande d’exception d’incompétence matérielle au profit du Tribunal judiciaire de Marseille ;
Et nous déclarons compétent ;
-disons que Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting ont intérêt à agir ;
Et déclarons leurs demandes recevables ;
-déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 tenant à l’avant procès ;
-déboutons Monsieur [H] [P] et ta SARL DNA Yachting de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 pour défaut de motif légitime et tenant au fait que la mesure d’instruction n’est pas circonscrite dans le temps et dans son objet, et disproportionnée à l’objectif poursuivi ;
-déboutons Monsieur [H] [P] et ta SARL DNA Yachting de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 pour défaut de circonstance justifiant une dérogation au principe du contradictoire ;
-déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 pour défaut de signification de l’ordonnance à M. [P] ;
-déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 pour défaut de désignation nominative de l’expert ;
-disons n’y avoir lieu à rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 ;
-déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande de rejet de la pièce 43 de la SARL P. Blattes Yachting ;
-déboutons les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
-condamnons solidairement Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting aux dépens, ainsi qu’au paiement de la somme de 3.000 € à la SARL P.Blattes Yachting au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
———
Par acte du 15 juin 2023 M. [H] [P] et la société DNA Yachting ont interjeté appel de l’ordonnance.
———
Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 14 août 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [H] [P] et la société DNA Yachting (SARL) demandent à la cour de :
Vu les articles 138, 145, 493, 494, 495, 496, 497, 502, 503, 845 du code de procédure civile,
Vu l’article L1411-1 du Code du travail
Vu l’article L331-1 du Code de Propriété Intellectuelle
Vu l’article D211-6-1 du Code de l’organisation Judiciaire
Vu l’intérêt à agir de Monsieur [P] et de la société DNA Yachting
Infirmer l’ordonnance de référé du tribunal de commerce de Cannes du 8 juin 2023 en ce qu’elle a statué comme suit :
– Déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande d’exception d’incompétence matérielle au profit du Tribunal judiciaire de Grasse ;
– Déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande d’exception d’incompétence matérielle au profit du Tribunal judiciaire de Marseille ;
– Et nous déclarons compétent
– Déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 tenant à l’avant procès ;
– Déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 pour défaut de motif légitime et tenant au fait que la mesure d’instruction n’est pas circonscrite dans le temps et dans son objet, et disproportionné à l’objectif poursuivi ;
– Déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 pour défaut de circonstance justifiant une dérogation au principe du contradictoire ;
– Déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 pour défaut de signification de l’ordonnance à M. [P] ;
– Déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 pour défaut de désignation nominative de l’expert ;
– Disons n’y avoir lieu à rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 ;
– Déboutons Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting de leur demande de rejet de la pièce 43 de la SARL P. Blattes Yachting ;
– Déboutons les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
– Condamnons solidairement Monsieur [H] [P] et la SARL DNA Yachting aux dépens, ainsi qu’au paiement de la somme de 3.000 € à la SARL P. Blattes Yachting au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau,
Déclarer le président du tribunal de commerce matériellement incompétent pour statuer sur la requête présentée le 7 juillet 2022 s’agissant d’un litige dérivant du contrat de travail liant la Société P. Blattes Yachting à Monsieur [P] et relevant de la compétence du président du tribunal judiciaire de Grasse
Déclarer que le président du tribunal de commerce matériellement incompétent pour statuer sur la requête présentée le 7 juillet 2022 s’agissant d’un litige portant sur la protection d’une supposée base de données au sens du Code de la propriété intellectuelle relevant de la compétence du tribunal Judiciaire de Marseille
En conséquence,
Ordonner la rétractation de l’ordonnance du 21 Juillet 2022 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Cannes
En tout état de cause,
Ordonner le rejet de la pièce 43 de la Société P. Blattes Yachting
Ordonner la rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 Juillet 2022 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Cannes, pour défaut de motif légitime
Ordonner la rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 Juillet 2022 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Cannes, la mesure d’instruction n’ayant pas été sollicitée avant tout procès
Ordonner la rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 Juillet 2022 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Cannes, pour défaut de circonstances justifiant une dérogation au principe du contradictoire
Ordonner la rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 Juillet 2022 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Cannes, les mesures d’instruction n’étant pas légalement admissibles, ni circonscrites dans le temps et dans leur objet, ni proportionnées à l’objectif poursuivi
Ordonner la rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 Juillet 2022 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Cannes pour défaut de signification à Monsieur [H] [P], en violation de l’article 495 du CPC
Ordonner la rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 Juillet 2022 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Cannes, pour défaut de désignation nominative de l’expert pouvant assister l’huissier
Ordonner la nullité des constats d’huissier effectués en exécution de l’ordonnance en date du 21 juillet 2022
Ordonner à la Société P. Blattes Yachting la restitution du procès-verbal de constat et de la totalité des documents saisis ou copiés au cours des opérations de constat du 14 Septembre 2022 ou obtenus en exécution de l’ordonnance rétractée
Déclarer que la restitution des originaux et copies du constat, de ses annexes et de la totalité des documents de quelque nature que ce soit, qui ont été appréhendés par voie électronique ou sur support papier, saisis ou copiés au cours des opérations de constat du 14 Septembre 2022 ou obtenus en exécution de l’ordonnance rétractée devra intervenir, aux frais de la société P.Blattes Yachting dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la présente ordonnance sous astreinte de 200,00 euros par jour de retard passé ce délai, à la charge de la société P. Blattes Yachting
Ordonner l’interdiction à la société P. Blattes Yachting d’utiliser à quelque fin que ce soit les procès-verbaux de constat et de leurs annexes établis par l’huissier en exécution de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022, ainsi que l’un quelconque des données, documents et fichiers obtenus lors des opérations de constat du 14 septembre 2022 et plus généralement des actes subséquents, et ce sous astreinte provisoire de 1.000 euros par infraction constatée,
Débouter la société P. Blattes Yachting de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Condamner la Société P. Blattes Yachting au paiement de la somme de 4 500 euros à Monsieur [P] sur le fondement de l’article 700 du CPC.
Condamner la Société P. Blattes Yachting au paiement de la somme de 4 500 euros à la société DNA Yachting sur le fondement de l’article 700 du CPC.
Condamner la Société P. Blattes Yachting aux entiers dépens, ceux d’appel distraits
M. [H] [P] et la société DNA Yachting font valoir à titre préalable qu’il y a lieu de confirmer le rejet des moyens soulevés par la société P. Blattes Yachting quant à la nullité de l’assignation et leur recevabilité à agir.
Par ailleurs, ils demandent le rejet de la pièce 43 qui correspond au procès-verbal de constat établi en exécution de l’ordonnance sur requête.
S’agissant de la demande en rétractation, M. [H] [P] et la société DNA Yachting soutiennent que le tribunal de commerce est incompétent matériellement dès lors que la requête formée à l’encontre de sociétés commerciales tendant à faire constater ou établir des éléments de preuve relatifs à des actes de concurrence déloyale mais également la complicité imputable à des personnes physiques non commerçantes, relève de la compétence du tribunal judiciaire puisque le litige est né à l’occasion du contrat de travail de M. [H] [P].
Ils soutiennent également l’incompétence matérielle du tribunal de commerce au visa des articles 138 du code de procédure civile concernant la communication de pièces et L.331-1 du code de la propriété intellectuelle concernant la propriété des fichiers clients.
En outre, les appelants invoquent la violation des dispositions de l’article 495 du code de procédure civile faute de signification d’une copie exécutoire à M. [H] [P].
Sur le fond, M. [H] [P] et la société DNA Yachting font valoir que les conditions des articles 145, 493 à 495 du code de procédure civile ne sont pas réunies au regard des man’uvres déloyales employées pour justifier d’un motif légitime, de l’existence d’un précédent contentieux concernant la concurrence déloyale, de l’absence de litige plausible et futur, de l’absence de dérogation au principe du contradictoire et du caractère disproportionné et non circonstancié de la mesure.
———
Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 14 septembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société P. Blattes Yachting (SARL) demande à la cour de :
Dire l’appel recevable mais infondé
Réformer parte in qua l’ordonnance du 9 juin 2023 en ce qu’elle n’a pas retenu l’irrégularité frappant la nullité de l’assignation délivrée par des à l’absence d’intérêt à agir de DNA et de Monsieur [P] (sic)
Vu les articles 54 et 117 du CPC
Constater le défaut de pouvoir et de capacité de la SARL DNA Yachting
Prononcer la nullité de l’assignation délivrée le 14 octobre 2022 laquelle n’a pas valablement saisi la Juridiction.
Vu l’article 31 du CPC
Prononcer l’irrecevabilité des demandes de M. [P] et la SARL DNA Yachting pour défaut d’intérêt à agir.
Vu les articles 145 et 873 du CPC,
Confirmer l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Cannes en date du 9 juin 2023 en ce qu’elle a rejeté la demande de rétractation régularisée par les appelants, confirmant le bienfondé de l’ordonnance présidentielle du 21 juillet 2022 ayant désigné un Commissaire de justice en accord avec les prescriptions de l’article 145 du Code de procédure civile.
Confirmer la compétence de la juridiction commerciale cannoise en la matière
Confirmer la compétence de M. le président du tribunal de commerce de Cannes pour connaître d’une requête en instruction in futurum introduite au visa des articles 145 et 873 du CPC.
Confirmer que la mesure d’instruction sollicitée par voie de requête au visa des articles 145 et 873 du CPC était fondée sur des motifs légitimes en vue de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
Dire n’y avoir lieu à rétractation de l’ordonnance du 21 juillet 2022.
Dire n’y avoir lieu à nullité du procès-verbal de constat du 14 septembre 2022.
Confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Cannes en date du 21 juillet 2022.
Débouter M. [P], la SARL DNA Yachting et RC Marine Yachts (anciennement SARL V Marine France) de toutes leurs demandes.
Condamner M. [P] et la SARL DNA Yachting et la sté RC Marine Yachts (anciennement SARL V Marine France à régler chacun à la SARL PBY la somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC, outre les entiers dépens distraits
La société intimée fait valoir qu’elle entend maintenir les irrégularités soutenues en première instance tenant à la nullité de l’assignation délivrée par la société DNA Yachting pour défaut de mention de son organe représentatif et tenant à l’absence d’intérêt à agir de cette société et de M. [H] [P].
S’agissant de la compétence, la société P. Blattes Yachting précise que sa requête s’inscrivant dans le cadre d’une procédure en concurrence déloyale impliquant des acteurs commerçants, elle était parfaitement fondée à saisir le tribunal de commerce matériellement et territorialement compétent à l’exclusion de toute autre juridiction.
Concernant les conditions de la mesure in futurum la société intimée soutient que la procédure prud’homale n’avait pas vocation à statuer sur les faits de concurrence déloyale et parasitaire des sociétés commerciales et que la mission dévolue aux huissiers était proportionnée et limitée, se cantonnant à trois fichiers et excluant toute atteinte au secret des affaires.
Elle maintient la recevabilité de la pièce 43 et ajoute qu’elle justifie d’un motif légitime ainsi que de la nécessité de ne pas recourir à une procédure contradictoire au regard du risque de disparition des pièces.
MOTIFS
Sur la nullité de l’assignation en rétractation :
La société P. Blattes Yachting soutient la nullité de l’assignation en rétractation délivrée le 14 octobre 2022 devant le juge du tribunal de commerce de Cannes par M. [H] [P] et la société DNA Yachting en l’absence de précision sur le nom du représentant légal de la société DNA Yachting.
En application de l’article 54 du code de procédure civile l’assignation doit mentionner, pour les personnes morales, l’organe qui les représente légalement (3° b) « à peine de nullité ».
A cet égard, il a été jugé que le défaut de désignation de l’organe représentant légalement une personne morale dans un acte de procédure, lorsque cette mention est prévue à peine de nullité, ne constitue qu’un vice de forme (Cass. ch. Mixte, 22 février 2002).
Il en résulte, au visa des articles 114 et 115 du code de procédure civile, que la nullité de l’acte ne peut être prononcée qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité. Par ailleurs, la nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief.
En l’espèce, outre que la société P. Blattes Yachting ne fait état d’aucun grief, cette omission a été régularisée par les dernières conclusions de M. [H] [P] et de la société DNA Yachting devant le tribunal de commerce par l’ajout du nom de Mme [L] [N] en qualité de représentante légale de la société.
Il en résulte qu’aucun motif ne justifie l’annulation de l’acte d’assignation en date du 14 octobre 2022.
L’ordonnance est en conséquence confirmée de ce chef.
Sur le fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de M. [H] [P] et de la société DNA Yachting :
Au visa de l’article 31 du code de procédure civile l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
S’agissant de l’action diligentée à l’encontre d’une ordonnance sur requête, si le juge fait droit à la requête, tout « intéressé » peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance conformément à l’article 496 du code de procédure civile.
Il a été jugé à cet égard que lorsqu’une mesure d’instruction est ordonnée sur requête, la personne visée par l’éventuelle future action au fond est nécessairement, en tant que défendeur potentiel, une personne intéressée et peut saisir le juge de la rétractation.
En l’espèce, il apparaît qu’une assignation au fond devant le tribunal de commerce de Cannes a été délivrée dès le 20 septembre 2022 par la société P. Blattes Yachting, soit quelques semaines avant l’assignation en rétractation, à l’encontre, tant de la société DNA Yachting que de M. [H] [P] et de la société RC Marine, afin d’obtenir leur condamnation à titre provisionnel au paiement de dommages et intérêts ainsi que la désignation d’un expert pour des faits de concurrence déloyale et de parasitisme (pièce 32 de M. [H] [P] et de la société DNA Yachting).
Ainsi, outre l’intérêt à agir de la société DNA Yachting et M. [H] [P] en qualité de défendeurs « potentiels » à l’action au fond, cette assignation justifie de plus fort l’existence d’un intérêt légitime pour M. [H] [P] et la société DNA Yachting à intervenir à l’instance en rétractation, peu important que la requérante ait renoncé par la suite à se rendre au siège social de la société DNA Yachting dans le cadre des mesures d’instruction, celle-ci restant visée par l’ordonnance sur requête comme susceptible de faire l’objet des mesures d’instruction.
L’ordonnance est en conséquence confirmée de ce chef.
Sur la compétence du tribunal de commerce :
La juridiction compétente à l’effet d’ordonner des mesures d’instruction dites in futurum est en principe celle qui est compétente pour connaître le fond du litige, et il suffit que le litige soit de nature à relever, ne serait-ce qu’en partie, de la compétence de cette juridiction.
Il en résulte que le président du tribunal de commerce de Cannes, juridiction du lieu du siège social de la société DNA Yachting, et seul compétent s’agissant de trois sociétés commerciales, était fondé à retenir sa compétence pour l’ensemble du litige, à l’exclusion du tribunal judiciaire dont la compétence est invoqué à l’égard de M. [H] [P].
Il n’est pas contesté que l’action au fond en concurrence déloyale et parasitisme est dirigée tant à l’encontre de sociétés commerciales que de M. [H] [P] en qualité de personne physique. Pour autant, cette action, fondée sur les articles 1240 et 1241 du code civil, tel que cela ressort de l’assignation susvisée (pièce 32) se distingue de l’action opposant le salarié à son ancien employeur sur la base du contrat de travail les liant et n’est pas exclusive de l’action prud’homale, étant relevé en outre que l’instance prud’homale ne vise pas les sociétés auxquelles sont imputées des faits de concurrence déloyale.
Aucune identité d’objet et de parties ne permet dès lors d’écarter la compétence du tribunal de commerce en la matière au titre de l’autorité de chose jugée, quelles que soient par ailleurs les interférences ressortant du rôle potentiel joué par un salarié dans la survenance des actes de concurrence déloyale, précisément du fait de son statut au sein de la société concurrencée.
De même, l’invocation de dispositions tirées du code de la propriété intellectuelle relativement à la protection des fichiers et données saisies, en ce qu’elle est accessoire à l’action en concurrence déloyale et parasitisme, ne saurait justifier la compétence réservée au tribunal judiciaire de Marseille en cette matière.
Enfin, si au visa des articles 138 à 142 du code de procédure civile, dans le cours d’une instance, une partie entend faire état d’une pièce détenue par un tiers, elle peut demander au juge saisi de l’affaire d’en ordonner la délivrance, en revanche, avant tout procès au fond, cette demande relève du juge des requêtes ou du juge des référés au visa notamment de l’article 145 du code de procédure civile s’agissant d’une mesure dite in futurum.
En l’espèce, l’action au fond en concurrence déloyale n’ayant été introduite que postérieurement à la requête tendant à l’exécution de mesures d’instruction, la requérante était bien-fondée à saisir le juge des requêtes sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
Sur la demande tendant à voir écarter la pièce numéro 43 produite par la société P. Blattes Yachting :
Cette pièce, qui correspond au procès-verbal de constat établi le 14 septembre 2022 par le commissaire de justice en exécution de l’ordonnance sur requête, doit être écartée.
En effet, il résulte de l’ordonnance sur requête du 21 juillet 2022 que le juge a expressément prévu que « les copies des données récoltées par l’huissier devront être conservées par lui en qualité de séquestre jusqu’à épuisement des délais de recours à l’encontre de la présente ordonnance », ce qui sous-tend qu’en cas de recours, le séquestre a vocation à être maintenu, sauf à vider de leur substance le recours en rétractation et l’appel subséquents.
En conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande de M. [H] [P] et de la société DNA Yachting tendant à voir écarter la pièce numéro 43 produite aux débats par la société P. Blattes Yachting.
Sur le défaut de notification de l’ordonnance sur requête à M. [H] [P] :
M. [H] [P] soutient que l’ordonnance sur requête doit être rétractée au motif qu’aucune copie exécutoire ne lui a été communiquée en application des articles 502 et 503 du code de procédure civile.
Outre que l’ordonnance est exécutoire au seul vu de la minute par exception aux articles 502 et 503 susvisés, il a été jugé que l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile, qui impose de laisser copie de la requête et de l’ordonnance à la personne à laquelle elle est opposée, ne s’applique qu’à la personne qui supporte l’exécution de la mesure, qu’elle soit ou non défendeur potentiel au procès envisagé.
Ainsi, M. [H] [P], à l’égard duquel les mesures n’ont été ni sollicitées ni exécutées, est mal-fondé à se prévaloir de l’absence de remise de copie à son égard, étant relevé qu’abstraction faite de la pièce 43 écartée des débats, si des éléments ont pu être recueillis à l’égard de M. [H] [P] ils l’ont été du fait de ses fonctions de salarié au sein de la société DNA Yachting et ne sauraient justifier l’application de l’alinéa 3 de l’article 495 du code de procédure civile.
L’ordonnance est dès lors confirmée de ce chef.
Sur le bien-fondé de la mesure d’instruction :
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Conformément aux articles 875 et 496 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut ordonner sur requête des mesures d’instruction lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement.
Les mesures légalement admissibles sont celles qui sont circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Elles doivent en outre présenter un caractère utile et pertinent.
Ainsi, il incombe au juge de vérifier si la mesure était nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
En l’état de ce qui précède il est établi que l’action fondée sur les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile a été introduite antérieurement à l’action au fond et que cette action est distincte, tant par son objet que par les parties en cause, de celle intentée devant le conseil de prud’hommes de Cannes.
Par ailleurs, il ressort des pièces produites que la société P. Blattes Yachting disposait d’ores et déjà d’indices et de présomptions lui permettant de subodorer l’existence de faits de concurrence déloyale et de parasitisme à son préjudice par l’intermédiaire des sociétés DNA Yachting et RC Marine Yacht (anciennement V-Marine) et de M. [H] [P].
Ainsi, si la création d’une société nouvelle par un ancien salarié non tenu par une clause de non-concurrence n’est pas constitutive en soi d’un acte de concurrence déloyale, il apparaît en l’espèce que la société P. Blattes Yachting, requérante à la mesure d’instruction, a communiqué au soutien de sa requête diverses pièces de nature à rendre crédible l’existence de man’uvres et de procédés susceptibles de contrevenir aux règles générales de loyauté dans les activités économiques, notamment au travers des témoignages de Messieurs. [F] [X] et [K] [M], du développement de la société V-Marine (devenue RC Marine) dont M. [H] [P] serait commercial, et de la société DNA Yachting dont il se dit salarié et dont il serait également actionnaire minoritaire, ainsi qu’au travers des procès-verbaux de constat des 21 et 25 février 2022 relatifs à des fichiers clients.
En outre, si ces pièces constituent autant d’éléments rendant plausible la perspective d’un procès au fond, la demande tendant à voir procéder à des mesures d’instruction au siège des sociétés DNA Yachting et RC Marine apparaît légitime au regard de l’impossibilité matérielle d’obtenir ces pièces sans recourir à une mesure coercitive et non contradictoire, et au regard de la nécessité constatée par le premier juge d’opérer une comparaison entre les fichiers clients détenus par la société P. Blattes Yachting et ceux détenus par les sociétés requises.
Dès lors, si le juge de la rétractation n’a pas à apprécier le bien-fondé des comportements dénoncés par la société P. Blattes Yachting, compétence dévolue au seul juge du fond, il a valablement estimé que la requérante disposait d’un motif légitime à l’obtention des mesures sollicitées et que les mesures, consistant à recueillir des fichiers informatiques auprès de sociétés pressenties comme concurrentes, étaient nécessaires à son droit à la preuve et proportionnées aux droits des requises.
Par ailleurs, il ressort de l’ordonnance sur requête que les mesures d’instruction ont été limitées à des mots-clefs précis et que le juge des requêtes a lui-même restreint encore le périmètre d’application des recherches, étant relevé en outre que les société DNA Yachting et RC Marine ayant été créées respectivement les 8 décembre et 9 novembre 2017, la mesure était nécessairement circonscrite dans le temps.
En outre, il ressort de la requête du 7 juillet 2022 déposée par la société P. Blattes Yachting que la nécessité de déroger au principe de la contradiction a été justifiée par les termes mêmes de la requête, rappelant l’importance de la préservation des fichiers informatiques et du risque de suppression encouru de ces fichiers ou de tout historique s’y rapportant à réception d’une assignation aux mêmes fins (pages 17 et 18 de la requête). Le juge des requêtes s’est lui-même référé au risque de suppression de ces données.
Ainsi, s’il convient de rappeler que le juge de la rétractation est tenu de vérifier, au-delà de considérations générales tenant au « bon sens », que le recours à une procédure non contradictoire était justifié par des motifs propres tenant aux circonstances de l’espèce, il apparaît qu’en tout état de cause ces motifs ressortent expressément, tant de la requête initiale que de l’ordonnance, et ne s’apparentent pas à une formule de style en dépit d’une problématique récurrente de risque de déperdition de preuves s’agissant de données par essence volatiles et facilement destructibles.
De plus, si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, c’est à la condition que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi. Il procède des éléments relevés ci-dessus que tel est le cas en l’espèce des mesures ordonnées.
Les appelants ne justifient pas en quoi l’absence du nom de l’informaticien porte atteinte à leurs intérêts, l’ordonnance ayant en tout état de cause autorisé l’huissier de justice à se faire assister d’un expert en informatique, et la qualité de l’expert choisi n’ayant pas été contestée.
En conséquence, considérant que la société P. Blattes Yachting disposait d’un motif légitime à obtenir de façon non contradictoire des documents lui permettant de fonder son action future en concurrence déloyale et parasitisme, dans des conditions proportionnées aux droits des parties subissant la mesure, il y a lieu de confirmer l’ordonnance du 8 juin 2023, sauf en ce qu’elle n’a pas fait droit à la demande tendant à écarter la pièce numéro 43 communiquée par la société P. Blattes Yachting.
Sur les frais et dépens :
M. [H] [P] et la société DNA Yachting, parties succombantes, conserveront la charge des dépens de l’appel, recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
En outre, ils seront tenus de payer chacun la somme de 3000 euros à la société P. Blattes Yachting en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme l’ordonnance rendue le 8 juin 2023 par le juge du tribunal de commerce de Cannes, sauf en ce qu’elle n’a pas fait droit à la demande tendant à écarter la pièce numéro 43 communiquée par la société P. Blattes Yachting,
Statuant de ce chef,
Écarte des débats la pièce numéro 43 produite par la société P. Blattes Yachting et correspondant au procès-verbal de constat établi par commissaire de justice le 14 septembre 2022 en exécution de l’ordonnance sur requête rendue le 21 juillet 2022,
Y ajoutant,
Condamne M. [H] [P] et la société DNA Yachting aux entiers dépens de la procédure d’appel recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
Condamne M. [H] [P] et la société DNA Yachting à payer chacun la somme de 3000 euros à la société P. Blattes Yachting en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE