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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
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ARRÊT DU : 09 NOVEMBRE 2023
PRUD’HOMMES
N° RG 22/00199 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MQFZ
S.A.R.L. ANALYTICAL STANDARD SOLUTIONS (A2S)
c/
Madame [D] [N] épouse [W]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée aux avocats le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 décembre 2021 (R.G. n°F 20/01381) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section activités diverses, suivant déclaration d’appel du 14 janvier 2022.
APPELANTE :
S.A.R.L. ANALYTICAL STANDARD SOLUTIONS (A2S) Prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [X] [S], en sa qualité de Gérant
[Adresse 2]
Représentée et assistée par Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
[D] [N] épouse [W]
née le 22 Janvier 1967 à [Localité 3]
de nationalité Française
Profession : Comptable, demeurant [Adresse 1]
Représentée et assistée par Me Véronique LASSERRE, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 20 septembre 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Eric Veyssière, président,
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Madame Valérie Collet, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Analytical Standard Solutions (ci-après ‘la société A2S’), ayant une activité de recherche et de développement en biotechnologie, a engagé Mme [D] [W] en qualité de responsable comptable, suivant contrat à durée déterminée du 18 juin 2018 au 18 décembre 2018. A compter du 19 décembre 2018, la relation de travail s’est poursuivie dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.
Par courrier remis en main propre le 8 juin 2020, la société A2S a convoqué, le 18 juin 2020 Mme [W] à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée du 23 juin 2020, la société A2S a notifié à Mme [W] son licenciement pour faute grave en lui reprochant trois griefs : la divulgation à des salariés de l’entreprise de deux informations confidentielles – la tenue quotidienne de propos déplacés à l’encontre de ses collègues de travail à connotation raciste ou grossière – le refus délibéré d’exécuter correctement ses missions.
Contestant son licenciement, Mme [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux, par requête reçue le 25 septembre 2020, afin d’obtenir notamment le paiement de diverses indemnités ainsi que des rappels de salaire.
Par jugement du 17 décembre 2021, le conseil de prud’hommes a :
– dit que le licenciement de Mme [W] est sans cause réelle et sérieuse,
– condamné la société A2S à payer à Mme [W] les sommes de :
– 4 800 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, outre 480 euros bruts de congés payés afférents,
– 1 300 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 1 120 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied,
– 7 200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société A2S à remettre à Mme [W] les documents de rupture rectifiés,
– dit n’y avoir lieu à astreinte,
– dit n’y avoir lieu de prononcer l’exécution provisoire pour les condamnations n’en bénéficiant pas de droit,
– débouté les parties du surplus,
– condamné la société A2S aux dépens.
La société A2S a relevé appel du jugement, le 14 juin 2022 par voie électronique, sauf en ce qu’il a :
– dit n’y avoir lieu à astreinte,
– dit n’y avoir lieu de prononcer l’exécution provisoire pour les condamnations n’en bénéficiant pas de droit,
– débouté les parties du surplus.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 29 août 2023 et l’affaire fixée à l’audience du 20 septembre 2023.
Par conclusions notifiées le 28 septembre 2022 par voie électronique, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits et des moyens, la société A2S demande à la cour de :
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il :
*a dit que le licenciement de Mme [W] est sans cause réelle et sérieuse,
* l’a condamnée à payer à Mme [W] les sommes de :
– 4 800 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, outre 480 euros bruts de congés payés afférents,
– 1 300 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 1 120 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied,
– 7 200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* l’a condamnée à remettre à Mme [W] les documents de rupture rectifiés,
* l’a condamnée aux dépens,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [W] du surplus de ses demandes,
Statuant à nouveau,
– juger que le licenciement de Mme [W] repose sur une faute grave, et a fortiori sur une cause réelle et sérieuse,
– débouter Mme [W] de ses demandes,
En tout état de cause,
– condamner Mme [W] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Elle explique que depuis juin 2020, elle a été informée par plusieurs salariés du fait que Mme [W] avait révélé des informations confidentielles dans le seul but de dénigrer ses collègues, la société et son employeur. Elle précise qu’à la suite de ces révélations, elle a interrogé les salariés sur les agissements rapportés et qu’elle a alors découvert que les salariés étaient en souffrance du fait des agissements de Mme [W] qui refusait régulièrement de faire son travail et qui se permettait de faire des réflexions et d’avoir un comportement inacceptable. Elle fait valoir que tous les griefs sont établis.
Considérant que le licenciement pour faute grave de Mme [W] est justifié, elle conclut que les demandes indemnitaires et de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire ne sont pas fondées.
S’agissant de la demande de rappel de salaire pour la période du 4 au 17 juin 2018, elle insiste sur le fait que Mme [W] n’a commencé à travailler qu’à compter du 18 juin 2018, faisant valoir que la salariée cherche à tirer profit d’une erreur de frappe dans son contrat de travail puisque celui-ci indique par erreur une date d’embauche au 4 juin 2018 en page 1 alors qu’en page 2, il est clairement indiqué que le contrat est conclu du 18 juin au 18 décembre 2018. Elle ajoute que le quantum de la demande est erroné.
Elle conteste tout travail dissimulé, soulignant qu’aucune déclaration préalable à l’embauche n’était nécessaire pour la période du 4 au 17 juin 2018 puisque Mme [W] ne travaillait pas à cette période et que pour la période postérieure, une telle déclaration a été faite. Elle déclare qu’elle n’a jamais eu l’intention de dissimuler l’activité salariée de Mme [W] puisqu’elle a régulièrement établi des bulletins de salaire et payé ses cotisations sociales. Elle estime enfin que le quantum de la demande est erroné.
Par conclusions notifiées le 29 juin 2022 par voie électronique, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits et des moyens, Mme [W] demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
* dit que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
* condamné la société A2S à lui payer les sommes de :
– 4 800 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, outre 480 euros bruts de congés payés y afférents,
– 1 300 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 1 120 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied,
– 7 200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* ordonné la modification de l’attestation Assedic pour tenir compte de la période travaillée en contrat à durée déterminée, du bulletin de salaire de juin 2020 tenant compte d’une fin de contrat au 23 juin 2020 et l’établissement d’un certificat de travail pour toute la période travaillée au sein de la société A2S,
– infirmer le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions,
Statuant à nouveau,
– condamner la société A2S à lui payer les sommes suivantes :
– 8 400 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 040 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de juin 2018, outre 104 euros de congés payés afférents,
– 14 400 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
– condamner la société A2S à lui remettre un certificat de travail, une attestation Assedic ainsi qu’un bulletin de paie de juin 2020 faisant état d’une date d’embauche au 4 juin 2020, sous astreinte de 100 euros par jour de retard laquelle courra à compter de la ‘réintervenir’ (sic),
– condamner la société A2S à lui payer la somme de 3 000 euros à hauteur d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Elle explique que depuis juillet 2019, elle avait le sentiment d’être mise à l’écart par ses collègues de travail et que la procédure de licenciement n’est que l’oeuvre conjointe des salariés de l’entreprise pour l’évincer. Elle déclare que les griefs qui lui sont reprochés ne sont rapportés que par des témoignages partiaux dépourvus de valeur probante, faisant observer qu’aucune pièce complémentaire n’est produite et que les témoins sont soumis à un lien de subordination à l’employeur. Elle conteste l’ensemble des griefs qui lui sont faits.
Elle estime que son préjudice lié à la perte injustifiée de son emploi doit être indemnisé à hauteur de 3,5 mois de salaire compte tenu de son ancienneté de 2 ans dans l’entreprise, des conditions particulièrement vexatoires de son licenciement, de son âge, du fait qu’elle a passé plusieurs mois au chômage et qu’elle n’a pas retrouvé un emploi à temps complet. Elle indique que le comité européen des droits sociaux émanant du Conseil de l’Europe a jugé que la France violait ses engagements internationaux en appliquant le barème Macron et l’institution européenne dont la charte sociale européenne puisque le droit à une indemnité adéquate n’était pas garanti par l’article L.1235-3 du code du travail. Outre une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et une indemnité légale de licenciement, elle s’estime bien fondée à réclamer le paiement de son salaire pendant la mise à pied conservatoire.
Elle fait valoir que le premier contrat de travail à durée indéterminée mentionne une date d’embauche au 4 juin 2018 mais que son employeur a décidé de ne pas la payer avant le 18 juin 2018 au motif que durant cette période, elle était formée par son époux qui occupait le poste.
Elle soutient que son employeur n’a pas effectué la déclaration préalable à son embauche et s’est ainsi rendu coupable de travail dissimulé.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rappel de salaire
Il résulte de l’article 1353 du code civil que la preuve de l’existence d’un contrat de travail incombe à la partie qui s’en prévaut.
L’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle.
Le contrat de travail est usuellement défini comme l’exercice d’une prestation de travail, dans un lien de subordination avec l’employeur, en échange d’une rémunération. Cependant, seule l’existence d’un lien de subordination permet de retenir l’existence d’une relation de travail.
Le lien de subordination est la réunion de trois pouvoirs s’exerçant par l’employeur sur le salarié:
– le pouvoir de donner des ordres et des directives pour l’exécution du travail,
– de contrôler l’exécution de cette prestation,
– et de sanctionner les manquements dans cette exécution.
Cette subordination est de nature juridique et non pas économique.
Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination, mais seulement lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution. Le pouvoir de direction et de contrôle du salarié résulte alors implicitement de l’intégration du salarié dans le service organisé.
En l’espèce, le premier contrat de travail liant Mme [W] à la société A2S a été signé le 14 juin 2018 pour une durée déterminée à terme précis. Si en page 1 de ce contrat, il est mentionné que ‘Madame [D] [W]-[N] est engagée par la SARL A2S à compter du 04 juin 2018, et pour une durée déterminée’, il est également indiqué en page 2 que :
– ‘le présent contrat est conclu pour déterminée, du 18/06/2018 au 18/12/2018 dans le cadre d’un remplacement’,
– ‘les 12 premiers jours de son exécution soit du 18/06/2018 au 30/06/2018, constitue une période d’essai’.
La cour relève que les bulletins de salaire de Mme [W] mentionnent tous une ancienneté de cette dernière au 18 juin 2018, sans que la salariée n’ait jamais émis la moindre observation à ce sujet, étant au surplus rappelé qu’elle était responsable comptable de sorte qu’elle était particulièrement informée des incidences d’une éventuelle erreur de date pour le calcul de l’ancienneté. De même, Mme [W] produit un courrier de l’URSSAF Aquitaine du 12 octobre 2020 lui indiquant que son employeur avait procédé à la déclaration préalable à l’embauche en précisant une date de début de contrat du 18 juin 2018. L’extrait du registre du personnel produit par l’employeur ainsi que le tableau des effectifs pour la mutuelle d’entreprise indiquent également une date d’entrée de Mme [W] dans la société au 18 juin 2018. Enfin, l’URSSAF Aquitaine, qui a procédé au contrôle de l’application des législations de sécurité sociale, d’assurance chômage et de garantie des salaires sur la période du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2019 n’a relevé, au terme de sa lettre d’observations du 25 février 2021, aucune irrégularité sur les documents consultés comprenant les contrats de travail.
Par ailleurs, si M. [O] [W], époux de Mme [W], qui occupait le poste de responsable comptable au sein de la société A2S du 2 novembre 2017 au 15 juin 2018 inclus, explique :
– que son épouse a pris ses fonctions le 4 juin 2018,
– qu’il a assuré sa formation en vue de son remplacement du 4 juin 2018 au 16 juin 2018 dont 3 jours de théorie,
– que Mme [W] était autonome sur le poste sous sa supervision à compter du 7 juin 2018,
– qu’elle n’a perçu aucune rémunération durant cette période et n’a pas été déclarée à l’URSSAF pour cette période travaillée,
il n’en reste pas moins que cette attestation est insuffisante, à elle seule, pour établir l’existence d’un lien de subordination entre Mme [W] et la société A2S entre le 4 juin 2018 et le 17 juin 2018 dès lors que :
– M. [W] n’a effectivement libéré son poste que le 16 juin 2018 et qu’il occupait donc, jusqu’à cette date, les fonctions pour lesquelles Mme [W] a été engagée postérieurement,
– ce témoignage, émanant d’un très proche de la salariée, est particulièrement vague et imprécis en ce qu’il n’explique pas les tâches accomplies par Mme [W] dans la période litigieuse et qu’il n’est fait état d’aucun ordre ou directive reçu par Mme [W] pendant cette période.
La cour considère en conséquence que la preuve de l’existence d’un contrat de travail entre le 4 juin 2018 et le 17 juin 2018 n’est pas rapportée, la mention du 4 juin 2018 sur la première page du contrat de travail n’étant qu’une erreur matérielle ne pouvant pas caractériser le début de la relation contractuelle salariée.
Mme [W] doit ainsi être déboutée de sa demande de rappel de salaire et des congés payés afférents, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef.
Sur la demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
Aux termes de l’article L.8221-5 du code du travail :
‘ Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur:
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre I de la troisième partie;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.’
L’article L.8223-1du même code précise que : ‘En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire’.
Dans la mesure où la cour a jugé que Mme [W] n’était pas liée avec la société A2S par un contrat de travail à compter du 4 juin 2018, il ne saurait utilement être reproché à l’employeur de ne pas avoir procédé à une déclaration préalable à l’embauche mentionnant cette date. Il est en outre établi par le courrier du 12 octobre 2020 que l’URSSAF Aquitaine a adressé à Mme [W], que la déclaration préalable à son embauche a été faite avec une date de début de contrat au 18 juin 2018, ce qui correspond à la date de début du contrat de travail à durée déterminée liant les parties.
C’est donc à juste titre que les premiers juges ont débouté Mme [W] de sa demande d’indemnité forfaitaire au titre du travail dissimulé, l’employeur ayant respecté les formalités de déclaration préalable à l’embauche.
Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
Sur les demandes relatives au licenciement
Selon les articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, énoncée dans une lettre notifiée au salarié. Cette lettre, qui fixe les limites du litige doit exposer des motifs précis et matériellement vérifiables, permettant au juge d’en apprécier la réalité et le sérieux. Le juge ne peut pas examiner d’autres motifs que ceux évoqués dans la lettre de licenciement mais il doit examiner tous les motifs invoqués, quand bien même ils n’auraient pas tous été évoqués dans les conclusions des parties.
La charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse sur aucune des parties en particulier, le juge formant sa conviction au vu des éléments produits par chacun. L’employeur est en droit, en cas de contestation, d’invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif.
Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l’employeur de prouver la réalité de la faute grave, c’est à dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu’elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.
La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.
Il convient par ailleurs de rappeler que selon l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
Il est précisé que ce n’est pas la date des faits qui constitue le point de départ du délai de prescription mais celle de la connaissance par l’employeur des faits reprochés (Soc. 17 février 1993 pourvoi n° 88-45.539 ; Soc. 28 septembre 2011pourvoi n° 10-17.343).
La charge de la preuve du caractère non prescrit de l’action disciplinaire incombe à l’employeur. Ainsi, lorsque les faits sanctionnés par le licenciement ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il lui appartient d’apporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement des poursuites, faute de quoi les faits sont considérés comme prescrits (Soc. 30 octobre 2000 n° 98-44.024).
Enfin, il est ajouté que l’article L. 1332-4 ne s’oppose pas à la prise en considération d’un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s’est poursuivi ou a été réitéré dans ce délai.
En l’espèce, la lettre de licenciement de Mme [W] du 23 juin 2020 qui fixe les limites du litige est ainsi libellée :
‘Par la présente, je vous notifie votre licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnité pour les motifs suivants que je vous ai exposés au cours de cet entretien, à savoir :
Vous avez été engagée par l’entreprise le 19 décembre 2018 en contrat à durée indéterminée et occupez le poste de Responsable Comptable qui est un poste clé au sein de la société exigeant une attitude loyale et irréprochable.
Or, force est de constater que vous n’avez cessé de violer délibérément vos obligations contractuelles.
En effet, il est apparu que vous avez, à plusieurs reprises, divulgué à d’autres salariés de l’entreprise des informations couvertes par la plus stricte confidentialité.
C’est pour cela que je vous ai convoqué à un entretien préalable avec mise à pied à titre conservatoire.
A la suite de votre départ de l’entreprise les langues se sont déliées et les salariés de l’entreprise ont témoigné de vos agissements fautifs et répétés.
Ainsi, j’ai découvert, à la lecture d’attestations de témoignage accablantes, que votre comportement vis-à-vis de vos collègues est parfaitement inadmissible et que vous ne respectez pas vos obligations contractuelles, notamment celle d’exécution de bonne foi de votre contrat de travail.
Premièrement, vous divulguez volontairement aux salariés de l’entreprise des informations que vous savez confidentielles et alors même que compte tenu de vos fonctions vous êtes tenue à une confidentialité absolue.
En effet :
– Vous vous permettez de violer délibérément le secret médical en donnant des informations sur les arrêts maladie des autres salariés.
Vous avez rapporté ouvertement que l’arrêt maladie d’un salarié avait été prescrit par un psychiatre alors même que sa spécialité ne figurait pas sur l’arrêt: ‘je ne devrais pas le dire parce que c’est confidentiel mais l’arrêt de [Z], ce n’est pas son premier médecin qui l’a prolongé mais un psychiatre’.
Alors non seulement vous avez volontairement cherché le nom du médecin sur internet pour connaître sa spécialité mais vous avez délibérément rapporté cette information à plusieurs autres salariés.
Par une telle attitude vous avez également rompu le lien de confiance qui existait entre nous et les salariés de l’entreprise compte tenu de vos fonctions et des informations dont vous pouvez avoir connaissance.
– Vous faites ouvertement état de la situation financière de l’entreprise auprès d’autres salariés en rapportant des informations dont vous seule avez connaissance.
Vous indiquez alors au salarié qui ne pourront pas être payés car il n’y a pas : ‘d’argent sur le compte’. À la suite d’une réunion vous avez signalé que ‘le gérant avait minimisé la situation financière de l’entreprise que les comptes n’étaient pas si bons.’
Par ce comportement vous avez gravement rompu le lien de confiance qui existait entre vous et la direction de l’entreprise.
Cette attitude intolérable et parfaitement déloyale pour un salarié en qui l’entreprise doit avoir pleinement confiance. Elles constituent une violation grave de vos obligations contractuelles, notamment celles exécution déloyale de votre contrat de travail, et il ne peut être cautionné par l’entreprise.
Elle légitime la rupture immédiate votre contrat de travail.
Deuxièmement, vous tenez quotidiennement des propos déplacés à l’encontre de vos collègues de travail mais aussi de la direction de l’entreprise.
Vous vous permettez de dénigrer des salariés en raison de leur physique, de tenir des propos qui ont été qualifiés comme étant racistes, ils accusent la direction de l’entreprise d’utiliser les biens de l’entreprise à des fins personnelles.
A titre d’exemple, il nous a été rapporté que :
– Vous indiquez que l’une de vos collègues, en raison de sa nationalité, était tombée enceinte uniquement pour toucher des aides
En outre, pour cette même personne, vous déclarez :
– ‘ce n’est pas parce qu’elle est étrangère qu’elle ne doit pas faire ses papiers en règles’
– ‘ce n’est qu’une arabe elle fait traîner pour profiter du système’
-Vous vous permettez de donner des surnoms inappropriés et grossiers à vos collègues de travail que vous nommez en présence d’autres salariés :
– ‘big mama qui prend toute la place dans le bureau’
– le ‘cure dent’.
– Vous dénigrez ouvertement vos collègues de travail: ‘il faut toujours qu’elle se fasse remarquer pour être au centre de l’attention’ ou bien lorsque quelqu’un ramène des bonbons c’est : ‘qu’ils sont périmés’.
– Outre vos collègues de travail vous vous autoriser à discréditer ouvertement la direction de l’entreprise.
Vous soulignez que le gérant n’a qu’à : ‘lui demander les chiffres exacts car il ne les connaît pas’ et sous-entendez en présence d’autres salariés que : ‘le gérant utilise la carte bancaire de la société à des fins personnelles’.
Cette attitude est parfaitement acceptable. Elle constitue une violation grave de vos obligations contractuelles et ne saurait être tolérée dans la mesure où elle est en contradiction avec les valeurs qui sont prônées au sein de l’entreprise.
En outre, par ce comportement intolérable vous participez à créer une atmosphère délétère au sein de l’entreprise, ce qui ne saurait être accepté.
Troisièmement,vous refusez délibérément de réaliser correctement votre prestation au travail en dépit des remarques de votre hiérarchie en ce sens.
Ainsi il a été rapporté que :
– vous refusez et vous ne réalisez pas correctement votre prestation de travail malgré les demandes de votre hiérarchie.
Notamment :
– l’enregistrement des commandes est mal effectué ce qui entraîne des réclamations des clients,
– vous ne répondez pas aux appels entrants dans l’entreprise,
– vous ne procédez pas à la gestion de l’accueil des commerciaux ou des personnes extérieures,
– vous ne réalisez que tardivement le remboursement des notes de frais,
– vous ne faites pas figurer sur les bulletins de salaire toutes les informations importantes, notamment la prise des congés payés.
-Vous débranchez volontairement la ligne téléphonique afin de :’ne pas être dérangée’.
Face à l’incompréhension de vos collègues, qui souhaitaient passer des appels professionnels, vous vous justifiez : ‘je suis en train de faire un truc où je dois être concentrée donc pour ne pas être dérangée j’ai débranché la ligne’.
Ainsi non seulement vous refusez de réaliser votre prestation de travail mais par votre attitude vous empêchez vos collègues de la réaliser correctement.
– Vous refusez de répondre aux questions posées par d’autres salariés de l’entreprise.
Vous vous permettez même de proférer des menaces :
– d’essayer de stopper la subrogation de salaire lors des arrêts maladie,
– de les dénoncer à la CPAM car vous estimez que les arrêts maladie ne sont pas justifiés,
– à la suite de la réflexion de la direction vous avez indiqué : ‘la vengeance est un plat qui se mange froid, il se mangera très froid.’
– Vous utilisez de manière répétée et soutenue de votre téléphone personnel pendant vos heures de travail alors même que les bureaux sont organisés en ‘open space’ et que le bruit de conversation de vos conversations dérange vos collègues.
Ainsi, par votre attitude vous portez préjudice à l’activité générale de l’entreprise ce qui ne peut être tolérée. Ce manquement est d’autant moins acceptable que votre comportement est délibéré.
Une telle attitude déloyale n’est pas tolérable au sein de l’entreprise et justifie la rupture immédiate de votre contrat de travail […]’.
Pour établir les faits reprochés à la salariée, la société A2S produit essentiellement des attestations rédigées par des collègues de travail de Mme [W] entre le 15 mai 2020 et le 15 juin 2020 et respectant le formalisme prévu par l’article 202 du code de procédure civile. Il est tout à fait vain pour Mme [W] de solliciter que l’ensemble des témoignages soit écarté des débats dès lors que :
– si elle avait effectivement exprimé auprès de son employeur son sentiment d’isolement au sein de l’entreprise, elle n’apporte toutefois aucun élément permettant de considérer que les salariées ayant témoigné dans le cadre de la présente instance se seraient liguées contre elle pour obtenir son licenciement,
– le fait qu’une des salariées, Mme [C] [B], ait une relation affective avec le gérant de la société A2S ne suffit pas, à lui seul, à retenir que cette personne serait dans la toute puissance et multiplierait des comportements anormaux à son encontre, Mme [W] se contentant de procéder par voie d’affirmation péremptoire,
– le lien de subordination des témoins à l’égard de la société A2S n’exclut pas nécessairement qu’ils relatent, objectivement et en toute impartialité, des faits qu’ils ont personnellement constatés, étant observé que Mme [W] ne produit quant à elle aucun élément permettant de douter de la véracité ou de la crédibilité des attestations produites par l’employeur,
– rien ne permet de considérer que si les témoins avaient véritablement des reproches à lui faire, ils auraient adressé des plaintes à leur employeur bien avant le mois de juin 2020.
Il n’y a donc pas lieu d’écarter des débats les attestations produites par l’employeur, qui, pour établir le premier grief formulé à l’encontre de Mme [W] fournit :
– le contrat de travail de la salariée signé le 19 décembre 2018 comportant une clause de secret professionnel suivante : ‘Mme [D] [W]-[N] s’engage à observer, tant pendant l’exécution qu’après la cessation du contrat, une discrétion professionnelle absolue pour tout ce qui concerne les faits ou informations dont elle aura connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions.’
– l’attestation de Mme [C] [B], responsable commerciale et compagne de [X] [S], gérant de la société A2S, qui explique : ‘Divulgation de données confidentielles concernant les arrêts de travail ou données personnelles ([H] rattachement à son mari, et soucis de paiement congés maternité) ou le renouvellement de [Z] [O] ‘je devrais pas le dire parce que c’est confidentiel mais l’arrêt de [Z] c’est pas son médecin qui l’a prolongé mais un psychiatre’. Ou concernant les finances de l’entreprise en disant que l’on ne pourrait pas être payé ou qu’il n’y avait pas d’argent sur le compte.’
– l’attestation de Mme [M] [U], responsable laboratoire, qui expose que ‘l’ensemble des faits reprochés à [D] [W] portent sur les activités de son poste : 1/ Dans ses tâches la reliant au personnel de l’entreprise, le secret professionnel doit être ce n’a pas été le cas par rapport à l’état de santé de [Z] [O] (suivie par un psy), les comptes de la société, les dépenses du gérant. La plupart des salariés savent des choses qu’ils ne devraient pas.’
– l’attestation de Mme [F] [R], responsable analytique, qui témoigne ainsi : ‘Non tenue du secret professionnel : suite à une réunion Mme [W] m’a dit que le gérant minimisé la situation financière de l’entreprise et que les comptes n’étaient pas si bons.[…] Mme [W] nous a transmis l’information que l’arrêt maladie d’une collègue était signé par un psychiatre et a commenté qu’on était pas prêt de la revoir. En janvier 2020 Mme [W] m’a prévenu que les salaires auraient du retard car il fallait attendre le virement de l’associé du gérant car les comptes de la société étaient vides.’
– un formulaire d’avis d’arrêt de travail ne comportant aucun élément d’identification de l’assurée sociale, aucune date, aucun renseignement médical mais seulement le nom du praticien à savoir le Dr [T] [A],
– la fiche de poste de Mme [W] mentionnant qu’elle devait établir les bulletins de paie, établir et payer les charges sociales, gérer les obligations administratives à l’embauche, les visites médicales, la mutuelle/prévoyance et la caisse de retraite, et gérer les arrêts de travail et les relations avec la médecine du travail.
Le premier grief reproché à Mme [W] est ainsi matériellement établi, puisque cette dernière était tenue par une obligation de confidentialité et qu’à supposer qu’elle ne soit pas réceptionnaire des arrêts de travail des autres salariés, il n’en reste pas moins que ses attributions la conduisaient à connaître du contenu de ces documents. De plus, les seules dénégations de Mme [W] sont insuffisantes pour remettre en cause les attestations précises et concordantes de Mmes [R], [U], et [B]. Par ailleurs, Mme [W] qui se contente de contester avoir divulgué des informations sur la santé financière de l’entreprise, ne produit aucune pièce permettant de contredire le témoignage circonstancié de Mme [R] dont la partialité n’est pas établie. A cet égard, la cour observe qu’aucune prescription des faits n’est à retenir dès lors qu’il est justifié que l’employeur n’a eu connaissance des divulgations évoquées par Mme [R] que lorsque cette dernière a rédigé son attestation soit le 12 juin 2020 de sorte que la société A2S a poursuivi ces faits dans le délai de 2 mois à compter de leur connaissance. Il est enfin inopérant pour Mme [W] de faire valoir que son employeur ne produit pas les comptes de la société dès lors que ce qui lui est reproché, et établi, est d’avoir divulgué des informations, peu important que ces informations soient vraies ou non.
S’agissant du deuxième grief, la société A2S produit :
– l’attestation établie le 15 mai 2020 par Mme [U] aux termes de laquelle elle explique qu’elle reproche à Mme [W] ‘ses réflexions quotidiennes, son mauvais comportement, ses réflexions (‘c’est trop fort l’autre ([X]) il revient me demander si je vais bien chez le médecin’, le 17/03/2020 à 17h au départ de [X]) participent activement au fait qu’elle ne peut plus faire partie de notre société, ne voulait pas adhérer à nos valeurs, ne respectent pas les personnes et ne réalisait pas ses tâches correctement’,
– l’attestation établie le 12 juin 2020 par Mme [L] [E], responsable qualité, qui indique ‘Juillet 2018 : remarque raciste suite à des retards d’envoi de documents concernant le congés maternité de Mme [J], sur le fait qu’elle faisait des enfants pour toucher les aides comme elle est tunisienne’,
– l’attestation établie le 15 juin 2020 par Mme [B] qui relate que ‘Au sein de l’entreprise, j’ai pû être témoin de comportements inappropriés allant de surnoms donnés à l’équipe dirigeante (curedent, coton tige), de présentation à des personnes étrangères à l’entreprise du dirigeant ‘[Y] [V], l’autre dirigeant et directeur de Cil, on dirait pas comme ça’ lors de la cloture des comptes 20 (mai 2019), ou le 16 octobre lors de la venue des banquiers des propos acerbes sur les propos de [X] [S] qui n’y connait pas grand-chose, ou encore de critiques me concernant avec mon ‘besoin d’être le centre de l’attention’ lors de réunions ou de repas entre collègues (21/06/2019). Ces réflexions incessantes touchaient la casi totalité du personnel et pouvaient être teintées de racisme (‘ce n’est pas parce qu’elle ([H] [J]) est étrangère qu’elle doit pas faire ses papiers en règle’), lors de son arrêt maternité ou à d’autres moments (lors du ramadan)’,
– l’attestation établie le 12 juin 2020 par Mme [R] qui déclare que : ‘ Tenir des propos racistes: En juillet 2018, Mme [W] venait de prendre ses fonctions et une employée de la société d’origine tunisienne était alors en congé maternité. Ces 2 personnes ont eu des échanges pour des besoins administratifs. Un jour en pause cigarette, Mme [W], me parlant de cette histoire à dit : ‘c’est une arabe, elle fait traîner pour profiter du système” et ajoute que ‘Lors de bilan individuel avec les membres de mon équipe, j’ai appris que Mme [W] avait raconté que le gérant utilisait la carte bancaire de la société à des fins personnelles’,
– l’attestation établie le 14 juin 2020 par Mme [K] [G], responsable réception-envois-livraisons, qui expose, sans qu’il ne soit contesté qu’il s’agisse de Mme [W], que : ‘des réflexions déplacées et montrant une absence de respect des gens (collègues, hiérarchie, ou personnes extérieures) : – des réflexions faites quand des collègues ont embauché de bonne heure et donc débauchant de bonne heure – critiques physiques de collègues ou personnes extérieures : Big mama ([P]) qui prend toute la place dans le bureau (ancien batiment donc on ne peut plus passer); Cure Dent ([M]); la commercial des hottes qui n’a comme seul atout que ses jolies chaussures; ‘il faut toujours qu’elle se fasse remarquer pour être au centre de l’attention [C]’; lorsque [C] ramène une boîte de bonbons pour partager dans la salle à café ‘Ah mais c’est qu’ils sont périmés’ et vérifie la DLC; elle est également bilingue, elle, mais n’en fait pas tout un foin contrairement à [C] ; lors d’un entretien de [X] avec les banquiers, il n’a qu’à lui demander les chiffres exacts car il ne les connaît pas.’
Bien que Mme [W] conteste avoir tenu les propos à connotation raciste ou grossiers que lui attribuent les autres salariées, la cour considère que les pièces qu’elle produit sont insuffisantes pour remettre en cause les témoignages précis et circonstanciés de ses collègues dont la partialité n’est pas établie. En effet, si Mme [W] justifie avoir hébergé et aidé, dans la sphère privée, des personnes de nationalité étrangère, notamment tunisienne, cela n’exclut pas qu’elle ait pu tenir des propos racistes, ponctuellement, dans le cadre professionnel, à l’encontre d’une personne de nationalité étrangère avec laquelle elle n’entretenait aucun lien d’affection. De même si son époux atteste que ‘la vulgarité, la grossièreté et le racisme n’ont jamais été dans ses habitudes’, M. [W] n’était pas présent dans l’entreprise lorsque Mme [W] a tenu les propos relatés par les autres salariés, étant en outre précisé que le fait de se comporter généralement de manière adaptée n’empêche absolument pas des écarts ponctuels de comportement. Il n’est en outre pas nécessaire que l’employeur démontre que Mme [J] n’avait ‘pas fait des papiers en règle’ pour que le grief reproché à Mme [W] puisse être considéré comme établi. Enfin, l’employeur justifie avoir eu une connaissance exacte et précise des propos à connotation raciste tenus, certes en 2018, par Mme [W], seulement en cours de procédure de licenciement entre les 12 et le 15 juin 2020, avant l’entretien préalable, par les attestations rédigées par les autres salariées. En effet, à la suite de l’attestation du 15 mai 2020 de Mme [U], supérieure hiérarchique de Mme [W], évoquant certains comportements inappropriés de cette dernière (sans que Mme [U] ne fasse état à cette occasion de propos à connotation raciste), les autres salariées ont exposé plus précisément, dans leurs attestations, à la société A2S les propos à connotation raciste tenus par Mme [W] de sorte que l’employeur n’a eu une connaissance exacte et précise des faits qu’au mois de juin 2020. Le délai de deux mois pour engager les poursuites a donc été respecté.
Il est par ailleurs observé que les SMS produits par Mme [W], dont l’interlocuteur n’est pas identifiable, ne permettent pas de retenir qu’elle n’aurait pas tenu les propos déplacés à l’encontre de ses collègues tels que relatés de manière claire, précise et circonstanciée dans les différentes attestations. Le fait que M. [W] explique que les collègues de travail de Mme [W] pouvaient également avoir des propos dénigrants et/ou critiques n’a aucune incidence sur l’existence des propos tenus par son épouse. Enfin, il importe peu de connaître la date à laquelle Mme [W] a tenu les propos qui lui sont attribués dès lors qu’il est justifié que l’employeur en a eu une connaissance exacte dans leur ampleur moins de deux mois avant d’engager la procédure de licenciement.
Il s’ensuit que le deuxième grief est établi.
S’agissant du troisième grief, la société A2S produit :
– l’attestation de Mme [G] qui indique que Mme [W] refusait d’accomplir certaines tâches demandées par sa hiérarchie : ‘enregistrement des commandes, gestion des appels entrants, gestion de l’accueil de commerciaux ou personnes extérieures, si personne au service REL ne réceptionne pas les colis’,
– l’attestation de Mme [R] qui déclare que ‘lors du mois de mai 2020, j’ai eu besoin de passer un coup de téléphone à un client suite à une incohérence sur une commande n’ayant pas de tonalité, je suis allée voir Mme [W] pour savoir si son téléphone fonctionnait. La réponse était :’je suis en train de faire un truc où je dois être concentrée donc pour ne pas être dérangée j’ai débranché la ligne.’. Elle ajoute : ‘Erreur sur les commandes : sur une commande conséquente financièrement j’ai remarqué une incohérence entre les références et les descriptifs. Je suis allée voir Mme [W] pour connaître les bonnes informations. Elle m’a répondu que les références étaient les bonnes informations et que le client n’a qu’à connaître notre codification. Cette réponse m’a été apportée sans demander confirmation au client. Quelques temps après nous avons reçu une réclamation client car la bonne information était le descriptif et non la référence. Il est arrivé que sur certaines commandes il me manque des infos. J’allais voir Mme [W] qui me répondait : ‘Je ne les avais pas donc j’ai pas cherché et je ne les ai pas données’.
– l’attestation de Mme [B] qui expose que ‘j’ai aussi constaté des appels personnels, sms, etc lors du travail au milieu de l’open space, conversations nous dérangeant par leur bruit et leur contenu. Mme [W] se plaignait de ne pas bien entendre ses interlocuteurs car nous parlions en même temps et trop fort. Ce non-respect des collègues était aussi appliqué à sa hiérarchie dont elle ne validait pas les ordres : – de menaces indirectes pour faire des procédures de visites au personnel en arrêt en dénonçant à la CPAM, de non paiement de salaire si l’arrêt arrivait pas sous 48h, de fin prorogation de salaire, ou encore suite à une réflexion de sa chef avoir dit ‘la vengeance est un plat qui se mange froid, il se mange TRES froid’ en mai 2019 […] – Tâches mal effectuées : informations données fausses ou inexactes (sur la mutuelle, sur la carence en cas de maladie) ; commandes rentrées pas correctement mais rentrées (absence de points importants ou références inexactes mais sans contacter le client ou le service commercial) ayant pour résultats des plaintes clients (Cluzea Info Labo, Bestown) avec une forte incidence financière ; des bulletins de salaire avec des annotations ajoutées non validées par la RH (jours ajoutés d’absence sur mon bulletin non validé, ni signé par la RH (28/07), ajouts d’annotations intempestives qu’elle ne voulait pas enlever malgré l’ordre de la hiérarchie ; une mauvaise volonté pour répondre au téléphone (laisse sonner ou débranche le téléphone lors du COVID pour ne pas se contaminer) ; note de frais qui tardent à être remboursées ; mauvaise volonté pour aider les collègues’,
– l’attestation de Mme [U] qui insiste sur le fait que ‘l’établissement des bulletins de salaire lui permet de pointer les congés et elle les met selon ce qui lui a été donné. La 1/2 journée du 03 juillet 2019 non signalée à sa responsable (moi) n’a pas été décomptée de son bulletin de salaire. Et quand je lui ai dit qu’elle devrait signer une feuille, elle m’a répondu en fin de journée par SMS ‘je suis toujours en vie’. Elle doit répondre au téléphone mais je l’ai vue le débrancher pour ne pas être dérangée, elle évite de répondre quand elle est en pause pas loin en train de prendre le café. Et elle sourit en disant qu’ils rappelleront. Son rôle dans la saisie des commandes est complètement imparfait, elle a pourtant été validée en début d’année, depuis elle ne fait que des erreurs, soupire, et ne veut pas les corriger. Une grossière erreur nous a entraîné une perte de 7000 euros auprès de notre distributeur chinois en février 2020. Les mails sont preuve à l’appui de nos différents échanges et validation. Elle s’entête à reproduire les mêmes ‘non efforts’ et nuit à notre système qualité très sensiblement.’
– l’attestation de Mme [E] qui témoigne que le ‘18.05.20 : menace de ne pas faire la subrogation de salaire pour Mme [G] sans en avoir parlé avec la direction, car elle-ci n’a pas demandé papier officiel pour son congés maternité. 25.05.20 : intégration dans le système qualité d’une plainte client n’ayant pas reçu les produits souhaités car la commande a été enregistré sans la prise en compte des mails de ce client qui lui avait été transféré par la commercial. Intervention incessante dans des conversations entre moi et d’autres personnes du bureau en me coupant la parole même lors d’appels téléphoniques. Ne répond jamais aux mails de demande de présence aux réunions internes. Donne ou répond régulièrement à des appels téléphoniques personnels dans le bureau, et fait des remarques sur le bruit si nous avons des conversations en simultanés : ‘désolé je n’ai pas entendu il y avait des personnes qui parlaient trop fort’ ,
– l’attestation de M. [Y] [V], gérant associé, certifie quant à lui que ‘il m’a été donné de constater par moi-même les écarts comportementaire et disciplinaire de [D] : outre le temps déraisonnable passé sur son téléphone portable personnel, il lui était apparemment difficile de répondre au téléphone de la société. Tâche qu’elle a ouvertement qualifié de dégradante devant moi, et à une autre reprise qu’elle a refusé d’assumer. Alors que nous déjeunions face à face, le téléphone se mit à sonner et celle-ci ce permet un ‘Bonjour vous être bien sur le téléphone d’A2S votre correspondant n’est pas disponible’ que j’ai trouvé particulièrement provocateur et totalement à l’opposé des intérêts de l’entreprise.’
Ces attestations sont suffisamment précises et concordantes pour établir que Mme [W] a pu débrancher volontairement la ligne téléphonique de l’entreprise sans que la salariée ne démontre, comme elle l’allègue, que la société A2S a été privée de réseau téléphonique pendant 8 mois d’août 2019 à février 2020. L’attestation de M. [V] suffit également pour retenir que Mme [W] ne répondait pas toujours aux appels entrants ou alors de manière inappropriée. Il est en outre établi que Mme [W] a refusé de répondre à certaines questions posées par des salariés de l’entreprise, qu’elle a proféré des ‘menaces’ dans les termes mentionnés dans la lettre de licenciement et qu’elle a utilisé son téléphone personnel pour des conversations privées occasionnant une gêne à ses collègues. La cour observe à cet égard que Mme [W] ne conteste pas avoir utilisé son téléphone personnel en expliquant sans toutefois en justifier qu’elle ne répondait qu’aux appels concernant sa fille dont l’état de santé aurait nécessité une surveillance particulière. De plus, si l’usage du téléphone portable personnel a pu être toléré, il est évident que la limite à une telle utilisation est de ne pas gêner les autres. Or, Mme [W] a manifestement franchi cette limite selon les attestations ci-dessus évoquées.
En revanche, Mme [W] fait justement remarquer qu’en dehors des attestations qui sont insuffisamment précises s’agissant des problèmes évoqués pour l’enregistrement des commandes, pour le remboursement des notes de frais et pour l’établissement de bulletin de salaire avec des informations incomplètes, aucune autre pièce n’est produite de sorte qu’il ne peut être considéré que ces faits sont établis. Enfin, il n’est pas démontré que l’accueil des commerciaux ou des personnes extérieures faisaient partie des missions de Mme [W], étant au surplus précisé que l’attestation de Mme [G] est à ce titre très imprécise.
Il s’avère donc que le troisième grief est partiellement établi.
Il résulte de tous ces éléments que les griefs qui sont matériellement établis caractérisent une faute de Mme [W] en ce qu’elle a manifesté une mauvaise volonté certaine pour accomplir certaines de ses tâches (répondre au téléphone par exemple) mais surtout en ce qu’elle a fait preuve d’un comportement particulièrement inapproprié en tenant des propos à connotation raciste, en dénigrant ses collègues et en divulguant des informations confidentielles au sein de l’entreprise. Or, les faits qui sont établis, pris dans leur ensemble, constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle a rendu impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise pendant la durée du préavis et a nécessité la rupture immédiate du contrat de travail de Mme [W]. La cour considère donc que le licenciement pour faute grave de cette dernière est justifiée.
Par conséquent, Mme [W] doit être déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d’indemnité légale de licenciement et de rappel de salaire durant la mise à pied conservatoire.
Le jugement entrepris est donc infirmé de ces chefs.
Sur la demande de remise des documents de fin de contrat
La cour constate que l’attestation Pôle Emploi remise par l’employeur à Mme [W] mentionne une date d’ancienneté au 19 décembre 2018 alors que la relation contractuelle a débuté le 18 juin 2018. Le bulletin de salaire de juin 2020 est également erroné en ce qu’il comporte une date de fin de contrat au 8 juin 2020 alors que la relation contractuelle a été rompue le 23 juin 2020, date de la notification du licenciement de Mme [W] pour faute grave. Enfin, la société A2S ne justifie pas avoir remis à Mme [W] un certificat de travail portant sur une période d’emploi du 18 juin 2018 au 23 juin 2020.
Il convient donc d’ordonner à la société A2S de remettre à Mme [W] tous ces documents, une astreinte s’avérant nécessaire puisqu’elle n’y a pas procédé malgré la condamnation du conseil de prud’hommes en ce sens. Le jugement entrepris est infirmé en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à astreinte.
Sur les frais du procès
Mme [W], qui succombe pour une grande partie en ses demandes, doit supporter les dépens d’appel mais également ceux de première instance, le jugement déféré étant infirmé de ce chef.
Compte tenu de la solution du litige et de l’équité, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ni à hauteur d’appel ni en première instance, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement rendu le 17 décembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Bordeaux SAUF en ce qu’il a débouté Mme [D] [W] de sa demande de rappel de salaire pour la période du 4 juin 2018 au 17 juin 2018 et de sa demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
Statuant à nouveau sur les chefs du jugement infirmés,
Déboute Mme [D] [W] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d’indemnité légale de licenciement et de rappel de salaire durant la mise à pied conservatoire,
Condamne la SARL Analytical Standard Solutions à remettre à Mme [D] [W] dans le délai d’un mois à compter de la signification du présent arrêt, et sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant 3 mois passé ce délai, les documents suivants :
– une attestation Pôle Emploi rectifiée mentionnant une date d’ancienneté au 18 juin 2018,
– un bulletin de salaire pour le mois de juin 2020 rectifié mentionnant une fin de contrat au 23 juin 2020,
– un certificat de travail mentionnant une période de travail du 18 juin 2018 au 23 juin 2020,
Y ajoutant,
Condamne Mme [D] [W] aux dépens d’appel et de première instance,
Déboute la SARL Analytical Standard Solutions et Mme [W] de leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel et en première instance.
Signé par monsieur Eric Veyssière, président, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps E. Veyssière