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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 30 NOVEMBRE 2023
N° RG 21/02054 –
N° Portalis DBV3-V-B7F-UTGU
AFFAIRE :
[C] [U]-[J]
C/
S.A. VALBIOTIS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Mai 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : 18/01262
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Laure CAPORICCIO
Me Caroline LUCHE-ROCCHIA
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TRENTE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [C] [U]-[J]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Laure CAPORICCIO de la SELEURL CABINET CAPORICCIO AVOCAT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C428
APPELANTE
****************
S.A. VALBIOTIS
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Me Caroline LUCHE-ROCCHIA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : P0014
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 29 Septembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,
La société Valbiotis, dont le siège social est situé [Adresse 4] à [Localité 2] dans le département de la Charente-Maritime, est spécialisée dans le secteur d’activité de la recherche et du développement en biotechnologie. Elle emploie plus de 10 salariés.
La convention collective applicable est celle de la fabrication et du commerce des produits à usage pharmaceutique, parapharmaceutique et vétérinaire dans sa version du 1er juin 1989.
Mme [C] [U]-[J], née le 21 novembre 1960, a été engagée par la société Sanofi Aventis selon contrat de travail à durée déterminée du 22 juillet 2011 à effet du 1er août 2011 en qualité de ‘clinical research director’.
Par courrier du 8 novembre 2017 elle a sollicité un congé sabbatique d’une durée de 6 mois, reconductible pendant 5 mois, soit 11 mois au total, applicable au plus tard le 28 février 2018, aux fins d’exercer une activité professionnelle dans une société spécialisée dans le développement de solutions nutritionnelles innovantes dédiées à la prévention des maladies cardio-métaboliques et à l’accompagnement nutritionnel des patients.
Par courrier du 29 novembre 2017, la société Sanofi a accepté la demande et a suspendu le contrat de travail de Mme [U]-[J] pour une durée de 6 mois, du 1er mars 2018 au 31 août 2018 inclus.
Mme [U]-[J] a été engagée par la société Valbiotis selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 27 février 2018 à effet au 1er mars 2018, en qualité de directrice du développement et des affaires médicales, statut cadre, moyennant une rémunération annuelle forfaitaire brute de 145 000 euros outre une rémunération variable selon l’atteinte des objectifs.
Le contrat de travail prévoyait une période d’essai de quatre mois, renouvelable une fois pour la même durée.
Il était également prévu que Mme [U]-[J] intègre le directoire et accède au capital de la société après un an de présence effective au sein de la société et la cessation définitive de toute relation contractuelle avec son employeur actuel.
Par courrier du 9 mai 2018 remis en main propre, la société Valbiotis a notifié à Mme [U]-[J] sa décision de rompre la période d’essai dans les termes suivants :
« Nous vous avons embauchée par contrat à durée indéterminée du 27 février 2018, au poste de Directrice du développement et des affaires médicales de Valbiotis, à compter du 1er mars.
Votre contrat de travail prévoyait une période d’essai de 4 mois, effectuée du 1er mars au 30 juin 2018.
Malheureusement, et pour faire suite à notre échange de ce jour, cet essai ne nous a pas semblé concluant et nous sommes donc au regret de vous informer que nous avons décidé de mettre un terme à notre collaboration.
Vous cesserez de faire partie de nos effectifs à l’issue d’un délai de prévenance de deux semaines qui court à compter de ce jour, qui vous sera rémunéré mais que nous vous dispensons d’exécuter.
Par conséquent, votre contrat de travail prendra fin le 24 mai 2018.
Nous vous rappelons que la clause de non-concurrence prévue à votre contrat de travail ne s’applique pas en cas de rupture au cours de la période d’essai. Vous serez donc libre de tout engagement à votre départ effectif. Vous ne recevrez aucune indemnité à ce titre.
Compte tenu de la dispense d’activité, nous vous remercions de bien vouloir restituer tous les matériels et documents professionnels à M. [L] [B] ce jour. La voiture de fonction pourra être conservée selon votre convenance, jusqu’au terme de votre contrat de travail.
Vous voudrez bien vous présenter en nos locaux le 24 mai à un horaire convenu avec M. [N] pour percevoir les sommes restant dues au titre de votre solde de tout compte, retirer les documents de rupture (certificat de travail et attestation Pôle emploi) et restituer le véhicule.»
Considérant que la rupture de sa période d’essai est abusive, Mme [U]-[J] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, par requête reçue au greffe le 12 octobre 2018, des demandes suivantes :
– dire et juger que la (rupture de la) période d’essai de Mme [U]-[J] est abusive,
– dire et juger que Mme [U]-[J] a effectué des heures supplémentaires qui n’ont nullement été réglées et que la société Valbiotis s’est rendue coupable de travail dissimulé,
– dire et juger que la société Valbiotis n’a nullement fixé les objectifs dont dépendait la rémunération variable stipulée dans le contrat de travail de Mme [U]-[J],
En conséquence, condamner la société Valbiotis à verser à Mme [U]-[J] les sommes suivantes :
. 9 445,76 euros pour les heures supplémentaires effectuées du mois de mars 2018 au mois de mai 2018,
. 944,57 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente,
. 27 469,44 euros au titre de la rémunération variable qui aurait dû lui être versée,
. 2 746,94 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente,
. 72 499,98 euros au titre de l’indemnité pour rupture abusive de la période d’essai,
. 72 499,68 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé en application des dispositions de l’article L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail,
. 5 000 euros au titre de l’indemnité due en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– assortir les condamnations des intérêts légaux,
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir en application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile,
– condamner la société Valbiotis aux entiers dépens.
La société Valbiotis avait, quant à elle, demandé que Mme [U]-[J] soit déboutée de ses demandes, sollicité sa condamnation à lui payer 12 000 euros pour violation de l’obligation de confidentialité et 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire rendu le 27 mai 2021, la section encadrement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :
– dit que la rupture de la période d’essai de Mme [U]-[J] n’est pas abusive,
– dit et jugé que la société Valbiotis n’a nullement fixé les objectifs dont dépendait la rémunération variable de Mme [U]-[J] et qu’en conséquence il doit lui être payé celle-ci à 100% de réalisation comme prévu au contrat de travail,
– dit qu’il y a lieu de calculer la rémunération variable sur la période du 1er mars au 24 mai 2018,
– dit qu’aucune heure supplémentaire n’est démontrée,
En conséquence,
– jugé qu’il n’est pas dû de solde de rémunération variable celle-ci ayant déjà été réglée en intégralité à Mme [U]-[J],
– débouté Mme [U]-[J] de l’ensemble de ses autres demandes,
– jugé que Mme [U]-[J] n’a pas violé ses obligations contractuelles de confidentialité et restitution,
– débouté la société Valbiotis en sa demande,
– reçu la société Valbiotis en sa demande ‘reconventionnelle’ au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’en a débouté.
Mme [U]-[J] a interjeté appel de la décision par déclaration du 28 juin 2021 régularisée le 29 juin 2021.
Par conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 25 août 2023, Mme [U]-[J] demande à la cour de :
– réformer le jugement de première instance rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt qui l’a déboutée de l’ensemble des demandes formulées à l’encontre de la société Valbiotis au titre de l’indemnité pour rupture abusive de la période d’essai, au titre de la rémunération variable stipulée dans son contrat de travail et non réglée dans sa totalité, au titre du rappel de salaires pour les heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée contractuelle de travail, au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente à la rémunération variable et au rappel de salaires dû au titre des heures supplémentaires effectuées et non rémunérées, au titre de l’indemnité pour travail dissimulé, au titre de l’indemnité due en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Et, statuant à nouveau,
– dire et juger que la rupture de la période d’essai de Mme [C] [U]-[J] est abusive,
– dire et juger que la société Valbiotis n’a nullement fixé les objectifs dont dépendait la rémunération variable stipulée dans le contrat de travail de Mme [C] [U]-[J],
– dire et juger que Mme [C] [U]-[J] a effectué des heures supplémentaires qui n’ont nullement été réglées et qui étaient parfaitement connues de la société Valbiotis de telle sorte que l’employeur s’est rendu coupable de travail dissimulé,
En conséquence,
– condamner la société Valbiotis à verser à Mme [C] [U]-[J] les sommes suivantes :
. 9 445,76 euros pour les heures supplémentaires effectuées du mois de mars 2018 au mois de mai 2018,
. 944,57 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente,
. 27 469,44 euros au titre de la rémunération variable qui aurait dû lui être versée,
. 2 746,94 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente,
. 72 499,98 euros au titre de l’indemnité de la rupture abusive de la période d’essai,
. 72 499,68 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé en application des dispositions des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail,
. 5 000 euros au titre de l’indemnité due en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– assortir les condamnations des intérêts légaux,
– condamner la société Valbiotis aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 décembre 2021, la société Valbiotis demande à la cour de :
– confirmer partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a :
. dit que la rupture de la période d’essai de Mme [U]-[J] n’était pas abusive,
. dit et jugé qu’il y avait lieu de calculer la rémunération variable, à laquelle la salariée pouvait prétendre au paiement à 100 %, sur la période du 1er mars au 24 mai 2018,
. dit qu’aucune heure supplémentaire n’était démontrée par la salariée,
. débouté Mme [U]-[J] de l’ensemble de ses autres demandes,
– infirmer partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a :
. jugé que Mme [U]-[J] n’a pas violé ses obligations contractuelles de confidentialité et restitution,
. débouté la société Valbiotis en sa demande de condamnation de la salariée à lui verser la somme de 12 000 euros pour violation de l’obligation de confidentialité,
. débouté la société Valbiotis en sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’en a débouté,
En conséquence, statuant à nouveau :
– dire et juger que la rupture de la période d’essai de Mme [C] [U]-[J] n’était pas abusive,
– dire et juger infondées la demande de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires ainsi que toute demande subséquente,
– dire et juger sans objet la demande de rappels de salaire au titre de la rémunération variable,
En conséquence,
– débouter Mme [C] [U]-[J] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner Mme [C] [U]-[J] à verser à la société Valbiotis la somme de 12 000 euros pour violation de ses obligations contractuelles de confidentialité et restitution,
– condamner Mme [C] [U]-[J] à verser à la société Valbiotis la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
Par ordonnance rendue le 6 septembre 2023, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 29 septembre 2023.
MOTIFS DE L’ARRET
Il convient d’indiquer à titre liminaire qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes tendant à voir ‘dire et juger’ qui ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile , mais sont la reprise des moyens des parties.
Mme [U]-[J] considère que la rupture de sa période d’essai est abusive et réclame réparation de son préjudice et paiement de sommes qu’elle estime lui être dues.
Sur le caractère abusif de la rupture de la période d’essai
Mme [U]-[J] expose que la rupture de la période d’essai n’est pas justifiée par ses compétences professionnelles mais pour une cause totalement étrangère.
Elle fait valoir que dès son arrivée elle s’est pleinement investie dans l’exercice de ses fonctions et a apporté à la société Valbiotis une réelle crédibilité en raison de sa réputation, de son expérience passée dans un grand groupe pharmaceutique et de son expertise internationale reconnue dans le domaine du diabète. Elle indique qu’au cours de sa période d’emploi, elle a reçu des messages de félicitations et d’encouragements et aucune remarque négative sur l’accomplissement de ses fonctions. Elle estime n’avoir manifesté aucune défaillance managériale, qu’elle considère non démontrée par la société Valbiotis, souligne qu’au contraire elle avait proposé et obtenu une évolution professionnelle à Mme [G] qui était confrontée à une difficulté de positionnement, que M. [O] a apprécié sa collaboration avec elle et qu’elle avait mis en place des réunions d’information scientifiques avec son équipe et l’ensemble du personnel du site de [Localité 6], à leur demande ; qu’elle a eu des relations cordiales et professionnelles avec les membres du conseil scientifique ; qu’au cours de son parcours professionnel, elle s’est toujours adaptée aux différents impératifs de ses employeurs successifs.
La société répond qu’après deux mois de travail effectif de Mme [U]-[J], elle a dû faire le malheureux constat que la salariée ne satisfaisait pas aux exigences professionnelles de son poste, en particulier comportementales et que la période d’essai n’était pas concluante, de sorte qu’elle l’a rompue ; que Mme [U]-[J] a adopté alors un comportement plus que troublant en sollicitant auprès des salariés et/ou membres du comité scientifique des documents professionnels au motif qu’elle n’avait pas réussi à tout télécharger, contrevenant ainsi à ses obligations contractuelles, de sorte qu’elle lui a adressé une mise en demeure d’avoir à cesser ses sollicitations et de restituer les documents et informations qu’elle avait conservés.
Elle considère qu’elle n’a fait qu’user de sa prérogative de mettre fin au contrat de manière unilatérale, sans avoir à justifier sa décision. Elle expose que la candidature de Mme [U]-[J], qui lui a été présentée par un cabinet de recrutement, était plus que séduisante sur le papier et donnait l’impression de la candidate idéale, raison pour laquelle la société a tout mis en oeuvre pour la recruter aux meilleures conditions possibles (rémunération parmi les plus élevées de la société, nomination future en tant que membre du Directoire et accès potentiel au capital) ; qu’elle se réjouissait de l’arrivée de Mme [U]-[J] mais que la réalité s’est avérée très différente des attentes dès lors que, si ses compétences en matière de développement clinique ne faisaient pas défaut, sa personnalité s’est avérée complexe et son comportement inadapté à plusieurs reprises ; que ses lacunes d’intégration et de leadership constituaient un frein dans le contexte d’une jeune société de 26 personnes en plein essor. Elle estime que Mme [U]-[J] n’a pas assumé son rôle de manager et n’a pas su s’adapter au contexte d’une société que tout oppose à Sanofi en termes d’organisation, de process et de lignes hiérarchiques, de sorte que la rupture de la période d’essai n’est pas abusive.
Elle précise que si l’entente de Mme [U]-[J] était relativement bonne avec certains membres de la direction, elle ne reflète pas le quotidien professionnel qu’elle partageait avec ses collaborateurs, pour lesquels la relation était nettement plus difficile. Elle estime que Mme [U]-[J] souhaite une revanche sur la société Valbiotis et exagère le rôle qu’elle a pu tenir au sein de la société durant ses deux mois de présence.
L’article L. 1221-20 du code du travail prévoit que ‘La période d’essai permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent. ‘
Pendant cette période, les parties disposent d’un droit de résiliation discrétionnaire, sans avoir besoin d’alléguer un quelconque motif, sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus, la preuve de l’abus incombant à celui qui l’invoque.
En l’espèce, il n’est pas contesté et il est justifié par les pièces versées au débat que Mme [U]-[J] possédait des connaissances scientifiques et une expérience professionnelle étendues, qui ont motivé la société Valbiotis à la recruter en qualité de directrice du développement et des affaires médicales, avec des perspectives d’intégration au directoire et d’accession au capital de la société.
La société Valbiotis ne méconnait pas le travail scientifique accompli par Mme [U]-[J] durant les deux mois de leur collaboration, bien qu’elle minimise l’ampleur que la salariée lui donne.
La société a rompu la période d’essai le 9 mai 2018, dans le délai de quatre mois prévu au contrat de travail à effet du 1er mars 2018. La faculté de rupture de la période d’essai étant discrétionnaire, elle n’avait pas à en donner le motif.
Il appartient à Mme [U]-[J] de prouver que la rupture est abusive en ce qu’elle résulte d’une cause étrangère à ses compétences professionnelles.
Elle prétend que la rupture de la période d’essai est intervenue en raison du changement de stratégie de la société Valbiotis, qui a renoncé à développer la fabrication et la commercialisation des médicaments afin de se concentrer sur le développement et la commercialisation de compléments alimentaires, ce qui remettait en cause la nécessité et la pertinence de son recrutement, ses compétences étant devenues sur-dimensionnées pour le secteur de la nutrition et de l’industrie alimentaire.
La société répond que cet argument est développé pour la première fois en appel et qu’il est parfaitement mensonger car elle fait toujours état dans son Document d’Enregistrement Universel (URD) de son souhait de développer des médicaments liés au traitement de maladies métaboliques et qu’elle a entamé des démarches en ce sens.
Mme [U]-[J] a été embauchée pour accomplir les missions suivantes, données à titre indicatif dans le contrat de travail :
‘- planification et coordination de l’ensemble des études cliniques nécessaires à l’obtention des Allégations de santé ou Autorisations de Mise sur le Marché International ainsi qu’à la négociation ou la fixation des conditions économiques optimum d’exploitation des produits.
– contact avec les autorités responsables de l’homologation des produits (compléments alimentaires, médicaments) tels que la FDA [Food and Drug Administration américaine] ou l’EFSA [autorité européenne de sécurité des aliments] pour intégrer leurs attentes,
– sélection des sociétés de service (CRO) et supervision de leurs activités,
– proposition des plans de développement de l’ensemble des études cliniques,
– rédaction et/ou validation des protocoles des études cliniques,
– conseil et assistance scientifique sur les projets de développement clinique,
– contrôle du déroulement des projets d’études cliniques,
– contrôle et validation des rapports cliniques et des publications de résultats des études cliniques,
– présentation des projets de développement clinique aux autorités de santé et aux leaders d’opinion,
– prévision et gestion des moyens/ressources (humains, financiers…),
– veille scientifique et médicale,
– contrôle de l’application des procédures et de la réglementation en matière de développement clinique,
– création et animation de Conseils Scientifiques regroupant des KOLs [key opinion leaders] au niveau international,
– en charge des Affaires Réglementaires et de l’accès au marché.’
Ses fonctions concernaient ainsi tant les compléments alimentaires que les médicaments, en lien avec les maladies cardio-métaboliques dont elle était une spécialiste.
Le communiqué de presse qui annonçait sa nomination faisait part de l’ambition de la société Valbiotis ‘de développer des produits avec un niveau de preuve critique très élevé pour obtenir des allégations de santé fortes en Europe et en Amérique du Nord, et potentiellement un remboursement auprès des complémentaires de santé’ et ‘une volonté affirmée de faire aboutir des stratégies de prévention efficaces’ (pièce 29 de la salariée).
La société Valbiotis entendait donc développer tant des médicaments que des compléments alimentaires, ce que confirme le courriel du 26 avril 2018 de M. [L] [B], président du directoire, dont se prévaut Mme [U]-[J]. M. [B] y écrivait qu’il pensait que le ‘draft’ [projet] du plan préclinique du dérivé médicament pouvait être prêt pour le 1er trimestre 2019 avec initiation en septembre 2019, Mme [U]-[J] considérant que cette échéance était optimiste (sa pièce 34).
Par courriel du 2 mai 2019, M. [B] validait le planning du programme clinique et réglementaire proposé par Mme [U]-[J] et écrivait ‘on est en train de créer un nouveau genre de produits et c’est top.’ (pièces 36 et 37 de Mme [J]), ce qui contredit l’affirmation de Mme [U]-[J] selon laquelle le développement des médicaments était abandonné au profit des compléments alimentaires.
Mme [A] [K] a été embauchée en remplacement de Mme [U]-[J] par contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er octobre 2018 (pièce 22 de la société). Mme [U]-[J] fait valoir qu’elle n’était pas titulaire d’un doctorat en médecine, n’avait pas d’expertise ou de compétence professionnelle dans le secteur pharmaceutique et assumait des missions classiques de management. Cependant, ingénieur en biologie moléculaire, Mme [K] avait créé la société Biofortis, en charge des essais cliniques de Valbiotis. Ses missions étaient similaires à celles de Mme [U]-[J].
Mme [U]-[J] ne peut valablement s’appuyer sur le développement d’un partenariat de la société Valbiotis avec la société Nestlé Health Science en 2020 pour la commercialisation de son produit phare Totem 63, un complément alimentaire, et sur la stratégie commerciale de la société pour 2023, pour justifier qu’en mai 2018, au moment de la rupture de sa période d’essai, la stratégie de son employeur avait été modifiée et qu’il n’y avait plus lieu de l’employer.
La société Valbiotis produit quant à elle en pièce 24 le Document d’Enregistrement Universel, par lequel elle donne à la communauté financière et au public toutes les informations nécessaires sur son activité, sa situation financière, ses résultats et perspectives, pour les années 2019, 2020 et 2021, où elle exprime sa volonté de proposer, en plus des compléments alimentaires destinés aux populations à risque, ‘dans un second temps’ des traitements pour les populations devenues pathologiques relevant du statut de médicament, visant plus particulièrement le diabète de type 2, l’obésité et la NASH [stéato-hépatite non alcoolique], indiquant que ‘deux candidats médicaments issus de ces méthodes font déjà l’objet de travaux de recherche : le VAL-63000NH ciblant la NASH et le VAL-63000DB ciblant le diabète de type 2″.
Il n’est en conséquence pas établi que la rupture de la période d’essai a une cause étrangère aux compétences professionnelles de la salariée.
La société indique et justifie quant à elle que la rupture de la période d’essai a été causée par l’attitude de Mme [U]-[J].
Mme [U]-[J] encadrait une équipe de 4 personnes composée de Mme [Z] [I], responsable réglementaire et qualité, à laquelle rapportait Mme [M] [G], ingénieur qualité produits et M. [S] [O], manager supply chain, auquel rapportait Mme [H] [P] [V], coordinatrice logistique.
La société produit en pièce 13 une attestation de Mme [P] qui écrit “Mme [C] [U]-[J] était mon N+2 du 1er mars au 24 mai 2018. Durant cette période, je n’ai eu que très peu de contacts avec elle aussi bien physiquement au sein de l’entreprise, que par mail ou par téléphone. Je n’ai eu qu’une seule réunion d’équipe avec elle en date du 26 avril 2018.”
Elle produit en pièce 14 une attestation de Mme [G] qui relate “N’étant arrivée dans la société que depuis quelques semaines, j’ai été interpellée par certains propos de [C] [U]-[J] dénigrant certaines décisions du président.”
Mme [U]-[J] produit en pièce 39 un échange de sms qu’elle a eus avec un prénommé “[F]” auquel elle a annoncé le 12 mai son départ de la société. Son interlocuteur lui ayant demandé “Est-ce que la raison de votre départ est sous embargo ‘ Outre le très plat désaccord avec la direction …”, Mme [U]-[J] a répondu qu’elle n’a eu aucune explication de “[L]” [[B]], qui a stoppé toute communication avec elle et “je dois dire que je suis totalement scotchée par la forme, quelque ait pu être le désaccord, qui n’est d’ailleurs pas clair à mes yeux… ne pas pouvoir discuter est un signe d’obscurantisme à mes yeux…”.
Dans la même pièce, figure le sms envoyé le 14 mai par Mme [U]-[J] à Mme [T] [W], dans lequel elle envoie la photographie d’un échange cordial qu’elle avait eu le 26 avril avec M. [B], qu’elle commente par “mes derniers échanges avant le drame avec [L]. Il me dit cool 100 % directoire…”.
Il en ressort qu’un désaccord a opposé Mme [U]-[J] à M. [B], président du directoire, avant la rupture de la période d’essai, ce qui corrobore l’affirmation de Mme [G] sur le fait que Mme [U]-[J] dénigrait certaines décisions du président.
L’attestation de M. [S] [O], responsable supply chain qui a travaillé 4 semaines avec Mme [U]-[J], produite par cette dernière en pièce 64, ne suffit pas à contredire les éléments produits par l’entreprise.
M. [O] y relate qu’il a été motivé à intégrer la société Valbiotis suite aux entretiens qu’il a eus notamment avec Mme [U]-[J], dont il souligne les compétences de haut niveau, le discours concret et limpide sur la stratégie de l’entreprise. Il indique que son intégration dans la société s’est très bien déroulée, avec des réunions d’équipe, un enthousiasme réel dans le projet, un sens de la pédagogie remarquable, un leadership de Mme [U]-[J], une capacité à fédérer. Il écrit que l’annonce du licenciement de Mme [U]-[J] a été une surprise et un choc pour elle et pour tous.
La société expose que M. [O] a entamé une véritable campagne de dénigrement à l’encontre de la société suite à son départ dans le cadre d’une procédure de rupture conventionnelle exempte de tout conflit. Elle produit en pièce 15 la mise en demeure qu’elle a adressée le 13 décembre 2019 à M. [O] afin qu’il cesse ses dénigrements à l’encontre de la société et la violation de son secret professionnel, après qu’elle a pu déterminer, suite à des ordonnances du président du tribunal de grande instance de Paris et un constat d’huissier, qu’il était l’auteur de messages critiquant la société Valbiotis et ses produits sur le site internet Boursorama.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a dit que la rupture de la période d’essai de Mme [U]-[J] n’est pas abusive et l’a déboutée de sa demande d’indemnité pour rupture abusive de la période d’essai.
Sur les heures supplémentaires
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences légales ainsi rappelées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord au moins implicite de l’employeur, soit s’il est établi que leur réalisation a été rendue nécessaire par les tâches qui ont été confiées au salarié.
L’article L. 3121-1 du code du travail dispose que “La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles.”
L’article L. 3121-4 du même code dispose que “Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif.
Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous la forme de repos, soit sous forme financière.
La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire.”
N’étant pas un temps de travail effectif, le temps de déplacement entre le domicile et le lieu de travail ne peut pas être pris en compte pour le calcul des durées quotidienne et hebdomadaire maximales de travail, si le salarié ne se tient pas à la disposition de son employeur et peut vaquer à ses occupations personnelles durant le temps de trajet.
Le contrat de travail de Mme [U]-[J] prévoit en son article 5 – durée du travail :
“5.1 La durée hebdomadaire de travail de la salariée sera de 39 heures, incluant les heures supplémentaires effectuées dans la limite d’environ 4 heures par semaine, correspondant à une durée mensuelle de 169 heures (soit 17,33 heures supplémentaires par mois).
5.2 La salariée ne pourra exécuter des heures supplémentaires qu’à la demande expresse de la société, ces heures étant soit rémunérées en sus, soit compensées en repos, dans le respect des règles légales et conventionnelles en vigueur.
5.3 La salariée accepte par avance toute modification de sa durée du travail résultant d’une évolution des dispositions légales ou conventionnelles applicables à la société.”
L’article 17 de la convention nationale collective applicable au contrat de travail disposait que :
“1. Dans le cadre de la législation en vigueur et en l’absence de dispositions conventionnelles autres, tout travail effectué au-delà de la durée légale de travail de 39 heures par semaine ou de la durée considérée comme équivalente donnera lieu à une majoration qui ne pourra être inférieure à :
– 25 % du salaire pour les 8 premières heures supplémentaires ;
– 50 % du salaire pour les heures supplémentaires au-delà de la 8ème.”
Son avenant III applicable aux cadres disposait que :
“Les appointements des salariés auxquels s’applique le présent avenant sont fixés en fonction d’une durée normale de travail de 39 heures par semaine, soit 169 heures par mois.
Les dépassements individuels occasionnels et n’ayant pas un caractère d’obligation ne donnent pas lieu à rémunération supplémentaire, tant qu’ils ne dépassent pas 10 % de l’horaire du ou des services où travaille le salarié.
De la même façon, toute réduction du temps de travail jusqu’à 10 % de l’horaire du ou des services où travaille le salarié ne donne pas lieu à diminution des appointements.”
Les bulletins de salaire de Mme [U]-[J] montrent que lui ont été payées 17,33 heures supplémentaires en mars et avril 2018 et 12 heures au titre du mois de mai 2018, majorées à 25 %, en plus des 151,67 heures de base correspondant à 35 heures par semaine (pièces 25 à 27).
Mme [U]-[J] fait valoir qu’elle a effectué des heures supplémentaires au delà des 39 heures fixées par le contrat de travail, qui n’ont fait l’objet d’aucune rémunération. Elle soutient que ses dîners professionnels et sa présence à des congrès et séminaires doivent être assimilés à du temps de travail effectif et souligne qu’elle n’a pas pris en compte de temps de trajet s’agissant des heures de travail relatives à ses déplacements professionnels.
Pour justifier des heures supplémentaires accomplies, Mme [U]-[J] produit :
– un décompte des heures supplémentaires qu’elle prétend avoir réalisées (pièce 63),
– des sms échangés avec M. [B] entre le 14 mars 2018 et le 2 mai 2018 qui montrent notamment qu’elle a participé à un dîner à [Localité 5] le 13 mars 2018 avec le président de la région Nouvelle Aquitaine (pièces 30 à 36),
– une inscription à un congrès à [Localité 9] du 11 au 15 avril 2018, comprenant un samedi et un dimanche, outre les documents relatifs au déroulement de ce congrès (documentation, interventions auxquelles elle a assisté) (pièces 31 et 67),
– une copie de ses notes de travail (pièce 68).
La salariée fournit ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
La société répond que Mme [U]-[J] ne pouvait exécuter des heures supplémentaires qu’à la demande expresse de son employeur, que les dîners évoqués par la salariée seraient liés à des processus d’embauches, ce qui est rare et relativement surprenant, qu’ils ne peuvent être assimilés à du temps de travail effectif dès lors que Mme [U]-[J] y a consommé de l’alcool, ce qui est normalement interdit dans le cadre du travail, qu’elle n’a pas été contrainte de s’y rendre. Elle estime que le décompte de la salariée comporte des temps de trajet et de pause, que la société ne pouvait se rendre compte qu’elle effectuait des heures supplémentaires lorsqu’elle était en télétravail, que le temps de travail durant les congrès n’est pas prouvé.
Il ressort des pièces produites que :
– Mme [U]-[J], représentant M. [B] qui était invité à un dîner regroupant des starts-ups et leaders locaux dans le domaine du diabète, ce que la société ne conteste pas, a dîné le 13 mars 2018 à l’hôtel de région à [Localité 5] avec le président de la région Nouvelle Aquitaine, qui était susceptible de donner des subventions aux entreprises de la région, ce qu’il a fait pour Valbiotis en avril 2019. Elle a rendu compte de ce dîner à M. [B] par sms dès son retour à 0h53. Le caractère professionnel de ce dîner est démontré, la société reconnaissant que Mme [U]-[J] a été “invitée” à s’y rendre sur proposition de M. [B], peu important que la salariée ait bu de l’alcool à cette occasion, étant souligné qu’elle a rapporté à M. [B] qu’elle n’avait pu refuser les verres de vins qui lui avaient été servis (pièce 30). Mme [U]-[J] a réalisé 3h30 supplémentaires à cette occasion,
– elle a également assisté à un congrès à [Localité 9] du 11 au 15 avril 2018 mais ne justifie pas par des pièces objectives qu’elle y a consacré 9 heures de travail par jour comme elle le prétend. Elle justifie avoir assisté au congrès le samedi 14 avril de 8h30 à 20 heures et le dimanche 15 avril de 9 heures à 13 heures, soit 13 h 30 de travail effectif en déduisant des pauses dont le repas,
– si Mme [U]-[J] décompte dans sa pièce 63 des heures supplémentaires accomplies chaque semaine en dehors des cas précités, aucune pièce versée au débat ne démontre de manière objective qu’elles ont été réalisées de manière effective. En outre, il n’est pas avéré d’une part que ces heures supplémentaires auraient été faites à la demande de l’employeur et d’autre part qu’elles auraient été rendues nécessaires pour l’accomplissement de tâches confiées à la salariée par l’employeur,
– elle ne justifie pas que son employeur lui a demandé de participer à des dîners pour l’évaluation de candidats à l’embauche les 20 et 26 mars 2018 ou le 4 avril 2018 ni à un dîner avec le conseil de surveillance le 29 mars 2018,
– s’agissant des déplacements, Mme [U]-[J] compte des journées de travail qui incluent manifestement des temps de trajet :
° elle prend en compte 13 heures de travail pour la journée du 21 mars 2018 passée chez un sous-traitant. Or la société justifie que Mme [U]-[J] disposait d’un ordre de mission pour se rendre ce jour là à [Localité 10], près de [Localité 8], à 2h28 maximum en train de [Localité 9], qu’elle a pris un taxi à la gare de [Localité 8] à 12 heures et un taxi pour retourner à la gare de [Localité 8] avant 19 heures (pièces 18 et 19). La salariée produit en outre des billets de train pour un aller au départ de [Localité 7] à 9h38 et un retour au départ de [Localité 8] à 17h06 ou à 17h40, deux billets à son nom étant produits (pièce 62),
° elle ne peut valablement compter 10 heures de travail pour son déplacement du 4 avril 2018 alors qu’elle a pris l’autoroute du retour à 16h21 pour en sortir à 18h02 (pièce 19),
° elle prend en compte 12 heures de travail pour une journée à [Localité 8] le 6 avril 2018 chez un sous-traitant, alors que la société produit en pièce 19 l’ordre de mission et les notes de taxi, pris à la gare de [Localité 8] à 13h06 pour un retour à cette même gare avant 19 heures.
La cour retiendra donc que Mme [U]-[J] a réalisé 3,5 heures supplémentaires pour un dîner en mars 2018 et 13h30 pour un congrès en avril 2018 qui seront rémunérées, en plus des heures supplémentaires contractuelles déjà payées, dès lors que si elles ne dépassent pas 10 % du temps de travail, elles ont été réalisées de manière obligatoire, avec les majorations prévues par la convention collective, représentant une somme de 1 646,97 euros, à laquelle s’ajoutent 164,70 euros au titre des congés payés.
La décision de première instance sera infirmée en ce qu’elle a débouté Mme [U]-[J] de sa demande et la cour allouera les sommes susvisées.
Sur le travail dissimulé
Mme [U]-[J] demande paiement d’une indemnité de 72 499,68 euros au titre du travail dissimulé au regard des heures supplémentaires qu’elle a réalisées à la connaissance de l’employeur.
La société répond qu’aucune heure supplémentaire n’est due et qu’en tout état de cause, aucune dissimulation d’emploi n’a eu lieu de manière intentionnelle.
L’article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l’article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d’activité ou exercé dans les conditions de l’article L. 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d’emploi salarié.
Aux termes de l’article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
L’article L. 8221-5, 2° du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
Il ne résulte pas des développements précédents que la société Valbiotis a eu l’intention de dissimuler le travail de Mme [U]-[J] pour les quelques heures suppléméntaires qu’elle a accomplies au delà de 39 heures par semaine.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [U]-[J] de sa demande indemnitaire au titre du travail dissimulé.
Sur la rémunération variable
Mme [U]-[J] fait valoir que son contrat de travail avait fixé une rémunération variable qui aurait dû lui être versée si son contrat de travail s’était poursuivi, en fonction d’objectifs qui n’ont pas été fixés par son employeur. Elle estime que la rémunération variable lui est due pour une année entière et non au prorata de son temps de présence dans l’entreprise dès lors que la rupture du contrat de travail a été abusive et elle demande en conséquence paiement d’une somme de 27 469,44 euros et 2 746,94 euros au titre des congés payés afférents.
La société réplique que l’avenant de fixation des objectifs n’ayant pas été signé avant le départ de Mme [U]-[J], elle a reconnu sa dette et a spontanément payé la part variable de rémunération revenant à la salariée, au prorata de ses trois mois de présence dans l’entreprise, soit la somme brute de 9 663,20 euros et nette de 5 886,54 euros.
Le contrat de travail de Mme [U]-[J] prévoyait une rémunération annuelle forfaitaire brute de 145 000 euros et la possibilité de percevoir “une rémunération variable brute annuelle pouvant aller jusqu’à 25 % de son salaire brut, dont l’attribution sera subordonnée à l’atteinte d’objectifs à définir par les parties qui seront formalisés par un avenant au présent contrat.” (pièce 24 de la salariée).
Lorsque la rémunération variable dépend d’objectifs définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, à défaut de fixation desdits objectifs, la rémunération variable doit être payée intégralement.
La rémunération variable dépendant du travail accompli, son montant est fonction de la durée de présence effective du salarié au sein de l’entreprise.
En l’espèce, à défaut de formalisation d’un avenant au contrat de travail, ce que reconnaît la société Valbiotis, cette dernière est redevable à Mme [U]-[J] d’une rémunération variable à hauteur de 25 % de sa rémunération brute.
La rémunération variable doit être proratisée au regard du temps de présence de Mme [U]-[J] dans la société Valbiotis. Pour la période du 1er mars 2018 au 9 mai 2018, sur la base d’une rémunération brute de 35 122,23 euros, elle représente la somme brute de 9 663,20 euros, congés payés compris, soit la somme nette de 5 886,54 euros qui a été versée par la société en novembre 2019 (pièces 10 et 11 de la société).
Mme [U]-[J] ayant été remplie de ses droits à ce titre, il convient de rejeter sa demande, par confirmation de la décision entreprise.
Sur la demande reconventionnelle
La société Valbiotis demande paiement de la somme de 12 000 euros correspondant à un mois de salaire pour violation par Mme [U]-[J] de ses obligations contractuelles de confidentialité et de restitution de tout support écrit contenant des informations confidentielles sur la société. Elle fait valoir que lors de son départ, Mme [U]-[J] a non seulement conservé des documents appartenant à la société, mais également sollicité des salariés et/ou membres du comité scientifique la communication de certains documents au motif qu’elle n’avait pas réussi à tout télécharger. Elle souligne que bien que Mme [U]-[J] a signé une décharge reconnaissant qu’elle ne détient plus aucun document ou information appartenant à la société, elle produit en pièce 68 des documents confidentiels et particulièrement stratégiques de la société.
Mme [U]-[J] réplique que la société lui a coupé les accès au service informatique avant même la remise de la lettre de rupture de la période d’essai, ce qui l’empêchait de réunir les éléments nécessaires afin de justifier la qualité de son travail, de ses compétences professionnelles et du changement de stratégie de la société.
Le contrat de travail de Mme [U]-[J] comporte les deux clauses suivantes :
– à l’article 10 – obligations professionnelles, § 10.2 – confidentialité : “La salariée ne pourra, directement ou indirectement, ni pendant la durée de son emploi, ni postérieurement à la rupture de son contrat de travail, donner, procurer ou fournir, de quelque manière que ce soit, à une personne, firme, association ou société, le nom ou l’adresse de l’un des clients de la société, ainsi que tout secret de la profession ou tout renseignement confidentiel concernant les activités de la société, ses clients ou les membres de son personnel, et d’une façon générale toute information sur la société notamment en ce qui concerne ses méthodes de travail, ses moyens techniques, son savoir-faire, ses brevets, ses recherches et études médicales, ses droits de propriété intellectuelle,
La salariée est informée que le non-respect de ces obligations peut constituer une faute et être sanctionné par les dispositions pénales des articles 226-13 du code pénal et L. 1227-1 du code du travail.”,
– à l’article 12 – restitution :
“12.1 Tous biens, matériels ou supports d’information que la société aurait confiés à la salariée pour l’exécution de ses fonctions devront être restitués à la société par la salariée lors de son départ effectif.
12.2 La salariée s’engage à restituer, le jour même de la cessation de ses fonctions dans la société, pour quelque cause que ce soit, et sans qu’il soit besoin d’une démarche ou d’une mise en demeure préalable de la part de la société, tout badge d’accès en sa possession ainsi que tout support écrit ou enregistré contenant des informations confidentielles, notamment sans que cette liste soit limitative, tous documents, études, échantillons, fichiers, plans, documentations, correspondances, disquettes, statistiques ou copies, concernant la société, les clients, partenaires ou fournisseurs de la société.”
En l’espèce, la rupture de la période d’essai de Mme [U]-[J] a eu lieu par courrier du 9 mai 2018, pour la date du 24 mai 2018. Il était demandé à la salariée, dispensée d’activité jusqu’au 24 mai 2018, de restituer le 9 mai 2018 tous les matériels et documents professionnels en sa possession, sa voiture de fonction pouvant être conservée jusqu’au terme du contrat de travail (pièce 3 de la société).
Par courrier recommandé du 15 mai 2018, la société a notifié à Mme [U]-[J] une mise en demeure de cesser toute sollicitation, directe ou indirecte, auprès des salariés ou des collaborateurs de Valbiotis aux fins d’obtenir des informations confidentielles appartenant à la société, de restituer l’intégralité des documents et/ou informations qu’elle avait conservés ou détenus par moyen détourné et de cesser toute nuisance à l’égard de la société (pièce 4 de la société). Elle exposait être choquée de son attitude depuis la notification de la rupture de sa période d’essai, dont s’étaient plaints plusieurs salariés, consistant à les solliciter aux fins de récupérer des documents professionnels précis confidentiels, notamment en ce qui concerne le projet Biofortis.
Par courriel du 17 mai 2018, Mme [U]-[J] a rappelé qu’elle avait remis le 9 mai 2018 son ordinateur portable et les codes et mots de passe, son accès au serveur ayant été bloqué dès son arrivée dans les locaux de l’entreprise, a contesté toute volonté de télécharger des informations et documents confidentiels sur le serveur de la société et expliqué qu’elle avait seulement demandé à l’un de ses collaborateurs s’il avait été destinataire de certains mails ou si certains mails avaient été supprimés du serveur (pièce 42 de la société).
Néanmoins, la société produit en pièce 7 le sms suivant, non daté, envoyé par Mme [U]-[J] à une salariée de la société : “Bonjour [E], pourrais-tu juste me dire si les messages que [L] nous a envoyés sur Biofortis récemment sont toujours dans ta boîte mail ‘ De mon côté, j’aurais voulu les sauvegarder au moment de mon départ mais j’avais un message comme quoi je ne pouvais pas les télécharger du serveur (contrairement aux autres messages que j’avais reçus) (…).”
Il est ainsi établi que Mme [U]-[J] a cherché à télécharger, au moment de son départ, des informations professionnelles qui lui avaient été envoyées par la société, ce qui contrevient à l’obligation prévue à l’article 12 de son contrat de travail.
Par ailleurs, Mme [U]-[J] a certifié le 24 mai 2018 “ne plus avoir en (sa) possession aucun bien, matériel ou document et/ou information quel qu’en soit le support, appartenant à la société Valbiotis conformément à l’article 12 de (son) contrat de travail” (pièce 6 de la société).
Or la salariée produit en pièce 68 les notes de travail qu’elle a prises auxquelles sont attachés des documents professionnels confidentiels émanant de la société : plans de développement clinique de produits, courriel d’un prestataire en charge des études cliniques, contrevenant ainsi à l’obligation prévue à l’article 12 de son contrat de travail.
Néanmoins, outre le fait qu’il n’est pas démontré que lesdits documents ont été diffusés en dehors du strict cadre de la procédure prud’homale, la société ne justifie pas du préjudice qu’elle a subi, de sorte que sa demande indemnitaire sera rejetée, par confirmation de la décision entreprise.
Sur les demandes accessoires
La décision de première instance n’a pas statué sur les dépens.
La société Valbiotis étant condamnée au paiement d’heures supplémentaires, elle supportera les dépens de première instance et d’appel.
La décision de première instance sera confirmée en ce qu’elle a débouté les parties de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Valbiotis sera déboutée de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, ainsi que Mme [U]-[J] qui succombe en la majorité de ses prétentions en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 27 mai 2021 par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt sauf en ce qu’il a dit qu’aucune heure supplémentaire n’est démontrée et a débouté Mme [C] [U]-[J] de sa demande en paiement d’heures supplémentaires et des congés payés afférents,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société Valbiotis à payer à Mme [C] [U]-[J] une somme de 1 646,97 euros au titre des heures supplémentaires réalisées et une somme de 164,70 euros au titre des congés payés afférents,
Condamne la société Valbiotis aux dépens de première instance et d’appel,
Déboute la société Valbiotis et Mme [C] [U]-[J] de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,