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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
————————–
ARRÊT DU : 06 DECEMBRE 2023
PRUD’HOMMES
N° RG 21/00988 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L6LQ
Monsieur [L] [J]
c/
S.A.S. CLINIQUE [5]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 janvier 2021 (R.G. n°F 18/01758) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 19 février 2021,
APPELANT :
Monsieur [L] [J]
né le 15 Août 1957 à [Localité 6] de nationalité française
Profession : Directeur établissement santé, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Pierre IRIART, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
SAS Clinique [5], prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège social [Adresse 2]
N° SIRET : 469 202 444 00011
représentée par Me Axelle MOURGUES de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat au barreau de BORDEAUX, substituant Me Yves TALLENDIER de la SELARL CAPSTAN – PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 23 octobre 2023 en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Sylvie Hylaire, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [L] [J], né en 1957, a été engagé par la SAS Clinique [5], en qualité de directeur d’établissement, statut cadre C, coefficient 475 de la convention collective nationale de l’hospitalisation privée à but lucratif, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 août 2014.
Le 14 février 2017, M. [J] s’est vu notifier un avertissement en raison de la signature d’un engagement ne s’inscrivant pas dans le respect du budget annuel global de l’établissement.
M. [J] a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 9 mai 2017.
Revendiquant l’appartenance à la catégorie des cadres supérieurs et sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat de travail, M. [J] a saisi le 21 novembre 2018 le conseil de prud’hommes de Bordeaux.
Suite aux visites du 26 novembre 2018 et du 2 janvier 2019, le médecin du travail a déclaré M. [J] inapte à ses fonctions, mentionnant : ‘serait apte à un poste similaire dans un autre groupe’.
Le 18 février 2019, la société a consulté la délégation unique du personnel.
Par lettre datée du 21 février 2019, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 mars 2019.
M. [J] a ensuite été licencié pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de reclassement par lettre datée du 8 mars 2019.
A la date du licenciement, M. [J] avait une ancienneté de 4 ans et 6 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Par jugement rendu le 22 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Bordeaux a :
– donné acte à M. [J] de son désistement de sa demande de paiement de l’indemnité de licenciement, celle-ci ayant été réglée par la société au moment de l’établissement du solde de tout compte,
– jugé que si la demande de M. [J] est recevable, elle est, en revanche, mal fondée,
– jugé que M. [J] ne démontre nullement que la société aurait commis des manquements graves justifiant la résiliation de son contrat de travail aux torts de cette dernière, la preuve de faits imputables à celle-ci laissant supposer qu’il aurait été victime de harcèlement moral n’étant pas non plus rapportée,
– débouté M. [J] de l’intégralité de ses demandes,
– condamné M. [J] à régler à la société la somme de 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [J] aux dépens.
Par déclaration du 19 février 2021, M. [J] a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 25 août 2023, M. [J] demande à la cour de réformer dans son ensemble le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux,et de :
– juger qu’il relevait, du fait de l’ampleur de ses fonctions et de la délégation de pouvoirs qui lui était consentie, de la catégorie des cadres supérieurs au sens de l’article 94 de la convention collective nationale de l’hospitalisation privée,
– ordonner la reconnaissance de cette qualité,
– condamner la société clinique de médecine physique et de réadaptation fonctionnelle, ‘[5]’, à lui verser la somme de 46.373,94 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (6 mois pour les cadres supérieurs), sur le fondement des articles L. 1234-1 du code du travail et 45 de la convention collective nationale de l’hospitalisation privée,
– juger que les torts du groupe Korian justifient la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de ce dernier,
– reconnaître la dégradation de sa santé, consécutives aux manquements de l’employeur à ses obligations de loyauté dans l’exécution du contrat et de respect de la liberté d’expression, liberté fondamentale, et dire que la rupture de son contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul, ou, à tout le moins, d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
* 139.121,82 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L. 1235-3-1 du code du travail,
* 46.373,94 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (6 mois pour les cadres supérieurs) sur le fondement des articles L. 1234-1 du code du travail et 45 de la convention collective nationale de l’hospitalisation privée,
* 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– mettre à la charge de la société les dépens du litige.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 26 septembre 2023, la SASU Clinique de médecine physique et de réadaptation fonctionnelle [5] demande à la cour de’:
– confirmer le jugement entrepris,
– débouter M. [J] de l’intégralité de ses demandes,
– condamner M. [J] au paiement d’une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens dans le cadre de la procédure d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 septembre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 23 octobre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’exécution du contrat de travail
1 – Sur la demande relative à la classification professionnelle
Soutenant qu’il relevait de la classification des cadres supérieurs, pour lesquels le préavis est d’une durée de 6 mois et non de 3, M. [J] fait valoir que l’employeur a manqué à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail, en le privant de l’identité professionnelle qui était la sienne et en portant atteinte à sa dignité.
Il expose qu’il occupait les fonctions de directeur d’un établissement de santé filiale du groupe Korian, comportant 165 employés, dont un certain nombre de cadres, cadres de santé et médecins.
Il fait état de la délégation de pouvoirs le chargeant de la conduite de l’établissement, de la gestion et l’animation des ressources humaines, avec pouvoir de recruter et licencier, de négocier des accords collectifs, de mettre en place et d’animer la représentation du personnel, d’assurer le respect des règles d’hygiène et de sécurité ainsi que la gestion budgétaire, comptable et financière.
Il soutient qu’il avait autorité sur les cadres de l’établissement, ayant le pouvoir d’apprécier la qualité de leur travail pour proposer un niveau de bonus et attire l’attention de la cour sur le fait qu’il bénéficiait d’une délégation de pouvoirs engageant sa responsabilité, délégation propre aux cadre supérieurs.Il souligne avoir subi un préjudice résultant de la perte d’un trimestre de cotisations retraite.
La société soutient au contraire que la délégation de pouvoirs octroyée à M. [J] ne saurait suffire à elle seule à emporter la reconnaissance d’une classification au niveau cadre supérieur.
Elle rappelle que M. [J] exerçait son autorité sur plusieurs services et sur des cadres de catégorie A ou B, mais pas sur les cadres de niveau C et qu’il ne disposait que de la capacité à proposer un niveau de bonus sans en arrêter le montant.
La société souligne par ailleurs que M. [J] n’a formulé aucune contestation de son positionnement pendant le temps d’exécution du contrat de travail et qu’en tout état de cause, cela ne matérialiserait pas l’impossibilité de poursuivre le contrat de travail.
S’agissant du préjudice invoqué, la société rappelle qu’ayant été licencié en raison de son inaptitude d’origine non professionnelle, M. [J] n’a pas bénéficié d’indemnité de préavis et qu’étant salarié de droit privé, sa retraite sera calculée en prenant en compte toute sa carrière et non les 3 derniers mois de travail.
***
En cas de contestation sur la catégorie professionnelle dont relève le salarié, le juge doit rechercher la nature de l’emploi effectivement occupé par ce dernier et la qualification qu’il requiert.
La classification d’un salarié ne dépend pas des termes de son contrat de travail mais des fonctions réellement exercées. La charge de la preuve pèse sur le salarié qui revendique une autre classification que celle qui lui a été attribuée.
En l’espèce, la convention collective nationale applicable prévoit la classification des cadres en son article 94, notamment en ces termes :
Cadre B. – Coefficient : de 380 à 424
Cette catégorie concerne les cadres pouvant avoir une délégation de pouvoir écrite limitée à leur domaine de compétence et exerçant leur autorité sur un nombre limité de cadres et/ou agents de maîtrise.
Cadre C. – Coefficient : de 425 à 524
Cette catégorie concerne les cadres qui remplissent les conditions des cadres B et qui exercent leur autorité sur plusieurs services.
Cadre supérieur. – Coefficient : à partir de 525
Cette catégorie concerne les cadres exerçant leur fonction avec une délégation écrite acceptée de pouvoir qui engage leur responsabilité dans leur domaine de compétence et qui coordonnent plusieurs services ou établissements, notamment par l’autorité qu’ils peuvent exercer sur des cadres de catégorie A, B ou C, et sur un nombre important d’agents.’
Un salarié ne peut valablement renoncer pendant la période d’exécution du contrat de travail, aux droits qu’il tient d’une convention collective ou d’un accord collectif, de sorte que l’acceptation formelle par M. [J] d’une classification inférieure ne le prive pas du droit de la contester ultérieurement.
Il ressort de l’étude des missions confiées à M. [J], comparées aux catégories de cadres prévues à la convention collective, que ce dernier, en sa qualité de directeur d’établissement avait bien autorité sur plusieurs services ainsi que sur les cadres médecins, cadres et agents de catégorie B.
Le pouvoir de proposer un bonus 2017 sur l’exercice 2016 ne concernait que les cadres et était limité à la seule répartition du montant du bonus fixé par sa direction.
Il ne coordonnait donc pas plusieurs services ni n’avait autorité sur l’ensemble des agents de l’établissement et notamment pas de ceux relevant de la catégorie C.
Si M. [J] engageait sa responsabilité, y compris pénale, c’était uniquement en raison de la ‘nécessité de respecter et de faire respecter en lieu et place’ du directeur régional sanitaire Sud-Ouest, ‘lui déléguant l’ensemble des dispositions légales et réglementaires relatives aux missions’ qui lui étaient confiées’.
La délégation de pouvoirs et de responsabilités du 16 mars 2015 était donc bien limitée aux domaines de compétences de M. [J], et de manière subordonnée à l’autorité du directeur régional.
La demande de M. [J] de voir prononcer sa reclassification professionnelle en qualité de cadre supérieur sera en conséquence rejetée.
2 – Sur le harcèlement moral
M. [J] soutient avoir été victime d’un comportement déloyal de son employeur qui l’a placé dans une situation d’échec caractérisant une situation de harcèlement moral, ayant contribué à la dégradation de son état de santé.
L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité, doit assurer la protection de la santé des travailleurs dans l’entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.
Dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité de l’employeur est engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés.
Selon les dispositions de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L. 1154-1 prévoit, qu’en cas de litige, si le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.
Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au soutien de ses prétentions, M. [J] fait état :
* D’entraves à l’exercice de ses fonctions résultant des éléments suivants :
– la société aurait refusé de retarder le changement de société de restauration de l’établissement qu’il demandait. Il produit des échanges de courriels de mars 2017 avec le conseiller régional restauration de Sodexo, qui devait reprendre la restauration, lui faisant part des risques à ne pas associer le chef de cuisine actuel au projet de changement de partenaire, évoquant une grève de la restauration le 6 mars qu’il a réussi à éviter et la nécessité de laisser le temps de consulter le comité d’entreprise avant toute décision définitive ;
– le refus du projet de financement de places au sein d’une crèche collective pouvant accueillir les enfants des salariés travaillant sur le site, l’employeur lui ayant délivré un avertissement le 14 février 2017, au motif qu’il avait informé sa direction du projet de manière indirecte ; M. [J] a contesté la sanction disciplinaire en rappelant les trois échanges de courriels dans lesquels il avait informé sa hiérarchie et soutient que le projet était financièrement viable.
Au vu des pièces produites, ces faits peuvent être retenus comme permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
2) La fixation d’objectifs économiques ne pouvant être atteints en raison de la minoration des charges en personnel ou en coût des chambres des résidents par la direction.
M. [J] produit le compte rendu de son évaluation professionnelle de février 2017 dans lequel il lui est reproché un dérapage des frais en personnel et corrélativement des résultats inférieurs aux objectifs, l’indicateur de profit étant mentionné à 24% alors qu’il était de 28,6% en 2015.
Il verse également un courriel des services comptables attestant de ce que les charges étaient de 45,8 % en 2015 et de 46,2% en 2016.
Mais il ne produit aucun élément permettant de retenir que la société aurait annoncé des charges de personnel de 39% en 2016 et 2017.
La production de ces seuls documents ne permet pas de laisser supposer l’existence de faits relevant d’une situation de harcèlement moral.
M. [J] produit également un courriel du 28 novembre 2016 de l’animateur des ventes des chambres particulières du groupe, communiquant les nouveaux tarifs ‘sous la menace d’une difficulté à réaliser le budget’, mais remettant en cause le tarif prévu dans le budget, inapplicable dans le délai de 3 jours, expirant au 1er décembre 2016, qui était imparti, selon l’appelant, et en contradiction avec les montants convenus quelques semaines plus tôt.
Toutefois, il n’apparaît pas des échanges de courriels que la modification du prix des chambres particulières qui lui a été imposée était contraire au budget 2017, l’animateur des ventes indiquant au contraire avoir extrait des tarifs ce qui avait été prévu.
M. [J] a indiqué ne pas être prêt pour une application au 1er décembre 2016, sans qu’il soit établi que la modification des tarifs devait être faite à cette date. Il ne précise pas si la demande faite de décaler l’application des nouveaux tarifs lui a été accordée. Les courriels ne font pas état d’une ‘menace’, mais d’un constat de ce qu’avec la proposition que M. [J] fait sur le prix des chambres, il y a ‘un écart prévisionnel avec le budget (3.861 euros/jour à réaliser)’.
Enfin, il produit le courriel qu’il a envoyé à son adjointe le 19 avril 2017 sur l’analyse des résultats mensuels faisant apparaître un déficit dans le budget des chambres particulières, en demandant une plus grande vigilance sur le respect des règles d’isolement et de transfert (pas de lit vide plus de 24h) et sur les fournitures de bureau dont le coût a doublé par rapport au trimestre correspondant en 2016, charges incluses dans les charges d’exploitation, les charges de personnel étant maîtrisées.
Ces éléments sont insuffisants pour établir que la modification des prix des chambres constituait un fait susceptible de laisser supposer l’existence d’une situation de harcèlement à son égard.
3) Le mode de fonctionnement anxiogène du groupe, la direction lui demandant en fin de journée des analyses approfondies sur les comptes de l’entreprise pour le lendemain 13h.
M. [J] verse un seul courriel du 19 avril 2017 à 18h12 adressé à sa directrice adjointe dans lequel il joint des tableaux et lui indique que les comptes doivent être vérifiés pour le lendemain 13h. Toutefois, M. [J] ne produit pas le début du courriel portant le jour et l’heure à laquelle il lui a été passé cette commande.
Ce fait ne peut donc être retenu.
4) L’entrave à ses fonctions de président du comité d’entreprise au regard des éléments suivants :
– il a dû ‘se battre’ pour obtenir la mise en place de trois collèges lors des élections de la DUP.
Toutefois, M. [J] produit un courriel du 21 avril 2017 dans lequel il propose à sa directrice régionale de valider la mise en place de trois collèges lors des élections, lui permettant ainsi en échange, de temporiser la réponse à faire aux membres du comité d’entreprise (CE) sur le versement de la participation et de l’intéressement. Il verse également un courriel postérieur au CE du 27 avril 2017 dans lequel il confirme l’avancée des discussions sur l’élaboration du protocole pré-électoral conformément à ce qu’il avait proposé. La résistance de l’employeur sur l’organisation des trois collèges de la DUP n’est donc pas établie.
– La société a refusé de lui donner les éléments lui permettant de présenter les comptes arrêtés par l’actionnaire, pour expliquer la minoration de l’intéressement des salariés lors de la consultation du comité d’entreprise.
Si M. [J] a demandé au moins à deux reprises le 7 et le 10 avril 2017 des explications sur les pertes exceptionnelles qui justifiaient la baisse de 25% de l’enveloppe participation et intéressement en 2016 alors que le CE devait se réunir 10 jours plus tard, il a été orienté dès le 10 avril 2017 vers le responsable CGO qui pouvait lui répondre.
La société verse la note de service non datée, rédigée par M. [J] et remise aux salariés pour la participation et l’intéressement versés en 2017 au titre de l’année 2016, dans laquelle il justifie la baisse tarifaire imposée de 2,7% qui représente un manque de chiffres d’affaires d’environ 270.000 euros et une hausse des charges sociales de 125.000 euros en 2016 permettant toutefois de dégager un montant d’épargne salariale de 303.846 euros.
– La direction a informé les salariés sur leurs droits en matière d’intéressement avant consultation du comité d’entreprise.
M. [J] produit le courriel de la banque Société Générale reçu le 19 avril 2017 par les salariés leur demandant de se connecter sur un compte personnel pour avoir connaissance du montant de leur intéressement, le comité d’entreprise devant se réunir le 27 avril 2017. Il a donc bien été informé par la direction des éléments de langage à tenir.
M. [J] verse de son côté, le courriel du responsable rémunérations en date du 21 avril 2017 lui confirmant qu’il s’agissait d’un bug informatique de la Société Générale, suite au changement de calendrier et qu’il ne fallait pas prendre en compte le courriel de celle-ci.
Si cette situation a pu placer M. [J] en difficulté lors du CE, il ne produit pas le compte rendu, ayant uniquement précisé dans un courriel adressé à une collègue le lendemain que la réunion s’était bien passée.
La société établit par ailleurs l’absence de caractère intentionnel de l’information donnée aux salariés avant la consultation du CE, le courriel provenant de la Société Générale qui n’avait pas pu s’adapter à la modification de la date de consultation des représentants du personnel.
Ces faits ne sont donc pas établis.
5) L’absence de respect de ses opinions portant sur des aspects relevant de l’exercice de ses missions caractérisant une atteinte à sa liberté d’expression, faisant référence aux choix économiques faits par la société.
M. [J] produit notamment copie du courrier de la lettre de démission adressée par Mme [U], coordinatrice du plateau technique de rééducation, en juillet 2017 après une ancienneté de 30 ans, motivée notamment par les nouvelles problématiques de la direction autour de la comptabilité, la nécessité de faire des économies au détriment de la qualité de la restauration, un climat délétère autour de la prime de participation et d’intéressement démontrant que le groupe ne s’attache qu’à la performance économique, l’absence de marge de manoeuvre du directeur et de la directrice adjointe, les décisions leur étant imposées.
Il produit également le courriel adressé par le médecin chef de la clinique les Grands Chênes à la directrice du groupe dans lequel sont reprochés le manque d’investissement à long terme, la recherche de profit économique au détriment de la santé des salariés et qui fait part de sa démarche individuelle qui traduit un mal profond et collectif au sein de l’établissement.
6) Les fraudes auxquelles se livrait la direction du groupe, pour minorer l’intéressement et la participation versés à ses salariés, omettant sciemment le personnel ayant quitté l’entreprise du bénéfice des primes au moment de leur versement.
Il produit un courriel de la responsable régionale RH du 15 février 2016 en ce sens.
M. [J] rappelle que ces irrégularités sont susceptibles de constituer un délit de présentation de comptes infidèles.
M. [J] soutient par ailleurs que cette pratique visant à mettre les bénéfices en réserve permettait d’augmenter les capitaux avec une diminution automatique de la participation distribuée aux salariés, mais que le directeur comptable recommandait à la responsable régionale RH de ne pas en parler aux délégués du personnel dans un courriel du 4 avril 2016.
Il fait enfin état de la dégradation de son état de santé, ayant été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 9 mai 2017, le médecin du travail l’ayant adressé au service de médecine du travail et des pathologies professionnelles du CHU de [Localité 4] en soulignant la récurrence de cette situation au sein de la clinique [5], étant en conflit permanent avec la directrice régionale. Il verse l’avis du médecin du travail l’ayant déclaré inapte à son poste, mais apte à tout poste dans un autre groupe pour démontrer la cause directe de ses problèmes de santé.
Au vu des pièces produites, les faits suivants ne peuvent donc pas être retenus :
– la pression subie par des demandes adressées le soir pour une réponse à donner pour le lendemain ;
– l’impossibilité dans laquelle M. [J] se trouvait de réaliser ses objectifs économiques par les décisions prises par la direction de minorer les charges du personnel et d’augmenter le coût des chambres particulières ;
– les entraves de l’employeur aux fonctions de président du comité d’entreprise de M. [J].
En revanche, les autres faits développés par M. [J] doivent être retenus comme laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
La société relève en tout premier lieu que s’agissant de faits antérieurs de 18 mois à la saisine du conseil de prud’hommes, aucun ne saurait justifier la demande de résiliation judiciaire.
Elle conteste par ailleurs l’existence d’une situation de harcèlement et fait valoir les éléments suivants :
– cette situation prétendue n’a pas empêché le salarié d’enregistrer des succès dans l’apaisement du climat social, dont il fait état dans certains courriels, la société rappelant qu’il entre dans les missions d’un directeur d’établissement de gérer les risques de conflits sociaux et les moments de tension.
La société soutient ne pas lui avoir fait grief des tensions existantes, en produisant le compte rendu d’évaluation professionnel de 2016 ;
– le fait d’avoir confié à M. [J] la direction de l’établissement démontre la marque de confiance de la société ;
– le courrier de Mme [U] ne démontre pas que sa démission aurait été contrainte et le courriel du médecin en chef est sujet à caution dès lors qu’il aurait travaillait 10 ans avec des directeurs prétendûment incompétents avant l’arrivée de M. [J] sans jamais s’en plaindre. La société relève la proximité de ces deux personnes avec le salarié, qui leur a adressé copie des courriers envoyés à la direction alors qu’il était en arrêt de travail pour maladie.
Ces courriers attestent cependant d’un climat de tension que la société ne conteste pas, lié en grande partie aux contraintes budgétaires imposées par la direction nationale puis régionale et ayant des répercussions sur les projets de vie des résidents, la qualité du travail des salariés, leur absentéisme et les marges pouvant être enregistrées par la société sans retour aux salariés au titre de leur participation ou intéressement.
Mais les éléments budgétaires, liés à la politique de l’entreprise relèvent du pouvoir de direction de l’employeur et ne sauraient caractériser des faits susceptibles de relever d’une situation de harcèlement moral, traduisant seulement une divergence de point de vue entre M. [J] et la société ;
– les liens entre M. [J] et Mme [H], sa directrice adjointe, qui sont associés dans le cadre d’une activité indépendante qu’ils ont continué à exercer alors qu’ils étaient tous les deux employés de la Clinique Les Grands Chênes.
M. [J] soutient qu’il a été recruté pour exercer les fonctions de directeur et Mme [H], celles de directrice adjointe, justement en raison de leurs compétence et de leur activité de conseil dans le cadre de l’institut européen de management de la santé, ayant ainsi pu faire bénéficier la clinique de leurs réseaux notamment pour obtenir un avis favorable sur un dossier présenté auprès de l’ARS. Si l’institut existe toujours, M. [J] indique y avoir cessé toute activité au moment de son embauche par la clinique, la société ne démontrant pas le contraire en produisant uniquement un extrait du site ‘société.com’.
En tout état de cause, ce grief n’a jamais été invoqué pendant l’exécution du contrat de travail et n’est pas invoqué par M. [J] au titre du harcèlement ou de la résiliation du contrat de travail.
S’agissant de l’avertissement notifié à M. [J] le 14 février 2017, l’employeur lui reprochait de ne pas avoir mis en place le projet de crèche collective ‘en toute clarté’, ayant simplement évoqué le projet dans différents courriels entre le 1er et le 13 décembre 2016, alors qu’il avait déjà signé un engagement auprès de la crèche [3] le 21 novembre pour un montant annuel de 140.000 euros HT.
L’employeur soutient ainsi que l’avertissement ne portait pas sur le projet en lui-même, ni sur son coût que M. [J] estime correct, mais sur le processus de décision qui ne permettait pas au salarié de prendre un engagement hors budget, conformément à la délégation de signature qui prévoyait de ‘soumettre à l’accord préalable du directeur régional les dépenses non budgétées en cas de nécessité’.
Si M. [J] évoque les courriels du 1er décembre, 8 décembre et 13 décembre 2016 dont le contenu faisait état des réflexions sur le projet de crèche, sans que ceux-ci ne soient versés aux débats, il ne peut justifier d’un accord préalable du directeur régional sur l’engagement de la dépense non budgétée en 2016 et alors qu’il avait déjà informé les délégués du personnel dans l’accord NAO du 15 décembre 2016 de la réservation de 10 à 12 berceaux dans la crèche inter-entreprise [3] à compter du 1er septembre 2017.
L’avertissement était donc justifié.
S’agissant de la restauration, la société soutient que la clinique Les Grands Chênes était l’unique établissement se situant hors du dispositif mis en place à l’échelle du groupe et que le contrat propre à l’exploitation arrivait à expiration, ce que ne conteste pas M. [J].
Le passage de l’organisation de la restauration en autogestion à un service accompagné par Sodexo était un des objectifs fixés par la société pour l’année 2016, M. [J] ayant pu faire part des risques relatifs à la baisse de la qualité perçue par les patients et le personnel, du départ du chef de cuisine, de la dégradation de la performance économique.
Dans les échanges de courriels du 10 mars 2017, M. [J] confirme être intervenu pour éviter un mouvement social au niveau de la restauration ainsi qu’une grève des repas quelques jours auparavant et demande le report du changement de restaurateur à compter du mois d’octobre 2017 afin de laisser la place au dialogue avec le comité d’établissement.
M. [J] ne précise pas si ses demandes ont été suivies d’effet ni à quelle date la société Sodexo a commencé à intervenir au sein de la Clinique Les Grands Chênes. L’employeur justifie que cette décision était étrangère à tout fait de harcèlement, comme s’imposant à l’ensemble des établissements du groupe.
La société conteste les faits de fraude évoqués par M. [J], qui ne reposent sur aucun élément objectif et considère que la production d’un échange antérieur de 18 mois à la saisine du conseil de prud’hommes ne saurait caractériser des faits de harcèlement.
Par courriel du 15 février 2016, il a été demandé au salarié ne pas mentionner aux membres du comité d’entreprise d’un reliquat de participation 2015 faisant sortir du montant à répartir les salariés partis au 31 décembre 2015, en précisant qu’il s’agissait d’une décision prise ‘dans un premier temps’, éléments qui ne permettent pas d’attester d’une fraude de la société.
Par courriel du 4 avril 2016, il a été demandé aux destinataires, dont M. [J], de ne pas parler de la décision du conseil d’administration de verser les bénéfices de la société en réserves, le courriel donnant par ailleurs des éléments de langage à apporter aux représentants du personnel en faveur de l’autofinancement des investissements et des intérêts produits par les mises en réserves permettant d’augmenter le calcul de la participation l’année d’après.
S’agissant d’une décision du conseil d’administration s’imposant à tous, la société établit qu’elle était justifiée par une mesure étrangère à tout harcèlement moral, M. [J] ne produisant pas d’autres éléments comptables permettant de caractériser une fraude.
Pour contester toute atteinte à la liberté d’expression de M. [J], la société rappelle qu’en sa qualité d’employeur, elle restait décisionnaire sur les sujets abordés. Les griefs reprochés par le salarié relèvent de divergences de point de vue mais pas d’une attitude fautive à l’égard du salarié et ses désaccords ne lui permettaient toutefois pas de se soustraire aux orientations ou décisions adoptées par l’employeur.
Il ressort en effet des pièces versées aux débats que M. [J] a pu donner son avis à la direction, proposer des projets, suivre les objectifs qui lui étaient fixés en faisant part de ses nuances et de la primauté qu’il accordait à la nécessité de maintenir le dialogue social qu’il avait réussi à restaurer, comme en témoignent le nombre de pétionnaires, tous syndicats confondus, à la suite de l’annonce de son licenciement et le fait que les membres de la délégation unique du personnel consultés sur son reclassement se sont abstenu de voter.
Il ne peut donc être retenu que la société a porté atteinte à sa liberté d’expression.
M. [J] a été placé en arrêt de travail pour maladie ‘ordinaire’.
Il produit le courrier du médecin du travail adressé au médecin en consultation de pathologies professionnelles du CHU de [Localité 4] pour avis concernant sa possibilité de reprendre le travail.
Dans ce courrier, le médecin du travail précise les conditions de l’arrêt de travail pour maladie de M. [J] qui ‘a dû se mettre en arrêt maladie en juin 2017 pour dans un premier temps un épisode de lombalgie aigüe. Lors de cet arrêt maladie, le médecin traitant de M. [J] a fait réaliser un bilan plus général mettant en évidence de multiples problématiques physiques. Suite à une prise en charge de ses multiples pathologies, M. [J] a pris conscience qu’il était en état d’épuisement physique et mental’, ajoutant que comme son prédécesseur , il se serait retrouvé en conflit permanent avec sa directrice régionale. Le médecin du travail constatait que M. [J] était dans l’incapacité sur le plan psychique de reprendre son poste de travail. Après deux visites, le médecin du travail a rendu un avis d’inaptitude à son poste mais d’aptitude à un poste similaire dans un autre groupe.
Le médecin chef et Mme [U] confirment les injonctions contradictoires faites aux salariés et la perte de sens de leur métier.
La nature des fonctions de M. [J] le plaçait nécessairement dans des situations délicates notamment dans les négociations avec les délégués syndicaux, alors qu’en sa qualité de chef d’établissement, il avait accès à des informations confidentielles et était tenu par un devoir de confidentialité et de loyauté vis-à-vis de son employeur.
La société justifie que les entraves dont M. [J] se dit victime n’étaient que la traduction de divergences de point de vue quant à la façon de diriger la société, alors que la Clinique [5] est intégrée au groupe Korian définissant pour l’ensemble des établissements une stratégie nationale.
La perte de sens évoquée par le médecin du travail, liée aux choix opérés par la direction en ce qu’ils étaient contraires aux convictions de M. [J], le plaçait certes dans un conflit éthique au regard de sa mission de restaurer le dialogue social, ayant pu entraîner une souffrance au travail, sans que celle-ci soit en lien avec un comportement de l’employeur pouvant être qualifié de harcèlement moral au sens des textes susvisés.
En conséquence, il y a lieu de dire que les éléments invoqués par M. [J], même pris dans leur ensemble, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
3 – Sur le manquement à l’obligation de loyauté
A l’appui de sa demande visant le manquement aux obligations de loyauté dans l’exécution du contrat de travail, M. [J] soulève les mêmes griefs que ceux évoqués à l’appui du harcèlement moral.
Il invoque le préjudice personnel qu’il a subi en ce que les choix de l’employeur de minorer les charges du personnel et de mettre en réserves les bénéfices ont réduit le montant de ses primes et donc de sa rémunération.
La cour ayant relevé que ces faits n’étaient pas établis, M. [J] ne démontre pas le manquement fautif de l’employeur.
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur la rupture du contrat de travail
En application des dispositions de l’article 1224 du code civil, en cas d’inexécution de ses obligations par l’une des parties, l’autre partie peut demander au juge de prononcer la résiliation du contrat.
Lorsqu’un salarié sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée.
C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
Si le salarié n’est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.
La résiliation judiciaire à la demande du salarié n’est justifiée qu’en cas de manquements de l’employeur d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
La cour n’a retenu ci-avant aucun des manquements reprochés par M. [J] à son employeur.
Les demandes relatives à la résiliation du contrat de travail d’une part et à la requalification du licenciement pour inaptitude en licenciement dénué de cause réelle et sérieuse doivent en conséquence être rejetées et le jugement déféré sera confirmé.
Sur les dépens et les frais irrépétibles.
M. [J], partie perdante, sera condamné aux dépens d’appel ainsi qu’au paiement à la SAS Clinique [5], de la somme 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne M. [J] aux dépens ainsi qu’à payer à la SAS Clinique [5] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d’appel.
Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire