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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
9ème chambre 3ème section
N° RG :
N° RG 23/02251 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZBRI
N° MINUTE : 24
Assignation du :
14 Février 2023
JUGEMENT
rendu le 25 Janvier 2024
DEMANDERESSE
Madame [T] [P] [E] [G]
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Maître Paul CANTON de l’AARPI ARC PARIS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire #P0216, et Maître Karen MENDIOLA MORQUECHO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #G0170
DÉFENDERESSE
S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Maître Dominique PENIN du KRAMER LEVIN LLP, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0008
Décision du 25 Janvier 2024
9ème chambre 3ème section
N° RG 23/02251 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZBRI
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente
Madame SAJIE, Vice-Présidente
Monsieur BERTAUX, Juge
assistée de Alise CONDAMINE, Greffière lors de l’audience, et Pierre-Louis MICHALAK, Greffier lors de la mise à disposition,
DÉBATS
A l’audience du 21 Décembre 2023 tenue en audience publique devant Madame CHARLIER-BONATTI, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 25 Janvier 2024.
JUGEMENT
Prononcé en audience publique
Contradictoire
en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Par acte en date du 12 mars 2015, Madame [E] [G] a adhéré, auprès de la BNP PARIBAS à une convention de compte chèques dont l’une des composantes est le compte principal mono-titulaire n°[XXXXXXXXXX01], disposant d’un accès aux services de suivi et gestion de compte à distance, par téléphone au serveur vocal ou avec un conseiller clientèle à distance, par internet et par mobile.
Dans le cadre de ladite convention, Madame [E] [G] autorise expressément la Banque, pendant toute la durée de la relation bancaire, à communiquer les données personnelles la concernant aux prestataires de service et sous-traitants, qui exécutent dans un pays de l’Union Européenne ou hors Union Européenne pour le compte de BNP Paribas certaines tâches matérielles et techniques indispensables à la relation bancaire, au fonctionnement du compte, des moyens de paiement, et des services associés ; aux sociétés du groupe BNP Paribas, aux fins de sollicitations commerciales en vue de la présentation des produits et services gérés par ces sociétés et à des organismes chargés de réaliser des enquêtes ou sondages et à des organismes tels que l’Administration Fiscale et la Banque de France afin de satisfaire aux obligations légales ou réglementaires incombant à la Banque.
Au cours du premier trimestre 2018, Madame [E] [G] a constaté que son compte personnel était accessible à tout moment et régulièrement consulté par son conjoint, Monsieur [C] [R], étant précisé que ce dernier était par ailleurs salarié de la Banque. Elle a immédiatement fait part de ce dysfonctionnement à la Banque.
Face à l’inaction de la Banque, Madame [E] [G] a initié une tentative de résolution par voie amiable en date du 02 février 2022 par l’intermédiaire de Maître Florence Rouas, avocat et médiateur. Aucune réponse n’a été apportée par la Banque.
Le 14 février 2023, Madame [E] [G] a assigné la BNP PARIBAS et réclame sa condamnation au paiement d’une somme de 135.727 €.
Par conclusions en date du 21 juin 2023, Madame [P] [E] [G] demande au tribunal de:
“PRONONCER que Madame [E] [G] est recevable et bien fondée en ses demandes;
PRONONCER le non-respect du secret bancaire de la société BNP PARIBAS constitutif d’une faute ;
PRONONCER que la responsabilité de la société BNP PARIBAS est engagée ;
CONDAMNER la société BNP PARIBAS au paiement de dommages-et-intérêts à hauteur de 135 727 € (cent trente-cinq mille sept cent vingt-sept euros) au profit de Mme. [E] [G] en réparation du préjudice moral et financier engendré par sa faute ;
CONDAMNER la société BNP PARIBAS aux entiers dépens sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la société BNP PARIBAS au paiement d’une indemnité pour frais irrépétibles de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTER la société BNP Paribas de l’intégralité de ses demandes à toutes fins qu’elles comportent ;
DIRE n’y avoir lieu a` écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.”
Madame [E] [G] explique qu’au cours du premier trimestre 2018, son ex-époux aurait été en mesure de prendre connaissance de ses transactions réalisées sur son compte personnel.
Elle expose que sa rupture avec son époux en février 2021 trouverait sa cause dans cette connaissance par son époux de ses dépenses.
Elle ajoute que l’état psychologique qui était alors le sien en raison de sa séparation lui aurait fait perdre une opportunité professionnelle.
Par conclusions en date du 23 mai 2023, la BNP PARIBAS demande au tribunal de:
“Débouter Madame [E] [G] de l’intégralité de ses demandes à toutes fins qu’elles comportent ;
Condamner Madame [E] [G] à verser à BNP Paribas la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
Ecarter l’exécution provisoire en faveur de Madame [E] [G].”
La BNP PARIBAS expose que le banquier ne peut voir sa responsabilité engagée que s’il est démontré que, par sa faute, son client a souffert d’un préjudice.
La responsabilité de la banque étant une responsabilité pour faute prouvée, le plaignant doit caractériser la faute commise par le banquier dans le cadre de ses obligations professionnelles, établir le lien de causalité direct et certain entre cette faute caractérisée et le préjudice, justifier d’un préjudice lui-même né et certain et non hypothétique ou indéterminé, autrement dit démontré tant en son principe qu’en son étendue ou quantum.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties visées ci-dessus quant à l’exposé du surplus des moyens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 23 novembre 2023 avec fixation de l’affaire à l’audience de plaidoirie du 21 décembre 2023. L’affaire a été mise en délibéré au 25 janvier 2024.
SUR CE:
I. Sur la responsabilité de la banque
Les articles 221 et 1231-1 du code civil disposent respectivement que: « Chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel. ».
Et que : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »
Par ailleurs, l’article L511-33 du code monétaire et financier pose le principe du secret bancaire dans les termes suivants :
« I. – Tout membre d’un conseil d’administration et, selon le cas, d’un conseil de surveillance et toute personne qui à un titre quelconque participe à la direction ou à la gestion d’un établissement de crédit, d’une société de financement ou d’un organisme mentionné aux 5 et 8 de l’article L. 511-6 ou qui est employée par l’un de ceux-ci est tenu au secret professionnel.
Outre les cas où la loi le prévoit, le secret professionnel ne peut être opposé ni à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ni à la Banque de France ni à l’Institut d’émission des départements d’outre-mer, ni à l’Institut d’émission d’outre-mer, ni à l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure pénale, ni aux commissions d’enquête créées en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent par ailleurs communiquer des informations couvertes par le secret professionnel, d’une part, aux agences de notation pour les besoins de la notation des produits financiers et, d’autre part, aux personnes avec lesquelles ils négocient, concluent ou exécutent les opérations ci-après énoncées, dès lors que ces informations sont nécessaires à celles-ci :
1° Opérations de crédit effectuées, directement ou indirectement, par un ou plusieurs établissements de crédit ou sociétés de financement ;
2° Opérations sur instruments financiers, de garanties ou d’assurance destinées à la couverture d’un risque de crédit ;
3° Prises de participation ou de contrôle dans un établissement de crédit, une entreprise d’investissement ou une société de financement;
4° Cessions d’actifs ou de fonds de commerce ;
5° Cessions ou transferts de créances ou de contrats ;
6° Contrats de prestations de services conclus avec un tiers en vue de lui confier des fonctions opérationnelles importantes ;
7° Lors de l’étude ou l’élaboration de tout type de contrats ou d’opérations, dès lors que ces entités appartiennent au même groupe que l’auteur de la communication.
Lors d’opérations sur contrats financiers, les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent également communiquer des informations couvertes par le secret professionnel, lorsqu’une législation ou une réglementation d’un État qui n’est pas membre de l’Union européenne prévoit la déclaration de ces informations à un référentiel central. Lorsque ces informations constituent des données à caractère personnel soumises à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, leur transmission doit s’effectuer dans les conditions prévues par la même loi.
Outre les cas exposés ci-dessus, les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent communiquer des informations couvertes par le secret professionnel au cas par cas et uniquement lorsque les personnes concernées leur ont expressément permis de le faire.
Les personnes recevant des informations couvertes par le secret professionnel, qui leur ont été fournies pour les besoins d’une des opérations ci-dessus énoncées, doivent les conserver confidentielles, que l’opération susvisée aboutisse ou non. Toutefois, dans l’hypothèse où l’opération susvisée aboutit, ces personnes peuvent à leur tour communiquer les informations couvertes par le secret professionnel dans les mêmes conditions que celles visées au présent article aux personnes avec lesquelles elles négocient, concluent ou exécutent les opérations énoncées ci-dessus. »
En outre, le titre « Données personnelles – communication d’informations » de la convention de compte entre Madame [E] [G] et la Banque, prévoit que Madame [E] [G] :
« autorise expressément la Banque, pendant toute la durée de la relation bancaire, à communiquer les données personnelles la concernant aux prestataires de service et sous-traitants, qui exécutent dans un pays de l’Union Européenne ou hors Union Européenne pour le compte de BNP Paribas certaines tâches matérielles et techniques indispensables à la relation bancaire, au fonctionnement du compte, des moyens de paiement, et des services associés ;aux sociétés du groupe BNP Paribas, aux fins de sollicitations commerciales en vue de la présentation des produits et services gérés par ces sociétés et à des organismes chargés de réaliser des enquêtes ou sondages et à des organismes tels que l’Administration Fiscale et la Banque de France afin de satisfaire aux obligations légales ou réglementaires incombant à la Banque. ».
Enfin, le code de conduite du Groupe BNP Paribas, dans son chapitre B « Règles de conduite – L’intérêt des clients », interdit explicitement le fait de « donner des informations sur les ressources dont son/sa conjoint(e) dispose en propre dans la même banque » posant comme règle celle de « Préserver la confidentialité des données des clients a` tout moment, à moins que la divulgation et/ou l’utilisation de ces données ne soient autorisées par la règlementation applicable et/ou par un consentement explicite du client ».
Le secret bancaire est en conséquence l’obligation, pour la banque au sens large, de taire les informations de nature confidentielle qu’elle possède sur ses clients.
Au cas d’espèce, l’obligation de discrétion à la charge du banquier découle du contrat unissant la Banque à Madame [E] [G], ainsi que des dispositions prévoyant l’autonomie bancaire des époux et le respect de la vie privée.
La divulgation fautive porte sur des informations confidentielles liées à la vie privée de Madame [E] [G], telles que le montant de ses encaissements et de ses dépenses, ainsi que les dates, lieux et nature de ses transactions.
Ces informations détaillées ont été communiquées à son époux, dans la mesure où il lui a été donné accès au compte personnel de Madame [E] [G] sur internet, en libre-service et de manière permanente. Or, le banquier n’a pas à informer un époux sur l’état du compte personnel de son conjoint.
En conséquence, la BNP PARIBAS a commis une faute se traduisant par la révélation d’informations couvertes par le secret bancaire.
II. Sur les préjudices subis
Madame [E] [G] prétend que la consultation de son compte personnel par Monsieur [R] aurait eu pour effet de dégrader la relation avec son mari, de permettre à ce dernier d’éluder sa contribution aux charges du mariage et lui aurait causé un préjudice financuier certain.
Au cas d’espèce, en divulguant ces informations de nature privée, la Banque a certes entravé l’exercice des libertés et de la vie privée de Madame [E] [G], dévoilant à son époux, ses choix, ses mouvements et déplacements, ainsi que ses revenus professionnels.
Cependant, le préjudice financier chiffré invoqué par Madame [E] [G] est dépourvu du moindre lien de causalité avec la faute de la BNP Paribas.
En conséquence, le tribunal, usant de son pouvoir d’appréciation, fixera à la somme de 3.000 euros le montant des dommages et intérêts dus par la BNP Paribas à Madame [E] [G] compte tenu de la faute commise.
III. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Succombant à l’instance, la BNP Paribas sera condamnée aux dépens, sur le fondement de l’article 696 du code de procédure civile.
La BNP Paribas, qui supporte les dépens, sera condamnée à payer à Madame [E] [G] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe :
CONDAMNE la société BNP PARIBAS au paiement de dommages-et-intérêts à hauteur de 3.000 € au profit de Mme [P] [E] [G] en réparation du préjudice engendré par sa faute;
CONDAMNE la société BNP PARIBAS aux entiers dépens sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société BNP PARIBAS au paiement d’une indemnité pour frais irrépétibles de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.
Fait et jugé à Paris le 25 Janvier 2024
Le GreffierLa Présidente