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ARRÊT DU
26 Juin 2023
IL / NC
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N° RG 22/00998
N° Portalis DBVO-V-B7G -DB4S
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SAS DECATHLON FRANCE
C/
SAS TRIATHLON SPORT
SASU DA SPORT
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GROSSES le
aux avocats
ARRÊT n° 275-23
COUR D’APPEL D’AGEN
Chambre Civile
Section commerciale
LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,
ENTRE :
SAS DECATHLON FRANCE agissant poursuites et diligences en la personne de son Président domicilié en cette qualité audit siège RCS LILLE MÉTROPOLE 500 569 405
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Marie-Luce D’ARGAIGNON, SCP D’ARGAIGNON-BOLAC, avocate postulante au barreau du GERS
et Me Bruno HOUSSIER, SELARL ALTERUM PARTNERS, avocat plaidant au barreau de LILLE
APPELANTE d’une ordonnance de référé du tribunal de commerce d’AUCH en date du 06 décembre 2022,
RG 2021 001993
D’une part,
ET :
SAS TRIATHLON SPORT pris en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège RCS AUCH 408 628 352
[Adresse 5]
[Localité 2]
SASU DA SPORT pris en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège RCS AUCH 894 249 119
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 1]
représentées par Me David LLAMAS, avocat postulant au barreau d’AGEN
et Me Jean-Christophe GRALL, substitué à l’audience par Me Nadège POLLAK, SELARL GRALL & Associés, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMÉES
D’autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
l’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 17 mai 2023, sans opposition des parties, devant la cour composée de :
Laurent IZAC, Vice-Président placé auprès du premier président
qui en a rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre lui-même de :
Cyril VIDALIE et Valérie SCHMIDT, Conseillers
en application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, et après qu’il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés,
Greffière : Nathalie CAILHETON
ARRÊT : prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
‘ ‘
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EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Décathlon France (ci-après désignée la société Décathlon) exploite sous l’enseigne « DECATHLON » un ensemble de magasins de vente d’articles de sport.
Elle a pour principal concurrent, sur tout le territoire national, le réseau des magasins « INTERSPORT » détenu par des sociétés regroupées en coopérative de commerçants détaillants à capital variable sous la dénomination Intersport France.
Parmi eux figure le magasin Intersport d'[Localité 1] qui a déménagé, à compter du mois d’août 2019, dans le centre commercial du [Adresse 6] à [Localité 1] où il dispose d’un parking attenant lui permettant d’y installer un chapiteau afin d’organiser des braderies dont notamment celles d’août 2020 et mars 2021 à propos desquelles il a communiqué sur le réseau « Facebook ».
Jusqu’en avril 2021, ce magasin était exploité par la SAS Triathlon Sport (ci-après désignée la société Triathlon) avant que celle-ci ne cède son fonds de commerce à la SASU DA Sport (ci-après désignée la société DA Sport).
Interrogée par la société Décathlon quant à l’existence de déclarations de vente au déballage relatives aux braderies d’août 2020 et mars 2021, telles que prévues par les dispositions de l’article L. 310-2 du code de commerce, la commune d'[Localité 1] a, par courriel du 18 mars 2021, répondu ne pas en trouver trace.
Sollicitée à nouveau à propos de braderies organisées en avril 2016, mai 2018, juin et août 2019, avril et juillet 2020, la maire d'[Localité 1] a également apporté une réponse négative par courriel du 21 mai 2021.
Par deux courriers du 30 septembre 2021, le conseil de la société Décathlon a mis en demeure, d’une part, la société Triathlon et, d’autre part, la société DA Sport de lui fournir les justificatifs des déclarations administratives préalables auprès de la maire d'[Localité 1] relatives aux braderies organisées hors les murs du magasin au cours des années 2017 à 2021.
En l’absence de réponse à ces mises en demeure, la société Décathlon a, par acte du 15 décembre 2021, fait assigner les sociétés Triathlon et DA Sport devant le juge des référés du tribunal de commerce d’Auch, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, aux fins qu’il plaise à cette juridiction de :
– recevoir la société Décathlon dans l’ensemble de ses demandes et l’y déclarer bien fondée ;
– ordonner une mesure d’instruction en application de l’article 145 du code de procédure civile ;
– ordonner aux sociétés Triathlon et DA Sport de communiquer à la société Décathlon, en ce qui concerne le magasin « INTERSPORT » exploité [Adresse 7], [Adresse 7] :
# une copie des déclarations préalables réalisées auprès de la mairie de [Localité 1] au cours des années 2018 à 2021 au titre des « braderies » et autres ventes sous chapiteaux effectuées par le magasin « INTERSPORT » de [Localité 1] durant cette période, ainsi que de l’avis de réception de la lettre recommandée si la déclaration été transmise par lettre recommandée ou du récépissé si la déclaration a été remise directement à la mairie ;
# en précisant à chaque fois, dans les faits et quelles que soient les informations figurant sur ces déclarations préalables, la date de début et de fin de l’opération ou de la vente ainsi que la description des marchandises exposées ;
– assortir cette mesure d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé le délai de 10 jours calendaires à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir, cette astreinte courant, par jour de retard et par manquement, à savoir chaque fois que les sociétés triathlon et DA Sport n’auront pas apporté les éléments justificatifs relatifs à l’une des années visées pour ce magasin ;
– se réserver la liquidation de l’astreinte ainsi prononcée ;
– commettre tel huissier de justice de son choix territorialement compétent, aux frais des sociétés Triathlon et DA Sport, avec pour mission de contrôler l’exécution de l’ordonnance à intervenir, de collecter et de réunir l’ensemble des informations, documents et éléments qui lui seront remis spontanément par les sociétés Triathlon et DA Sport ;
– ordonner à l’huissier instrumentaire de dresser constat du tout, en y annexant l’ensemble des documents et informations transmis, et le remettre à la société Décathlon dans un délai d’un mois après le prononcé de l’ordonnance à intervenir ;
– ordonner l’exécution de l’ordonnance de référé à intervenir au seul vu de la minute,
– condamner les sociétés Triathlon et DA Sport à payer à la société Décathlon une somme de 3.000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner les sociétés Triathlon et DA Sport aux entiers dépens de l’instance ainsi qu’à la prise en charge des frais de l’huissier instrumentaire.
Par ordonnance du 6 décembre 2022, le juge des référés a :
– constaté qu’il existe une contestation sérieuse ;
– jugé, par conséquent, la demande irrecevable comme ne réunissant pas les conditions d’un référé ;
– dit qu’il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Décathlon aux entiers dépens, liquidés pour le greffe à la somme de 57,65 euros.
Le juge des référés du tribunal de commerce d’Auch a estimé que :
– les sociétés Triathlon et DA Sport mettent en avant le fait que la demande de la société Décathlon, concernant des braderies et autres ventes sous chapiteaux, ne constituent pas des ventes au déballage au sens des dispositions de l’article L. 310-2 du code de commerce ;
– au regard de l’article 834 du code de procédure civile, cette objection constitue une contestation sérieuse qui rend irrecevable la mesure d’instruction in futurum sollicitée.
La société Décathlon a formé appel le 15 décembre 2022, désignant les sociétés Triathlon et DA Sport en qualité d’intimées, et visant dans sa déclaration l’ensemble des dispositions de l’ordonnance de référé.
Par uniques conclusions d’appelante du 31 janvier 2023, la société Décathlon demande à la cour, au visa de l’article 145 du code de procédure civile et des articles L. 310-2 et R. 310-8 à R. 310-14 du code de commerce, de :
– recevoir la société Décathlon en son appel, et l’y déclarer bien fondée ;
– infirmer la décision déférée, en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
– prendre acte de l’aveu judiciaire des sociétés Triathlon et DA Sport qui affirmaient dans leurs conclusions de première instance qu’elles n’ont effectué personnellement aucune déclaration de vente au déballage en ce qui concerne le magasin « INTERSPORT » exploité [Adresse 7], [Adresse 7], portant sur les braderies de mai 2018, d’août 2020 et de mars 2021, et que ces déclarations auraient été effectuées par le ‘centre commercial’ qui serait, selon elles, l’organisateur desdites ventes ;
En conséquence, et compte tenu de la réponse de la mairie d'[Localité 1] qui indique n’avoir retrouvé aucune déclaration pour le compte des sociétés défenderesses au titre des événements susvisés,
– ordonner une mesure d’instruction en application de l’article 145 du code de procédure civile ;
– ordonner aux sociétés Triathlon et DA Sport de communiquer à la société Décathlon :
(i) la copie des déclarations préalables qui auraient, selon leurs affirmations, été réalisées par le « centre commercial » auprès de la mairie d'[Localité 1] en mai 2018, août 2020, et mars 2021, au titre des « braderies » et autres ventes sous chapiteaux effectuées par le magasin « INTERSPORT » d'[Localité 1] durant ces mêmes périodes ;
(ii) en précisant à chaque fois, dans les faits et quelles que soient les informations figurant sur ces éventuelles déclarations préalables du « centre commercial », la date de début et de fin de l’opération ou de la vente ainsi que la description des marchandises exposées ;
(iii) l’accusé de réception de chaque déclaration par le « centre commercial », mentionnant la date de réception du dossier complet par l’autorité compétente, tel qu’il est prévu à l’article R. 310-11 du code de commerce ;
– assortir cette mesure d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé le délai de 10 jours calendaires à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir, cette astreinte courant, par jour de retard et par manquement, à savoir chaque fois que les sociétés Triathlon et DA Sport n’auront pas apporté les éléments justificatifs relatifs à l’une des années visées pour ce magasin ;
– se réserver la liquidation de l’astreinte ainsi prononcée ;
– commettre tel huissier de justice de son choix territorialement compétent, aux frais des sociétés Triathlon et DA Sport, avec pour mission de contrôler l’exécution de l’ordonnance à intervenir, de collecter et de réunir l’ensemble des informations, documents et éléments qui lui seront remis spontanément par les sociétés Triathlon et DA Sport ;
– ordonner à l’huissier instrumentaire de dresser constat du tout, en y annexant l’ensemble des documents et informations transmis, et le remettre à la société Décathlon dans un délai d’un mois après le prononcé de l’ordonnance à intervenir ;
– débouter les sociétés Triathlon et DA Sport de leurs prétentions en toute fins demandes et conclusions ;
– condamner les sociétés Triathlon et DA Sport à payer à la société Décathlon une somme de 5.000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner les sociétés Triathlon et DA Sport aux entiers dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à la prise en charge des frais de l’huissier instrumentaire.
Au soutien de ses prétentions, elle fait essentiellement valoir que :
– l’ordonnance entreprise est mal fondée en ce qu’elle été prise sur la base des dispositions de l’article 834 du code de procédure civile alors que la mesure sollicitée avait été demandée au titre de l’article 145 du même code, lequel n’exige pas l’absence de contestation sérieuse ;
– les conditions requises par ce dernier texte se trouvent remplies dans la mesure où :
* la société Décathlon dispose d’un motif légitime pris de ce qu’elle verse aux débats des commencements de preuve, ou à tous le moins des indices, d’une violation par les sociétés Triathlon et DA Sport de la réglementation relative à la vente au déballage ; ce qui constitue une concurrence déloyale à son détriment ;
* la communication sollicitée est légalement admissible parce qu’elle porte sur des documents nécessaires à la caractérisation des faits qu’elle dénonce et qu’elle est précisément circonscrite à ce qui est nécessaire pour en garantir l’efficacité alors même qu’elle s’est heurtée au refus injustifié des sociétés Triathlon et DA Sport de déférer à sa demande.
– la procédure judiciaire invoquée par les sociétés Triathlon et DA Sport a été intentée par Intersport France et présente des conditions différentes ;
– l’existence de simples « journées d’animation » et de « tests de produits » invoquées par les sociétés Triathlon et DA Sport pour justifier l’absence de déclaration préalable est, d’une part, contradictoire avec leurs assertions selon lesquelles le « centre commercial » aurait procédé aux déclarations nécessaires et, d’autre part, contredite par les éléments de preuve produits par la société Décathlon tandis qu’en toute hypothèse pareil argument quant à la nature juridique des faits reprochés relève de l’appréciation du juge du fond, saisi de l’action en concurrence déloyale envisagée, et non du juge des référés ;
– l’affirmation selon laquelle la société Décathlon ‘qui exposerait ponctuellement des tentes en extérieur de son magasin d'[Localité 1]’ ne respecterait pas elle-même la réglementation dont elle se prévaut à l’encontre des sociétés Triathlon et DA Sport n’est pas démontrée et demeure, en tout état de cause, étrangère au débat.
Par uniques conclusions d’intimées et d’appel incident du 27 février 2023, les sociétés Triathlon et DA sport demandent à la cour, au visa de l’article 145 du code de procédure civile et de l’article L. 310-2 du code de commerce, de :
– recevoir les sociétés Triathlon et DA Sport en leurs demandes, fins et conclusions et les y déclarer bien fondées ;
– confirmer l’ordonnance de référé du 6 décembre 2022 en ce qu’elle a :
* dit irrecevable la demande de la société Décathlon à l’endroit des sociétés Triathlon et DA Sport ;
* débouté la société Décathlon de l’ensemble de ses demandes ;
– infirmer l’ordonnance du 6 décembre 2022 en ce que le juge des référés a dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
En tout état de cause,
– débouter la société Décathlon de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner la société Décathlon à payer à la société Triathlon la somme de 2.000 euros en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de la procédure ;
– condamner la société Décathlon à payer à la société DA Sport la somme de 4.000 euros en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de la procédure ;
– condamner la société Décathlon France à payer aux sociétés Triathlon et DA Sport la somme de 4.000 euros chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Décathlon aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de Me David Llamas en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs prétentions, elles invoquent essentiellement le fait que :
– la société Décathlon ne justifie pas d’un motif légitime dans la mesure où :
* l’action qu’elle envisage d’engager au titre des faits reprochés aux sociétés Triathlon et DA Sport est manifestement vouée à l’échec parce qu’elle repose sur une qualification de concurrence déloyale inapplicable aux faits reprochés qui consistent en de simples journées d’animation ou de test de produits, réserve fait des braderies des 7 et 21 août 2020 et des 6 et 13 mars 2021 ;
* elle n’apporte pas d’éléments objectifs rendant plausibles les faits dénoncés, en ce qu’elle ne démontre ni un dépassement de la durée de 2 mois par année civile, ni l’absence de déclaration préalable en mairie parce que cette dernière a été réalisée par le centre commercial et non par le magasin Intersport d'[Localité 1] ;
* elle se rend elle-même coupable de ventes au déballage illicites en exposant des tentes et autres matériels de sport (notamment des vélos, des tables de ping-pong et des trampolines) à l’extérieur de son magasin d'[Localité 1] ;
– la société décathlon ne sollicite pas des mesures d’instruction légalement admissibles dès lors qu’elles sont disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi, notamment par l’intervention d’un commissaire de justice ou le prononcé d’une astreinte ;
– la société décathlon a commis un abus de procédure de nature à porter atteinte à l’image des sociétés Triathlon et DA Sport, cette dernière étant en outre injustement attraite en justice alors même que la société Décathlon savait qu’elle n’était plus propriétaire du magasin d'[Localité 1] au moment des faits reprochés.
Il sera renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le fondement juridique applicable à la demande
Aux termes de l’article 4 alinéa 1er du code de procédure civile, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
Aux termes de l’article 12 alinéa 1er du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
En l’espèce, il résulte de l’ordonnance entreprise qu’au soutien de sa demande, la société Décathlon a invoqué les dispositions prévues à l’article 145 du code de procédure civile, lesquelles ont pour objet le prononcé de mesures d’instruction in futurum.
Dès lors, ce texte étant seul applicable au litige, c’est à tort que le juge des référés du tribunal de commerce d’Auch a fondé sa décision sur les dispositions de l’article 834 du code de procédure civile ; texte exigeant des conditions distinctes qui, de jurisprudence constante, demeurent étrangères à celles requises par l’article 145 du même code.
A ce titre, contrairement à ce qu’a retenu l’ordonnance entreprise, l’absence de contestation sérieuse ne pouvait être exigée.
Toutefois, ce seul motif ne peut suffire à entraîner l’infirmation de cette décision dans la mesure où l’effet dévolutif de l’appel commande d’examiner la demande présentée par la société Décathlon à l’aune des dispositions qui lui sont applicables ; c’est-à-dire celles de l’article 145 du code de procédure civile.
Sur le bien-fondé de la demande de mesure d’instruction in futurum
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, le juge des référés peut, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé.
Si l’application de ce texte n’est pas de droit, l’existence de contestations ne constitue pas un obstacle à sa mise en ‘uvre qui n’implique aucun préjugé sur la responsabilité des personnes appelées comme partie à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé.
Il suffit de constater que l’action au fond n’est pas manifestement vouée à l’échec, que la mesure demandée est légalement admissible, que la mesure sollicitée est utile et améliore la situation probatoire des parties et que la mesure d’instruction ne porte pas atteinte aux intérêts légitimes du défendeur.
En l’espèce, l’action en concurrence déloyale, telle qu’envisagée par la société Décathlon, n’apparaît pas manifestement vouée à l’échec dès lors que celle-ci établit l’existence de ventes réalisées en dehors de l’espace de vente du magasin Intersport d'[Localité 1] et qu’en pareil cas l’article L. 310-2 du code de commerce exige notamment qu’elles fassent l’objet d’une déclaration préalable auprès du maire de la commune dont dépend le lieu de la vente.
Or, interrogée à ce sujet par la société Décathlon la commune d'[Localité 1] lui a indiqué ne pas avoir reçu pareille déclaration pour les ventes organisées en août 2020 et mars 2021, dont les sociétés Triathlon et DA Sport ne dénient pas l’existence, ni pour d’autres qui auraient eu lieu en avril 2016, mai 2018, juin et août 2019, avril et juillet 2020, mais à propos desquelles ces mêmes sociétés mettent en avant qu’elles consistaient, non en des ventes au déballage, mais en des journées de tests ou d’exposition de produits.
A cet égard, pour s’opposer à la mesure d’instruction sollicitée, les sociétés Triathlon et DA Sport ne peuvent se contenter d’invoquer le fait que la déclaration préalable ‘ relative aux ventes d’août 2020 et mars 2021 ‘ aurait été réalisée par le centre commercial dont relève le magasin d'[Localité 1] dans la mesure où, d’une part, l’article R. 310-8 du code de commerce précise que la charge de ladite déclaration pèse sur l’organisateur de la vente alors qu’au cas précis les faits litigieux ont eu lieu sur le propre parking du magasin et, d’autre part, il leur appartient de produire les éléments de preuve venant au soutien de leurs dénégations dès lors que la société Décathlon a préalablement entrepris les démarches raisonnables pour s’informer sur la légalité desdites ventes auprès de la mairie de la commune.
Il en résulte que la mesure d’instruction doit être considérée comme étant utile à la situation probatoire des parties.
Par ailleurs, la mesure sollicitée consiste principalement en la production de documents administratifs qui, de par leur objet, sont communicables au public.
Dès lors, elle apparaît, d’une part, légalement admissible et, d’autre part, comme étant insusceptible d’être à l’origine d’une atteinte aux intérêts légitimes des sociétés Triathlon et DA Sport dans la mesure où il n’est pas établi, ni même allégué, que ces dernières devraient révéler des informations confidentielles ou stratégiques dont la société Décathlon pourrait retirer un profit abusif.
Enfin, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Triathlon et DA Sport, l’absence de faute similaire à celle alléguée et qu’aurait à son tour commise la partie demanderesse à la mesure d’instruction ne constitue pas une condition de recevabilité de celle-ci.
Aussi, si tant est qu’il soit établi que la société Décathlon se serait livrée à des ventes illicites, parce que n’ayant pas fait l’objet de déclaration préalable, il n’entre pas dans la compétence du juge des référés de se prononcer sur cette faute qu’il appartiendra aux sociétés Triathlon et DA Sport, si elles l’estiment nécessaire ou utile, d’invoquer reconventionnellement devant le juge du fond saisi d’une action en concurrence déloyale intentée à leur encontre par la société Décathlon.
Si la réunion de ces conditions commande de faire droit à la demande de mesure d’instruction in futurum, il convient toutefois d’en circonscrire le contenu afin qu’il soit proportionné au motif légitime et à l’objectif poursuivi par la société Décathlon.
A ce titre, si cette dernière verse aux débats des éléments établissant suffisamment la vraisemblance des ventes d’août 2020 et mars 2021 ‘lesquelles ne sont pas au demeurant contestées’ il n’en va pas de même s’agissant de l’événement organisé en mai 2018 pour lequel elle se contente de produire une fiche synthétique dont elle est elle-même l’auteur et sur laquelle figure simplement la photo de 4 vélos exposés sous un barnum devant l’entrée du magasin.
En outre, au regard de la simplicité de la mesure sollicitée, consistant essentiellement en la production de documents administratifs, la société Décathlon n’explique pas en quoi l’intervention d’un commissaire de justice chargé de dresser procès-verbal des pièces produites serait de nature à en améliorer sensiblement l’efficacité alors même qu’elle en renchérirait le coût à la charge des sociétés Triathlon et DA Sport.
En conséquence, l’ordonnance entreprise sera infirmée et la mesure d’instruction ordonnée selon les modalités précisées au dispositif.
Sur les demandes accessoires
L’article 696 du Code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en remette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En conséquence, compte tenu de l’économie de la présente décision, la totalité des dépens de première instance et d’appel sera supportée par les sociétés Triathlon et DA Sport.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie, la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en tenant compte de l’équité, de la situation économique de la partie condamnée.
En l’espèce, eu égard aux circonstances, il y a lieu de condamner les sociétés Triathlon et DA Sport à payer à la société Décathlon la somme de 2.000 euros sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition et en dernier ressort,
– Infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
– Ordonne à la SAS Triathlon Sport et à la SASU DA Sport de communiquer à la SAS Décathlon France :
# la copie des déclarations préalables relatives aux ventes organisées par le magasin Intersport d'[Localité 1] sur son parking attenant en août 2020 et mars 2021 ;
# l’accusé de réception de chacune desdites déclarations mentionnant la date de réception du dossier complet par l’autorité compétente, tel que prévu à l’article R. 310-11 du code de commerce ;
– Dit que cette mesure sera assortie, pendant une durée de deux mois, d’une astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de 14 jours calendaires à compter de la signification de la présente décision ;
– Déboute la SAS Décathlon France de sa demande de mesure d’instruction relative à la période de mai 2018 ;
– Condamne la SAS Triathlon Sport et la SASU DA Sport à payer à la SAS Décathlon France la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne la SAS Triathlon Sport et la SASU DA Sport aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Cyril VIDALIE, conseiller faisant fonction de président, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière, Le Président,