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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 JUIN 2022
N° RG 19/03539 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TOXQ
AFFAIRE :
Société MOOGY anciennement dénommée Société HIQ CONSULTING
C/
[V] [U]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 25 Juillet 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT
N° Chambre :
N° Section : E
N° RG : F16/00604
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Jean-François BOULET
Me Violaine FAUCON-TILLIER
le : 17 Juin 2022
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX ,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant,fixé au 21 Avril 2022,puis prorogé au 16 Juin 2022, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Société MOOGY anciennement dénommée Société HIQ CONSULTING
N° SIRET : 488 404 823
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Jean-François BOULET de la SELARL INTER-BARREAUX BLB ET ASSOCIES AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0002,substitué par Me GRARE Nicolas,avocat au barreau de Paris.
APPELANTE
****************
Monsieur [V] [U]
né le 30 Avril 1981 à [Localité 5] (CAMEROUN)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Francine VIAUX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0122 ; et Me Violaine FAUCON-TILLIER, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 725.
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 11 Mars 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SAS Moogy, précédemment dénommée Hiq Consulting, exerce une activité d’ingénierie et de conseil opérationnel dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures et des sciences de la vie.
Par contrat de travail à durée indéterminée du 27 juillet 2011, M. [V] [U], né le 30 avril 1981, a été engagé par la société Agap2, filiale de la société Hiq Consulting, à compter du 3 octobre 2011, en qualité d’ingénieur en informatique, statut cadre, position 2.1, coefficient 115 de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 (Syntec).
Ce contrat faisait suite à un stage de six mois, du 4 avril au 30 septembre 2011, durant lequel M. [U] avait eu pour mission la refonte du système informatique, dans le cadre d’une convention de stage conclue entre la société Agap2 et l’école Supinfo.
Le salarié percevait en dernier lieu une rémunération brute mensuelle de 3 291,67 euros.
Par courrier du 1er février 2016, M. [U] a été convoqué à un entretien préalable qui s’est tenu le 11 février 2016. Il s’est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par lettre du 16 février 2016 ainsi rédigée :
« (…) Pour rappel, notre société vous a engagé en qualité d’Ingénieur Systèmes et Réseaux, en vertu du contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er octobre 2011, statut cadre.
Dans le cadre de vos fonctions vous deviez veiller au bon fonctionnement de notre système d’informations d’entreprise. Dans cette tâche vous étiez appuyé par la société Tribord, société de services informatiques qui intervient depuis la création de notre société, et par Mr [F] depuis le 20 avril 2015. Depuis le 5 janvier 2016 Mr [K], ingénieur ayant 15 ans d’expérience professionnelle en production informatique, a pris la responsabilité de notre système d’informations.
Au début de notre entretien je vous ai demandé de nous communiquer un mot de passe pour lequel Mr [K] vous a envoyé un e-mail le 4 février. Vous n’aviez pas répondu à Mr [K] et vous n’avez pas pu me le communiquer lors de notre entretien mais je vous réitère notre demande.
Depuis plusieurs mois nous vous avons alerté sur un comportement et une prise de liberté devenus inacceptables.
Vous vous êtes d’abord installé dans un bureau non prévu à cet effet et sans l’accord de votre direction. En parallèle Mr [F] intégrait notre société et alors que vous deviez l’assister quotidiennement, la localisation du bureau que vous vous étiez attribué ne vous permettait pas de répondre correctement à votre rôle d’encadrement.
De nombreux collaborateurs dont Mr [F] ont constaté un temps de présence et des horaires complètement aléatoires et ce sans nous en informer préalablement et sans aucune justification. Ces absences ont causé régulièrement des problèmes et une incompréhension générale de vos collaborateurs qui avaient pourtant besoin de vos services aux horaires de travail habituels.
En date du 15 décembre 2015 vous nous avez demandé notre accord pour prendre 3 semaines de congés en janvier 2016. Malgré notre avis négatif sur le sujet, comme à chaque fois où nous vous demandions de prendre des congés dans les périodes de faible activité, vous nous l’avez justifié en expliquant que sur la période des fêtes de fin d’année vous pourriez alors en profiter pour faire avancer vos projets. Dans cette perspective nous vous avons donné notre accord. Malheureusement nous avons constaté que non seulement vous n’aviez sur cette période pas fait avancer les projets comme nous le décrirons par la suite, mais vous avez de plus fait preuve d’un manque flagrant d’assiduité. A titre d’exemples le 22/12 vous êtes arrivé à 11h35 et êtes reparti à 18h15, le 23/12 arrivé à 10h40 et reparti à 15h16, le 24/12 arrivé à 10h11 et reparti à 16h30.
Nous vous avions alerté à plusieurs reprises ces derniers mois sur les sujets ci-dessus.
Concernant les projets sur lesquels vous auriez dû travailler sur la période des fêtes de fin d’année ils étaient nombreux et montrent soit un manque de compétences évident, soit un manque de travail. En effet nous avons avec l’arrivée dans la société de Mr [K] effectué un audit de notre système d’informations au 5 janvier 2016. Nous avons ainsi découvert des problèmes critiques (décrits ci-dessous) sur lesquels vous n’aviez pas réagi, ni alerté votre hiérarchie. Ces problèmes concernent la sécurité et la continuité de services de notre infrastructure :
– Pas de trace de sauvegarde du serveur de fichiers Adentis depuis plusieurs mois ;
– Pas de sauvegarde, ni de réplication SAGE/Active Directory depuis le 18 décembre 2015 ;
– Aucune sauvegarde complète du système depuis des années ;
– Certains serveurs non mis à jour depuis 6 mois ;
– De nombreux serveurs fonctionnant sans antivirus. Des traces de virus ont d’ailleurs été retrouvées ;
– Certains serveurs accessibles facilement depuis l’extérieur ; absence d’une zone démilitarisée ;
– Mauvaise gestion des droits d’administrateur de domaine ;
– Perte de données concernant la facturation post 2014 enregistrée sur SYGES et ce suite à un virus informatique et un dysfonctionnement de la restauration de données ;
– Informations techniques fausses figurant dans la ‘bible IT’ de la société.
Tous ces problèmes critiques pour la sécurité de notre société perduraient pour certains depuis des mois et vous ne nous en aviez pas informé alors que vous ne pouviez pas les ignorer. Vous deviez pourtant être sensibilisé aux problèmes de sécurité suite au virus informatique qui a attaqué notre système en novembre 2015 et au serveur de virtualisation qui ne fonctionnait plus en décembre 2015.
De manière générale nous avons constaté des problèmes de communication récurrents et nous vous avions alerté sur le sujet. Ainsi la société Tribord, Mr [F], vos clients internes et votre hiérarchie ont tous remonté des problèmes de communication, de transfert d’informations et de transparence. Malgré notre intervention à plusieurs reprises pour vous expliquer l’importance de la communication, la situation n’a visiblement pas évolué positivement. Suite à ces problèmes la société Bee Engineering, filiale d’Agap2, a refusé que vous participiez à son prochain déménagement pour s’orienter vers une structure informatique indépendante.
Dans la continuité des problèmes de communication/compréhension évoqués, nous vous avions demandé en septembre 2015 de valider un accord de confidentialité spécifique. En effet par votre fonction vous aviez accès à toutes les données de l’entreprise et de ses salariés et nous avions voulu formaliser avec vous cette situation. Vous avez reconnu l’intérêt de ce document mais malgré nos nombreuses relances vous n’avez jamais voulu le signer alors même que nous étions ouverts à le modifier/adapter et nous avions intégré l’ensemble de vos remarques. Nous n’avons pas compris votre position et cette situation associée aux autres éléments ci-dessus a plus qu’entamé notre confiance à votre égard.
Nous avons également constaté que vous aviez ouvert un site web à votre nom et pouvant témoigner d’une autre activité professionnelle. Le site se nomme [07], site dont le propriétaire est devenu étonnamment anonyme le 13 février 2016 soit très rapidement après votre entretien préalable à licenciement. Bien entendu nous avions enregistré ces données préalablement. A aucun moment vous ne nous avez demandé notre accord comme le stipule l’article sur l’exclusivité de service de votre contrat de travail. Vous ne nous avez pas non plus informé de cette situation qui à elle seule pourrait être qualifiée de faute grave.
Je vous ai également demandé lors de notre entretien si Agap2 avait reçu de la part de ses fournisseurs d’équipements informatiques des équipements gratuits dans le cadre des négociations commerciales. Vous ne m’avez pas répondu sur ce point.
Enfin vous avez adressé un mail à Mr [W], Directeur Général d’Agap2, le 3 décembre 2015, auquel Mr [W] vous a répondu le 4 janvier 2016. Votre e-mail témoignait d’un réel manque de remise en cause et d’une affabulation sur vos fonctions et responsabilités. Vos demandes d’évolution salariale et de statut au sein de la société étaient clairement inappropriées, déraisonnables et montraient déjà le décalage important entre la vision du poste que vous occupiez et les attentes que nous avions à votre égard. Dans ce contexte et avec de tels écarts il devenait difficile de poursuivre notre collaboration. Vous n’avez pas souhaité répondre précisément au mail de Mr [W] et vous vous êtes contenté de répondre le 5 janvier par, je cite : ‘Je vais faire comme si ne l’ai pas lu’.
Lors de notre entretien et alors que je vous ai énuméré tous ces faits, je vous ai à plusieurs reprises laissé la parole pour que vous puissiez me répondre et nous expliquer votre position. Vous n’avez pas souhaité répondre à tous ces sujets et vous vous êtes contenté de dire que vous vous étiez investi depuis le début au sein d’Agap2 et que vous faisiez très bien votre travail.
Devant la précision des faits reprochés je vous ai informé de ma surprise sur vos réponses et je n’ai pu que constater à nouveau un grave manque de remise en cause.
Compte tenu de la gravité des faits et devant une absence totale de réponse ou de justification de votre part aux faits reprochés, nous avons pris la décision de vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. (…) »
Par requête reçue au greffe le 22 mars 2016, M. [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de contester son licenciement et de voir condamner la société Hiq Consulting au versement de diverses sommes indemnitaires et salariales.
Par jugement rendu le 25 juillet 2019, le conseil de prud’hommes a :
– dit que le licenciement dont M. [U] a fait l’objet de la part de la société Hiq Consulting est sans cause réelle et sérieuse,
– condamné en conséquence la société Hiq Consulting à verser à M. [U] les sommes suivantes :
‘ 37 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire de la décision,
– condamné le défendeur à payer l’intérêt au taux légal sur tous les chefs de demandes à compter de la décision du conseil,
– débouté le demandeur du surplus de ses demandes,
– débouté le défendeur de sa demande ‘reconventionnelle’,
– mis les éventuels dépens à la charge du défendeur.
La société Hiq Consulting a interjeté appel de la décision par déclaration du 23 septembre 2019.
Par conclusions adressées par voie électronique le 8 juin 2020, elle demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
* dit que le licenciement dont M. [U] a fait l’objet de la part de la société Hiq Consulting est sans cause réelle et sérieuse,
* condamné en conséquence la société Hiq Consulting à verser à M. [U] les sommes suivantes :
‘ 37 500 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* condamné le défendeur à payer l’intérêt aux taux légal sur tous les chefs de demandes à compter de la décision du conseil,
* débouté le défendeur de sa demande ‘reconventionnelle’,
* mis les éventuels dépens à la charge du défendeur,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
* débouté M. [U] de sa demande de rappel de salaire sur prime objectif (année 2015) et de congés payés afférents,
* débouté M. [U] de sa demande de rappel de salaire sur prime exceptionnelle (décembre 2015) et de congés payés afférents,
– juger que le licenciement de M. [U] repose sur une cause réelle et sérieuse,
– débouter M. [U] de ses demandes,
– condamner M. [U] à verser à la société Hiq Consulting (‘Agap 2’) la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [U] au paiement des entiers dépens de l’instance.
Par conclusions adressées par voie électronique le 10 mars 2020, M. [U] demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reconnu l’existence d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à son encontre,
– confirmer de ce chef la condamnation de la société Hiq Consulting au paiement de la somme de 37 500 euros outre la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
et à titre d’appel incident,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [U] de ses demandes au titre du rappel de salaire sur prime d’objectif et congés payés afférents (année 2015) et rappel de salaire sur prime exceptionnelle et congés payés afférents (décembre 2015),
en conséquence et statuant à nouveau,
– condamner la société Hiq Consulting au paiement des sommes suivantes :
‘ 600 euros au titre du rappel de salaire sur prime objectif (année 2015),
‘ 60 euros au titre des congés payés afférents,
‘ 1 500 euros au titre du rappel de salaire sur prime exceptionnelle (décembre 2015),
‘ 150 euros au titre des congés payés afférents,
et rajoutant,
– condamner la société Hiq Consulting au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Par ordonnance rendue le 9 février 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 11 mars 2022.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
Sur le licenciement
L’article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l’existence d’une cause réelle et sérieuse.
L’article L. 1235-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.
Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties. En application de l’article L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé de faits matériellement vérifiables, à défaut de quoi le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.
Aux termes de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, il est reproché au salarié :
– l’absence de communication d’un mot de passe informatique,
– un comportement et une prise de liberté devenus inacceptables,
– un manque de compétence ou de travail,
– des problèmes de communication récurrents,
– l’ouverture d’un site web au nom du salarié pouvant témoigner d’une autre activité professionnelle,
– son refus de valider un accord de confidentialité, ce qui a entamé la confiance de l’employeur,
– une absence de réponse à la demande de son employeur concernant l’attribution d’équipements gratuits par les fournisseurs d’équipements informatiques de la société.
Il ressort des pièces versées aux débats que depuis le 3 octobre 2011, M. [U] exerçait plus précisément les fonctions d’ingénieur production et exploitation des systèmes d’information. Il travaillait pour l’ensemble du groupe Hiq Consulting, qui comptait 5 filiales et 16 agences réparties en Europe et, selon le salarié, il assumait la responsabilité du département informatique de ce groupe, en lien direct avec la direction générale.
– sur l’absence de communication d’un mot de passe informatique
L’employeur reproche à M. [U] de n’avoir apporté aucune réponse à la demande de mot de passe formulée par M. [O] [K], informaticien, dans un courriel du 4 février 2016 puis lors de l’entretien préalable du 11 février 2016 lorsque cette demande a été réitérée par sa hiérarchie. Ce n’est que le 25 février 2016, soit postérieurement à son licenciement, que le salarié a indiqué que « le mot de passe de la box du fournisseur Allemagne Télécom Lancom se trouve chez l’assistante administrative de la filiale Allemagne ».
Les premiers juges ont justement relevé que le 4 février 2016, date d’envoi du courriel de M. [K], le salarié était dispensé de toute activité depuis le 1er février 2016.
En outre, M. [U] fait valoir en réplique qu’il ne détenait pas les mots de passe des box domestiques souscrites par les agences auprès des fournisseurs et qu’un rapprochement était donc nécessaire auprès de l’agence qui avait souscrit l’abonnement, qu’au surplus l’employeur avait à sa disposition la ‘Bible informatique Hiq’ qu’il avait rédigée, dont il fournit un extrait, et qui contenait les configurations de tout le système informatique du groupe, avec en particulier le schéma du réseau de l’agence Agap2 Francfort (page 26) et l’information d’accès aux équipements internet des agences (page 64).
Le grief n’est pas avéré.
– sur le comportement et la prise de liberté devenus inacceptables
L’employeur reproche à M. [U] :
– de s’être installé, sans l’accord de la direction, dans un bureau non distribué, ce qui ne lui permettait pas de répondre correctement à son rôle d’encadrement,
– d’avoir adopté des horaires aléatoires, sans information préalable de la direction et sans justification, les absences du salarié ayant entraîné des problèmes et une incompréhension générale de ses collaborateurs,
– d’avoir fait preuve d’un manque flagrant d’assiduité durant la période des fêtes de fin d’année.
Le salarié explique qu’il n’avait pas de bureau individuel et qu’il utilisait un bureau non dédié à proximité de l’open space, trop bruyant, afin de se concentrer sur ses travaux qui consistaient à faire évoluer et rendre plus compétitif un environnement informatique complexe concernant 5 filiales et 16 agences réparties en Europe, ce qui ne l’empêchait pas d’échanger avec M. [B] [F], jeune administrateur système dont il assurait la formation et qui pouvait le consulter si nécessaire.
S’agissant de ses horaires de travail, il fait justement observer, sans être au demeurant contredit, qu’il n’y avait aucun affichage d’horaire de travail dans l’entreprise, que son contrat de travail ne précisait pas non plus ses horaires de travail et que ses fonctions supposaient de nombreux déplacements. Il produit des courriels établissant qu’il était amené à travailler en dehors des heures habituelles de travail, notamment pendant ses congés. La cour observe en outre que l’employeur reste évasif sur les problèmes prétendument générés par les horaires ‘aléatoires’ du salarié, sachant que ce dernier se limitait à encadrer M. [F] ainsi qu’un autre ingénieur en période d’essai sur l’agence de [Localité 6].
Le grief n’est pas caractérisé.
– sur le manque de compétence ou de travail
La société Hiq Consulting expose qu’à son arrivée dans l’entreprise, le 5 janvier 2016, M. [K] a effectué un audit du système d’informations, qui a mis en évidence des problèmes critiques concernant la sécurité et la continuité de services de l’infrastructure informatique (absence de sauvegardes, de mise à jour de serveurs, serveurs accessibles depuis l’extérieur, mauvaise gestion des droits d’administrateur de domaine, perte de données, informations techniques fausses dans la ‘Bible IT’), sur lesquels M. [U] n’a ni réagi ni alerté sa hiérarchie, et ce alors que ces problèmes perduraient pour certains depuis des mois.
Elle produit une attestation de M. [K], son audit du 5 janvier 2016 consistant en deux tableaux listant des indicateurs serveurs (1 page) et des incidents (1 page), des échanges de courriels internes relatifs à des problèmes informatiques survenus en juin 2015 (disparition de dossiers sur le réseau) et novembre 2015 (problème de chiffrement des dossiers sur le serveur).
M. [U] fait observer que l’audit du système informatique effectué par M. [K] date du jour même de son entrée dans la société, le 5 janvier 2016, alors qu’il méconnaissait clairement le fonctionnement de l’entreprise tant au regard du suivi informatique que des partenaires mandatés dans les contrôles des systèmes, que de surcroit cet audit a été réalisé moins d’un mois avant la remise de sa convocation à entretien préalable.
Il établit que les systèmes de sauvegarde des données se faisaient automatiquement sans son intervention et qu’en cas d’échec de la sauvegarde sur un serveur, les autres serveurs disposaient des données et assuraient la continuité du service ainsi que cela était documenté dans la ‘Bible informatique Hiq’, qu’en outre le prestataire, la société Tribord, assurait le contrôle et la vérification de la sauvegarde et intervenait si nécessaire, qu’un nouveau système de supervision et de monitoring de 110 équipements a été installé en décembre 2015, que les mises à jour se faisaient automatiquement sur les serveurs et que les antivirus étaient déployés automatiquement, la société Tribord assurant là aussi un contrôle. Il indique qu’il n’a jamais été possible d’accéder aux serveurs depuis l’extérieur.
Il communique un courriel du 20 novembre 2015 de M. [X] [W], directeur général, le félicitant après une intervention durant toute la nuit du 19 au 20 novembre à la suite d’un problème de chiffrement sur certains dossiers sur le serveur, dont il avait alerté sa hiérarchie, de même qu’il lui a signalé en juillet 2015 un problème de surchauffe de la salle serveur Agap2 Paris en raison d’une climatisation défaillante, qui n’a pas été remplacée malgré ses demandes. Il souligne sa sensibilisation à la sécurité informatique avec la réalisation d’un manuel destiné à la direction et aux intervenants expliquant le fonctionnement de l’infrastructure numérique du groupe.
Le salarié verse aux débats plusieurs rapports d’audit interne datant de 2015 et attestant de la conformité des processus.
L’ensemble de ces éléments contredit l’allégation de l’employeur d’un manque de compétence ou de travail.
– sur les problèmes de communication récurrents
L’employeur reproche encore à M. [U] des problèmes de communication, de transfert d’informations et de transparence, sans toutefois en démontrer la réalité, et ce tandis que les éléments produits par l’intéressé, notamment un compte-rendu détaillé du 9 octobre 2015 des principaux projets réalisés durant l’année écoulée, établissent le contraire.
– sur l’ouverture d’un site web au nom du salarié pouvant témoigner d’une autre activité professionnelle
La société Hiq Consulting fait grief au salarié d’avoir ouvert un site web à son nom, sans avoir demandé son accord ni même l’avoir préalablement informée, en violation de la clause d’exclusivité de service de son contrat de travail.
M. [U] explique que ce site (desanne.fr) a été créé en 2014 pour sa mère, [H] [S] (le nom du site est un mélange de ses prénoms), qui en tant que couturière styliste, commerçante au Cameroun, a fait appel aux compétence informatiques de son fils afin de présenter une vitrine de ses activités de vente de textiles et de prêt-à-porter sur internet ; que ce site, qui ne le concernait pas, n’a jamais été réellement mis en place et a d’ailleurs fini par être fermé.
La cour constate en effet que les pages du site versées aux débats par l’employeur sont restées à l’état de projet, les textes notamment n’étant pas finalisés.
Le grief n’est pas établi.
– sur le refus du salarié de valider un accord de confidentialité daté du 22 septembre 2015
La société Hiq Consulting expose avoir voulu formaliser un accord de confidentialité avec le salarié, au regard de ses fonctions qui lui permettaient d’accéder à toutes les données de l’entreprise et de ses salariés. Or, M. [U] n’a pas voulu signer la dernière version de l’accord qui lui a été transmise le 5 octobre 2015, ce qui a entamé la confiance de l’employeur à son égard.
Le salarié rétorque qu’il ne voulait pas être tenu pour l’unique responsable en cas de perte ou de fuite de données sensibles de l’entreprise et souhaitait qu’une clause de confidentialité similaire soit imposée à toutes les personnes ayant les mêmes droits d’accès que lui, qu’au surplus une clause afférente au secret professionnel figurait déjà dans son contrat de travail ainsi qu’il l’a mentionné dans un courriel adressé le 7 janvier 2016 à la responsable des ressources humaines.
En outre, il sollicitait de l’employeur la signature d’un avenant à son contrat de travail intégrant sa fonction de IT manager groupe Hiq, occupée en pratique sans être reconnue dans le contrat, ainsi qu’un salaire adéquat.
Dans ces conditions, il ne saurait être fait grief au salarié son refus de signer cet accord, qu’il était légitime à ne pas signer, étant observé que sans modifier ses fonctions par la voie d’un avenant comme cela lui était demandé, l’employeur a mentionné en tête du projet d’accord de confidentialité, dans le paragraphe désignant les parties au contrat, que M. [U] était ‘Responsable du département Systèmes d’Informations des sociétés Hiq Consulting SAS, Bee Engineering SASU, Adentis SASU, Hiq Consulting Sprl société de droit belge, Hiq Consulting AG société de droit suisse, Hiq Consulting Gmbh société de droit allemand’, ce qui vient contredire le décalage entre sa vision du poste et les attentes de l’employeur, tel qu’évoqué dans la lettre de licenciement, ainsi que ‘l’affabulation sur [ses] fonctions et responsabilités’ reprochée au salarié.
– sur l’absence de réponse à la demande de son employeur concernant ‘attribution d’équipements gratuits par les fournisseurs d’équipements informatiquesde la société
L’employeur considère comme fautif le fait pour M. [U] de ne pas avoir répondu, lors de l’entretien préalable, à la question de savoir s’il avait reçu de la part de ses fournisseurs d’équipements informatiques des équipements gratuits dans le cadre des négociations commerciales.
Ce grief n’est aucunement étayé, et ce alors que le salarié soutient avoir répondu lors de l’entretien préalable qu’aucun fournisseur ne lui avait délivré d’équipement gratuit.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le licenciement de M. [U] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, comme l’ont retenu les premiers juges, qui ont par ailleurs fait une juste appréciation du montant des dommages-intérêts à lui allouer.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu’il a condamné la société Hiq Consulting à verser au salarié la somme de 37 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes de rappels de salaire
– sur la prime d’objectif
M. [U] sollicite le paiement de la somme de 600 euros, outre congés payés afférents, au titre de la prime d’objectif 2015 au motif qu’il a atteint l’ensemble des objectifs qui lui ont été assignés aux termes d’une fiche de prime d’objectif écrite de la main de M. [W], directeur général, et qu’il s’est vu verser une prime de seulement 300 euros.
L’employeur s’y oppose en arguant que la ‘fiche’, non signée, dont se prévaut le salarié ne comprend aucun engagement unilatéral ou contractuel de la part de la société Hiq Consulting, que de surcroît M. [U] ne rapporte aucunement la preuve de la réalisation des ‘tâches’ indiquées dans ce document, qu’il a perçu une prime d’objectif de 300 euros en mai 2015 et n’a jamais indiqué qu’il n’aurait pas été réglé de l’intégralité de ce que la société lui devait, ce qui démontre également que sa demande est infondée.
Sur ce, il ressort du contrat de travail du 27 juillet 2011 que M. [U] était rémunéré par un salaire brut annuel versé sur douze mois, correspondant à 218 jours de travail effectif par an et tenant compte des dépassements horaires éventuellement accomplis dans la limite de 10 % de l’horaire hebdomadaire conventionnel, qu’il percevait en outre une prime de vacances au mois de juin de chaque année égale à 10 % de l’indemnité de congés payés et que sa rémunération pouvait être complétée de la participation aux bénéfices de l’entreprise. Aucune prime d’objectif n’était contractuellement prévue.
Le bulletin de paie du mois de mai 2015 fait état du versement d’une prime d’objectif de 300 euros.
Le salarié produit en pièce n°33 une feuille manuscrite datée du 16 février 2015 à [Localité 6] et intitulée ‘TAF’, visant neuf points et mentionnant en bas de page ‘100 €/tâche réalisée’. Faute cependant pour la cour d’en déterminer l’auteur, ce document, qui ne comporte aucune signature, est insuffisant à établir que M. [U] s’était officiellement vu fixer ces objectifs.
Les premiers juges méritent en conséquence d’être suivis en ce qu’ils ont débouté le salarié de sa demande de rappel de prime d’objectif.
– sur la prime exceptionnelle
M. [U] sollicite également le paiement de la somme de 1 500 euros, outre congés payés afférents, au titre de la prime exceptionnelle 2015, faisant valoir que cette prime lui a été constamment versée en juin et décembre de chaque année depuis 2012, sauf en décembre 2015, que le versement de cette prime doit être reconnu comme un usage dont le retrait sans dénonciation préalable est infondé.
L’employeur soutient en réplique que les primes exceptionnelles versées au salarié, et à lui seul, constituent de simples libéralités discrétionnaires et non un usage.
Il ressort toutefois de l’analyse de ses bulletins de paie depuis 2012 que M. [U] a perçu à titre de prime exceptionnelle la somme de 500 euros au mois de juin de chaque année, y compris en 2015, et la somme de 1 500 euros au mois de décembre 2012, 2013 et 2014.
Le salarié apparait dès lors bien fondé à se voir verser la somme de 1 500 euros à titre de rappel de salaire sur prime exceptionnelle 2015.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société Hiq Consulting supportera les dépens en application des dispositions de l’article’696 du code de procédure civile.
Elle sera en outre condamnée à payer à M. [U] une indemnité sur le fondement de l’article’700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, qui sont donc confirmés, et 3 000’euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement rendu le 25 juillet 2019 par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt sauf en ce qu’il a débouté M. [V] [U] de sa demande de rappel de salaire sur prime exceptionnelle 2015 ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la société Moogy, précédemment dénommée Hiq Consulting, à verser à M. [V] [U] la somme de 1500 euros à titre de rappel de salaire sur prime exceptionnelle 2015 ;
CONDAMNE la société Moogy, précédemment dénommée Hiq Consulting, à verser à M. [V] [U] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la société Moogy, précédemment dénommée Hiq Consulting, de sa demande de ce chef ;
CONDAMNE la société Moogy, précédemment dénommée Hiq Consulting, aux dépens.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code procédure civile et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,