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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 2
ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2023
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/01081 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHC5K
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 19 Janvier 2023 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 22/01141
APPELANT
Monsieur [O] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Sébastien BOURDON, avocat au barreau de PARIS, toque : D1394
INTIMÉE
S.A.S. BRUCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Elodie QUINTARD, avocat au barreau de PARIS, toque : E1907
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Marie-Paule ALZEARI, présidente
Christine LAGARDE, conseillère
Didier MALINOSKY, Magistrat Honoraire
Greffière lors des débats : Mme Alicia CAILLIAU
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
– signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Bruce (ci-après la ‘Société’) est une société de travail temporaire qui favorise la mise en relation entre chercheurs d’emploi et entreprises par un processus digitalisé.
M. [O] [Z] a été est embauché par contrat à durée indéterminée le 10 décembre 2019 par la Société en qualité de « responsable comptes clés ».
Le contrat de travail comporte une clause de non concurrence couvrant le territoire français national et prévoyant une indemnité équivalent à 20% du salaire moyen mensuel brut (article 7), ainsi que des clauses d’exclusivité, de confidentialité et de non-sollicitation.
L’« accord de confidentialité » a été signé le 10 décembre 2019.
Le contrat de travail est régi par la convention collective nationale des salariés permanents des entreprises de travail temporaire.
Un avenant du 30 juin 2020 intitulé « avenant de modification au contrat de travail » prévoit que M. [Z] est promu au poste de « responsable de marché logistique-retail-transports, cadre, niveau H ».
Cet avenant contient une clause de non-concurrence applicable pendant une durée de 12 mois après la cessation du contrat couvrant le territoire français national et prévoyant une indemnité équivalent à 30% du salaire moyen mensuel brut.
Par « avenant relatif à la revalorisation du salaire mensuel brut » signé le 1er février 2021, sa rémunération a été élevée.
Par « avenant relatif à la modification du poste occupé » du 1er novembre 2021, le salarié a été promu directeur commercial.
Sa rémunération est de 6 500 euros pour 151,67 heures de travail par mois.
Par courrier du 11 avril 2022, adressé en pièce jointe par mail du même jour, M. [Z] a démissionné « du poste de directeur du développement business », précisant qu’il effectuerait son préavis de trois mois de sorte que la fin de contrat à prévoir est le 11 juillet 2022.
Par courriel du 13 juin 2022, M. [Z] a demandé à la Société de lui confirmer que la clause de non-concurrence n’était pas levée, ce qui a été confirmé par l’employeur qui a précisé qu’elle lui serait payée.
Le contrat de travail a pris fin le 11 juillet 2022, date à laquelle les parties ont signé le solde de tout compte.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 20 juillet 2022, renouvelé le 29 août 2022, le conseil de la Société a mis en demeure M. [Z] et la société Gojob de cesser toute relation de travail faisant état de faits de concurrence déloyale en violation de la clause de non-concurrence qui la liait à son ancien salarié.
Par requête reçue le 2 novembre 2022, la Société a saisi le conseil de prud’hommes de Paris en sa section des référés aux fins de faire cesser tout trouble manifestement illicite en ordonnant à M. [Z] de cesser de prêter son concours à la société Gojob et de cesser de tout agissement déloyal.
Le 17 novembre 2022 M. [Z] a porté plainte auprès du procureur de la République de Paris pour faux et usage de faux
Par ordonnance de référé rendue le 19 janvier 2023, le conseil de prud’hommes de Paris a rendu la décision suivante :
« Ordonné à Monsieur [Z] d’avoir à cesser de prêter son concours à la société GOJOB, de quelque manière que ce soit, notamment en qualité de salarié, sous astreinte de 300 euros par jour, à compter du prononcé de la décision à intervenir ;
Ordonné à Monsieur [Z] d’avoir à cesser tout agissement déloyal au préjudice de la société Bruce, de quelque nature que ce soit, et notamment d’avoir à cesser :
– tout accès à des documents internes confidentiels de la société et, le cas échéant, toute utilisation desdits documents ;
– toute incitation au débauchage de salariés de la société Bruce ;
Le tout sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir ;
Ordonne à Monsieur [Z] à verser à la société Bruce la somme de 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit n’y avoir lieu à référé pour les demandes reconventionnelles ;
Condamne Monsieur [Z] aux dépens ainsi qu’aux frais d’expertise graphologique ».
Selon déclaration du 7 février 2023, M. [Z] a interjeté appel de cette décision.
M. [Z] a saisi le premier président de la cour d’appel de céans aux fins d’arrêt de l’exécution provisoire ce à quoi s’est opposée la Société qui a titre reconventionnel a sollicité devant lui la radiation de l’appel interjeté faute d’exécution de l’ordonnance de référé.
Par ordonnance en date du 20 avril 2023, le premier président a rejeté la demande de M. [Z] d’arrêt de l’exécution provisoire et s’est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de radiation de la Société qu’il a jugée irrecevable.
Il a, en outre, condamné M. [Z] à payer à la Société la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 25 mai 2023, M. [Z] demande à la cour de :
« Sur la demande reconventionnelle de radiation, il est demandé à la Cour d’Appel de Paris :
– De déclarer Irrecevable la demande de la société BRUCE aux fins de radiation ;
– Et en toute hypothèse, Débouter la Société BRUCE de sa demande, au regard des conditions posées par l’article 524 du Code de Procédure Civile.
Il est demandé à la Cour d’Appel de Paris d’INFIRMER la décision déférée en ce qu’elle a :
– Fait droit à la demande de la société BRUCE et ordonné à Monsieur [Z] d’avoir a cesser d’apporter son concours à la société GOJOB sous astreinte de 300 euros,
– Fait droit à la demande de la société BRUCE et ordonné à Monsieur [Z] d’avoir a cesser d’adopter des agissement déloyaux à l’encontre de la société BRUCE sous astreinte de 300 euros
– Débouté Monsieur [Z] de ses demandes reconventionnelles ;
– Condamné Monsieur [Z] à verser 200 € au titre de l’article 700 CPC
– Condamné Monsieur [Z] aux entiers dépens
Et sur ces points, statuant de nouveau, il est demandé à la Cour de :
– Constater que les critères de l’article 873 CPC ne sont pas réunis ;
– Et donc déclarer son action irrecevable ;
– Et donc débouter la société BRUCE de ses demandes.
Sur les demandes reconventionnelles, il est demandé à la Cour :
– De condamner la société BRUCE à verser à Monsieur [Z] la somme de 10 000 euros bruts au titre de la prime promise en juillet 2022, ainsi que 1.000 euros de congés payés s’y rapportant,
– Condamner la société BRUCE à communiquer à Monsieur [Z] une attestation POLE EMPLOI, d’un solde de tout compte et d’un bulletin de paie rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document,
– Condamner la société BRUCE à verser à Monsieur [Z] la somme de 1 800 euros TTC au titre des frais d’expertise,
– Condamner la société BRUCE à verser à Monsieur [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 CPC ;
– Condamner la société BRUCE aux entiers dépens ».
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 1er juin 2023, la Société demande à la cour de :
« A titre principal :
– RADIER l’affaire enrôlée sous le numéro RG 23/01081 devant le Pôle 6 ‘ chambre 2 de la Cour d’Appel de Paris ;
Subsidiairement,
– CONFIRMER l’ordonnance de référé rendue par le Conseil de Prud’hommes de PARIS en date du 19 janvier 2023 en toutes ces dispositions, et notamment en ce qu’elle a :
o Ordonné à Monsieur [O] [Z] d’avoir à cesser de prêter son concours à la société GOJOB, de quelque manière que ce soit, notamment en qualité de salarié sous astreinte de 300 euros par jour à compter du prononcé de la décision ;
o Ordonné à Monsieur [O] [Z] d’avoir à cesser tout agissement déloyal au préjudice de la S.A.S. BRUCE, de quelque nature que ce soit, et notamment d’avoir à cesser :
Tout accès à des documents internes confidentiels de la société et, le cas échéant, toute utilisation desdits documents ;
Toute incitation au débauchage de salarié de la S.A.S BRUCE ;
Le tout sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision.
o Condamné Monsieur [O] [Z] à verser à la S.A.S. BRUCE la somme de 200 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
o Dit n’y avoir lieu à référé pour les demandes reconventionnelles ;
o Condamné Monsieur [O] [Z] aux dépens ainsi qu’aux frais d’expertise graphologique.
Et, en tout état de cause, statuant à nouveau :
– CONDAMNER Monsieur [O] [Z] à verser à la société BRUCE la somme de 2.500 € à titre d’indemnité au titre de l’article 700 du CPC ;
– CONDAMNER Monsieur [O] [Z] aux dépens de la procédure ».
L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 juin 2023.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la demande de radiation
La Société fait valoir que :
– M. [Z] refuse d’exécuter l’ordonnance de référé en ce qu’elle lui a ordonné de cesser de prêter son concours à la société Gojob, et de cesser tout agissement de concurrence déloyale ce qui lui est actuellement préjudiciable ;
– rien n’empêche M. [Z] de travailler pour tout autre employeur, pourvu qu’il ne soit pas un concurrent ;
– le premier président s’étant déclarant incompétent pour statuer sur cette demande, elle est fondée à en faire la demande à la cour.
M. [Z] soutient que :
– cette demande est irrecevable, le conseiller de la mise en état n’est pas saisi tandis que le premier président l’a déboutée ;
– l’exécution de la décision est susceptible d’entraîner des conditions manifestement excessives et irréversibles ou de nature à mettre en péril sa situation puisqu’il perdrait son travail et toute possibilité de rémunération, l’exécution entraînant, ipso facto, la perte définitive de son emploi, avec comme seule voie, la démission, privative des indemnités de Pôle emploi ;
– dans ces conditions, il demande d’ordonner la suspension de l’exécution provisoire et de débouter la Société de sa demande de radiation.
Sur ce,
L’article 524 du code de procédure civile stipule que « lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision.
La demande de l’intimé doit, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, être présentée avant l’expiration des délais prescrits aux articles 905-2,909,910 et 911(‘) ».
Le premier président s’est déclaré incompétent pour statuer sur cette demande « qui ne saurait être formée devant la juridiction du premier président, qui par définition, n’est pas saisi de l’appel au fond ».
La cour rappelle que le juge de la mise en état n’est pas saisi.
Dès lors, cette demande de radiation doit être déclarée irrecevable pour être présentée devant la cour.
Sur la compétence du juge des référés
Sur la violation de la clause de non-concurrence
M. [Z] fait valoir que :
-il a découvert l’existence de l’avenant du 30 juin 2020 qu’il n’a jamais signé dans le cadre des échanges postérieurs à la rupture de son contrat de travail, la signature présente sur le document n’est pas la sienne et il a porté plainte pour faux ;
– si la Société a versé aux débats un transfert de plusieurs courriels provenant de la boîte mail professionnelle qui lui a été attribuée, et contenant l’avenant contesté, il constate que le premier envoi contenant l’avenant contesté émane de l’adresse mail d’un alternant qui a déclaré n’avoir jamais envoyé le premier mail litigieux et que l’avenant n’a jamais été appliqué ;
– l’identification de l’émetteur réel du courrier concerné, tout comme l’identification du signataire réel, outrepassent les compétences du juge des référés de sorte qu’il n’y a pas la démonstration de la violation d’un droit ;
– le tribunal de commerce, saisi par la Société à l’encontre de la société Gojob en vertu de la même clause de non-concurrence, a considéré notamment que l’évidence de la licéité de cette clause dans l’avenant ne peut être démontrée ;
– il est soumis à une clause de non-concurrence par son contrat initial mais la clause est illicite alors que l’étendue géographique est imprécise et que la contrepartie financière est dérisoire de sorte qu’elle est inopposable et qu’aucun trouble manifestement illicite ne peut être caractérisé.
La Société oppose que :
– M. [Z] se savait lié par une clause de non-concurrence non contestée (que ce soit au titre de son contrat initial ou de son avenant), et en a demandé la levée avant la fin de son contrat de travail, ce qu’elle a refusé ;
– c’est donc en parfaite connaissance de cause que M. [Z] a choisi de se mettre au service d’un concurrent direct, la société Gojob, en violation de ses engagements, de sorte qu’elle conclut à la compétence du juge des référés ;
– M. [Z] n’a engagé aucune procédure en contestation de la clause préalablement à son engagement auprès de la société Gojob ;
– la clause répond aux critères légaux puisqu’elle est limitée géographiquement, limitée dans le temps et assortie d’une contrepartie financière, l’accord collectif en date du 23 janvier 1986 relatif aux salariés permanents des entreprises de travail temporaire prévoyant une contrepartie minimale à 20% de la moyenne mensuelle de la rémunération du salarié.
Sur ce,
L’article R. 1455-6 du même code dispose que « la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».
En application de la disposition précitée, le trouble manifestement illicite résulte d’un fait matériel ou juridique qui constitue une violation évidente d’une norme obligatoire dont l’origine peut être contractuelle, législative ou réglementaire, l’appréciation du caractère manifestement illicite du trouble invoqué, relevant du pouvoir souverain du juge des référés.
Il n’est pas contesté que par courriel du 13 juin 2022, avant la fin de son contrat de travail, M. [Z] a demandé à la Société de lui confirmer que la clause de non-concurrence n’était pas levée, ce qui a été confirmé par l’employeur qui a précisé qu’elle lui serait payée, de sorte que M. [Z] savait qu’il était lié par une clause de non-concurrence.
Ce dernier conteste cependant être lié par la clause de non-concurrence stipulée dans l’avenant du 30 juin 2020 intitulé « avenant de modification au contrat de travail ».
Il ressort des pièces produites aux débats, que tant le contrat initial, que l’avenant du 30 juin 2020 que M. [Z] conteste avoir signé, comprennent notamment une clause de non-concurrence.
La cour relève aussi que les avenants qu’il ne conteste pas avoir signés ensuite, soit celui du 1er février 2021 « avenant relatif à la revalorisation du salaire mensuel brut » et celui du 1er novembre 2021 « avenant relatif à la modification du poste occupé » , mentionnent tous deux l’avenant modificatif du 1er juillet 2020 « signé entre les parties passant M. [Z] au poste de responsable de marché logistique-retail-transports, cadre, niveau H ».
Force est de constater que M. [Z] n’a pas, antérieurement à la présente procédure, contesté le fait que l’avenant modificatif du 1er juillet 2020 avait été signé entre les parties.
L’avenant du 30 juin 2020 à effet du premier juillet, intitulé « avenant de modification au contrat de travail » prévoit que M. [Z] est promu au poste de « responsable de marché logistique-retail-transports, cadre, niveau H » et que la durée du travail sera de 181,86 heures.
La cour relève que jusqu’en octobre 2021 son poste est resté intitulé « responsable comptes clés » et que les heures renseignées sont restées inchangées, soit 151,67. A compter de novembre 2021, le poste mentionné sur les fiches de paye devient « directeur développement commercial », et à compter de janvier 2022 il est mentionné 181.81 heures.
M. [Z] reste au niveau G jusqu’à son départ de l’entreprise, les avenants qu’il ne conteste pas avoir signés mentionnant le niveau H, de sorte qu’il ne peut être utilement déduit des intitulés de poste, du niveau renseigné, de même que du poste occupé, que l’avenant contesté n’a jamais été appliqué, alors que ces informations ne sont pas conformes à ce qui est mentionné dans les avenants non contestés.
S’agissant de l’avenant contesté, il ressort de la lecture de l’échange de mails produits aux débats, que le 14 janvier 2021, de l’adresse mail de M. [Z] ont été adressées deux pièces jointes intitulées pour l’un des deux « modificatif contrat de travail-[O] [Z] » contenues dans un mail dont l’objet renseigné est « documents signés ».
L’expert en informatique et techniques associées inscrit sur la liste des experts de la cour d’appel de Versailles qui est intervenu à la demande de la Société, et en présence d’un commissaire de justice, a conclu dans son « rapport technique privé » que le mail adressé par M. [Z] le 14 janvier 2021, contenant dans un de ses pièces jointes, l’avenant à son contrat de travail à effet du 1er juillet 2020 signé, « est intègre et n’a pas été modifié ».
L’expert en écriture inscrite sur la liste des experts près la cour d’appel de Paris, désignée par M. [Z] conclut à ce que la signature apposée en bas de l’avenant modificatif n’est pas de la main de ce dernier, après étude de différents spécimen présentant des variations, la cour observant à cet égard que l’analyse des pièces produites aux débats conduit à constater que M. [Z] signe ses documents de différentes façons (contrat initial, avenant contesté, avenants non contestés, démission, accord de confidentialité, solde de tout compte, acceptation d’un crédit…).
La cour relève, tout comme l’expert en écriture, que la signature litigieuse apposée présente un schéma graphique différent au niveau des formes et des mouvements des signatures de comparaisons « variantes » qui lui ont été soumises, ce schéma graphique étant aussi différent des signatures « variantes » produites par la Société aux débats.
Pour autant, l’expert en informatique a analysé le protocole pour création de la signature électronique et a présenté le cheminement qui l’a conduit à valider cette dernière.
Dès lors, il n’y avait aucune ambiguïté s’agissant de l’existence d’une clause de non-concurrence liant les parties depuis le début de leurs relations contractuelles et modifiée par « avenant de modification au contrat de travail », l’expertise graphologique ayant conclu que M. [Z] n’est pas le signataire de l’avenant litigieux n’étant nullement de nature à entamer la conviction de la cour sur ce point s’agissant d’une signature électronique, compte tenu de l’ensemble des éléments concordants analysés plus haut, et ce sans qu’il soit nécessaire de suivre encore davantage les parties dans le détail de leur argumentation ni de répondre à des conclusions que les constatations précédentes rendent inopérantes.
S’agissant de la clause de non concurrence, elle doit être justifiée par les intérêts légitimes de l’entreprise. Elle doit expressément faire référence à une limitation dans le temps et dans l’espace. Elle doit comporter une contrepartie financière.
Si le salarié manque, dès la rupture de son contrat de travail, même momentanément, à son obligation de non-concurrence, il perd son droit à indemnité, cette indemnité étant la contrepartie d’une obligation à laquelle il s’est soustrait. L’obligation de paiement de l’employeur est définitivement éteinte, même si le salarié cesse ensuite l’activité concurrente.
En l’espèce, l’article 3-1 de l’avenant dispose :
« 3-1 Compte tenu de la nature de ses fonctions et en particulier eu égard à l’étendue de ses responsabilités au sein de l’entreprise qui lui confère un accès direct aux informations les plus confidentielles sur :
La technologie,
Les stratégies internes et externes,
Les clients actuels et futurs,
Les données quantitatives internes.
Monsieur [O] [Z] s’interdit, lors de la cessation du présent contrat, quels qu’en soient l’auteur et la cause, d’exercer une activité directement ou indirectement, par personne physique ou morale interposée, pour son compte ou pour celui d’un tiers, et plus généralement une activité, sous quelque forme que ce soit, aussi bien en tant que collaborateur, professionnel ou entrepreneur indépendant qu’en qualité de consultant ou conseil extérieur, d’associé ou dirigeant, au profit d’une entreprise créée, en voie de création ou à créer qui serait susceptible de concurrencer celle de la Société. Cette interdiction de concurrence est limitée à une période de 12 mois à compter du jour de la cessation effective du contrat, et couvre le territoire français national (Corse et DOM ‘ TOM compris).
La présente interdiction est également limitée au secteur professionnel de la Société, c’est à dire celui des agences de travail temporaire. De même, pendant une durée de douze (12) mois à compter de la date de cessation effective de sa collaboration, Monsieur [O] [Z] s’interdit formellement de démarcher ou de contacter, directement ou indirectement, toute personne physique ou morale ayant été ou étant cliente de la Société, auprès de laquelle elle l’aura représentée, afin de présenter ou proposer des produits ou services susceptibles de concurrencer ceux de la Société.
3-2 En contrepartie des interdictions définies au 3-1, la société BRUCE versera à Monsieur [O] [Z] après la cessation effective de son contrat et pendant toute la durée de l’interdiction, une indemnité forfaitaire mensuelle brute égale à 30% du salaire moyen mensuel brut, de ses 3 derniers mois d’appartenance à la société (primes proratisées et hors avantages).
Pour l’application de ces dispositions, Monsieur [O] [Z] devra informer par LRAR son ancien employeur de sa situation. Cette indemnité compensatoire ne sera acquise que mois par mois.
Sur les sommes qu’elle versera à Monsieur [O] [Z] en application du présent article, la Société sera en droit de retenir toutes taxes ou cotisations sociales à la charge du bénéficiaire, selon les modalités fixées par la réglementation en vigueur.
3-3 Toute violation par Monsieur [O] [Z] des interdictions visées au point 7.1 de son contrat de travail, entraînera de plein droit l’obligation pour Monsieur [O] [Z] de rembourser à la société BRUCE toutes les sommes perçues au titre de l’indemnité prévue à l’article 3-2 ci-dessus.
En pareil cas, la société se réserve, en outre, le droit d’engager à l’encontre de Monsieur [O] [Z] toute action afin d’obtenir la cessation, sous astreinte, de l’activité concurrentielle et l’indemnisation du préjudice effectivement subi par elle ».
La Société et la société Gojob exercent des activités concurrentes, dans l’activité digitalisée de placement de salariés et de travail temporaire.
M. [Z] travaille au sein de cette dernière et il a été établi ci-dessus qu’avant son départ de la Société, il se savait lié par une clause de non-concurrence.
L’appréciation du caractère licite ou non de la clause de non-concurrence, d’ailleurs non soulevée s’agissant de celle figurant dans l’avenant qu’il conteste avoir signé, ne relève pas, en tout état de cause des pouvoirs du juge des référés, étant observé cependant qu’elle est limitée dans le temps et dans l’espace et que la contrepartie financière est supérieure à celle figurant dans la convention collective.
Il ressort en revanche de l’ensemble des considérations qui précèdent que la Société apporte la démonstration d’un trouble manifestement illicite dans le fait pour son ancien salarié a, en toute connaissance de cause, immédiatement repris un emploi à son départ de l’entreprise dans une entreprise directement concurrente, de sorte que le premier juge sera confirmé sur ce point.
Sur les actes de concurrence déloyale
M. [Z] fait valoir que :
– le conseil de prud’hommes a une compétence circonscrite aux litiges issus ou dérivés d’un contrat de travail, ou de ses conséquences, telle que l’application ou l’opposabilité dans le temps d’une clause de non concurrence et c’est donc à tort que le conseil a considéré qu’il pouvait édicter une interdiction quelconque déconnectée de son contrat de travail ;
– c’est sur la foi d’agissements prêtés par la Société postérieurs au contrat de travail que le conseil de prud’hommes a imposé une interdiction pour le futur, alors même qu’il n’est plus salarié de la Société ;
– ce n’est que postérieurement à la rupture de son contrat de travail qu’il aurait tenté de se connecter aux « fichiers des ventes » de la Société alors qu’il a tenté de se connecter pour récupérer ses bulletins de paie, dont il ne disposait plus, le contraignant d’ailleurs à formuler une requête en ce sens ;
– il n’a jamais tenté de débaucher des salariés de la Société et, si des discussions ont effectivement eu lieu avec certains membres de son équipe désireux de quitter la Société, il y a finalement mis fin en indiquant qu’il ne souhaitait pas se montrer déloyal avec l’intimée ;
– il n’a jamais tenté de détourner des clients de la Société et conteste l’existence de troubles manifestement illicites résultant d’agissements déloyaux.
La Société oppose que :
– le conseil de prud’hommes est compétent alors que les agissements ont débuté avant la fin du contrat de travail ;
– outre le fait d’avoir sciemment violé son obligation de loyauté et de non-concurrence à laquelle il était soumis, M. [Z] s’est rendu coupable de plusieurs agissements déloyaux caractérisant un trouble manifestement illicite ;
– il a tenté d’accéder à des fichiers confidentiels internes (des documents commerciaux) avec son adresse mail Gojob et a tenté de se connecter avec l’adresse d’un autre ancien collaborateur qui, lui aussi, est désormais employé par la société Gojob, avant de tenter un accès par la boîte mail de la directrice des opérations ;
– avant son départ et sa démission, M. [Z] a incité la société Gojob à débaucher d’autres de ses salariés ;
– M. [Z] n’hésite pas à la dénigrer ouvertement auprès des clients, lui faisant ainsi perdre une partie de son chiffre d’affaires.
Sur ce,
Aux termes de l’article L. 1411-1 du code du travail : « Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.
Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti ».
S’agissant des mesures sollicitées par la Société, et qui ont été ordonnées par le premier juge, force est de constater qu’elles tendent à faire interdiction à M. [Z] de cesser des agissements de nature déloyale.
Il ressort des échanges de mails produits aux débats que M. [Z] a commencé à échanger avec la société Gojob en février 2021 avant sa démission sur sa « vision delivery » et a proposé le noms de « trois personnes ayant un profil en adéquation avec Gojob ».
En novembre 2021, en réponse à un mail de M. L., qui lui demandait s’il avait un fichier, M. [Z] lui répond : « non. Car j’ai filé le lead à Gojob. Et j’ai donné les coefs aussi. Demande à amaury je lui ai tout filé ».
Dès lors, le conseil de prud’hommes est compétent pour « prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent » pour faire cesser le trouble manifestement illicite qui résulterait des agissements déloyaux de M. [Z].
Il est justifié par les pièces produites aux débats que de plus, M. [Z] a tenté de se connecter aux fichiers internes de la Société concernant des données commerciales avec des demandes d’accès sur son adresse mail @gojob les 15 et 17 juillet 2022, soit postérieurement à son départ de la Société le 11, et a tenté auprès de personnes en place de faire effacer les courriels d’alerte sur ses tentatives de connexion. Il est démontré en outre que M. [Z] par messages instantanés, a indiqué à des clients que la société Bruce allait fermer.
Il résulte de ce qui précède que M. [Z] a manqué à son obligation de loyauté à l’égard de son employeur.
Il ressort en outre de l’attestation du directeur financier de la Société, que sur la période d’avril à juillet 2022, le chiffre d’affaire mensuel a baissé de 182 000 euros, ce qui correspond à la période qui a strictement précédé le départ de M. [Z].
Dès lors, ces agissements déloyaux constituent des troubles manifestement illicites, et c’est à bon droit que le premier juge a ordonné des mesures de nature à les faire cesser, de sorte que l’ordonnance sera confirmée sur ce point.
Sur la demande de M. [Z] en paiement d’une prime de 10 000 euros et en communication du solde de tout compte et bulletin de paye rectifiés de ce fait
M. [Z] soutient que les échanges avec son supérieur hiérarchique ont entériné le versement de la prime qui a été validée et que l’absence de versement est expliqué en raison d’une « grosse galère ».
La Société fait valoir qu’elle a versé dans le cadre du solde de tout compte les primes qui étaient contractuellement prévues et que la prime sollicitée de 10 000 euros n’est pas fondée en son principe.
Sur ce,
En application de l’article R. 1455-7 du code du travail « dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».
Force est de considérer qu’aucune des parties ne fait référence à l’application de ces dispositions au regard de la compétence du juge des référés, mais la demande sera examinée au regard des dispositions de l’article R. 1455-7, bien que cette demande n’ait pas été présentée à titre provisionnel.
Il ressort de l’échange de l’envoi d’un mail par M. [Z] le 11 juillet 2021 et de messages instantanés le 19 juillet que si M. [Z] affirme qu’il devait percevoir une prime de 10 000 euros, cette affirmation n’est corroborée par aucun autre élément probant de nature à démontrer l’engagement de l’employeur, de sorte qu’en présence d’une contestation sérieuse, cette demande ne pouvait utilement prospérer, et partant celle de documents « rectifiés » sur ce point.
L’ordonnance sera confirmée de ce chef.
Sur la demande de M. [Z] sollicitant la somme de 1 800 euros en paiement des frais d’expertise graphologique engagés
M. [Z] soutient qu’il sera inéquitable de supporter la charge finale des frais qu’il a dû assumer pour assurer la défense de ses intérêts.
Les frais d’assistance d’un expert ou d’un technicien, afin d’assistance d’une partie pour les besoins d’une procédure judiciaire, entrent dans le cadre des frais exposés non compris dans les dépens, sont susceptibles d’être indemnisés en application de l’article 700 du code de procédure civile dont les demandes sont analysées directement ci-dessous.
Sur les dépens et sur l’article 700 du code de procédure civile
M. [Z] qui succombe en son appel doit être condamné aux dépens de la procédure d’appel et débouté en sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, comprenant les frais d’expertise exposés pour assurer la défense de ses intérêts.
Il sera fait application de cet article au profit de l’intimée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Dit que la demande de radiation est irrecevable ;
Confirme l’ordonnance ;
Y ajoutant,
Condamne M. [O] [Z] aux dépens de la procédure d’appel ;
Condamne M. [O] [Z] à payer à la société Bruce la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et le déboute de sa demande présentée à ce titre.
La Greffière, La Présidente,