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délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 23 NOVEMBRE 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 21/02384 – N° Portalis DBVK-V-B7F-O6PZ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 19 mars 2021
Tribunal Judiciaire de Montpellier – N° RG 19/04099
APPELANTE :
SAS Epure immatriculée au RCS d’Annecy sous le N° 412 028 078, prise en la personne de son président en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Célia VILANOVA substituant Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, et Me Christopher KOHLER, avocat au barreau d’ANNECY, avocat plaidant
INTIMES :
Monsieur [T] [G]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représenté par Me Christine AUCHE HEDOU substituant Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE – AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, et Me Alice CLARAMUNT, collaboratrice de Me Marie SONNIER POQUILLON, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
EARL [G] et Fils
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Christine AUCHE HEDOU substituant Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE – AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, et Me Alice CLARAMUNT, collaboratrice de Me Marie SONNIER POQUILLON, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 septembre 2023,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M.Philippe BRUEY, Conseiller, chargé du rapport, et Mme Marie-José FRANCO, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
M. Philippe BRUEY, Conseiller
Mme Marie-José FRANCO, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Charlotte MONMOUSSEAU
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Charlotte MONMOUSSEAU, Greffière.
*
* *
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
L’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) [G] et Fils, dont les cogérants sont [T] et [O] [G], est spécialisée dans la culture de coquillages, notamment des huîtres. Elle a mis au point plusieurs inventions relatives aux procédés d’élevage de coquillages.
La société par action simplifiée à associé unique (SAS) Epure, dont le président est [Y] [U], est spécialisée dans le développement de produits techniques composés de pièces plastiques.
La société Amvalor, qui agit pour le compte de l’Ecole nationale supérieure des arts et métiers (ENSAM ; Institut de [Localité 4]), dispose de compétences dans les domaines du recyclage des matériaux plastiques et d’analyse du cycle de vie.
La technique d’élevage des huîtres juvéniles (ou « naissains »), utilisée dans l’étang de Thau, consiste à les coller par points de ciment sur des cordes. Cette méthode d’élevage présente plusieurs inconvénients, dont l’exposition des huîtres à la prédation des daurades, ce qui provoque leur surmortalité. Pour tenter de résoudre ces difficultés, l’EARL [G] et Fils a imaginé la création d’un écrin ostréicole en matériau plastique, dans le cadre d’un projet « éco-écrin ».
Compte tenu de la complémentarité de leur savoir-faire, les trois entreprises citées (EARL [G] et Fils, SAS Epure et société Amvalor) ont répondu au 22ème appel à projets du Fonds unique interministériel (FUI). Le projet « éco-écrin » a été retenu par la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l’économie et des finances, selon décision notifiée le 29 juillet 2016 (datée du 26 août 2016). Des subventions ont été versées à l’EARL [G] et Fils par le Fonds européen de développement régional (FEDER) et à la SAS Epure par la Banque publique d’investissement (BPI France).
Un « accord de consortium » a été signé entre les parties le 29 juin 2017, avec effet rétroactif au 29 juillet 2016, pour préciser les règles de gouvernance du projet, qui est organisé comme suit :
L’EARL [G] et Fils est désignée comme « chef de file » du projet ;
M. [T] [G], son cogérant, est désigné comme « coordinateur » ;
Un « comité de pilotage », composé d’un représentant de chaque partie, ainsi que d’un représentant du Pôle mer, prend les décisions relatives à la direction générale du projet.
Des dissensions sont apparues entre les parties.
La SAS Epure a notifié son retrait du projet les 4 et 5 février 2019.
Par ailleurs, un comité de pilotage a voté à l’unanimité son exclusion le 8 février 2019.
Par courrier du 14 février 2019, la SAS Epure a demandé à l’EARL [G] et Fils de l’indemniser au regard des investissements réalisés, en vain.
Par acte du 30 juillet 2019, la SAS Epure a assigné l’EARL [G] et Fils et M. [T] [G] devant le tribunal de grande instance de Montpellier en réparation de son préjudice.
Par jugement du 19 mars 2021, le tribunal judiciaire de Montpellier a :
– reçu la fin de non-recevoir opposée par M. [T] [G] et a constaté l’irrecevabilité des demandes à son encontre ;
– rejeté l’ensemble des demandes de la SAS Epure ;
– rejeté les demandes reconventionnelles de l’EARL [G] et Fils;
– rejeté les demandes formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Epure aux dépens.
Le 13 avril 2021, la SAS Epure a relevé appel de ce jugement.
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 25 août 2023, la SAS Epure demande à la cour, sur le fondement des articles L311-1 et L. 324-1 du code rural et de la pêche maritime, de l’article 42 du code de procédure civile, des articles 1103, 1104, 1217, 1231-1, 1231-2 et 1240 du code civil, de :
Infirmer le jugement, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes reconventionnelles de l’EARL [G] et Fils et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
et, statuant à nouveau, de :
Juger que l’EARL [G] et Fils et M. [T] [G] ont commis des manquements contractuels engageant leur responsabilité ;
Juger l’EARL [G] et Fils et M. [T] [G] responsables de son préjudice ;
Condamner solidairement l’EARL [G] et Fils et M.[T] [G] à lui payer la somme de 361 239,62 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 février 2019 ;
Condamner solidairement l’EARL [G] et Fils et M.[T] [G] à lui payer la somme de 72 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 février 2019 ;
Débouter l’EARL [G] et Fils et M. [T] [G] de l’intégralité de leurs demandes ;
Condamner solidairement l’EARL [G] et Fils et M.[T] [G] aux dépens et à lui payer la somme de 25000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 28 juillet 2023, l’EARL [G] et Fils et M. [T] [G] demandent à la cour, sur le fondement des articles 6 et 9 du code de procédure civile, 1103 et suivants, 1199 et 1231-1 et suivants du code civil, 32-1 du code de procédure civile, de :
confirmer le jugement en ce qu’il a :
-reçu la fin de non-recevoir opposée par M. [T] [G];
-constaté l’irrecevabilité des demandes à son encontre ;
-rejeté l’ensemble des demandes de la SAS Epure ;
-condamné la SAS Epure aux dépens ;
l’infirmer pour le surplus et statuant à nouveau :
-Constater que la SAS Epure a engagé sa responsabilité contractuelle à l’égard de l’EARL [G] et Fils en méconnaissant les obligations à sa charge stipulées dans l’accord de confidentialité du 25 août 2014 et dans l’accord de consortium du 29 juin 2017 ;
-En conséquence, condamner la SAS Epure à payer à l’EARL [G] et Fils la somme de 102 868 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel subi en raison des manquements commis à ses obligations contractuelles ;
-Condamner la SAS Epure à payer à l’EARL [G] et Fils la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi en raison des manquements commis à ses obligations contractuelles ;
-Ordonner à la SAS Epure de restituer le moule original du prototype P1 ainsi que les plans des définitions numériques de celui-ci dans un format exploitable, et ce, dans les 8 jours de la signification de l’arrêt à intervenir sous astreinte de 1 500 € HT par jour de retard ;
-Se déclarer compétent pour la liquidation de l’astreinte ;
-Condamner la SAS Epure à payer à l’EARL [G] et Fils une indemnité d’un montant de 5 000 € pour procédure abusive ;
-Condamner la SAS Epure à payer à M. [T] [G] et à l’EARL [G] et Fils, chacun, la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance ;
– A titre subsidiaire, ramener les demandes indemnitaires de la société Epure à de plus justes proportions et raisonnablement à l’euro symbolique ;
En toutes hypothèses,
Débouter la SAS Epure de l’ensemble de ses demandes ;
Condamner la SAS Epure à payer à M. [T] [G] et à l’EARL [G] et Fils, chacun, la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’instance d’appel ;
Condamner la SAS Epure aux dépens de première instance et d’appel.
Vu l’ordonnance de clôture du 29 août 2023.
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS :
Sur la mise hors de cause de M. [T] [G] (fin de non-recevoir)
La SAS Epure sollicite la condamnation de M. [T] [G], sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Elle lui reproche d’avoir commis des fautes et manquements en sa qualité de « coordinateur » du consortium, dans le but de privilégier l’EARL [G] et Fils, dont il est le cogérant.
Toutefois, M. [T] [G] ne peut être considéré comme une partie à l’accord de consortium du 29 juin 2017. S’il est, certes, signataire de l’accord, c’est en tant que cogérant de l’EARL [G] et Fils, tout comme son frère [O] [G]. Il n’est en revanche pas signataire de l’accord à titre personnel, ni d’ailleurs en tant que coordinateur. Sa mission est définie à l’article 5.1.2 de l’accord qui stipule que : « [G] et Fils désigne comme coordinateur [T] [G] ». Il ne peut donc être considéré comme une partie à l’accord de consortium, peu important les maladresses rédactionnelles de certains articles (5.1.3, 5.3.4, 12.2) pouvant laisser penser qu’il l’est.
C’est donc à juste titre que les premiers juges ont écarté la responsabilité contractuelle de [T] [G].
A hauteur d’appel, la SAS Epure place également son action sur le terrain de la responsabilité délictuelle.
Conformément aux dispositions de l’article 1240 du code civil, il lui appartient de démontrer la faute de [T] [G], le préjudice engendré par cette faute et le lien de causalité entre ces deux premiers éléments.
La SAS Epure reproche à [T] [G] l’envoi d’une mise en demeure le 7 novembre 2018 et la convocation de deux comités de pilotage en vue de prononcer son exclusion. Or, à supposer ces faits fautifs, ils ont été accompli par [T] [G], non à titre personnel, mais en sa qualité de cogérant de l’EARL [G] et Fils désigné coordinateur.
En conséquence, aucune faute séparable de ses fonctions de cogérant de la société [G] et Fils ou de sa mission de coordinateur du projet n’est invoquée à l’appui des demandes de la société Epure.
Il en résulte que M. [T] [G] ne peut être mis en cause sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Le jugement, qui avait déclaré ses demandes irrecevables, sera donc infirmé compte tenu de la demande subsidiaire sur la responsabilité délictuelle : les demandes de la SAS Epure à l’encontre de [T] [G] sont recevables, mais doivent être rejetées car mal fondées.
Sur les demandes de la SAS Epure
L’article 1103 du code civil dispose que : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
L’article 1104 du même code ajoute que : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d’ordre public ».
En l’espèce, la SAS Epure sollicite le paiement de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices matériel et moral compte tenu des manquements de l’EARL [G] et Fils et de M. [T] [G] à son égard. Elle fait valoir que :
La désignation de l’EARL [G] et Fils comme chef de file du projet et de [T] [G] comme coordinateur est une manoeuvre permettant à cette entreprise d’avoir la mainmise sur ses partenaires ;
Alors que l’EARL [G] et Fils s’est, dans un premier temps, montrée très satisfaite de son travail durant la phase de conception de l’écrin, elle s’est, par la suite, opposée à toutes ses demandes : elle a refusé d’échanger avec Monsieur [Z] [E], ingénieur mécanique d’Epure ; la SAS Epure a été critiquée violemment dans les comptes-rendus de réunion du comité de pilotage ;
M. [T] [G] a convoqué un comité de pilotage extraordinaire aux fins de voir prononcer son exclusion, puis s’est acharné en convoquant un second comité de pilotage aux mêmes fins quelques jours après ;
Le refus opposé par M. [T] [G] à Monsieur [U] de venir accompagné de Madame [B] et de Monsieur [P] avait pour but de l’empêcher de se défendre ;
Face au comportement de l’EARL [G] et Fils et de M.[T] [G], la SAS Epure a pris la décision de se retirer de l’accord de consortium ;
La procédure d’exclusion a été mise en oeuvre sans l’accord des financeurs, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 12.2 de l’accord de consortium ;
Sur le fond, les griefs au soutien de la demande d’exclusion sont infondés ;
A cause de son exclusion du projet, la SAS Epure n’a perçu qu’une partie de la subvention originellement prévue (BPI France lui a versé la somme de 118 500 € sur les 395 300 € prévus). Son préjudice financier est important.
L’EARL [G] et Fils et M. [T] [G] s’opposent à ces demandes indemnitaires et font valoir que :
Les premières difficultés concernant la SAS Epure sont apparues avant même la signature de l’accord de Consortium, puisqu’elle a manqué à son obligation de confidentialité résultant d’un « accord de confidentialité » signé entre les deux entreprises le 25 août 2014 ;
La SAS Epure oublie que c’est elle qui a décidé de se retirer de l’accord de consortium, avant même d’en être exclue : elle ne saurait donc en attribuer la responsabilité à l’EARL [G] et Fils.
– sur le retrait et la procédure d’exclusion de l’accord de consortium
Les parties s’opposent sur les conséquences juridiques du retrait unilatéral de la SAS Epure de l’accord de consortium et sur la régularité de la procédure d’exclusion.
Chronologiquement, il est important de souligner que :
La SAS Epure a notifié son retrait de l’accord de consortium par courriers du 4 février 2019 à BPI France (financeur), et du 5 février 2019 à l’EARL [G] et Fils et à la société Amvalor ;
Le comité de pilotage a voté son exclusion de l’accord de consortium le 8 février 2019.
Dans ses courriers de notification de retrait, la SAS Epure expose que :
Elle ne peut obtenir les réponses dont elle a besoin, ni avancer dans l’exécution de ses missions ;
Elle se trouve dans l’impossibilité de réaliser les travaux qui lui incombent et, par voie de conséquence, de poursuivre le projet.
Ces courriers de la SAS Epure sont clairs et dénués d’ambiguïté : ils affirment sa volonté de se retirer du projet « éco-écrin ». Sa décision de retrait a été confirmée le 14 février 2019 par son avocat qui a sollicité auprès de l’EARL [G] et Fils des dommages-intérêts.
La circonstance que l’accord ne prévoit aucune clause de retrait ne saurait signifier que tout retrait est impossible : en effet, nulle partie ne peut être contrainte de demeurer dans un contrat sans son consentement.
Contrairement à ce qui est soutenu aujourd’hui par la SAS Epure, son retrait n’avait pas à être validé par le comité de pilotage, alors que l’accord ne prévoit pas une telle confirmation.
Dès lors, il importe peu que le comité de pilotage ait refusé d’accepter ce retrait lors de sa réunion du 8 février 2019. L’exclusion qui a été prononcée ce jour-là est intervenue dans le doute des partenaires au regard de l’absence de réception de l’intégralité des courriers recommandés et par sécurité juridique, en raison de l’absence de toute stipulation contractuelle prévoyant cette situation.
En conséquence, compte tenu de ce que la SAS Epure s’était retirée du projet à la date de son exclusion, le non-respect formel de cette procédure d’exclusion, à savoir l’absence d’accord des partenaires financiers (BPI France et région Occitanie), ne peut pas engager la responsabilité contractuelle de l’EARL [G] et Fils et de M. [T] [G].
– sur les manquements reprochés à la SAS Epure
L’EARL [G] et Fils et M. [T] [G] ont reproché plusieurs manquements à la SAS Epure, qui ont fondé la décision d’exclusion.
Ces manquements, qui peuvent être regroupés en 4 catégories, seront successivement examinés.
1er manquement : le non-respect de l’obligation de confidentialité
Il ressort des éléments du dossiers que :
*les parties avaient signé un accord de confidentialité dès le 25 août 2014 ;
*la participation de la SAS Epure à un salon « Midest » du 6 au 9 décembre 2016 constitue un manquement de la SAS Epure à son obligation contractuelle de confidentialité ; [Y] [U] a, d’ailleurs, reconnu dans un courriel du 31 mars 2017 que son entreprise avait « commis une erreur conséquente ».
Toutefois, les parties ont déclaré l’incident « clos » lors d’une réunion du 31 mars 2017 et ont, quelques semaines plus tard, signé l’accord de consortium.
Dès lors, il est évident que ce manquement, qui était connu de toutes les parties au jour de la signature de l’accord de consortium, ne saurait être un grief suffisamment grave de nature à justifier l’exclusion de la SAS Epure de ce même accord.
Par ailleurs, la SAS Epure a publié sur son site Internet un article illustré par une image 3D du Prototype P1 de l’écrin. Par courriel du 14 novembre 2018, [K] [R] (ENSAM) a écrit à ses partenaires être « abasourdi » par une telle diffusion d’information alors que la « confidentialité était de rigueur pendant toute la durée du programme en vue de la valorisation des résultats» et a demandé à Monsieur [U] de retirer la page et de s’en expliquer.
Les parties s’opposent sur la date de mise en ligne de l’image 3D et sur la gravité des informations dévoilées à l’occasion de cette publication :
– pour la SAS Epure, la publication litigieuse remonte au 10 mars 2017, soit antérieurement à la signature de l’accord de consortium, et ne caractérise en aucune façon une divulgation d’informations confidentielles ;
– pour l’EARL [G] et Fils, la publication est postérieure à novembre 2017, mois de formalisation de la maquette du prototype P1 représenté sur l’image ; et constitue un manquement aux termes de l’accord.
Compte tenu des extraits de pages Internet versés au débat, la cour ne peut que constater, tout comme le premier juge, que l’article litigieux est daté du 10 mars 2017. Par ailleurs, il n’est pas démontré que la photographie litigieuse accompagnant l’article aurait été insérée postérieurement. Dès lors, il en résulte que l’image 3D du Prototype P1 de l’écrin a été publié dès le 10 mars 2017, soit antérieurement à la conclusion de l’accord de consortium du 29 juin 2017.
Toutefois, compte tenu de la clause de rétroactivité de l’accord au 29 juillet 2016, elle apparaît tout de même contraire à l’interdiction de publier des « résultats » entendus comme toutes « informations et réalisations techniques » nouvelles, notamment « toute création, toute invention (…) développé dans le cadre du Projet » (articles 1 et 6 de l’accord de consortium).
La page litigieuse est restée plusieurs mois sur le site Internet de la société Epure : même si la SAS Epure est taisante sur la date de retrait de l’image litigieuse de son site Internet (tout en reconnaissant que l’image apparaissait toujours en novembre 2018 sur le site de recherche « Google »), la photographie figurant en annexe du courrier de mise en demeure du 7 novembre 2018 démontre que la photographie était toujours présente sur le site de la société Epure au moins jusqu’au 8 novembre 2017 (un autre article daté de ce jour étant également présent sur l’extrait de page versé au dossier).
Ni l’EARL [G] et Fils, ni la société Amvalor n’ont donné leur accord pour la publication de l’image 3D sur le site de la SAS Epure.
Ainsi, il est établi que la SAS Epure a commis un manquement à son obligation de confidentialité en ayant publié, puis laissé durant plusieurs mois sur son site Internet une image 3D du Prototype P1 de l’écrin, information par nature confidentielle, peu important qu’elle permette, ou non, de déceler des solutions fonctionnelles concernant le prototype.
La violation par la SAS Epure de l’article 6 de l’accord de consortium relatif à la confidentialité est donc fautive.
2ème manquement : le manque de communication ente la SAS Epure et ses partenaires
Selon l’accord, les parties étaient tenues à une obligation de collaboration et devaient échanger les informations utiles lors des comités de pilotage (article 5.3.5 de l’accord de consortium).
L’EARL [G] et Fils reproche à la SAS Epure son manque de transparence, notamment quant au coût de production de l’écrin.
La SAS Epure conteste ce grief et expose qu’elle a toujours fait parvenir les éléments financiers nécessaires, même si ceux-ci étaient amenés à évoluer en phase de conception du prototype.
Elle ajoute que le premier juge a commis une erreur en lui reprochant l’absence de production d’un cahier des charges, qui n’est pas un « livrable » prévu au titre de son lot n° 5.
Toutefois, la détermination du coût de production unitaire de l’écrin est évidemment centrale dans ce projet, s’agissant d’une invention qui a vocation à être commercialisée, et qui doit donc être bon marché.
Lors de la réunion du comité de pilotage du 12 avril 2018, ce sujet est inscrit comme un « point critique », compte tenu du décalage important entre l’estimation faite par la SAS Epure (69 centimes l’unité) et le prix de vente ciblé (inférieur à 20 centimes l’unité).
Par courriel du 19 octobre 2018, M. [T] [G] a sollicité des informations précises sur les coûts, insistant sur la nécessité de les obtenir pour avancer sur la nouvelle pièce P2.
Le 25 octobre 2018, la SAS Epure lui répond en donnant des coûts approximatifs, sans justifier sa méthode de calcul (pièce n°22).
Malgré la mise en demeure du 7 novembre 2018 d’adresser, sous 30 jours, les informations d’ordre financier, la SAS Epure n’a pas davantage fourni les éléments sollicités.
Il est donc démontré que la SAS Epure n’a pas transmis des informations financières suffisamment complètes et fiables au comité de pilotage. Cette société n’a donc pas satisfait aux obligations résultant de l’accord de consortium, peu important la question de savoir si celles-ci devaient formellement apparaître dans un « cahier des charges technique et financier » (la société contestant ce point).
Dès lors, la cour ne peut que constater, comme le premier juge, que ce manquement est établi.
3ème manquement : le non-respect des étapes de validation intermédiaires
Le premier juge a décrit la chronologie des échanges entre les parties ayant conduit les partenaires à s’accorder après la réunion du comité de pilotage du 12 avril 2018 à accepter de produire un prototype P1 à un nombre de 600 exemplaires, pour que ces pièces puissent être testées au printemps.
Certes, M. [T] [G] s’était plaint lors de cette réunion de n’avoir été ni consulté ni informé de la décision de production du premier moule (prototype P1).
Toutefois, l’EARL [G] et Fils est mal fondée à reprocher à la SAS Epure de n’avoir pas respecté les validations intermédiaires du comité de pilotage, alors qu’elle reconnaît elle-même s’être passée de cette validation pour convenir d’une production du prototype P1 limitée à 600 exemplaires afin que les pièces puissent être testées au printemps. Cette décision a été prise d’un commun accord, chacune des parties ayant accepté cet état de fait.
Le grief invoqué est donc mal fondé.
4ème manquement : la non-conformité des livrables
L’EARL [G] et Fils reproche à la SAS Epure la non-conformité des livrables, notamment le prototype P1 dont 600 exemplaires ont été testés in situ au printemps 2018.
Toutefois, si l’EARL [G] et Fils s’est plainte de trois « soucis majeurs » au sujet du prototype P1, notamment sur le fait qu’il flottait à l’horizontale au lieu de couler et d’être en immersion permanente dans l’étang de Thau, il n’en demeure pas moins que [T] et [O] [G] ont écrit que « dans l’ensemble » ils étaient « satisfaits du résultat » (courriel du 29 juin 2018).
Il ne ressort pas davantage du comité de pilotage du 26 juillet 2018, faisant suite à ces essais, une remise en cause du prototype qui serait constitutive d’un manquement aux obligations de la SAS Epure. Quant au courrier de mise en demeure du 7 novembre 2018, il n’évoque même pas le problème de flottaison.
Dès lors, l’EARL [G] et Fils échoue à rapporter la preuve d’un manquement concernant la conformité des livrables.
– sur la légitimé du retrait de la SAS Epure
La SAS Epure expose qu’elle n’avait d’autre choix que de se retirer de l’accord de consortium compte tenu des griefs injustes formulés à son encontre par la SAS Epure et du refus opposé par [T] [G] qu’elle soit défendue lors du comité de pilotage du 8 février 2019 par Madame [B] et Monsieur [P].
Toutefois, compte tenu de ce que deux des manquements déjà évoqués apparaissent justifiés, la procédure d’exclusion qui a été engagée n’apparaît pas abusive.
L’exclusion de la SAS Epure a, d’ailleurs, été approuvée à l’unanimité des présents, y compris par la société Amvalor (émanation de l’ENSAM) pourtant extérieure à la mésentente entre les deux entreprises.
Le refus par [T] [G] d’accepter la présence de Madame [B] et de Monsieur [P] au motif qu’ils ne sont pas salariés de la société Epure n’apparaît pas contraire aux stipulations de l’accord de consortium.
Dès lors, le choix de la SAS Epure de ne pas s’être présentée à la réunion du comité de pilotage du 8 février 2019 relève de sa seule responsabilité.
La SAS Epure échoue, enfin, à établir en quoi elle aurait été empêchée d’avancer dans l’exécution de ses missions par le comportement de l’EARL [G] et Fils. A cet égard, les questionnements de [T] [G] quant au niveau de représentation de la société Epure lors des comités de pilotage (où Monsieur [E], ingénieur mécanique intervenait en lieu et place de M. [U]) ne peuvent être analysés comme une « opposition frontale » de sa part aux demandes de la SAS Epure, d’autant que [Y] [U] a répondu que Monsieur [E] n’avait pas tout pouvoir puisqu’il n’était pas habilité à prendre une décision définitive au nom de cette société.
Ainsi, la SAS Epure échoue tant à prouver que [T] [G] aurait outrepassé ses missions de coordinateur qu’à établir la mauvaise foi de l’EARL [G] et Fils.
En l’absence de démonstration d’un manquement contractuel imputable à l’EARL [G] et Fils et à M. [T] [G], la SAS Epure sera déboutée de l’ensemble de ses demandes portant tant sur son préjudice matériel chiffré à 361 239,62 € que sur son préjudice moral évalué à 72 000 €.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Sur les demandes reconventionnelles de l’EARL [G] et Fils
Si l’EARL [G] et Fils démontre que la SAS Epure a commis des manquements contractuels déjà évoqués dans la présente décision, elle échoue en revanche à caractériser un quelconque préjudice résultant de ces manquements pour les deux raisons suivantes :
concernant la divulgation de l’image 3D sur le site Internet, il n’est pas établi qu’un concurrent en aurait fait usage, alors que le projet est désormais terminé ;
quant au manque de collaboration de la SAS Epure, qui a conduit à son remplacement par une autre société, la SAS Meridies, l’EARL [G] et Fils souhaitait cette réorganisation puisqu’elle est à l’origine de la procédure d’exclusion. Il est constant que le projet s’est poursuivi avec ce nouveau partenaire et qu’il a été mené à son terme en octobre 2021. Dès lors, l’argument d’un préjudice matériel causé par le retard causé par la réorganisation est inopérant.
Aucun préjudice moral n’est, par ailleurs, démontré alors que l’EARL [G] et Fils ne rapporte pas la preuve qu’elle aurait subi une atteinte à sa réputation et à sa crédibilité.
La demande de restitution du moule original du prototype P1 ainsi que des plans des définitions numériques sera rejetée, puisque l’EARL [G] échoue à rapporter la preuve d’un intérêt actuel à cette demande, alors qu’elle ne cesse de critiquer les défauts de ce prototype et que le projet éco-écrin est terminé depuis octobre 2021.
Enfin, la demande au titre de la procédure abusive sera également rejetée, aucun abus n’étant démontré en l’espèce.
Le jugement querellé ne peut donc qu’être approuvé en ce qu’il a débouté l’EARL [G] et Fils en ses demandes tant au titre de ses préjudices matériel et moral qu’au titre de la restitution du moule et de la procédure abusive.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, la SAS Epure supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de la SAS Epure à l’encontre de M. [T] [G],
statuant à nouveau de ce chef :
Déclare recevables les demandes de la SAS Epure à l’encontre de M.[T] [G], mais les rejette comme mal fondées,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Condamne la SAS Epure aux dépens d’appel,
Condamne la SAS Epure à payer à l’EARL [G] et Fils et à M.[T] [G], chacun, une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel.
Le Greffier Le Président