Porte-Fort : 13 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/07296

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Porte-Fort : 13 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/07296

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 – CHAMBRE 16

ARRET DU 13 JUIN 2023

(n° 56 /2023 , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07296 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDP7U

Décision déférée à la Cour : sentence partielle rendue à Paris le 13 janvier 2021 sous l’égide de la chambre de commerce internationale (CCI affaire n°24250/DDA)

DEMANDERESSES AU RECOURS :

Société MALAKOFF CORPORATION BERHAD

société de droit malaysien,

ayant son siège social : [Adresse 4] (MALAISIE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Société TLEMCEN DESALINATION INVESTMENT COMPANY

société par actions simplifiée,

ayant son siège social : [Adresse 2]

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocat plaidant : Me Shaparak SALEH du PARTNERSHIPS THREE CROWNS LLP, avocat au barreau de PARIS

DÉFENDERESSE AU RECOURS :

ALGERIAN ENERGY COMPANY SA

société publique par actions de droit algérien, immatriculée sous le n° 01B0016772

ayant son siège social : [Adresse 1] (ALGÉRIE)

Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocats plaidants : Me Samantha NATAF et Pierrick LE GOFF, avocats au barreau de PARIS, toque : K35

Société HYFLUX LIMITED

ayant son siège social : [Adresse 3]

non constituée

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Mme [B] [P] dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

– réputé contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d’un recours en annulation d’une sentence partielle rendue à Paris le 13 janvier 2021 sous l’égide de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris (CCI).

2. Le différend à l’origine du litige porte sur l’exécution du Projet [Localité 6] (ci-après « le projet ») qui a pour objet la conception, la construction, l’exploitation et la maintenance d’une station de dessalement d’eau de mer à [Localité 6], en Algérie, ce projet faisant partie d’un grand plan de dessalement d’eau de mer mis en place par l’Etat algérien.

3. Les demanderesses au recours sont les sociétés Malakoff Corporation Berhad (ci-après la société « MCB » ou « Malakoff »), société de droit malaisien, et Tlemcen Desalination Investment Company (ci-après la société « TDIC »), société de droit français constituée dans le cadre de ce projet, détenue par une filiale de MCB à hauteur de 70% et à hauteur de 30% par une filiale de la société Hyflux Limited, société de droit singapourien qui a été placée en liquidation judiciaire le 21 juillet 2021. La société Hyflux est non comparante.

4. La défenderesse au recours est la société algérienne de droit public Algerian Energy Company SPA (ci-après la société « AEC » ou « l’Acheteur ») détenue depuis 2018 par la société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures (ci-après la société « Sonatrach »).

5. Pour la mise en ‘uvre du plan de dessalement, l’Etat algérien, par l’intermédiaire de la société AEC, a confié la réalisation du projet [Localité 6] (ci-après « le Projet ») aux sociétés MCB et Hyflux. Ils ont conclu un Accord d’Association le 28 mars 2007, qui définit les grandes lignes et les modalités de leur partenariat pour la réalisation dudit Projet et qui prévoit notamment la création d’une société de projet Almiyah Attilemçania SPA (ci-après la société « AAS » ou la « société de projet »), à qui a été confiée la gestion opérationnelle du projet, et la création de la société TDIC, filiale de MCB et Hyflux, (les sociétés AAS et TDIC étant dénommées « l’investisseur »), la société TDIC étant elle-même actionnaire de la société de projet AAS.

6. Le 9 décembre 2007, la société AEC a conclu plusieurs contrats relatifs au Projet avec la société TDIC, y associant la société de projet AAS ainsi que d’autres intervenants dans la réalisation du Projet. Ainsi, ont notamment été conclus :

– un contrat de vente et d’achat d’eau produite par l’usine (ci-après le contrat « CVAE »), entre les sociétés TDIC, AAS d’une part et la société algérienne des eaux (« ADE ») et la société nationale Sonatrach, agissant en qualité d’acheteurs, d’autre part ;

– un Accord-Cadre, entre les sociétés AEC, TDIC, Sonatrach et ADE, ayant pour objet « d’arrêter les conséquences de la survenance de cas de défaut, cas de force majeure ou cas de force majeure bis au titre du contrat CVAE, et notamment les modalités du transfert d’actions » et prévoyant un droit d’option au profit d’AEC sur les actions détenues par TDIC dans la société de projet AAS ;

– un accord direct, entre la banque nationale d’Algérie, AEC, TDIC, AAS, Sonatrach et ADE, ayant pour objet d’encadrer les rapports entre l’ensemble des sociétés et la banque en qualité de prêteur ; et

– un protocole relatif à la résolution des différends (le « protocole ») entre AEC, TDIC, AAS, la banque nationale d’Algérie, Sonatrach et ADE, ayant pour objet d’organiser le règlement des litiges ayant trait au contrat CVAE, à l’accord-cadre et à l’accord direct.

7. La construction, l’exploitation et la maintenance de l’usine du Projet ont rencontré des difficultés importantes qui ont affecté la production d’eau potable.

8. Le 3 mai 2016, l’Acheteur a notifié à la société de projet AAS et à TDIC un « avis de résiliation » du contrat CVAE pour « cas de défaut de la société de projet et de l’investisseur prévus aux articles 28.1.5 et 28.1.7 » du CVAE, enjoignant aux sociétés AAS et TDIC de faire cesser et de remédier aux cas de défaut.

9. Le 12 novembre 2018, l’Acheteur a adressé à la société de projet AAS et à TDIC une « notification de résiliation » du contrat CVAE au motif qu’elles n’avaient pas été remédié aux cas de défaut visés dans l’avis de résiliation, ce qu’elles ont contesté.

10. Le 29 novembre 2018, AEC a notifié à TDIC et à l’Acheteur sa décision en application de l’accord-cadre d’opter pour un transfert des actions de TDIC dans AAS pour le montant d’un dinar algérien, transfert auquel TDIC s’est opposée.

11. Le 5 février 2019, AEC a introduit auprès de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale une demande d’arbitrage à l’encontre de TDIC, Hyflux et MCB, visant à mettre en jeu la responsabilité de ces dernières au titre des dysfonctionnements de l’usine et à obtenir le transfert des actions détenues par TDIC dans AAS.

12. MCB, Hyflux et TDIC ont objecté à la compétence du tribunal arbitral et à la recevabilité des demandes d’AEC.

13. Par une sentence arbitrale partielle sur la compétence en date du 13 janvier 2021, le tribunal arbitral a statué en ces termes :

« Le Tribunal est compétent à l’égard des Parties pour connaître de la Demande en Responsabilité au titre de l’Accord d’Association et de la Demande de Transfert d’Actions au titre de l’Accord Cadre ensemble dans le présent arbitrage ;

La décision du Tribunal sur toutes autres demandes des Parties, et notamment, concernant sa compétence pour se prononcer sur le bien-fondé de la résiliation du CVAE et sur les frais de l’arbitrage, est réservée pour la prochaine phase de l’arbitrage ; et

L’organisation de la prochaine phase de la procédure fera l’objet d’une ordonnance de procédure du Tribunal. »

14. Par déclaration de saisine en date du 9 avril 2021, MCB et TDIC ont introduit un recours en annulation contre cette sentence arbitrale partielle.

15. L’instance arbitrale s’est poursuivie sur le fond et une audience s’est déroulée du 21 au 24 novembre 2022 à [Localité 5]. Hyflux, en liquidation judiciaire, n’a pas participé à la phase sur le fond de la procédure d’arbitrage.

16. À l’issue de la mise en état, la clôture a été prononcée le 14 février 2023, l’affaire étant appelée à l’audience de plaidoiries du 13 mars 2023, à 14 heures.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

17. Dans leurs dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 15 décembre 2022, MCB et TDIC demandent à la cour, au visa des articles 1504 et suivants, 699 et 700 du code de procédure civile, de la sentence partielle rendue le 13 janvier 2021 et des pièces versées aux débats, de bien vouloir :

– JUGER recevable le recours en annulation formé par Malakof Corporation Berhad et Tlemcen Desalination Investment Company contre la sentence partielle portant sur les exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité du 13 janvier 2021 dans l’affaire CCI n° 24250/DDA ;

– ANNULER la sentence partielle portant sur les exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité du 13 janvier 2021 dans l’affaire CCI n° 24250/DDA ;

– CONDAMNER la société Algerian Energy Company SPA à payer aux sociétés Malakoff Corporation Berhad et Tlemcen Desalination Investment Company la somme de 100 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; et

– CONDAMNER la société Algerian Energy Company SPA aux entiers dépens, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

18. Dans ses dernières conclusions récapitulatives en réponse notifiées par voie électronique le 12 janvier 2023, AEC demande à la cour, au visa des articles 695, 700 et 1520 du code de procédure civile et de la sentence partielle rendue le 13 janvier 2021, de bien vouloir :

– JUGER le recours en annulation introduit par Malakoff et TDIC mal fondé ;

– JUGER que le Tribunal arbitral s’est à raison déclaré compétent pour connaitre de l’ensemble des demandes de AEC ;

– JUGER que le Tribunal arbitral s’est parfaitement conformé à la mission qui lui a été confiée ;

En conséquence :

– REJETER le recours en annulation de la sentence partielle portant sur les exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité rendue le 13 janvier 2021 dans l’arbitrage CCI No. 24250/DDA par le Tribunal arbitral composé de [I] [U] [F], [Y] [K] et [M] [E] ;

– CONDAMNER Malakoff et TDIC à verser à AEC la somme de 250 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNER Malakoff et TDIC aux entiers dépens, en application de l’article 696 du code de procédure civile.

19. La cour renvoie aux écritures susvisées pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

20. Les sociétés MCB et TDIC invoquent deux moyens d’annulation tirés, le premier, de l’incompétence du tribunal arbitral au motif qu’il ne pouvait étendre les clauses compromissoires sans l’accord des parties, ni procéder à un arbitrage unique avec consolidation des litiges (A), le second, du non-respect par le tribunal arbitral de sa mission (B).

21. La société AEC soutient en réponse que les moyens d’annulation soulevés sont infondés et que le tribunal arbitral a parfaitement retenu sa compétence pour connaître dans un même arbitrage de l’ensemble des litiges sur le fondement d’une clause de consolidation et que l’extension était justifiée par l’implication des parties (A) et qu’il a respecté sa mission (B).

A. Sur le moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral (1520-1°)

22. Les sociétés Malakoff et TDIC soutiennent que les parties ont créé deux ensembles contractuels distincts et font valoir en substance que le tribunal arbitral ne pouvait pas étendre les effets des clauses compromissoires de l’Accord d’Association à TDIC, non signataire de cet Accord, et de l’Accord-Cadre aux sociétés Malakoff et Hyflux, non-signataires de cet Accord, en l’absence de volonté claire des parties d’étendre lesdites clauses et en l’absence de toute implication de leur part dans la négociation, la conclusion et l’exécution de ces contrats.

23. Elles soutiennent que l’implication de la société TDIC dans l’Accord d’Association n’est pas établie, qu’il n’y a pas eu de substitution ni de clause de porte-fort entre MCB, Hyflux et TDIC, qu’il en est de même de l’Accord-Cadre signé par TDIC dont la clause compromissoire ne peut être étendue à MCB, l’envoi de courriers ne suffisant pas à démontrer une implication de MCB, ni la mention du directeur général de MCB dans l’Accord Cadre.

24. Elles soutiennent encore que la consolidation opérée par le tribunal arbitral de toutes les demandes d’AEC au titre de l’Accord d’Association et de l’Accord-Cadre dans un arbitrage unique, ne peut se déduire des termes des contrats en l’absence de consentement des parties à un arbitrage unique, que le tribunal arbitral a dénaturé les termes de l’Accord d’Association et ignoré une clause univoque de l’Accord-Cadre qui autorisait uniquement la consolidation de différends découlant de cet accord avec d’autres contrats listés exhaustivement.

25. En réponse, la société AEC soutient en substance que le tribunal arbitral s’est à juste titre déclaré compétent pour connaître, dans une même procédure d’arbitrage de l’ensemble des demandes d’AEC, les parties étant impliquées dans les négociations, de telle sorte que l’extension à leur égard était parfaitement justifiée.

26. Sur la consolidation, elle fait valoir que les parties avaient prévu une clause de consolidation dans l’article 23.2 de l’Accord d’Association, autorisant l’arbitre à décider d’une procédure unique pour les demandes fondées sur l’Accord d’Association et l’Accord-Cadre.

27. Sur l’extension des clauses compromissoires, elle indique que par leur implication directe dans l’exécution de l’Accord d’Association et dans l’Accord-Cadre, TDIC, MCB et Hyflux ont respectivement accepté que les clauses d’arbitrage de ces accords leur soient étendues, et qu’à tout le moins l’engagement de porte-fort pris par MCB et Hyflux au bénéfice de leur filiale TDIC, qui l’a ratifié a pour effet de lier celle-ci par la clause compromissoire insérée dans l’accord.

28. Elle souligne qu’il ne faut pas confondre les mécanismes de transmission de la clause compromissoire avec le contrat qui la contient, et l’extension de la clause compromissoire.

SUR CE :

29. L’article 1520, 1°, du code de procédure civile, ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s’est

déclaré à tort compétent ou incompétent.

30. Pour l’application de ce texte, il appartient au juge de l’annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage, ce contrôle étant exclusif de toute révision au fond de la sentence.

31. En vertu d’une règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire s’apprécie, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique.

32. Il y a lieu à cet effet de rechercher la commune volonté des parties à la lumière :

– du principe d’interprétation de bonne foi des conventions, qui implique de ne pas permettre à l’une d’elles de se soustraire à des engagements librement consentis mais exprimés de manière maladroite ou confuse, et

– du principe d’effet utile, selon lequel lorsque les parties insèrent une clause d’arbitrage dans leur contrat, il y a lieu de présumer que leur intention a été d’établir un mécanisme.

33. Les parties s’opposent sur l’ordre dans lequel doivent s’apprécier la compétence au regard de la consolidation des demandes en un arbitrage unique et l’extension contestées.

34.Or, le tribunal arbitral s’est déclaré compétent « à l’égard des Parties pour connaître de la Demande en Responsabilité au titre de l’Accord d’Association et de la Demande de Transfert d’Actions au titre de l’Accord Cadre ensemble dans le présent arbitrage ».

35. L’annulation demandée portant sur l’incompétence du tribunal arbitral sans distinction, les moyens d’annulation peuvent être traités indifféremment dans l’ordre qui sied à la cour, étant toutefois précisé que les clauses compromissoires dont l’extension a été validée par le tribunal arbitral se trouvent dans des contrats distincts, et qu’il y a lieu de rechercher tout d’abord quelle était la volonté des parties dans lesdites clauses quant à la possibilité d’une consolidation en un arbitrage unique avant de rechercher si elles peuvent être étendues aux parties non signataires.

– Sur la consolidation des différends dans un arbitrage unique

36. La société AEC a formé deux demandes, l’une fondée sur l’Accord d’Association qui est dirigée contre MCB et Hyflux, parties à l’Accord d’Association, mais aussi contre TDIC, non signataire de cet accord, l’autre fondée sur l’Accord-Cadre, visant à obtenir la cession à son profit des actions appartenant à TDIC dans la société de projet, dirigée contre TDIC, partie à l’Accord-Cadre, mais également contre MCB et Hyflux, non signataires.

37. Il y lieu de rechercher la portée des clauses compromissoires sur la possibilité d’une consolidation en un arbitrage unique des différends relatifs aux contrats rappelés ci-dessus, les parties s’opposant sur l’interprétation qu’il y a lieu d’en donner.

38. Le fait que les contrats constituent un ensemble contractuel qualifié « d’unique » ou non est inopérant au regard de l’autonomie des clauses compromissoires.

39. Il est toutefois nécessaire de se référer au contexte dans lequel a été lancée la réalisation du Projet [Localité 6] décidé par l’Etat Algérien, et de tenir compte de la construction des contrats et des références contenues dans chaque clause compromissoire pour apprécier quelle était l’intention des parties.

40. Ainsi, il résulte des documents versés aux débats et notamment des contrats, que le Projet lancé par l’Etat algérien portant sur la conception, la construction, l’exploitation et la maintenance d’une station de dessalement d’eau de mer à [Localité 6], en Algérie, a donné lieu à la conclusion par AEC de plusieurs contrats échelonnés dans le temps liant plusieurs parties existant à l’origine (AEC, MBC et Hyflux) et d’autres créées pour les besoins de ladite réalisation (AAS et TDIC), ainsi que la banque nationale d’Algérie, la société ADE, et la société nationale algérienne Sonatrach (détenant AEC), pour des objectifs précis détaillés dans chacun des contrats, dans le but commun de la réalisation du Projet.

41. Ainsi, l’Accord d’Association définissant les grandes lignes et les modalités du Projet a été conclu le 28 mars 2007 entre les sociétés AEC, MBC et Hyflux, puis ont été conclus quatre contrats opérationnels le 9 décembre 2007 comprenant un Accord-Cadre signé entre la société AEC, les sociétés AAS et TDIC, ainsi que les sociétés Sonatrach et ADE.

42. L’Accord-Cadre fait expressément référence à l’Accord d’Association conclu entre MBC, Hyflux et AEC, ainsi qu’aux autres accords (dénommés « accords directs »), à savoir les « contrats conclus entre d’une part, les Prêteurs et d’autre part, AEC, l’Investisseur (TDIC), Sonatrach et ADE, et ceux à conclure éventuellement entre les Prêteurs et le Constructeur dans le cadre du financement de la Société de Projet ».

43. Comme rappelé ci-dessus, la société de projet AAS et la société TDIC ont été créées pour les besoins de la réalisation du Projet, la société TDIC, filiale à 100 % de MBC et de Hyflux étant elle-même actionnaire à 51% de la société de Projet.

44. L’examen des clauses compromissoires insérées dans ces contrats fait apparaître que celles-ci se réfèrent au projet dans son ensemble et aux litiges découlant des contrats qui s’y rapportent.

45. Selon l’article 23 de l’Accord d’Association, intitulé « règlement des litiges » :

« 23.1 Les Parties conviennent que tous différends découlant du présent Accord d’Association entre les Parties feront l’objet d’une tentative de règlement amiable et, à défaut d’accord amiable, seront tranchés définitivement suivant le Règlement de Conciliation et d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) par trois arbitres nommés par la Cour d’Arbitrage de la CCI conformément aux principes directeurs de l’arbitrage multipartite de la CCI. »

« 23.2 Les Parties conviennent que si un différend découlant du présent Accord d’Association soulève des questions ayant un lien de connexité direct avec des questions posées par un litige découlant d’un contrat relatif au Projet entre l’une des Parties au présent Accord d’Association et une tierce partie, et à condition que ce litige ait été soumis à une procédure d’arbitrage conformément au Règlement de la CCI ou soit susceptible de l’être, ce différend et ledit litige seront tranchés définitivement par les mêmes arbitres. Si la jonction est demandée après la constitution du tribunal arbitral au titre du présent Accord d’Association, les parties consentent à ce que la Cour d’Arbitrage de la CCI intervienne dans la recomposition du Tribunal arbitral au cas où l’un des arbitres ne présenterait pas à l’égard des nouvelles parties au litige des conditions d’indépendance et de neutralité. »

« 23.3 L’arbitrage se déroulera en français et le siège de l’arbitrage se situera à [Localité 5]. »

46. La clause compromissoire contenue dans cet Accord d’Association fait ainsi référence aux contrats relatifs au « Projet ».

47. Elle permet expressément, dans les conditions fixées par ladite clause, de consolider en un arbitrage unique « ce différend et ledit litige [qui] seront tranchés définitivement par les mêmes arbitres ».

48. Elle précise que ces dispositions concernent « un différend découlant du présent Accord d’Association soulev[ant] des questions ayant un lien de connexité direct avec des questions posées par un litige découlant d’un contrat relatif au Projet entre l’une des Parties au présent Accord d’Association et une tierce partie ».

49. C’est dès lors à juste titre que le tribunal arbitral a retenu l’existence d’une clause de consolidation.

50. Il résulte par ailleurs de l’Accord-Cadre, selon l’article 8.2 intitulé « Arbitrage » :

« 8.2.1. Tout Différend (tel que défini dans le Protocole Relatif à la Résolution des Différends), y compris un Différend au titre du présent Accord, qui n’a pas été réglé conformément aux stipulations de l’Article 8.1, sera définitivement tranché par arbitrage conformément aux règles énoncées dans le Protocole Relatif à la Résolution des Différends ».

51. La clause compromissoire contenue dans cet Accord-Cadre renvoie expressément aux stipulations du Protocole Relatif à la Résolution des Différends qui contient lui aussi une clause compromissoire prévoyant un arbitrage suivant le Règlement CCI et qui comporte un article 2.2 (d) prévoyant expressément la possibilité pour toute partie à un différend de demander une consolidation à un autre différend, l’article 2.2 (e) permettant aux arbitres d’apprécier l’opportunité d’une telle consolidation des procédures.

52. Il résulte des clauses rappelées ci-dessus qu’elles contiennent toutes, soit directement, soit par référence, une clause de consolidation.

53. En effet, les parties ont prévu la possibilité, dans certaines conditions, d’autoriser la consolidation des différends en un arbitrage unique, que ce soit par la clause contenue dans le Protocole ou par celle contenue dans l’Accord d’Association, cette dernière permettant d’y inclure des tiers. Elles font en outre expressément référence au Règlement CCI dans sa version de 2017 qui prévoit les conditions dans lesquelles un arbitrage unique (article 6) ou une jonction d’arbitrage (article 10) peuvent être décidés.

54. Ces éléments, combinés au contexte rappelé ci-dessus, conduisent la cour à considérer que la volonté des parties était de pouvoir consolider dans un même arbitrage les différends portant sur les accords conclus dans le cadre de la réalisation du Projet, si les conditions de la consolidation étaient remplies.

55. A cet égard, il résulte des clauses d’arbitrage contenues à l’article 23 de l’Accord d’Association et à l’article 2.2 du Protocole sur renvoi de l’article 8 de l’Accord-Cadre qu’elles sont parfaitement compatibles, qu’elles prévoient l’application du même règlement d’arbitrage, le même siège de l’arbitrage, le même nombre d’arbitres, la même méthode de constitution du tribunal arbitral, la même langue de procédure et le même droit applicable au fond du litige, les différences mineures alléguées n’étant pas suffisantes pour ôter tout effet utile à de telles dispositions établissant la volonté des parties de permettre la consolidation en un arbitrage unique.

56. Enfin, et à titre surabondant, les parties avaient expressément conféré aux arbitres, aux termes de l’article 2.2 (e) du Protocole le pouvoir d’apprécier l’opportunité d’une telle consolidation des procédures, notamment au regard du lien de connexité que le tribunal arbitral a retenu, une telle appréciation de la connexité échappant en tout état de cause au pouvoir du juge chargé du contrôle.

57. C’est dès lors à juste titre que le tribunal arbitral s’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes au fond dans un arbitrage unique.

– Sur l’extension de la clause aux parties non signataires

58. La clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propre qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et dans les litiges qui peuvent en résulter, dès lors qu’il est établi que leur situation contractuelle, leurs activités et les relations habituelles existant entre les parties font présumer qu’elles ont accepté la clause compromissoire dont elles connaissaient l’existence et la portée bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat qui la stipulait.

59. Il résulte à cet égard des éléments et du contexte rappelés ci-dessus, que l’intention des parties à l’Accord d’Association était clairement d’inclure tout tiers qui serait concerné par un différend en lien avec le Projet, et de permettre ainsi l’extension à des tiers de ladite clause compromissoire.

60. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés MCB et TDIC, il n’en résulte pas que les parties aient manifesté une volonté de s’opposer à toute extension, cette volonté contraire ne pouvant s’inférer de la seule existence de plusieurs contrats et de plusieurs clauses. De plus fort, le fait d’avoir traité les différents aspects de leurs relations contractuelles de façon différenciée, selon les engagements et le niveau d’intervention de chaque partie dans la réalisation du Projet n’a pas pour effet de manifester une volonté claire des parties de s’opposer à l’extension des clauses compromissoires.

61. En outre, aux termes de l’article 29.5 de l’Accord d’Association « [l]es présents engagements et déclarations sont également pris et faits par les Parties en qualité de porte fort de leurs filiales respectives ».

62. Il n’est pas contesté que la société TDIC, filiale à 100% des deux sociétés signataires de l’Accord d’Association, MCB et Hyflux, a été créée pour réaliser la partie opérationnelle du Projet auquel elle a été associée dès sa création, son implication dans l’Accord d’Association et la connaissance qu’elle avait de l’existence et de la portée de la clause compromissoire étant suffisamment établies, notamment par l’exécution des obligations mises à sa charge dans l’Accord d’Association, obligations qu’elle a validées, ratifiant dès lors les engagements pris par ses sociétés mères, et par l’imbrication des contrats, le renvoi des uns aux autres, et le renvoi au Projet auquel toutes les sociétés impliquées ont participé.

63. Ainsi, il résulte du Préambule de l’Accord d’Association que « AEC, Malakoff et Hyflux ont convenu de créer une société par actions de droit algérien dont les actions seront détenues par AEC et la SOCIETE FILIALE DE L’INVESTISSEUR (la « SOCIETE DE PROJET») qui aura la charge de la conception, construction, financement, exploitation et maintenance d’une usine de dessalement d’eau de mer d’une capacité de 200 000 m3 par jour qui sera implantée à Souk Tlata dans la Wilaya de Tlemcen (le « Projet » ). Malakoff et Hyflux ont constitué une société commune, détenue indirectement à 100%, pour être l’actionnaire de la SOCIETE DE PROJET (la « SOCIETE FILIALE DE L’INVESTISSEUR » ). En vertu du présent Accord d’Association, chacune des sociétés constituant l’Investisseur s’engage conjointement et solidairement avec l’autre société constituant l’Investisseur à réaliser l’ensemble des obligations de l’Investisseur prévues dans le présent Accord d’ Association ».

64. De plus, il résulte de l’annexe 1 à l’Accord d’Association intitulée « modèle de lettre d’engagement (‘) Attachée au et faisant partie de l’accord d’association » que MCB et Hyflux avaient prévu de « garantir les obligations de la société Tlemcen Desalination lnvestment Company, SOCIETE FILIALE DE L’INVESTISSEUR, au titre de l’Accord d’Association et des Statuts de la SOCIETE DE PROJET », ce qui a été rappelé dans l’Accord-Cadre par la référence aux « Documents Contractuels » définis comme comprenant notamment l’Accord d’Association, et dont l’objet est d’assurer la pérennité du Projet, démontrant ainsi suffisamment la connaissance exhaustive qu’elles avaient de l’ensemble des engagements, y compris des clauses d’arbitrage contenues dans les différents contrats, la preuve de circonstances de nature à établir de manière non équivoque leur implication dans l’ensemble contractuel étant ainsi établie et permettant de leur étendre lesdites clauses.

65. C’est dès lors à juste titre que le tribunal arbitral a retenu sa compétence étendue à l’égard de l’ensemble des parties au litige, estimant être compétent pour connaître de la demande d’AEC résultant tant de l’Accord d’Association en ce qu’elle est également dirigée à l’encontre de TDIC que de l’Accord-Cadre, et de la demande de transfert d’actions résultant de l’article 6 de l’Accord-Cadre en ce qu’elle est dirigée à l’encontre de TDIC et de MCB et Hyflux.

66. Le moyen d’annulation invoqué sur ce fondement sera dès lors rejeté.

B. Sur le moyen tiré du non-respect par le tribunal arbitral de sa mission (1520-3°)

67. Les sociétés MCB et TDIC soutiennent que le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.

68. Elles font valoir en substance qu’il a refusé de se prononcer sur une question de compétence sur laquelle les deux parties lui avaient demandé de se prononcer dans sa sentence sur la compétence, dans le cadre de la première phase de la procédure.

69. Elles soutiennent qu’en indiquant qu’il se prononcerait sur ce point à l’issue de la phase relative au fond, le tribunal arbitral a ignoré la volonté des parties et a violé la mission qui lui avait été conférée par elles.

70. La société AEC indique en réponse qu’il résulte des termes non équivoques de la sentence partielle que le tribunal arbitral a tranché la question de sa compétence pour se prononcer sur l’existence d’un cas de défaut au sens du CVAE, et que la formulation selon laquelle le tribunal arbitral s’est réservé de statuer sur sa compétence pour se prononcer sur le bien-fondé de la résiliation du CVAE et sur les frais de l’arbitrage pour la prochaine phase de l’arbitrage démontre qu’il n’a pas violé sa mission puisqu’il s’est prononcé et a reconnu sa compétence ‘ et non uniquement la simple possibilité d’exercer un « pouvoir » ‘ pour connaître de manière incidente du CVAE et se prononcer sur le Transfert d’Actions.

SUR CE :

71. Il résulte de l’article 1520, 3°, du code de procédure civile que, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.

72. La mission des arbitres, définie par la convention d’arbitrage, est délimitée principalement par l’objet du litige, tel qu’il est déterminé par les prétentions des parties et l’énoncé des questions dans l’acte de mission, et se détermine ainsi en relation avec le respect de leur volonté.

73. Il n’appartient pas au juge de l’annulation de remettre en cause l’opinion de l’arbitre qui a considéré qu’une des demandes ne pouvait être traitée au stade de la sentence partielle sur la compétence, mais qu’il fallait aborder les questions de fond pour pouvoir trancher cette question.

74. En l’espèce, aux termes du dispositif de la sentence sur la compétence, le tribunal arbitral a considéré par des motifs développés aux paragraphes 346 et suivants de la sentence, qu’il n’était pas en mesure, à ce stade de la procédure, de trancher la question de savoir si la mise en ‘uvre du transfert d’actions requiert ou non la vérification du bien-fondé de la résiliation du contrat CVAE, car cette question ressort du fond du litige.

75. Il en résulte que bien qu’ayant réservé sa décision concernant sa compétence pour se prononcer sur le bien-fondé de la résiliation du CVAE, le tribunal arbitral, en répondant à cette question, a usé de la liberté d’appréciation dont il dispose dans le cadre de sa fonction de juger, sans qu’il puisse lui être reproché d’avoir violé sa mission, une telle décision relevant en outre de choix procéduraux qui ne ressortissent pas au contrôle de cour.

76. Ainsi, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si les demandeurs au recours se seraient contredits aux dépens de la société AEC en invoquant à nouveau devant la cour une violation d’un accord procédural, ce moyen étant en outre en l’état inopérant, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de la violation, par le tribunal arbitral, de sa mission.

IV / SUR LES FRAIS ET DEPENS

77. Il y a lieu de condamner les sociétés MBC et TDIC, parties perdantes, aux dépens.

78. En outre, elles doivent être condamnées à verser à la société AEC, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 100 000 euros.

V/ DISPOSITIF

La cour, par ces motifs :

1) Rejette le recours en annulation formé à l’encontre de la sentence partielle rendue à [Localité 5] le 13 janvier 2021 sous l’égide de la chambre de commerce internationale (CCI affaire n°24250/DDA) ;

2) Condamne les sociétés Malakoff Corporation Berhad et Tlemcen Desalination Investment Company à payer à la société AEC la somme de 100 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

3) Condamne les sociétés Malakoff Corporation Berhad et Tlemcen Desalination Investment Company aux entiers dépens.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,

 


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