Porte-Fort : 14 juin 2023 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 21/00995

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Porte-Fort : 14 juin 2023 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 21/00995

ARRÊT N°23/

FA

R.G : N° RG 21/00995 – N° Portalis DBWB-V-B7F-FR5X

E.U.R.L. STRATEGE-OI

C/

S.A.S. CITYA FRANCE IMMOBILIER

RG 1ERE INSTANCE : 2018J02484

COUR D’APPEL DE SAINT – DENIS

ARRÊT DU 14 JUIN 2023

Chambre commerciale

Appel d’une décision rendue par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-DENIS (REUNION) en date du 24 FEVRIER 2021 RG n° 2018J02484 suivant déclaration d’appel en date du 07 JUIN 2021

APPELANTE :

E.U.R.L. STRATEGE-OI

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMEE :

S.A.S. CITYA FRANCE IMMOBILIER

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Caroline CHANE MENG HIME de la SELARL AVOCATS ET CONSEILS REUNION, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

CLOTURE LE : 31/10/2022

DÉBATS : En application des dispositions de l’article 785 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 Avril 2023 devant la cour composée de :

Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère

Conseiller : Monsieur Franck ALZINGRE, Conseiller

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 14 Juin 2023.

Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.

ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 14 Juin 2023.

* * *

LA COUR

FAITS ET PROCEDURE

Suivant acte sous seing privé en date du 4 novembre 2010, la société Stratège OI (ci-après désignée OI ou l’appelante) a confié à la société France Immobilier devenue ensuite Citya France Immobilier (ci-après désignée l’agence ou l’intimée), la gestion immobilière d’un bien appartement de type F3, d’une superficie de 60,26 m², outre une varangue de 14,44 m², une terrasse de 18,02 m² et deux places de parkings, le tout situé à [Localité 5] dans la [Adresse 4]. Le même jour, un contrat de garantie des loyers impayés a été souscrit et prévoyait, outre une garantie des détériorations immobilières, une protection juridique.

Le 16 novembre 2012, la société France Immobilier a, pour le compte de la société Stratège OI, donné à bail l’appartement à M. [N] et Mme [M], pour un loyer mensuel d’un montant de 510 euros, outre une provision sur charges d’un montant de 40 euros et une provision sur TEOM d’un montant de 23 €, ainsi qu’un dépôt de garantie d’un montant de 510 euros.

Le 27 juin 2016, l’agence a informé OI de sa volonté de mettre fin unilatéralement au contrat de mandat, ce dernier devant prendre fin le 4 novembre 2017.

M. [N] et Mme [M] ont cessé de verser le loyer de l’appartement pris à bail.

Considérant être victime de tromperies de la part de l’agence, qui ont eu pour effet de retarder l’expulsion des locataires, une plainte pour escroquerie a été déposée par le gérant d’OI, le 28 décembre 2017.

Le 4 janvier 2019, un procès-verbal d’abandon de l’appartement loué a été établi, et le 30 janvier 2019, OI a déposé une requête aux fins d’ordonnance de reprise de lieux qui a été rendue le 11 février 2019 par le tribunal d’instance de Saint-Benoît. Cette ordonnance a été signifiée le 17 avril 2019 à M. [N] et Mme [M]. Le 24 mai 2019, un procès-verbal de reprise des lieux a été établi aux termes duquel l’appartement présentait de nombreux désordres nécessitant des travaux de remise en état jusqu’au 30 août 2019, pour un coût total de 11.945,70 euros.

Dans ces conditions, et selon exploit d’huissier en date du 5 juin 2018, OI a saisi le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion aux fins de voir condamner l’agence à l’indemniser du préjudice subi du fait de ses agissements.

Selon jugement contradictoire en date du 24 février 2021, ladite juridiction a statué comme suit:

-CONDAMNE la société Citya France immobilier à payer à la société STRATEGE OI la somme de 4.731,40 euros au titre de la prise en charge de la perte de loyer et des charges ;

-CONDAMNE la société Citya France Immobilier à payer à la société Stratège OI la somme de 312,84 euros au titre de la prise en charge de l’absence de régularisation des charges locatives sur les exercices antérieurs ;

-CONDAMNE la société Citya France Immobilier à payer à la société Stratège OI la somme de 510 euros en restitution du dépôt de garantie ;

-ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision ;

-DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

-CONDAMNE la société Citya France Immobilier à payer à la société Stratège OI la somme de 3.000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-CONDAMNE la société Citya France Immobilier aux dépens. Lesdits dépens afférents aux frais de jugement taxés et liquidés à la somme de 62,92 euros, en ceux non compris les frais de jugement et de ses suites s’il y a lieu.

* * *

Par déclaration d’appel enregistrée au greffe le 7 juin 2021, la société STRATEGE OI a interjeté appel du jugement susvisé.

L’intimée s’est constituée le 23 juin 2021.

L’affaire a été orientée à la mise en état par ordonnance du 29 juin 2021.

L’appelant a déposé par RPVA du 6 septembre 2021 ses premières conclusions.

L’intimée a conclu par RPVA du 24 novembre 2021, et a formé appel reconventionnel.

La clôture a été prononcée par ordonnance en date du 31 octobre 2022. L’affaire a été appelée à l’audience collégiale du 5 avril 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Selon dernières conclusions enregistrées par RPVA le 24 février 2022, l’appelante demande à la cour de:

Vu les anciens articles 1134, 1147 et 1984 et suivants du code civil,

Vu les pièces versées au débat,

-CONFIRMER le jugement contradictoire rendu le 24 février 2021 par le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion en ce qu’il a :

CONDAMNE la société Citya France Immobilier à payer à OI la somme de 312,84 euros au titre de la prise en charge de l’absence de régularisation des charges locatives sur les exercices antérieurs ;

CONDAMNE la société Citya France Immobilier à payer à OI la somme de 510 euros en restitution du dépôt de garantie ;

CONDAMNE la société Citya France Immobilier à payer à OI la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile » ;

-Et d’INFIRMER le jugement contradictoire rendu le 24 février 2021 par le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion en ce qu’il a :

CONDAMNE la société Citya France Immobilier à payer à OI la somme de 4.731,40 euros au titre de la prise en charge de la perte de loyer et des charges à titre de dommages et intérêts ;

DEBOUTE OI de ses demandes plus amples ou contraires ;

ET STATUANT A NOUVEAU :

-CONDAMNER la société Citya France Immobilier à payer à OI les sommes de :

17.149,54 euros au titre des loyers impayés ;

4.002,58 euros au titre des frais de procédure d’expulsion ;

11.945,70 euros au titre des frais de remise en état ;

6.000 euros au titre du préjudice moral de OI ;

5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens ;

En réplique, et ses uniques conclusions notifiées par RPVA du 12 janvier 2022, l’intimée sollicite de la cour de voir :

Vu les dispositions légales applicables ;

Vu la jurisprudence citée ;

Vu les pièces versées aux débats ;

A TITRE PRINCIPAL

-CONFIRMER le jugement du tribunal mixte de commerce de Saint-Denis-de-la Réunion rendu le 24 février 2021 en ce qu’il a débouté OI de ses demandes de :

Dommages et intérêts pour un montant de 252 euros au titre des frais de contentieux ;

Prise en charge des frais liés à la procédure d’expulsion et des frais de remise en état ;

Prise en charge du préavis correspondant à trois mois de loyers ;

Règlement de la somme de 6.000 euros à titre de préjudice moral,

-INFIRMER le jugement du tribunal mixte de commerce de Saint-Denis-de-la-Réunion rendu le 24 février 2021 en ce qu’il a condamné la société Citya France Immobilier à régler les sommes de :

4.731,40 euros au titre de la prise en charge de la perte de loyer et des charges à titre de dommages et intérêts ;

312,84 euros au titre de la prétendue absence de régularisation de charges locatives ;

510 euros à titre de restitution du dépôt de garantie d’un montant de 510 euros ;

3.000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile ;

INFIRMER ledit jugement en ce qu’il a rejeté la demande de la société Citya France IMMOBILIER au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

A TITRE SUBSIDIAIRE,

-RAMENER l’étendue du préjudice né de la perte locative à une perte de chance de percevoir les loyers d’un montant de 4.731,40 € ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

-REJETER la demande de condamnation de la concluante à régler à la société STRATEGE OI la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,

-CONDAMNER la société Stratège OI à payer à la concluante la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens dont distraction au profit de Maître Benjamin PORCHER, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

* * *

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire

La cour rappelle que la responsabilité contractuelle de l’agent immobilier à l’égard de son mandant nécessite d’apprécier l’existence d’un manquement contractuel, d’un dommage et d’un lien de causalité.

Sur la responsabilité contractuelle du mandataire et la garantie loyers impayés

L’appelante fait valoir que le comportement de l’intimée est fautif en ce que :

Elle a résilié le contrat de garantie loyers impayés sans en avertir l’appelante ;

Elle a égaré la déclaration de sinistre prétendument envoyée ;

Elle a facturé des actes inexistants (5 mises en demeure et un commandement de payer) ;

Elle a mis en place des locataires insolvables ;

Elle s’est portée fort de la garantie loyers impayés.

Plus en détail, elle explicite que l’intimée est responsable de l’intégralité du préjudice subi au titre du paiement des loyers, et ce au-delà du 4 novembre 2017 correspondant à la fin du contrat de gestion. En effet, ce dernier a fait preuve de mauvaise foi dans le cadre de l’exécution de son mandat, ainsi des mises en demeure et un commandement de payer n’ont jamais été envoyés, ou encore jusqu’en janvier 2018 une assurance loyers impayés a été facturée, et l’intimée n’a pas déféré à la sommation de produire des relevés bancaires établissant le paiement des loyers sur les années 2016 et 2017.

Elle ajoute que le sinistre est né pendant l’exécution du contrat, sans compter que la facturation (jusqu’en janvier 2018) au-delà de la date de résiliation unilatérale indique la volonté de l’intimée de prolonger son mandat ; qu’en faisant croire à l’appelante que la garantie des loyers impayés allait être activée, l’intimée s’est portée fort pour la compagnie d’assurances SADA, étant précisé que la garantie précitée était indépendante du contrat de mandat de gestion ‘ la résiliation du contrat de gestion n’entraînait pas celle du contrat de garantie de loyers impayés.

L’appelante estime que la responsabilité de l’intimée résulte du fait qu’elle ne s’est pas assurée de la solvabilité des locataires, ces derniers étaient non imposables et non solvables ; que cela correspond à une faute commise pendant l’exécution du contrat.

Pour ce qui des frais d’expulsion et de remise en état, l’appelante s’appuie sur la garantie des loyers impayés, qui prévoyait la prise en charge par l’assurance des frais de contentieux afférents, y compris les frais d’expulsion, d’une part, et des frais liés aux détériorations immobilières (celles-ci ayant eu lieu pendant l’exécution du contrat), d’autre part. Les unes et les autres sont dues à la défaillance de l’intimée qui n’a jamais effectué les diligences nécessaires pour procéder à l’expulsion des locataires indélicats, en violation des obligations de son mandat.

L’intimée répond que la résiliation du contrat de mandat, moyennant un délai de préavis de 6 mois, est parfaitement valable et opposable de sorte qu’il ne peut lui être reproché un manquement quant à une procédure d’expulsion qui n’était plus à sa charge.

Elle ajoute que sa responsabilité ne saurait être engagée au-delà de la fin de son contrat de mandat, à savoir le 4 novembre 2017, et qu’il ne suffit pas que le fait générateur soit fixé durant le temps d’exécution du mandat pour voir étendus les effets du contrat. Abondant en ce sens, l’émission de mises en demeure pour sauvegarder les intérêts de OI ne constitue pas un motif valable de prolongation du mandat. Elle dit aussi qu’une partie des loyers dus avant 2017 a déjà été réglée, il ne saurait donc y avoir un double paiement.

Elle fait ensuite valoir que l’agent immobilier ne garantit pas le paiement incombant au seul locataire, qu’il ne peut se substituer à l’assureur de la garantie loyers et impayés de sorte qu’aucune faute n’est justifiée sans compter que la preuve d’un préjudice personnel, direct et certain n’est pas rapportée. Elle observe que dans le cadre de la gestion du contrat d’assurance garantie loyers impayés, ne peut être en cause que la perte d’une chance d’avoir pu bénéficier d’une indemnisation au titre de ce contrat. Or, cette perte de chance est inexistante. En outre, elle souligne que l’appelante ne démontre pas que la garantie souscrite ne pourrait pas jouer, aussi fait-elle remarquer qu’elle oriente mal son action. Elle nie également s’être portée fort de la société car, c’est impossible et contraire aux termes du mandat ainsi que du principe d’assurance garantie loyers impayés. En tout état de cause, en cas d’indemnisation, celle-ci ne pourra recouvrir que la forme d’une perte de chance, laquelle ne peut être que partielle.

Quant aux charges locatives (312,84 euros), l’intimée fait observer que l’appelante n’invoque aucun fondement et, surtout, qu’elle n’a jamais reconnu une telle créance ; pour la perte des loyers relative au préavis (1.774,02 euros), elle précise ne pas en être débitrice personnellement ; pour la restitution du dépôt de garantie (510 euros), il n’est pas démontré qu’il reste disponible.

Pour la prise en charge des frais d’expulsion et de remise en état, l’intimée estime que l’appelante devrait se tourner vers l’assureur garantie loyers impayés et que les frais sollicités correspondent aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile, il s’agit d’un préjudice hypothétique. Elle ajoute que la reprise des lieux et l’éventuelle constatation des dégradations sont largement postérieures à la résiliation du mandat de gestion (2 ans), de sorte qu’aucun fondement juridique justifiant la demande d’indemnisation. En effet, la date du début des impayés est sans rapport avec la demande indemnitaire, et elle n’a pas pu se porter fort pour des faits non prévisibles à la date du 4 novembre 2017. Pour finir, elle expose qu’il n’est pas non plus démontré que les dégâts aient été causés par les locataires dans la mesure où le logement est resté à l’abandon pendant 5 mois.

Enfin, l’intimée souligne qu’elle a réuni l’ensemble des éléments permettant de s’assurer de la solvabilité des locataires et qu’ils ne caractérisaient aucun risque d’insolvabilité, sans compter qu’aucun incident n’a été déploré entre 2012 et 2017.

Sur ce,

L’article 1984 du code civil définit le mandat comme un « acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ». L’article 1985 précise que « le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé (‘). L’acceptation du mandat peut n’être que tacite, et résulter de l’exécution qui lui a été donnée par le mandataire. »

Au titre des « manières dont le mandat finit », l’article 2003 du même code prescrit qu’il finit « (‘) par la révocation du mandataire, par la renonciation de celui-ci au mandat, par la mort « naturelle ou civile », la tutelle des majeurs ou la déconfiture soit du mandant, soit du mandataire ».

La question de la responsabilité du mandataire, susceptible d’être engagée, est réglée par les articles 1991, 1992 et 2007 du code civil :

Le premier article mentionne que « le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution (‘) » ;

Le second article rappelle que « le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. Néanmoins la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui reçoit un salaire » ;

Le troisième et dernier article édicte que « le mandataire peut renoncer au mandat, en notifiant au mandant sa renonciation. Néanmoins, si cette renonciation préjudicie au mandant, il devra en être indemnisé par le mandataire, à moins que celui-ci ne se trouve dans l’impossibilité de continuer le mandat sans en éprouver lui-même un préjudice considérable ».

Par ailleurs, de jurisprudence constante, la Cour de cassation a identifié une présomption de faute en cas d’inexécution par le mandataire : « Tout mandataire, salarié ou non, répond au regard de son mandant, de l’inexécution de l’obligation qu’il a contractée et du préjudice qui en est résulté pour le mandant, l’inexécution de l’obligation faisant présumer la faute du mandataire, hors cas fortuit » (Cass soc. 30 novembre 1945 ; Civ 1ère, 6 avril 2016).

Au cas d’espèce, le mandat de gestion, signé le 4 novembre 2010 entre les deux parties, stipule conformément au décret n°72-678 du 20 juillet 1972 l’étendue des pouvoirs du mandataire (s’agissant de l’appartement T3 ‘ [Adresse 4]), en ces termes :

– « le mandant confère par les présentes au mandataire, qui l’accepte, mandat d’administrer le bien suivant tant activement que passivement » ;

-puis, « Le mandant autorise expressément le mandataire à accomplir, pour son compte et en son nom tous actes d’administration, notamment :

Encaisser, percevoir tous loyers, charges, dépôts de garantie, indemnités d’occupation et d’assurances, provisions et plus généralement toute somme ou valeur relative au bien géré ;

(‘) Souscrire, signer ou résilier tout contrat, notamment d’assurance ;

Intervenir auprès des compagnies d’assurances en cas de sinistre ;

(‘) De même, en cas de difficultés ou à défaut de paiement, le mandant donne mandat exprès au mandataire qui l’accepte, de diligenter tant en demande qu’en défense toutes actions judiciaires, tous commandements, sommations, assignations et citations devant tous tribunaux’ ».

L’assureur (SADA du groupe assurances DEVK), intervenant au titre de la garantie des loyers impayés, atteste dans un courrier du 12 mars 2018, que OI était « bien assuré en loyers impayés auprès de notre compagnie depuis 2010 (date du mandat de gestion). Malheureusement, le service souscription ne peut présenter de bordereaux de prime datant de 2010 (archivage). Par contre, nous savons que ce lot (domaine de Chamborne) était assuré jusqu’au premier trimestre 2017 inclus (ci-joint dernier bordereau). Enfin, nous n’avons enregistré aucune déclaration de sinistre pour M. [I] ».

En outre, les différents comptes-rendu de gestion et relevés de gérance, établis entre janvier 2017 et janvier 2018, montrent que le mandataire a continué à facturer la garantie loyers impayés de manière indue puisqu’elle avait cessé à compter d’avril 2017. A cela, il faut ajouter qu’aucune déclaration de sinistre n’est démontrée de la part du mandataire et qu’il ne justifie pas avoir en temps utile fait délivrer aux locataires un commandement de payer ou une sommation. De tels agissements sont constitutifs de plusieurs fautes de gestion dans le cadre d’un suivi normal de location que l’on peut attendre d’un mandataire professionnel.

Il s’agit de fautes d’autant plus incontestables que l’intimée s’est montrée de mauvaise foi à plusieurs reprises, comme le montre en particulier une réponse qu’elle apporte dans un mail adressé le 7 août 2017 à l’appelante après plusieurs demandes d’explication restées sans réponse :

« Je vous prie de bien vouloir accepter toutes mes plus sincères excuses pour ce délai de réponse anormalement long’

Votre locataire présente effectivement un impayé de loyer. Nous les avons relancés par téléphone, par courrier simple et par courrier recommandé, sans réaction de leur part. Nous avons donc missionné un huissier afin qu’un commandement leur soit délivré.

Parallèlement, le sinistre est en cours de déclaration à votre assurance loyers impayés… ». Autrement dit, elle affirme avoir fait une déclaration à une assurance qui n’a plus cours.

Malgré ces fautes caractérisées, les limites de l’indemnisation tiennent au fait que l’intimée ne peut être tenue responsable en lieu et place de l’assureur, ce pourquoi les demandes indemnitaires doivent être envisagées sous l’angle d’une perte de chance, qui sera définie à partir de l’étendue des dommages couverts contractuellement par l’assureur. En effet, la cour est amenée à raisonner comme si le mandataire avait été diligent et respecté ses obligations contractuelles.

De ce point de vue, la « garantie des loyers, charges et taxes impayés », jointe au contrat de mandat, décrit la nature de l’indemnisation de la manière suivante : « L’assureur garantie le remboursement des pertes pécuniaires subies du fait du non-paiement par le locataire, des loyers, charges et taxes prévus au bail et correspondant à la location du bien immobilier dont la gestion est confiée à France Immobilier. Ces pertes pécuniaires se composent :

Des loyers, charges, taxes, indemnités d’occupation dus TTC ;

Des frais de contentieux y afférents ;

De tous les frais de procédure d’expulsion ;

Du préavis non respecté par le locataire, qui débute le jour du constat du départ du locataire.

L’assureur s’engage à indemniser France Immobilier pour le compte du propriétaire comme suit : premier règlement : au cours du quatrième mois suivant le premier terme impayé en tenant compte des impayés dès le premier mois ; règlements suivants : trimestriellement à terme échu jusqu’à expiration de la garantie ».

Il en résulte donc que la demande indemnitaire n’est pas limitée aux seuls loyers impayés, dont les pièces produites démontrent que le premier impayé est du mois d’avril 2017.

En revanche, reste posée la question de savoir si la perte de chance a perduré au-delà du 4 novembre 2017 qui correspond à la date à laquelle, selon renonciation notifiée au mandant le 27 juin 2016, le contrat de mandat a pris fin.

La cour observe que l’appelante, dans le cadre de ses nombreux messages électroniques, a pris acte de cette fin de contrat au 4 novembre précité et ne s’y est pas opposée, rejetant ainsi l’idée d’un mandat tacite tel que prévu à l’article 1985 du code civil. En effet, en l’absence d’acceptation tacite, la seule attitude ambigüe de l’intimée postérieurement au 4 novembre 2017, ayant consisté notamment à une facturation de la garantie loyers impayés ou encore d’un commandement de payer, ne peut être considérée comme suffisante.

Toutefois, l’indemnisation au-delà du 4 novembre 2017 se justifie tout de même au regard de l’article 2007 du code civil, lequel prescrit pour mémoire que « le mandataire peut renoncer au mandat, en notifiant au mandant sa renonciation. Néanmoins, si cette renonciation préjudicie au mandant, il devra en être indemnisé par le mandataire, à moins que celui-ci ne se trouve dans l’impossibilité de continuer le mandat sans en éprouver lui-même un préjudice considérable ».

Effectivement, alors même que la garantie des loyers impayés était indépendante du contrat du mandat de gestion, l’appelante n’a pas été mise en situation d’apprécier les conséquences pour elle de la cessation du mandat.

Nombre d’événements lui ayant été dissimulés, à commencer par la cessation depuis mars 2017 de la garantie des loyers impayés, ou encore l’envoi en temps utile d’une déclaration de sinistre, elle n’a pas pu entreprendre les démarches normalement diligentées par le mandataire. La confusion a été d’autant plus grande que, comme le décrit la garantie des loyers impayés, le mandataire est la seule interface habituelle de l’assureur : « L’assureur s’engage à indemniser France Immobilier pour le compte du propriétaire (‘) ». Le mandant et l’assureur n’avaient aucun rapport, le premier a pu valablement penser que sa garantie continuait à courir après le 4 novembre, la prestation correspondante lui étant facturée.

Encore, ce flou a été entretenu du fait que l’intimée n’a donné aucune raison pour expliquer la cessation du mandat, pourtant en vigueur depuis plusieurs années (depuis 2010). Ce silence permet également d’écarter l’hypothèse d’exclusion de l’article 2007 du code civil.

De l’ensemble, et sans qu’il soit nécessaire de rechercher une quelconque responsabilité en raison d’un mécanisme de porte-fort, l’appelante est donc fondée à demander réparation au titre de la perte d’une chance des chefs de préjudice suivants (cf. supra l’étendue de la garantie des loyers) :

Loyers, charges, taxes, indemnités d’occupation dus TTC, pour la période allant d’avril 2017 à fin mars 2018 uniquement ; en effet, la communication de l’assureur, en date du 12 mars 2018, contient des termes démontrant que l’attestation a été faite à la demande de l’appelante : « Par la présente, nous vous confirmons que M. [I] (Stratège OI) était bien assuré en loyers impayés’ », ce qui signifie qu’à compter de cette date elle était informée de son défaut de couverture et qu’il lui appartenait dès lors d’agir pour entreprendre des démarches judiciaires à l’encontre de ses locataires défaillants ; il convient donc de retenir la somme de 7.096,08 euros correspondant à 591,34 euros (montant du loyer) sur 12 mois, et dont l’appelante justifie ;

Frais de contentieux y afférents : à ce titre, sont justifiés tous les frais de procédure d’expulsion que l’intimée aurait dû entreprendre dès le mois de juillet 2017 puisque les impayés remontent à avril 2017 ; l’appelante justifie des sommes de 2.049,58 euros (frais d’huissier) qui pourront donc lui être allouées.

Le total est donc égal à 9.145,66 euros mais, comme il s’agit d’une indemnisation au titre de la perte de chance, l’indemnisation accordée ne peut être que partielle. La garantie loyers impayés prévoyant une indemnisation dès le premier jour d’impayés, il y a lieu de prévoir une indemnisation à hauteur de 90 %, soit une somme de 8.231,09 euros.

Sur l’indemnisation des autres chefs de préjudice

Relativement à la somme de 252 euros, alors que l’intimée insiste sur le fait que ces frais ont déjà été restitués – le Tribunal a d’ailleurs statué en ce sens – l’appelante n’évoque que les frais en lien avec la procédure d’expulsion ou encore les frais de remise en état. La décision querellée sera de ce chef confirmée et, le sera également pour les chefs de préjudice suivants :

– Pour la somme de 312,84 euros (absence de régularisation des charges locatives sur les exercices antérieurs), les pièces versées aux débats établissent les nombreuses demandes effectuées en ce sens par l’appelante auprès de l’intimée ;

-Pour la somme de 510 euros (correspondant au dépôt de garantie), l’article 13 du contrat de bail prévoit très clairement que cette somme est perçue par l’agence et gardé par elle ; il lui appartient donc de justifier qu’elle s’est libérée de son obligation de restitution, ce qu’elle ne fait en aucune manière ;

-Pour l’indemnisation des détériorations, s’il est vrai que la garantie loyers impayés contenait une clause garantissant un tel préjudice, il n’en reste pas moins que les pièces, relatives à la reprise des lieux ou à la durée et la nature des travaux, font état d’interventions datant de 2019 ; aussi, est-il impossible de déterminer, faute d’éléments plus précis, la date des désordres dont la réalité n’est pas contestée ; par suite, les dégâts ne pouvant être rattachés indubitablement à la garantie des loyers impayés, leur indemnisation dépend exclusivement de la relation bailleur / locataire, à laquelle l’agent immobilier reste étranger ; pour finir, l’appelante ne démontre pas en quoi la « destruction du bien » est due à la défaillance de l’intimée dans sa gestion ; il s’est en effet écoulé 2 ans entre la fin du mandat et le procès-verbal de reprise des lieux ;

– Pour la prise en charge du préavis correspondant à trois mois de loyer, l’article 4 du contrat de bail dont se prévaut l’appelante règle les rapports entre le bailleur et le locataire, de sorte qu’une telle obligation ne peut être mise à la charge de l’intimée ;

-Pour le préjudice moral, selon l’appelante, il résulte du désagrément qu’ont causé l’ensemble des démarches et procédures d’expulsion alors qu’elles incombaient initialement à l’intimée par application de la garantie des loyers impayés ; du côté de l’intimée, la demande est disproportionnée au regard de l’enjeu du litige puisque quasiment équivalente au montant des loyers réclamé au stade de l’assignation (7.096,76 euros) ; quoiqu’il en soit, la preuve du préjudice n’est pas rapportée ; la cour relève que la demande est faite par une personne morale, elle ne peut donc qu’être rejetée.

Ni l’équité ni la situation économique de l’intimée ne commandent pas de revoir les sommes allouées en première instance (3.000 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Il en sera de même s’agissant des dépens.

Sur les demandes accessoires

L’équité et la situation économique, appréciées à hauteur d’appel, commandent de condamner l’intimée à payer à l’appelante la somme de 4.000 euros. Elle sera également condamnée aux entiers dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

CONFIRME la décision rendue par le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis en date du 24 février 2021, sauf en ce qu’elle a accordé 4.731,40 euros au titre de la prise en charge de loyer et des charges à titre de dommages-intérêts, et débouté la prise en charge au titre des frais liés à la procédure d’expulsion,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la SAS Citya France Immobilier à payer la société Stratège OI la somme de 8.231,09 euros au titre de la prise en charge de la perte de loyer et des charges et, des frais liés à la procédure d’expulsion,

CONDAMNE la SAS Citya France Immobilier à payer la société Stratège OI la somme de 4.000 euros au titre de de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS Citya France Immobilier aux entiers dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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