Responsabilité du Notaire : 21 février 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/00105

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Responsabilité du Notaire : 21 février 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/00105
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ARRET N°

du 21 février 2023

R.G : N° RG 22/00105 – N° Portalis DBVQ-V-B7G-FDRE

[I]

[I]

c/

[I]

[I]

[A]

S.C.P. [U] [A]

[I]

Formule exécutoire le :

à :

la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 21 FEVRIER 2023

APPELANTS :

d’un jugement rendu le 01 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de CHARLEVILLE MEZIERES

Monsieur [F] [I]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représenté par Me Mélanie CAULIER-RICHARD de la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et par Me Ahmed HARIR, de la SELARL AHMED HARIR, avocat au barreau des ARDENNES, avocat plaidant

Madame [V] [I] épouse [S]

[Adresse 11]

[Adresse 11]

[Localité 9]

Représentée par Me Mélanie CAULIER-RICHARD de la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et par Me Ahmed HARIR, de la SELARL AHMED HARIR, avocat au barreau des ARDENNES, avocat plaidant

INTIMES :

Monsieur [X] [I]

[Adresse 10]

[Localité 2]

Monsieur [W] [I]

[Adresse 8]

[Localité 4]

Représenté par Me Stephane RASQUIN, avocat au barreau des ARDENNES

Monsieur [U] [A] intervention volontaire de Mr [W] [I] sur déclaration d’appel de Madame [V] [I] Née [S] et de Mr [F] [I] du 25 01 2022 et signification conclusions du 02 05 2022

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représenté par Me Emmanuelle SOLVEL de la SCP SOLVEL – BARRUE, avocat au barreau des ARDENNES, anciennement SCP DOMBEK, avocat postulant, et par la SCP KUHN, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant

S.C.P. [U] [A] intervention volontaire de Mr [W] [I] sur déclaration d’appel de Madame [V] [I] Née [S] et de Mr [F] [I] du 25 01 2022 et signification conclusions du 02 05 2022 RG 22/00105

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Emmanuelle SOLVEL de la SCP SOLVEL – BARRUE, avocat au barreau des ARDENNES, anciennement SCP DOMBEK, avocat postulant et par la SCP KUHN, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant

PARTIE INTERVENANTE:

Monsieur [W] [I] intervention volontaire de Mr [W] [I] sur déclaration d’appel de Madame [V] [I] Née [S] et de Mr [F] [I] du 25 01 2022 et signification conclusions du 02 05 2022 RG 22/00105

[Adresse 8]

[Localité 4]

Représenté par Me Stephane RASQUIN, avocat au barreau des ARDENNES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

Madame PILON conseillère, et Madame Florence MATHIEU conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées. Ils en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Elisabeth JUNGBLUTH, présidente de chambre

Madame Sandrine PILON, conseillère

Madame Florence MATHIEU, conseillère

GREFFIER :

Madame Frédérique ROULLET, greffière lors des débats,

Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors du prononcé

DEBATS :

A l’audience publique du 10 janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 21 février 2023,

ARRET :

Par défaut, prononcé par mise à disposition au greffe le 21 février 2023 et signé par Madame Elisabeth JUNGBLUTH présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

[N] [I] est décédé le [Date décès 7] 2013 à [Localité 12], laissant pour héritiers Mme [Z] [K], conjoint survivant, et ses enfants M. [F] [I], M. [X] [I], Mme [V] [I] (enfants d’un premier lit) et M. [W] [I] (enfant commun avec sa seconde épouse, Madame [Z] [K]).

La succession a été ouverte auprès de Me [U] [A], notaire à [Localité 12].

Monsieur [F] [I] et Mme [V] [I] ont accepté la succession à concurrence de l’actif net les 27 et 25 juillet 2017, et la déclaration de succession a été déposée à l’administration fiscale par Me [U] [A] le 26 octobre 2017.

Le 20 septembre 2019, l’administration fiscale a notifié à M. [F] [I] et Mme [V] [I] un redressement fiscal et a notamment appliqué des pénalités de retard d’un montant de 29.774 euros, arrêté au 30 septembre 2019.

Par acte d’huissier en date du 13 avril 2021, M. [F] [I] et Mme [V] [I] épouse [S] ont fait assigner la SCP [U] [A], Me [U] [A], M. [X] [I] et M. [W] [I] devant le tribunal judiciaire de Charleville-Mézières, sur le fondement de l’article 1240 du code civil aux fins de déclarer que Me [A] a commis des fautes dans l’établissement de la déclaration de succession de [N] [I], fautes qui leur ont causé un préjudice, comme à l’ensemble des héritiers, préjudice dont la réparation est demandée à hauteur de 29.774 euros à titre de dommages et intérêts pour les majorations de retard dues à l’administration fiscale, outre 5000 euros chacun au titre du préjudice moral.

Par jugement réputé contradictoire rendu le 1er décembre 2021, le tribunal judiciaire de Charleville-Mézières a, avec le bénéfice de l’exécution provisoire’:

– condamné Maître [U] [A] et la SCP [U] [A], in solidum, à payer à Monsieur [F] [I] et Madame [V] [I] une somme de 5.048,65 euros en réparation de leur préjudice,

– débouté Monsieur [F] [I] et Madame [V] [I] de leur demande de dommages et intérêts formée au titre du préjudice moral,

– condamné Maître [U] [A] et la SCP [U] [A], in solidum, à payer à Monsieur [F] [I] et Madame [V] [I] la somme de 1.500 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens.

Par un acte en date du 25 janvier 2022, M. [F] [I] et Madame [V] [I] épouse [S] ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées électroniquement le 10 octobre 2022, M. [F] [I] et Mme [V] [I] épouse [S] concluent à l’infirmation partielle du jugement déféré et demandent à la cour de condamner solidairement la SCP [U] [A] et Maître [U] [A] à leur payer les sommes de’:

– 29.774 euros, arrêtée au 30 septembre 2019, à titre de dommages et intérêts pour les majorations de retard dues à l’administration fiscale, somme à parfaire au jour du paiement des droits de succession par les héritiers ;

– 5.000 euros chacun à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

– 3.000 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles.

Ils sollicitent également que la cour déclare l’arrêt à venir commun et opposable à Monsieur [X] [I] et à Monsieur [W] [I].

Ils exposent que, dans le cadre du redressement, l’administration fiscale les a informés de ce que les soldes créditeurs de plusieurs comptes bancaires dont était titulaire [N] [I] n’avaient pas été intégrés dans la déclaration de succession, soit une omission d’actifs d’un montant de 122.701,28 euros (dont le montant était ignoré des héritiers).

Ils ajoutent que l’administration fiscale a estimé que la somme de 541.000 euros, retenue au titre des frais de dépollution de plusieurs sites de l’entreprise du défunt, n’aurait pas dû figurer au passif de la succession dans la mesure où elle avait été évaluée sur la base d’un devis postérieur au décès de M. [N] [I]. Ils indiquent en outre que l’absence de mention dans la déclaration de succession d’une donation consentie par le défunt à ses enfants le 16 novembre 1998 leur a été reprochée. Ils précisent avoir été en conséquence redevables de droits à hauteur de 32.879 euros, et de pénalités de retard à hauteur de 29.774 euros, un avis de mise en recouvrement étant adressé à M. [F] [I] le 15 janvier 2020.

Ils soutiennent que le notaire en charge d’une succession est responsable de l’efficacité de la déclaration de succession qu’il dépose auprès de l’administration fiscale et qu’il est de surcroît tenu d’une obligation de conseil à l’égard des héritiers qui doivent être alertés sur le fait que toute inexactitude est susceptible de conduire à un redressement fiscal. A défaut, il engage sa responsabilité professionnelle.

Ils font valoir qu’ils subissent également un préjudice moral lié aux différentes mises en demeure de l’administration fiscale alors qu’ils ne disposent pas de moyens financiers pour s’acquitter des sommes réclamées. Ils insistent sur le fait qu’avant le redressement, ils pensaient ne devoir régler aucun droit de succession et qu’à présent ils doivent s’acquitter de droits de mutation de plus de 30.000 euros chacun.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 9 décembre 2022, M. [W] [I], qui n’avait pas constitué avocat en première instance, conclut également à l’infirmation partielle du jugement entrepris.

Il demande à la cour de juger que les fautes commises par le notaire ont occasionné un préjudice à l’ensemble des héritiers, dont la réparation doit être intégrale.

Il sollicite la condamnation solidaire de la SCP [U] [A] et Maître [U] [A] à payer à Monsieur [F] [I] et Madame [V] [S] les sommes suivantes :

– 29.774 euros, arrêté au 30 septembre 2019, à titre de dommages et intérêts pour les majorations de retard dues à l’administration fiscale, somme à parfaire au jour du paiement des droits de succession par les héritiers ;

– 30.715 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la rectification fiscale ;

– 5.000 euros chacun à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Il réclame en outre le paiement de la somme de 3.500 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles.

Il explique que n’ayant pas eu connaissance du contentieux fiscal en raison de l’absence de relation entre les frères et s’urs et de l’absence d’information de la part de l’étude notariale, il ne peut pas être tenu à régler sa part sans aucun appel en garantie.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées électroniquement le 12 juillet 2022, la SCP [U] [A] et Maître [U] [A] concluent à l’infirmation du jugement déféré et demandent à la cour le paiement de la somme de 1.500 euros à chacun à titre d’indemnité pour frais irrépétibles. Subsidiairement, ils concluent à la confirmation du jugement critiqué.

Ils affirment n’avoir n’avoir commis aucune faute.

– concernant les avoirs de la société générale’: ils expliquent avoir effectué toutes les démarches nécessaires auprès de la banque, mais que cette dernière n’a jamais répondu. Ils précisent que les héritiers avaient connaissance de l’existence de ces comptes, mais que ces derniers ne leur ont pas transmis cette information. Ils indiquent que concernant les comptes propres du de cujus, Monsieur [N] [I] étant en liquidation judiciaire, il incombait au liquidateur de solder les comptes pour apurer le passif.

– Sur la prise en compte des frais de dépollution’: ils soutiennent que cette dette a été intégrée au passif à la demande des héritiers. Ils font valoir que Monsieur [N] [I], en sa qualité d’ayant droit économique exclusif de la société Multifers, était en tout état de cause tenu au paiement de ces sommes. Ils estiment qu’il s’agit d’une dette personnelle du défunt que le notaire devait donc inscrire au passif, peu importe que les déductions aient été opérés au vu de devis postérieurs au décès dès lors que le principe de la dette était incontestable et que sa naissance était antérieure au décès.

Ils réfutent tout lien de causalité avec le préjudice invoqué par les héritiers, et soutiennent que les consorts [I] sont eux même responsables de leur préjudice dans la mesure où ils se sont abstenus de contester le redressement fiscal devant une juridiction.

Sur le préjudice financier, ils insistent sur le fait qu’il n’est justifié d’aucun règlement concernant la somme de 30.000 euros au titre des intérêts. Ils font valoir que ce dommage ne peut s’analyser que comme une perte de chance de ne pas être redevable d’intérêts de retard, or le préjudice né de la perte d’une chance ne saurait être évalué à la valeur de l’avantage perdu. Ils affirment’:

– qu’il n’est pas certain qu’aucun intérêt n’aurait été réclamé si le notaire n’avait pas commis les fautes qui lui sont reprochées,

– que le paiement des intérêts n’est pas un dommage mais est la contrepartie des intérêts que la somme non réglée n’a pas manqué de produire au profit du légataire.

Ils ajoutent que le préjudice moral n’est pas caractérisé.

La déclaration d’appel a été signifiée à Monsieur [X] [I] avec procès-verbal de remise à étude le 3 mars 2022. Ce dernier n’a pas constitué avocat.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 2022.

Par conclusions notifiées électroniquement le 22 décembre 2022, la SCP [U] [A] et Maître [U] [A] ont saisi le conseiller de la mise en état aux fins de voir juger Monsieur [W] [I] irrecevable en ses demandes, fins et conclusions, subsidiairement révoquer l’ordonnance de clôture et en tout état de cause obtenir le paiement pour chacun de la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles.

Ils soutiennent que Monsieur [W] [I] n’a pas déposé ses conclusions dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile et affirment que le conseiller de la mise en état demeure saisi jusqu’à l’ouverture des débats.

MOTIFS DE LA DECISION

*Sur la saisine du conseiller de la mise en état postérieure à l’ordonnance de clôture

Aux termes de l’article 914 du code de procédure civile, les parties soumettent au conseiller de la mise en état, qui est seul compétent depuis sa désignation et jusqu’à la clôture de l’instruction, leurs conclusions, spécialement adressées à ce magistrat, tendant à :

‘ prononcer la caducité de l’appel ;

‘ déclarer l’appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l’appel ; les moyens tendant à l’irrecevabilité de l’appel doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été ;

‘ déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910 ;

‘ déclarer les actes de procédure irrecevables en application de l’article 930-1.

Les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d’appel la caducité ou l’irrecevabilité après la clôture de l’instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement. Néanmoins, sans préjudice du dernier alinéa du présent article, la cour d’appel peut, d’office, relever la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui-ci.

Les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel, sur la caducité de celui-ci ou sur l’irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910, et 930-1 ont autorité de la chose jugée au principal.

En l’espèce, la clôture ayant été prononcée le 13 décembre 2022, le conseiller de la mise en état n’a plus compétence pour statuer sur l’irrecevabilité des conclusions notifiées par Monsieur [W] [I]. Par ailleurs, la SCP [U] [A] et Maître [U] [A] ne justifient pas d’éléments survenus ou révélés postérieurement à l’ordonnance de clôture fondant la révocation de cette dernière pour examen de la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité des conclusions d’appel incident de Monsieur [W] [I].

Dans ces conditions, il convient de rejeter la demande de révocation de l’ordonnance de clôture.

*Sur la responsabilité

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L’article 1241 du même code précise que : chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

De jurisprudence constante, les obligations du notaire, qui ne tendent qu’à assurer l’efficacité d’un acte instrumenté par lui et qui ne constituent que le prolongement de sa mission de rédacteur d’acte,

relèvent de sa responsabilité délictuelle, laquelle n’est engagée que lorsque son client démontre qu’il est victime d’un réel préjudice en lien avec une erreur du professionnel, ce dernier pouvant par ailleurs s’en exonérer en démontrant une erreur du client, l’intervention d’une tierce personne ou l’existence d’un cas de force majeure. Il en résulte, notamment que le préjudice invoqué doit être certain, qu’il s’agisse du préjudice entier ou d’une perte de chance.

Le notaire est par ailleurs tenu d’une obligation d’information et de conseil à l’égard de son client, voire dans certains cas d’un devoir de mise en garde, et la preuve de l’exécution de cette obligation lui incombe. En effet, le notaire rédacteur d’acte est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales de l’acte auquel il prête son concours.

En l’espèce, Monsieur [F] [I] et Madame [V] [I] versent aux débats la déclaration de succession en date du 27 juillet 2017 établie par Madame [T] [B], secrétaire de la SCP [U] [A], titulaire d’un office notarial à [Localité 12].

Cette déclaration est accompagnée des pouvoirs donnés à Madame [T] [B] par Madame [V] [I], Monsieur [X] [I], Monsieur [W] [I] et Monsieur [F] [I], respectivement les 22 février, 27 février, 02 mars et 10 mars 2017, à l’effet de souscrire au bureau de l’enregistrement la déclaration de succession de [N] [I], et en conséquence, de «’ faire dresser tous états et inventaires, rédiger la déclaration de succession, affirmer qu’elle contient tous les éléments nécessaires au calcul des droits de mutation à titre gratuit et fournir toutes justifications, déposer ladite déclaration, payer les droits de mutation’».

Dans le cadre de cette déclaration, l’actif de la succession, composé de divers avoirs bancaires, de droits immobiliers, de matériel d’exploitation de l’entreprise du défunt, de parts sociales et de meubles meublant, a été évalué à la somme de 1.567.010,80 euros, et le passif, composé de frais funéraires, du coût de dépollution de plusieurs sites appartenant à l’entreprise du défunt et d’une dette fiscale de cette même entreprise, a été évalué à la somme de 803.308,64 euros, dont 541 .000 euros au titre des frais de dépollution, soit un actif net de succession d’un montant de 763.702,16 euros.

Monsieur [F] et Madame [V] [I] produisent une proposition de rectification de l’administration fiscale en date du 20 septembre 2019 les informant :

– d’une omission d’actif d’un montant de 122.701,28 euros au titre de deux comptes courants ouverts auprès de la Société Générale,

– du caractère non déductible de la somme de 541.000 euros déclarée au passif de la succession au titre des frais de dépollution de l’entreprise du défunt,

– de la prise en compte d’une donation intervenue le 16 novembre 1998 de biens appartenant au défunt et à son épouse au profit de M. [F] [I], M. [X] [I] et Mme [V] [I],

laquelle a entraîné une déduction de la part reçue par chacun d’eux de l’abattement restant à appliquer à chacun des héritiers, soit une déduction de 10.824 euros sur l’abattement de 100.000 euros applicable à chacun d’eux, l’abattement résiduel des héritiers bénéficiaires étant en conséquence ramené à 89.176 euros.

C’est ainsi que, déduction faite des legs au profit du conjoint et du passif de la succession, la part revenant à chaque enfant a été évaluée à la somme de 262.600,86 euros, soit des droits de succession d’un montant chacun de 32.879 euros à la charge de M. [F] [I], M. [X] [I] et Mme [V] [I], et de 30.715 euros à la charge de M. [W] [I].

La proposition de rectification mentionnait par ailleurs l’application d’un taux d’intérêt de retard mensuel ‘xé à 0,40% à compter du 1er janvier 2006, et à 0,20% à compter du 1er janvier 2018, calculé à partir du premier jour du mois suivant celui au cours duquel l’impôt devait être acquitté jusqu’au dernier jour du mois du paiement, soit un montant total de 29.774 euros entre le 1er février 2014 et le 30 septembre 2019.

Ce document précisait enfin qu’a défaut de contestation dans un délai de 30 jours, la proposition de rectification serait considérée comme acceptée.

Ainsi que l’administration fiscale l’indiquait dans son courrier de rejet de réclamation en date du 17 août 2020, et en dépit de l’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net et de l`absence de règlement de celle-ci du fait de l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de l’entreprise du défunt, les sommes réclamées ne constituent pas des dettes à imputer sur la succession de M. [N] [I], mais des droits de succession devant être réglés par chaque héritier et calculés sur la base de leur part successorale.

Monsieur [F] [I] et Madame [V] [I] versent également au dossier un courrier daté du 4 octobre 2019 adressé par le notaire, Maître [U] [A] à Maître [P], aux termes duquel il écrivait’:’«’Madame [S]-[I] [V] m’a transmis la proposition de rectification qu’elle a reçue, ainsi que les trois autres héritiers, Messieurs [F], [X] et [W] [I], suite au dépôt de la déclaration de succession après le décès de Monsieur [I] [N].

A l’examen de la proposition de rectification, il semble que les sommes soient dues.

En conséquence, en votre qualité d’administrateur de la liquidation judiciaire de Monsieur [N] [I], je vous propose, si vous détenez les capitaux suffisants, de régler le montant des sommes réclamées par l’administration fiscale’». Il en découle que le notaire a reconnu le bien-fondé du calcul de l’assiette successorale sur laquelle les droits des héritiers ont été calculés par l’administration fiscale.

Il est ainsi établi que le notaire ‘:

-d’une part, a omis de faire figurer dans l’actif de la succession des comptes ouverts par le défunt auprès de la société générale, alors que Maître [A] ne pouvait pas ignorer que l’entreprise du défunt faisait l’objet d’une procédure collective et que ce dernier ne justifie pas s’être renseigné auprès du mandataire judiciaire des éléments détenus par ce dernier,

-et d’autre part, a par erreur inclus dans le passif de la déclaration de succession les frais de dépollution pour un montant conséquent de 541.000 euros, alors qu’il ne s’agit que d’un devis dont le fait générateur est postérieur au décès de Monsieur [N] [I].

Les consorts [I] démontrent que la déclaration de succession a été établie par le seul Maître [A] le 27 juillet 2017, qui ne peut sérieusement soutenir que les héritiers (personnes profanes en matière successorale et fiscale) auraient avalisé la pertinence de son travail, étant souligné que la détermination de l’actif et du passif fiscal relève de la compétence technique du professionnel du droit tenu à une obligation d’information et de conseil ainsi qu’à un devoir de mise en garde.

Il appartenait également au notaire d’informer ses clients sur la réglementation fiscale les obligeant à déclarer la succession dans le délai légal ainsi qu’à payer le cas échéant des droits de mutation, et ce afin d’éviter toute pénalité de retard ainsi que de les mettre en garde contre les risques encourus en cas de déclaration erronée ou frauduleuse.

Il résulte des énonciations et constatations ci-dessus que le notaire, Maître [A], sur qui pèse la charge de la preuve pour laquelle il est défaillant, a manqué a ses obligations d’information, de conseil et de mise en garde à l’égard des héritiers. La responsabilité de ce dernier est dès lors engagée.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a retenu la responsabilité du notaire.

*Sur le préjudice et le lien de causalité

A titre liminaire, il y a lieu de relever que Monsieur [W] [I] dans ses conclusions du 9 décembre 2022 sollicite la condamnation solidaire de la Scp [U] [A] et de Maître [U] [A] au paiement de sommes au profit de ses frère et s’ur [F] et [V] [I], à savoir’ des dommages et intérêts au titre de ses propres droit de mutation, des majorations de retard dus par la succession ainsi qu’en réparation du préjudice moral de ces derniers.

Il convient de constater que s’il peut approuver la démarche judiciaire de ses frère et s’ur, il ne peut juridiquement obtenir de condamnation à leur profit, étant précisé que curieusement, il réclame le paiement pour ces derniers des droits de mutation mis à sa charge dans le redressement fiscal.

Dans ces conditions, il convient de rejeter toutes les demandes en paiement formées par Monsieur [W] [I].

A la suite de l’erreur dans la déclaration et du retard dans le dépôt de la déclaration, les héritiers sont redevables d’intérêts de retard. En vertu de l’article 1709 du code général des impôts, les héritiers sont tenus solidairement au paiement des pénalités, à savoir en l’espèce la somme de 29.774 euros.

Le manquement du notaire à ses obligations d’information, de conseil et de mise en garde est en relation directe avec le préjudice des héritiers de devoir supporter des pénalités et intérêts de retard. En effet, s’il résulte de la rectification fiscale que des droits de mutation sont finalement dus par les héritiers, toutefois les pénalités et intérêts de retard sont la conséquence de la déclaration tardive et erronée.

La cour constate que Maître [A], sur lequel pèse la charge de la preuve ne démontre pas avoir alerté les consorts [I] sur les risques encourus en cas de déclaration tardive, erronée ou frauduleuse.

Il ressort des pièces produites que Monsieur [F] et Madame [V] [I] ne prouvent pas avoir mandaté Maître [A] pour établir leur déclaration de succession avant février 2017, dès lors ce dernier ne peut se voir reprocher les intérêts de retard appliqués entre le 1er février 2014 et le 31 janvier 2017 pour un montant de 17.346,56 euros, et ce d’autant plus que les droits de mutation sont dus et qu’à ce jour il n’est pas justifié du paiement de ces derniers.

Le préjudice indemnisable pour la faute du notaire sur la période concernée du 1er février 2017 au 30 septembre 2019, s’élève à la somme de’: 29.774 ‘ 17.346,56 = 12.427,44 euros

Les quatre enfants concernés par la succession de Monsieur [N] [I] étant solidairement tenus de payer les intérêts de retard en vertu du code général des impôts précité et de la nécessité de réparation intégrale du préjudice, Monsieur [F] [I] et Madame [V] [I] établissant avoir reçu des avis de recouvrement les 15 et 20 janvier 2020 pour le montant de la totalité des pénalités, il convient de condamner in solidum la Scp [U] [A] et Monsieur [U] [A] à payer à Monsieur [F] [I] et à Madame [V] [I] la somme globale de 12.427,44 euros en réparation de leur préjudice financier.

Il résulte des débats que Monsieur [F] [I] et Madame [V] [I] sont des profanes en matière fiscale et successorale et qu’ils n’ont pas bénéficié des conseils avisés du notaire, professionnel du droit, ce qui a été source de tracas supplémentaires dans la gestion de la succession de leur père. Cette situation caractérise un indéniable préjudice moral qu’il convient de réparer en condamnant in solidum la Scp [U] [A] et Monsieur [U] [A] à ces deux derniers à chacun la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts.

Par conséquent, il convient d’infirmer le jugement déféré du chef des préjudices.

*Sur les autres demandes

Eu égard à la nature de l’affaire, il convient de déclarer le présent arrêt commun et opposable à Messieurs [W] et [X] [I].

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la Scp [U] [A] et Monsieur [U] [A] succombant, ils seront tenus in solidum aux dépens.

Les circonstances de l’espèce commandent de condamner in solidum la Scp [U] [A] et Monsieur [U] [A] à payer à Monsieur [F] [I] et à Madame [V] [I] la somme globale de 3.000 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles et de débouter les autres partie de leurs demandes respectives en paiement sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt par défaut,

Vu l’ordonnance de clôture en date du 13 décembre 2022,

Dit que le conseiller de la mise en état n’a plus compétence pour statuer sur l’irrecevabilité des conclusions notifiées par Monsieur [W] [I].

Rejette la demande de révocation de l’ordonnance de clôture.

Infirme le jugement rendu le 1er décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Charleville-Mézières en ce qu’il a’:

– condamné Maître [U] [A] et la SCP [U] [A], in solidum, à payer à Monsieur [F] [I] et à Madame [V] [I] une somme de 5.048,65 euros en réparation de leur préjudice,

– débouté Monsieur [F] [I] et Madame [V] [I] de leur demande de dommages et intérêts formée au titre du préjudice moral,

Et statuant à nouveau,

Condamne in solidum la Scp [U] [A] et Monsieur [U] [A] à payer à Monsieur [F] [I] et à Madame [V] [I] la somme globale de 12.427,44 euros en réparation de leur préjudice financier.

Condamne in solidum la Scp [U] [A] et Monsieur [U] [A] à payer à Monsieur [F] [I] et à Madame [V] [I], à chacun, la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral respectif.

Le confirme pour le surplus.

Y ajoutant,

Rejette les demandes formées par Monsieur [W] [I].

Déclare le présent arrêt commun et opposable à Messieurs [W] et [X] [I].

Condamne in solidum la Scp [U] [A] et Monsieur [U] [A] à payer à Monsieur [F] [I] et à Madame [V] [I], la somme globale de 3.000 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles.

Déboute les autres parties de leurs demandes en paiement sur ce même fondement.

Condamne in solidum la Scp [U] [A] et Monsieur [U] [A] aux dépens d’appel, lesquels seront recouvrés par la Scp Delvincourt Caulier-Richard Castello, dans les formes et conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier La présidente

 


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