Responsabilité du Notaire : 22 juin 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00886

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Responsabilité du Notaire : 22 juin 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00886
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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 22/06/2023

****

N° de MINUTE : 23/222

N° RG 21/00886 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TOCE

Jugement (N° 16/04345) rendu le 14 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Valenciennes

APPELANTE

Société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France prise en la personne de Madame [L] [I], chef du service contentieux, spécialement habilitée, par délégation de pouvoir en date du 8 janvier 2019

[Adresse 2]

[Localité 16]

Représentée par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué assistée de Me Laurent Heyte, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant substitué par Me Arnaud Leroy avocat au barreau de Paris

INTIMÉS

Monsieur [C] [Y]

de nationalité française

[Adresse 25]

[Localité 17]

Représenté par Me Véronique Vitse-Boeuf, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

Madame [N] [S] épouse [F]

(Intimée dans les RG 21/2814, 21/2675,21/3130, et assignée en appel provoqué dans le RG 21/1490)

née le [Date naissance 9] 1969 à [Localité 29]

de nationalité française

[Adresse 12]

[Localité 21]

Madame [Z] [T]

(Intimée dans les RG 21/2814, 21/2675,21/3130, et assignée en appel provoqué dans le RG 21/1490)

née le [Date naissance 3] 1970 à [Localité 26]

de nationalité française

[Adresse 8]

[Localité 19]

Madame [M] [T]

(intimée dans le RG 21/2814 et assignée en appel provoqué dans le RG 21/1490, intimée dans les RG 21/2675,21/3130)

née le [Date naissance 11] 1976 à [Localité 26]

de nationalité française

[Adresse 14]

[Localité 19]

Représentées par Me Janneau, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

Monsieur [O] [A]

appelant dans les RG 21/3130,21/2814 et assigné en appel provoqué dans le RG 21/1490, intimé dans le RG 21/2675

né le [Date naissance 1] 1950

de nationalité française

[Adresse 24]

[Localité 18]

Représenté par Me Hanus, avocat au barreau de [Localité 16], avocat constitué

Monsieur [P] [H] sous curatelle de l’AGSS de l’UDAF, [Adresse 15]

intimé dans les RG 21/2675,21/3130 et assigné en appel provoqué dans le RG 21/1490

né le [Date naissance 7] 1963 à [Localité 28]

de nationalité française

[Adresse 10]

[Localité 20]

Association AGSS de l UDAF en sa qualité de curateur de [P] [H]

ayant son siège social [Adresse 15]

[Localité 20]

(intimée dans le RG 21/2814, 21/2675, 21/3130 et assignée en appel provoqué dans le RG 21/1490)

Représentés par Me Armand Audegond, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué

SA Le Crédit Lyonnais dont le siège social central est [Adresse 5]

(appelant dans le rg 21/2675 et intimée dans les RG 21/2814, 21/3130)

ayant son siège social [Adresse 5]

[Localité 23]

Représentée par Me Patrick Dupont-Thieffry, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

SCP [C] [Y] Ludovic Fournet [V] [K] Roy prise en la personne de son liquidateur amiable, Maître [V] [K] Roy domiciliée en cette qualité audit siège.

(Intimée dans les RG 21/1490, 21/2675, 21/2814,et 21/3130)

[Adresse 25]

[Localité 17]

Représentée par Me Véronique Vitse-Boeuf, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

SA Banque Cic Nord Ouest venant aux droits de Banque BSD-CIN

(intimée dans le RG 21/2814 et 21/3130)

[Adresse 13]

[Localité 16]

Représentée par Me Eric TIRY, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué

SA Caisse d’Epargne Hauts de France prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès-qualité audit siège

(intimée dans les RG 21/2814 et 21/3130)

[Adresse 4]

[Localité 22]

Représentée par Me Loïc Ruol, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué

Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] Liberté, société coopérative à capital variable

(appelante dans le RG 21/1490 et intimée dans les RG 21/2814 et 21/3130)

[Adresse 6]

[Localité 16]

Représentée par Me Benoît de Berny, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

SA LCL Le Credit Lyonnais siège social [Adresse 5]

(Appelant dans le rg 21/2675 et intimée dans les RG 21/2814, 21/3130)

[Adresse 5]

[Localité 23]

Représentée par Me Patrick Dupont-Thieffry, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

DÉBATS à l’audience publique du 30 mars 2023 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023 après prorogation du délibéré en date du 15 juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 21 février 2022

Communiquées aux parties le 24 février 2022

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 mars 2023

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

Mmes [N] [S], [Z] [T], [M] [T] et M. [P] [H] ont acquis chacun de la société Immosur, gérée par M. [G] [X], plusieurs biens immobiliers à vocation locative sur la commune de [Localité 27].

Les actes authentiques de vente ont été régularisés par Maître [C] [Y] notaire, le 5 octobre et 5 décembre 2005.

Pour acquérir ces biens immobiliers, les acheteurs ont chacun souscrit auprès de différentes banques plusieurs emprunts immobiliers dont le remboursement devait être couvert par les revenus locatifs. Ces contrats de prêts ont été négociés par M. [O] [A], courtier de la société Crédit flash.

Au regard de l’état de ces immeubles et faute de perception de loyers, par actes d’huissier du 31 août, 4, 5 et 24 septembre, 4, 5 et 6 décembre 2007, Mmes [S], [Z] et [M] [T], et M. [P] [H] ont fait assigner la société Immosur, la Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] liberté (le Crédit mutuel), la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord France (le Crédit agricole), la société LCL Crédit lyonnais (le Crédit lyonnais), la Caisse d’épargne de Flandres (la Caisse d’épargne) et la banque CIC nord-ouest (le CIC) devant le tribunal de grande instance de Valenciennes afin d’obtenir notamment la nullité des ventes immobilières et des contrats de prêts y afférents.

Par actes d’huissier du 3 mars et 4 juin 2008, le Crédit mutuel a fait assigner la SCP [Y]-Fournet, et M. [A] devant le tribunal de grande instance de Valenciennes afin notamment de voir engager leur responsabilité et d’obtenir réparation de son préjudice pour les dommages subis à raison des prêts immobiliers consentis.

La jonction de l’ensemble des procédures a été ordonnée.

Par jugement du 30 mars 2010, le tribunal de grande instance de Valenciennes a ordonné le sursis à statuer sur l’ensemble des demandes des parties dans l’attente des suites réservées à l’information judiciaire pénale ouverte au cabinet du juge d’instruction de [Localité 16], et a ordonné la radiation administrative de l’affaire.

Par actes d’huissier du 17 juin 2013, le Crédit agricole a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Valenciennes M. [Y], et la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy (la SCP notariale) afin notamment de voir engager leur responsabilité et d’obtenir l’indemnisation de son préjudice pour les dommages lié aux prêts immobiliers.

Par actes d’huissier du 17 et 19 décembre 2018, le Crédit mutuel a fait signifier des conclusions avec bordereau de communications de pièces et assignation devant le tribunal de grande instance de Valenciennes à Mme [S] et M. [H].

Par actes d’huissier du 11 et 28 janvier 2019, le Crédit mutuel a fait signifier des conclusions avec bordereau de communications de pièces et assignation devant le tribunal de grande instance de Valenciennes à Mme [S], M. [H] et son curateur, l’AGSS de l’UDAF.

L’ensemble des procédures a fait l’objet d’une jonction.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 14 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Valenciennes a :

rejeté la fin de non-recevoir formulée par M. [Y] et la SCP notariale ;

dit que M. [Y], exerçant au sein de la SCP notariale, avait engagé sa responsabilité dans le cadre des opérations d’acquisitions et de ventes des biens appartenant à la société Immosur ;

fixé sa responsabilité à hauteur de 10% du préjudice subi par le Crédit mutuel, le Crédit agricole, le Crédit lyonnais et le CIC ;

dit que M. [A] était responsable du préjudice subi par le Crédit mutuel ;

condamné M. [A] in solidum avec la SCP notariale à payer au Crédit mutuel, dans la limite des montants ci-après indiqués, les sommes suivantes :

119 371,85 euros de dommages et intérêts concernant le prêt consenti à Mme [M] [T], dont 11 937,19 euros in solidum avec la SCP notariale, correspondant à 10% du préjudice subi,

137 174,30 euros de dommages et intérêts concernant le prêt consenti à Mme [Z] [T], dont 13 717,43 euros in solidum avec la SCP notariale, correspondant à 10% du préjudice subi,

112 167,45 euros de dommages et intérêts concernant le prêt consenti à Mme [S], dont 11 216,75 euros in solidum avec la SCP notariale, correspondant à 10% du préjudice subi,

135 058,59 euros de dommages et intérêts concernant le prêt consenti à M. [H], dont 13 505,86 euros in solidum avec la SCP notariale, correspondant à 10% du préjudice subi ;

ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

condamné in solidum M. [Y] et la SCP notariale à payer au Crédit agricole les dommages et intérêts suivants :

10 467, 39 euros pour le prêt consenti à Mme [M] [T],

7 523, 92 euros pour le prêt consenti à Mme [Z] [T],

9 440,18 euros pour le prêt consenti à Mme [S],

9 629,89 euros pour le prêt consenti à M. [H] ;

ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

condamné in solidum M. [Y] et la SCP notariale à payer au Crédit Lyonnais les dommages et intérêts suivants :

7 615 euros pour le prêt consenti à Mme [M] [T],

7 615 euros pour le prêt consenti à Mme [Z] [T],

7 615 euros pour le prêt consenti à Mme [S],

7 615 euros pour le prêt consenti à M. [H] ;

condamné in solidum M. [Y] et la SCP notariale à payer à Mme [M] [T] la somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral ;

déclaré les demandes formées par Mme [M] [T] à l’encontre de M. [X] irrecevables ;

condamné in solidum M. [Y] et la SCP notariale à payer à Mme [Z] [T] la somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral ;

déclaré les demandes formées par Mme [Z] [T] à l’encontre de M. [X] irrecevables ;

débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

dit que les parties gardaient la charge de leurs dépens ;

ordonné l’exécution provisoire du jugement.

3. Les déclarations d’appel :

Par déclaration du 8 février 2021, le Crédit agricole a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 2, 3, 7, 14 et 15 ci-dessus (procédure enrôlée n° RG 21-00886).

Par déclaration du 11 mars 2021, le Crédit mutuel a formé appel partiel du jugement critiqué, intimé exclusivement la SCP notariale, et libellé en ces termes sa déclaration d’appel : « l’appel est limité au rapport entre la Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] liberté, la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy, société civile professionnelle de notaires et Maître [C] [Y] notaire, en ce que le jugement :

– fixe la responsabilité de la SCP de notaires à hauteur de 10% du préjudice subi par la Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] liberté,

– condamne la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy à payer à la Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] liberté, in solidum, du préjudice subi par la Caisse dans la limite de 10%, soit :

11 937,19 euros au titre du prêt consenti à Madame [M] [T],

13 717,43 euros au titre du prêt consenti à Madame [Z] [T],

11 216,75 euros au titre du prêt consenti à Madame [N] [S],

13 505,86 euros au titre du prêt consenti à Monsieur [P] [H],

– dit que l’office notarial ne supporte pas la charge des dépens de première instance » (procédure enrôlée n° RG 21-01490).

Par déclaration du 10 mai 2021, le Crédit lyonnais a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 2, 3, 9, 14 et 15 ci-dessus (procédure enrôlée n° RG 21-02675).

Par déclaration du 19 mai 2021, M. [A], Mme [M] [T] et le Crédit mutuel ont formé appel du jugement critiqué, intimant l’ensemble des autres parties à l’instance, en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 3, 4, 5, 6 ci-dessus (procédure enrôlée n° RG 21-02814).

Par déclaration du 7 juin 2021, M. [A] a formé un second appel à l’encontre du jugement du 14 janvier 2021), intimant l’ensemble des autres parties à l’instance, en ce compris Mme [M] [T] et le Crédit mutuel ; son appel est limité aux chefs du dispositif numérotés 3, 4, 5, 6 ci-dessus (procédure enrôlée n° RG 21-03130).

Par actes du 16 juillet et 9 novembre 2021, M. [Y] et la SCP notariale ont fait assigner en appel provoqué M. [A], Mmes [M] et [Z] [T], [S], et M. [H].

Par ordonnance du 6 décembre 2021, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la jonction de la procédure enrôlée n° RG 21-02675 à la procédure enrôlée n° RG 21-0886.

Par ordonnance d’incident du 31 mars 2022, le magistrat chargé de la mise en état a notamment :

– ordonné la jonction des instances enregistrées sous les numéros n° RG 21-03130 et 21-02814, sous ce dernier numéro ;

– constaté le désistement par le Crédit mutuel de son appel principal (formé à tort le 19 mai 2021 par M. [A] pour son compte) à l’encontre du jugement rendu le 14 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Valenciennes ;

– dit que les conclusions et pièces signifiées par Mmes [S], [M] et [Z] [T] étaient irrecevables, le délai de trois mois prévu par l’article 909 du code de procédure civile pour former appel incident étant expiré lors de leur signification ;

– déclaré M. [Y] et la SCP notariale irrecevables à invoquer la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [A] à former appel principal pour le compte de Mme [M] [T] et du Crédit mutuel ;

– déclaré recevable l’appel incident formé par le Crédit agricole.

Par ordonnance du 7 juillet 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la jonction des procédures enrôlées n° RG 21-01490 et n° RG 21-02814 à la première procédure enrôlée n° RG 21-00886.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1 Aux termes de ses conclusions récapitulatives n°2 notifiées le 25 novembre 2022, le Crédit agricole, appelant principal, demande à la cour de :

=> Sur l’appel de M. [A], sous réserve de sa régularité et de sa recevabilité :

– constater que M. [A] ne formule aucune demande à son encontre, et déclarer à ce titre son appel sans objet ;

– condamner M. [A] au paiement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

=> Sur son appel principal :

– infirmer le jugement critiqué en ce qu’il a :

dit que M. [Y]. exerçant au sein de la SCP notariale avait engagé sa responsabilité dans le cadre des opérations d’acquisitions et de ventes des biens appartenant à la société Immosur, mais fixé sa responsabilité à hauteur de 10% du préjudice subi par ses soins ;

condamné in solidum M. [Y] et la SCP notariale à lui payer les dommages et intérêts suivants :

10 467, 39 euros pour le prêt consenti à Mme [M] [T],

7 523, 92 euros pour le prêt consenti à Mme [Z] [T],

9 440,18 euros pour le prêt consenti à Mme [S],

9 629,89 euros pour le prêt consenti à M. [H] ;

– l’a déboutée du surplus de ses demandes ;

– dit que les parties gardaient la charge de leurs dépens ;

Statuant à nouveau,

– déclarer M. [Y] et la SCP notariale solidairement responsables du dommage qu’elle a subi au titre des prêts consentis à Mmes [S], [M] et [Z] [T], et M. [H] ;

– condamner solidairement Me [Y] et la SCP notariale à lui payer les somme suivantes :

104 673,81 euros à majorer des intérêts au taux conventionnel de 3.69% du 15 février 2013 jusqu’à parfait paiement, au titre du préjudice causé par la vente et le prêt consenti à Mme [M] [T] ,

94 401,80 euros à majorer des intérêts au taux conventionnel de 3.69% du 15 février 2013 jusqu’à parfait paiement, au titre du préjudice causé par la vente et le prêt consenti à Mme [S],

75 239,24 euros à majorer des intérêts au taux conventionnel de 3.69% du 15 février 2013 jusqu’à parfait paiement, au titre du préjudice causé par la vente et le prêt consenti à Mme [Z] [T] ,

96 298,89 euros à majorer des intérêts au taux conventionnel de 3.48% du 15 février 2013 jusqu’à parfait paiement, au titre du préjudice causé par la vente et le prêt consenti à M. [H] ;

– ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière par application de l’article 1154 du code civil ;

– rejeter l’ensemble des prétentions de M. [Y] et de la SCP notariale ;

– condamner solidairement M. [Y] et la SCP notariale à payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel, avec faculté de recouvrement direct selon les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

A l’appui de ses prétentions, le Crédit agricole fait valoir que :

– la société Immosur, assistée de M. [Y], s’est engagée par compromis de vente à acquérir par paiement au comptant auprès de la SCI [R] de nombreux immeubles situés à Denain ;

– ne disposant pas des fonds, la société Immosur a recherché des acquéreurs ;

– Mmes [S], [M] et [Z] [T] et M. [H] ont ainsi acquis directement auprès de la société Immosur quatre immeubles chacun ;

– il a accordé à chacun d’eux une offre de prêt immobilier pour leur permettre d’acquérir l’un des immeubles sur la base de documents destinés à justifier de leur solvabilité, lesquels se sont tous avérés falsifiés, notamment les contrats de travail, bulletins de salaire et relevés bancaires ;

– les emprunteurs ont rapidement cessé de rembourser les mensualités des prêts immobiliers consentis ;

– par arrêt partiellement confirmatif du 21 juin 2016, la cour d’appel de Douai a pénalement déclaré Mmes [S], [M] et [Z] [T] et MM. [H], [A] et [X] coupables d’escroqueries en bande organisée ;

– le premier juge a exactement retenu la responsabilité civile de M. [Y] et de sa société d’exercice mais a, à tort, limité son indemnisation à 10% du préjudice subi ;

– il ignorait les relations existantes entre les acquéreurs, le vendeur, le courtier, et le notaire, et il subit un préjudice trouvant directement son origine dans les agissements de M. [Y] ;

– entendu dans le cadre de la procédure pénale, M. [Y] a admis avoir commis des fautes graves, dans la mesure où il n’a pas relevé les contradictions entre l’objet des ventes déclarées par les acheteurs, et l’objet des ventes stipulé dans les actes de prêt, à savoir une acquisition à usage de résidence principale, où il a conclu des ventes en stipulant que la société Immosur était propriétaire des immeubles, alors que celle-ci n’avait pas encore signé avec la société [R], et enfin où il a indiqué dans les actes de vente que les immeubles étaient libres d’occupation, alors qu’ils étaient pour la plupart loués ;

– M. [Y] a participé à une opération d’achat et de revente d’immeubles à grande échelle en sachant pertinemment que le vendeur n’avait pas la qualité de marchand de biens et n’était même pas encore propriétaire des immeubles ;

– M. [Y] a rédigé des actes comportant de nombreuses contradictions et erreurs matérielles portant notamment sur la date des compromis, la date du paiement à terme, et l’occupation des biens, n’a pas vérifié l’identité des acquéreurs-emprunteurs, ni l’objet du prêt, ne s’est pas interrogé sur le fait que les acquéreurs avaient obtenu des prêts auprès de différentes banques pour des actes régularisés le même jour ;

– sa qualité de notaire lui imposait un devoir de vérification et de conseil en vertu duquel il devait relever les incohérences manifestes entre tous les actes, et alerter les organismes prêteurs sur la multiplicité et la simultanéité des acquisitions effectuées par les emprunteurs, et le caractère anormal de celles-ci, et non pas authentifier, sans suspendre ses diligences et séquestrer les fonds, les actes douteux en toute connaissance de cause ;

– les sûretés prises sur les immeubles pour consentir les prêts n’avaient aucune valeur réelle, puisque les biens étaient sérieusement dégradés voire insalubres, et leurs acquéreurs se sont révélés totalement impécunieux ;

– il intervenait à l’acte comme prêteur de deniers, et non comme tiers, et devait bénéficier, comme l’ensemble des parties, du devoir d’information et de conseil du notaire instrumentaire ;

– si le notaire n’avait pas commis les nombreux manquements reprochés, les organismes prêteurs n’auraient pas débloqué les fonds issus des prêts consentis sur la base de documents falsifiés, et n’auraient subi aucun préjudice ;

– le lien de causalité direct relevé entre les manquements du notaire et le préjudice subi par la banque doit conduire à imputer à M. [Y] la responsabilité de l’intégralité du préjudice subi ;

– si les offres de prêt ont été validés par les banques et acceptée par les emprunteurs, il reste que le notaire est ensuite intervenu dans le schéma contractuel et a recueilli l’ensemble des informations qui lui permettait de détecter le caractère frauduleux de l’opération immobilière ;

– un contrat de prêt destiné au financement d’un bien immobilier n’est que l’accessoire d’un acte authentique de vente qui conditionne sa raison d’être, et les fonds prêtés ne sont débloqués qu’après régularisation de la vente sous forme authentique ;

– le notaire n’a pas assuré par ses diligences l’efficacité technique et pratique ni la sécurité juridique des actes qu’il a dressés ;

– les offres de prêt ne revêtent en définitive que la qualité de contrats préparatoires à des contrats principaux ;

– en l’absence de toute régularisation des ventes par devant notaire, il n’aurait jamais accordé les fonds aux emprunteurs ;

– M. [Y] disposait d’éléments suffisants pour s’interroger sur la légalité de l’opération projetée ; – les banques étaient respectivement signataires des actes notariés pour lesquels elles ont accordé leur concours financier, de sorte que le secret professionnel du notaire ne peut leur être opposé.

4.2 Aux termes de ses conclusions récapitulatives n° 5 ter notifiées le 15 mars 2023, le Crédit mutuel, appelant principal, demande à la cour de :

– infirmer le jugement querellé en ce qu’il a limité la condamnation du notaire au dixième du dommage, et n’a pas condamné celui-ci in solidum ou solidairement avec les autres auteurs à l’entier dommage ;

– condamner in solidum ou solidairement M. [Y] et la SCP notariale à réparer son entier dommage et à payer :

119 371,85 euros au 26 avril 2018 au titre du dommage [M] [T],

137 174,30 euros au 10 janvier 2018 au titre du dommage [Z] [T],

112 167,45 euros au 10 janvier 2018 au titre du dommage [N] [S],

135 058,59 euros au 10 janvier 2018 au titre du dommage [P] [H],

– les condamner in solidum ou solidairement à lui payer 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux frais et dépens d’instance et d’appel ;

– confirmer le jugement querellé en ce qu’il a condamné M. [A] in solidum ou solidairement avec les autres auteurs à l’entier dommage ;

– écarter les conclusions de M. [A] du 14 octobre 2022 comme tardives ;

– déclarer irrecevables les demandes de M. [A] quant à la chose jugée ;

– déclarer M. [A] irrecevable en sa demande d’irrecevabilité présentée pour la première fois dans ses conclusions d’octobre 2022 ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré M. [A] entièrement responsable ;

– le confirmer en ce qu’il a arrêté son indemnisation ;

– y ajoutant, condamner M. [A] à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les frais et dépens de l’appel.

Au soutien de ses prétentions, le Crédit mutuel fait valoir que :

– les quatre emprunteurs se connaissaient, connaissaient le gérant de la société Immosur, et ont convenu d’obtenir les crédits avec le concours de M. [A] ;

– le premier juge s’est fondé sur le dossier pénal pour reconnaître la responsabilité du notaire ;

– M. [Y] a manqué gravement à ses obligations en raison de l’inversion de la chronologie des actes et de la destination des immeubles ;

– M. [X] a chargé M. [Y] de la rédaction d’actes d’acquisition de plusieurs immeubles appartenant à la SCI [R], dont le propre notaire exigeait un paiement au comptant ; or, M. [X] était insolvable et ne pouvait bénéficier d’un crédit bancaire ; c’est la raison pour laquelle M. [Y] a accepté d’inverser l’ordre des ventes sans en avertir les banques dont certaines étaient représentées aux actes ;

– M. [Y] admet avoir modifié la destination des prêts immobiliers, mais conteste avoir ainsi trompé les banquiers qui, selon lui, ne s’intéressaient pas en 2005 à l’objet financé ; or, le notaire a délibérément modifié l’affectation des immeubles, pour que ses multiples actes conclus le même jour apparaissent cohérents ;

– le risque supporté par le banquier est différent selon que l’emprunteur finance l’acquisition de sa résidence principale ou d’un immeuble locatif ;

– s’il avait su que les emprunteurs sollicitaient un prêt pour financer un investissement locatif, il se serait à l’évidence davantage intéressé à l’occupation et à l’état des immeubles, aurait réclamé les baux et apprécié plus sévèrement les conditions de solvabilité de ceux-ci ;

– informé de l’affectation réelle des immeubles par le notaire, il aurait dénoncé les prêts consentis, n’aurait pas décaissé ni remis les fonds à ce dernier, et n’aurait subi aucun préjudice ;

– son préjudice est égal au montant des fonds prêtés qu’il a définitivement perdus ;

– en application de l’article 9 des conditions du prêt, tant que l’hypothèque et le privilège de prêteur de deniers ne sont pas inscrits, le prêt n’est pas définitif et le prêteur ne remet pas les fonds ; en outre, quand bien même les garanties seraient inscrites et l’acte authentifié, le contrat de prêt prévoit que le prêteur peut refuser la mise à disposition des fonds s’il a connaissance de situation anormales ou illicites ou de difficultés concernant l’emprunteur ;

– dès lors, informé de l’acquisition par chaque emprunteur de quatre immeubles auprès de quatre banquiers, il aurait refusé de décaisser les fonds ;

– alors que le notaire connaissait l’état de ruine et d’insalubrité des immeubles revendus par la SCI Immosur, il n’en a pas informé le prêteur ;

– officier ministériel soumis à l’obligation de bonne foi, le notaire a l’obligation d’informer, de mettre en garde les parties, et même de refuser d’authentifier l’acte lorsqu’il a connaissance d’informations personnelles graves ignorées de celles-ci ;

– le notaire a contribué à la totalité de son préjudice en commettant une faute grave, proche du faux en écriture publique, et doit être condamné à réparer l’entier dommage, même si les autres auteurs ont commis une escroquerie en bande organisée ;

– courtier professionnel auprès de cinq banques, M. [A] était commissionné par celles-ci pour leur faciliter le travail, sécuriser la transaction, recueillir les justificatifs, leur fournir des documents fiables sur l’identité, la solvabilité et le projet de chaque emprunteur, après en avoir vérifié l’authenticité ;

– M. [A] n’ignorait rien de la fausseté des documents que lui avait remis M. [X], et qu’il a produits auprès de chaque banque ;

– M. [A] n’a pas interjeté appel des dispositions civiles du jugement correctionnel du 27 juin 2014 le condamnant à indemniser entièrement le préjudice subi par le Crédit logement caution, le Crédit agricole et le Crédit lyonnais ;

– M. [A] est responsable in solidum avec le notaire de la totalité du préjudice qu’il a subi.

4.3 Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 23 juin 2022, le Crédit lyonnais, appelant principal, demande à la cour de réformer le jugement querellé en ce que, après avoir reconnu l’existence d’une faute engageant leur responsabilité civile professionnelle, elle a condamné in solidum M. [Y] et la SCP notariale à lui payer seulement 10% de son entier dommage financier et, statuant à nouveau, de :

– condamner in solidum M. [Y] et la SCP notariale à lui payer les dommages et intérêts suivants :

76 150 euros pour le prêt consenti à Mme [M] [T],

76 150 euros pour le prêt consenti à Mme [Z] [T],

76 150 euros pour le prêt consenti à Mme [S],

76 150 euros pour le prêt consenti à M. [H],

soit un total de 304 600 euros ;

– condamner in solidum M. [Y] et la SCP notariale à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers frais et dépens.

A l’appui de ses prétentions, le Crédit lyonnais fait valoir que :

– il a instruit les demandes de prêt avec sérieux et rigueur, ignorant contrairement au notaire que ses emprunteurs avaient concomitamment sollicité d’autres prêts auprès d’autres banques ;

– le jugement correctionnel du 27 juin 2014, confirmé sur ces points par arrêt du 21 juin 2016, a de manière inattendue relaxé M. [Y] des poursuites diligentées contre lui du chef de complicité d’escroqueries en bande organisée, déclaré MM. [A], [X], [H] et Mmes [S], [M] et [Z] [T] coupables d’escroquerie en bande organisée, déclaré recevable sa constitution de partie civile, et condamné M. [H], Mmes [S], [M] et [Z] [T], avec MM. [X] et [A], à lui payer chacun la somme de 76 150 euros à titre de dommages et intérêts ;

– à l’issue de la procédure pénale, le Crédit mutuel a pris l’initiative de faire réinscrire au rôle l’instance civile, dans le cadre de laquelle les emprunteurs ont fini par renoncer à solliciter la nullité des contrats de vente et de prêt ;

– il reste en discussion la responsabilité du notaire vis à vis des établissements bancaires victimes, lequel a commis de graves fautes professionnelles de nature à engager pleinement sa responsabilité civile professionnelle et celle de la SCP notariale ;

– il est incompréhensible au regard des éléments du dossier que la responsabilité du notaire ne soit retenue qu’à hauteur de 10%, sans que le premier juge n’argumente une telle position ;

– M. [Y] reconnaît avoir régularisé les ventes conclues entre la société Immosur et les quatre acquéreurs en sachant que cette dernière n’en était pas encore devenue propriétaire ;

– sans cette faute d’inverser les ventes, les prêts n’auraient pas été débloqués, et le préjudice subi la banque aurait été évité en totalité ;

– le rôle du notaire s’est avéré central dans le mécanisme de l’opération frauduleuse au préjudice des banques ;

– le notaire n’a pas relevé les contradictions figurant dans les actes entre l’objet des ventes déclarées par les acheteurs et l’objet des ventes stipulé dans les actes de prêt, à savoir des acquisitions à usage de résidence principale, et a mentionné que les immeubles étaient libres d’occupation, alors qu’en réalité, ils étaient loués pour la plupart d’entre eux ;

– M. [Y] devait assurer l’efficacité des actes qu’il passait en son étude et vérifier la volonté des parties contractantes pour les assurer que les conventions produisaient bien les effets escomptés ;

– M. [Y] a admis qu’il ne relisait pas les compromis, précisant que le dossier avait été mal suivi et mal géré ;

– contrairement aux banques, M. [Y], qui a reçu les seize actes de vente le même jour, savait que chaque acquéreur avait souscrit au moins trois autres emprunts de montants similaires auprès d’autres établissements bancaires, pour acquérir simultanément plusieurs immeubles à vocation de résidence principale, dont certains en état de ruine ou d’insalubrité ;

– il apprécie le risque différemment s’il s’agit de financer l’acquisition d’une résidence principale ou d’un bien locatif ;

– l’existence du lien de causalité entre les fautes du notaire, qui choisit de se taire et d’authentifier les actes frauduleux en toute connaissance de cause en dépit de leurs graves anomalies apparentes, et le préjudice qu’il a subi, est incontestable ;

– ce préjudice est égal au montant des fonds prêtés qu’il a définitivement perdus ;

– le principe de non-ingérence du notaire dans l’opportunité économique de l’opération ou la solvabilité des emprunteurs a pour limite son obligation d’information, de mise en garde, ou de refus d’authentification s’il détient des informations personnelles ou suspectes qu’ignorent certaines parties ;

– le notaire ne pouvait ignorer que les ressources déclarées par chaque acquéreur ne pouvaient être suffisantes pour leur permettre de rembourser les quatre emprunts souscrits ;

– le notaire a vocation à réparer son entier préjudice correspondant à la somme totale de 304 600 euros pour les quatre prêts consentis.

4.4 Aux termes de ses conclusions notifiées le 6 mars 2023, le CIC, intimé, demande à la cour, sous réserve de la recevabilité des appels interjetés par M. [A] le 19 mai et 7 juin 2021, de :

– confirmer le jugement querellé ;

– condamner M. [A] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– le condamner aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de Maître Éric Tiry, avocat associé au barreau de Valenciennes.

A l’appui de ses prétentions, le CIC fait valoir que :

– il a accordé un prêt immobilier de 76 150 euros à Mme [S] suivant offre préalable acceptée du 25 octobre 2005, et un prêt immobilier de 76 150 euros à Mme [Z] [T] suivant offre préalable acceptée du 25 octobre 2005 ;

– par suite d’échéances impayées, il a prononcé la déchéance du terme des deux prêts, puis obtenu contre subrogation le remboursement de l’intégralité des sommes restant dues auprès du Crédit logement qui s’était porté caution ;

– M. [A], qui a choisi de l’intimer sans le moindre motif, ne formule aucune demande contre lui en cause d’appel ; ce faisant, il l’oblige à engager des frais pour assurer sa défense.

Aux termes de ses conclusions n°2 notifiées le 13 mars 2023, la Caisse d’épargne, intimée, demande à la cour de :

– constater qu’aucune demande n’est formulée à son encontre ;

– condamner M. [A] à lui payer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– statuer ce que de droit sur les dépens conformément à l’article 696 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la Caisse d’épargne fait valoir que :

– le jugement querellé ne prononce aucune condamnation à son profit ni à son encontre ;

– elle a néanmoins été intimée à tort par M. [A] qui ne formule aucune demande à son égard ;

– elle n’a en effet financé aucune des acquisitions immobilières litigieuses, ayant décliné son concours dans un contexte qui lui était rapidement apparu nébuleux.

4.6 Aux termes de leurs conclusions récapitulatives n°4 notifiées le 24 novembre 2022, M. [Y] et la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy, représentée par son liquidateur amiable Maître [K]-Roy, intimés et appelants incidents, demandent à la cour, au visa de l’article 1240 du code civil, d’infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

– dit que M. [Y] exerçant au sein de la SCP notariale avait engagé sa responsabilité dans le cadre des opérations d’acquisitions et de ventes des biens appartenant à la société Immosur ;

– fixé sa responsabilité à hauteur de 10% du préjudice subi par le Crédit mutuel ;

– condamné M. [A] in solidum avec la SCP notariale à payer au Crédit mutuel, dans la limite des montants ci-après indiqués, les sommes suivantes :

119 371,85 euros de dommages et intérêts concernant le prêt consenti à Mme [M] [T], dont 11 937,19 euros in solidum avec la SCP notariale, correspondant à 10% du préjudice subi,

137 174,30 euros de dommages et intérêts concernant le prêt consenti à Mme [Z] [T], dont 13 717,43 euros in solidum avec la SCP notariale, correspondant à 10% du préjudice subi,

112 167,45 euros de dommages et intérêts concernant le prêt consenti à Mme [S], dont 11 216,75 euros in solidum avec la SCP notariale, correspondant à 10% du préjudice subi,

135 058,59 euros de dommages et intérêts concernant le prêt consenti à M. [H], dont 13 505,86 euros in solidum avec la SCP notariale, correspondant à 10% du préjudice subi ;

– ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

– fixé sa responsabilité à hauteur de 10% du préjudice subi par le Crédit agricole ;

– les a condamnés in solidum à payer au Crédit agricole les dommages et intérêts suivants :

10 467,39 euros pour le prêt consenti à Mme [M] [T],

7 523,92 euros pour le prêt consenti à Mme [Z] [T],

9 440,18 euros pour le prêt consenti à Mme [N] [S],

9 629,89 euros pour le prêt consenti à M. [P] [H],

– ordonné la capitalisation des intérêts pour une année entière ;

– fixé sa responsabilité à hauteur de 10% du préjudice subi par le Crédit lyonnais ;

– les a condamnés in solidum à payer au Crédit lyonnais les dommages et intérêts suivants :

7 615 euros pour le prêt consenti à Mme [M] [T],

7 615 euros pour le prêt consenti à Mme [Z] [T],

7 615 euros pour le prêt consenti à Mme [N] [S],

7 615 euros pour le prêt consenti à M. [P] [H] ;

– les a condamnés in solidum à payer à Mme [M] [T] et à Mme [Z] [T] la somme de 1 000 euros chacune en réparation de leur préjudice moral ;

– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

– dit que les parties garderont la charge de leurs dépens ;

– ordonné l’exécution provisoire du jugement ;

En conséquence, à titre principal,

– rejeter l’ensemble des prétentions du Crédit mutuel, du Crédit lyonnais, du Crédit agricole, de M. [A], de Mme [M] [T], de Mme [Z] [T], de Mme [S], dirigées contre M. [Y] et la SCP notariale, et les en débouter ;

– les condamner in solidum, ou les uns à défaut des autres, au paiement d’une somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– les condamner in solidum, ou les uns à défaut des autres, aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

à titre subsidiaire,

– condamner in solidum, ou les uns à défaut des autres, M. [A], Mme [S], M. [H], Mme [M] [T], Mme [Z] [T] à les garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre par l’arrêt ;

– condamner in solidum, ou les uns à défaut des autres, M. [A], Mme [S], M. [H], Mme [M] [T], Mme [Z] [T] au paiement d’une somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– les condamner in solidum, ou les uns à défaut des autres, aux dépens de première instance et d’appel.

A l’appui de leurs prétentions, M. [Y] et la SCP notariale font valoir que :

– le notaire a été définitivement relaxé des fins de la poursuite pénale ;

– l’opération immobilière frauduleuse a été montée exclusivement entre la société Immosur, M. [X], les consorts [S], [T] et [H], de sorte que le notaire n’a joué aucun rôle causal dans les préjudices subis par les prêteurs ;

– le notaire est resté étranger aux opérations de commercialisation et de négociation immobilière ; il n’est pas intervenu dans le montage des prêts, et n’a pas rédigé les compromis de vente ; seul le courtier a recueilli les éléments sur la base desquels les banques ont accordé les prêts, et ce sans aucune intervention du notaire ;

– les prêts ont reçu forme authentique uniquement parce que les organismes bancaires ont entendu les assortir d’un privilège de prêteur de deniers et d’une hypothèque conventionnelle ;

– dès les acceptations des offres de prêt par les emprunteurs, les contrats de prêt étaient fermes, définitifs, et parfaits ;

– avant l’intervention même de M. [Y], les banques ont été déterminées à consentir les prêts par la production de faux documents et de man’uvres, lesquels ne peuvent lui être imputés ;

– si le notaire est tenu d’éclairer les parties sur la portée des actes qu’il dresse, leurs conséquences et les risques des actes qu’il reçoit, il ne lui appartient pas d’apprécier la solvabilité des acquéreurs, ni davantage l’opportunité économique de l’opération, n’ayant aucune connaissance de sa finalité ;

– le notaire n’est débiteur d’un devoir de mise en garde que s’il détient les informations économiques adéquates à ce titre ;

– le notaire ignorait la situation financière réelle des acquéreurs qu’il ne connaissait pas, M. [H] se présentant comme commercial, Mme [S] secrétaire de direction, Mme [M] [T] secrétaire comptable et Mme [Z] [T] attachée de direction ;

– le notaire ne peut être tenu pour responsable de l’absence de contrôle de la solvabilité des emprunteurs par les établissements de crédit ;

– le notaire est tenu au secret professionnel et ne peut à ce titre informer les différents établissements bancaires de l’existence d’autres prêts ;

– M. [Y] conteste avoir modifié la destination des prêts, et estime qu’en 2005, les banques ne prêtaient pas attention au libellé de l’objet du prêt contracté ;

– il n’a pas eu connaissance de l’état d’insalubrité allégué de certains immeubles, lequel n’est étayé par aucun commencement de preuve ;

– il appartenait aux organismes bancaires de procéder à toutes vérifications utiles avant d’émettre leurs offres de prêt, tant sur la solvabilité des acquéreurs, que sur la valeur des immeubles sur lesquels ils entendaient prendre des garanties, sur la viabilité du projet financé, étant relevé que ces derniers ont émis à la même période, avec le concours d’un même courtier, chacun quatre offres d’un montant similaire portant sur quatre biens situés à [Localité 27] ;

– aucune faute civile ne peut être retenue à l’encontre de M. [Y], et la faute de la victime ayant concouru à la réalisation de son dommage est une cause d’exonération de responsabilité ;

– les manquements que les établissements bancaires tentent d’imputer au notaire sont sans relation avec les préjudices dont ils entendent obtenir réparation ;

– la situation dénoncée par les banques provient des seules man’uvres frauduleuses orchestrées par les emprunteurs et le courtier, reconnus coupables d’escroqueries en bande organisée ;

– les prêts accordés avant même l’intervention du notaire auraient été dans tous les cas débloqués au profit des acquéreurs, qui n’auraient pas honoré les remboursements ;

– les prêteurs ne démontrent ni l’insolvabilité de leurs emprunteurs ni avoir initié la moindre mesure d’exécution pour tenter de recouvrer tout ou partie de leurs créances ;

– M. [A] a reconnu qu’en sa qualité de courtier, il avait facilité les escroqueries, dans la mesure où les banques s’étaient montrées moins vigilantes dans le contrôle des faux documents produits, et que l’appât du gain l’avait conduit à se taire sur leur caractère frauduleux ;

– le comportement fautif du courtier est à l’origine exclusive de la situation dommageable dénoncée par les banques, de sorte que le notaire et la SCP notariale sont fondés à solliciter sa condamnation à les garantir de toutes condamnations prononcées à leur encontre sur le fondement de l’article 1240 du code civil ;

– les consorts [S], [H] et [T] ont participé à une entente dans le but de tromper les banques afin de les déterminer à leur consentir des prêts immobiliers ; leur manquement à leurs obligations contractuelles de remboursement des prêts est caractérisé ; il s’ensuit que le notaire et sa société d’exercice professionnelle sont fondés à obtenir leur condamnation à les garantir de toutes condamnations prononcées à leur encontre sur le fondement de l’article 1240 du code civil ;

– Mmes [Z] et [M] [T] sont exclusivement à l’origine de leur situation financière difficile et de leurs problèmes de santé qu’elles ne démontrent aucunement ; rien ne vient démontrer que le notaire serait à l’origine de leur prétendu préjudice moral, alors qu’elles savaient leur situation économique incompatible avec les acquisitions immobilières.

4.7 Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 14 octobre 2022, M. [A], appelant, demande à la cour, au visa de l’article 1355 du code civil, de :

– le déclarer recevable et bien fondé ;

– débouter le Crédit mutuel de ses demandes, fins et conclusions ;

– infirmer le jugement querellé en ce qu’il l’a déclaré responsable du préjudice subi par le Crédit mutuel et l’a condamné à lui payer :

119 371,85 euros de dommage et intérêts concernant le prêt consenti à Mme [M] [T], dont 11 937,19 euros in solidum avec la SCP notariale correspondant à 10 % du préjudice subi,

137 174,30 euros de dommages et intérêts concernant le prêt consenti à Mme [Z] [T], dont 13 717,43 euros in solidum avec la SCP notariale, correspondant à 10% du préjudice subi,

112 167,45 euros de dommages et intérêts concernant le prêt consenti à Mme [S], dont 11 216,75 euros in solidum avec la SCP notariale, correspondant à 10% du préjudice subi,

135 058,59 euros de dommages et intérêts concernant le prêt consenti à M. [H], dont 13 505,86 euros in solidum avec la SCP notariale, correspondant à 10% du préjudice subi ;

– « dire et arrêter les demandes du Crédit mutuel irrecevables » pour avoir déjà été jugées sur intérêts civils par la cour d’appel de Douai, celle-ci ayant déjà statué sur le préjudice du crédit mutuel du chef de ses agissements et de ceux des autres prévenus à l’occasion des contrats de prêts ;

subsidiairement,

– dire et arrêter que le Crédit mutuel est responsable de son propre dommage, et l’exonérer de tout dommage que celui-là prétend ;

à titre infiniment subsidiaire,

– infirmer le jugement en ce qu’il a limité l’obligation à réparation du préjudice subi par le Crédit mutuel à hauteur de 10% ;

– dire et arrêter, si la cour estime qu’il doit réparer le dommage prétendu par le Crédit mutuel ou tout montant de condamnation qu’elle entend retenir en réparation, qu’il ne peut en être tenu responsable qu’à parts égales avec la SCP notariale ;

– condamner le Crédit mutuel à lui payer à la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner le Crédit mutuel aux dépens d’instance et d’appel.

Au soutien de ses prétentions, M. [A] expose que :

– il est fondé à se prévaloir du jugement du tribunal correctionnel de [Localité 16] du 27 juin 2014 et de l’arrêt correctionnel rendu le 21 juin 2016 par la cour d’appel de Douai, lequel est passé en force de chose jugée ; ces deux décisions le condamnent notamment à payer la somme de 500 euros de dommages et intérêts à la Fédération des caisses de crédit mutuel Nord Europe, outre 350 euros au titre des frais irrépétibles exposés pour l’ensemble de la procédure devant le tribunal correctionnel en cause d’appel ;

– dans ces conditions, le Crédit mutuel ne pouvait dès lors prétendre à une nouvelle indemnisation devant le tribunal judiciaire de Valenciennes ;

– à titre subsidiaire, il considère que les préjudices invoqués par le Crédit mutuel ne lui sont pas imputables en sa qualité de courtier ;

– les emprunteurs ont eu rendez-vous avec le banquier, qui leur a ensuite adressé une offre de prêt immobilier par lettre recommandée avec accusé de réception, laquelle a été acceptée et renvoyée après expiration du délai de 11 jours à compter de sa réception ;

– il conteste avoir établi de faux documents, se contentant en sa qualité de mandataire de communiquer au Crédit mutuel ce qu’il avait reçu des emprunteurs ;

– le Crédit mutuel, qui a manqué à son obligation de vigilance lors du contrôle des pièces produites aux fins d’octroi des prêts, est responsable de son propre dommage ;

– il appartenait à la banque de procéder à toutes diligences utiles avant d’accorder les prêts litigieux, tant pour vérifier la solvabilité des acquéreurs que la valeur des immeubles, objets des contrats de prêt.

4.8 Aux termes de leurs conclusions notifiées le 10 novembre 2021, M. [H] et son curateur, l’AGSS de l’UDAF, intimés, demandent à la cour de prendre acte de ce qu’ils n’entendent pas former appel incident et s’en rapportent sur le mérite de l’appel régularisé à titre principal, et de statuer ce que de droit sur les frais et dépens d’instance comme en matière d’aide juridictionnelle.

Au soutien de leurs prétentions, M. [H] et son curateur font valoir que :

– suivant jugement correctionnel du 27 juin 2014 confirmé par arrêt du 21 juin 2016, M. [A], M. [X], Mmes [S], [M] et [Z] [T], et lui-même ont notamment été relaxés du chef d’usage de faux en écriture, déclarés coupables d’escroquerie en bande organisée commise courant 2005, et condamnés à payer des dommages et intérêts au Crédit lyonnais, Crédit agricole, Crédit mutuel, et Crédit logement ;

– à l’époque des faits, M. [H] percevait le revenu minimum d’insertion, s’alcoolisait, disposait d’un compte bancaire débiteur, et M. [X] l’avait harcelé et menacé pour qu’il signe et contracte des prêts pour acquérir quatre immeubles ;

– il avait été surpris que les banques acceptent de financer ses projets, et n’avait personnellement remis aucun document justificatifs aux prêteurs ; il n’avait réellement compris ni la portée de ses agissements ni la gravité des faits commis ;

– à l’initiative de sa s’ur, il a ultérieurement bénéficié d’une mesure de curatelle renforcée suivant jugement du 15 décembre 2015 du juge des tutelles de Cambrai ; – il n’a pas interjeté appel du jugement querellé.

4.9 Les conclusions notifiées le 30 novembre 2021 par Mmes [S], [Z] et [M] [T] ont été déclarées irrecevables suivant ordonnance d’incident rendue le 31 mars 2022 par le magistrat chargé de la mise en état, laquelle est devenue définitive.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

Le dossier a été transmis au ministère public qui a visé la procédure le 21 février 2022, conclu à la confirmation de la responsabilité de M. [Y], et s’en est rapporté à l’appréciation de la cour sur le montant de l’indemnisation à accorder aux parties.

L’instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 23 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il s’observe, en premier lieu, que la cour n’est, dans le dispositif des conclusions de M. [Y] et de la SCP notariale, saisie d’aucune prétention relative à l’irrecevabilité des demandes formées par M. [A] à leur encontre.

En second lieu, la cour observe que le Crédit mutuel n’argumente pas sur la tardiveté alléguée des conclusions déposées par M. [A] le 14 octobre 2022, étant ici relevé que celui-ci a conclu une première fois au fond le 16 juillet 2021 dans le délai légal de trois mois qui lui était imparti par l’article 908 du code de procédure civile, puis à nouveau le 14 octobre 2022 en réponse aux appels, principaux et incidents, des autres parties, et en tout état de cause avant clôture de l’instruction.

En conséquence, la demande du Crédit mutuel tendant à voir écarter des débats comme tardives les conclusions de M. [A] du 14 octobre 2022 sera rejetée.

I – Sur la recevabilité de la fin de non-recevoir soulevée par le courtier

Aux termes de l’article 910-4 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont fondées des prétentions ultérieures.

En l’espèce, en application des articles 122 et 123 du code de procédure civile, la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, laquelle est soulevée par M. [A] dans ses conclusions d’appelant du 14 octobre 2022, ne constitue pas une prétention sur le fond, et peut être proposée en tout état de cause, à moins qu’il n’en soit disposé autrement.

En conséquence, la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée est déclarée recevable.

II – Sur la recevabilité des demandes formulées par le Crédit mutuel à l’encontre du courtier

Par jugement correctionnel du 27 juin 2014, confirmé sur ce point par l’arrêt du 21 juin 2016, seule la Fédération des caisses de crédit mutuel Nord Europe a été déclarée recevable en sa constitution de partie civile pour atteinte à l’image résultant de l’escroquerie, et a reçu une indemnisation de 500 euros réparant son préjudice à ce titre.

Il s’ensuit que la Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] liberté (le Crédit mutuel), qui ne s’est pas constituée partie civile devant le juge pénal, est parfaitement recevable à poursuivre devant le juge civil l’indemnisation de son préjudice personnel résultant du comportement fautif allégué du notaire et du courtier.

III – Sur la responsabilité civile délictuelle du notaire

Lorsqu’il est reproché au notaire d’enfreindre une obligation tenant à sa qualité d’officier public, dans l’exercice strictement entendu de sa mission légale, sa responsabilité ne peut être que délictuelle ou quasi délictuelle. Ce fondement trouve sa justification dans la considération que ce professionnel est investi d’une mission définie par un statut d’ordre public, et que son intervention ne s’inscrit pas véritablement dans une relation contractuelle librement consentie.

En application de l’article 1382 du code civil, devenu l’article 1240 depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il appartient en conséquence au Crédit mutuel, au Crédit agricole, au Crédit lyonnais de rapporter la preuve d’une faute de M. [Y] et de la SCP notariale, d’un préjudice, et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

A – Sur les fautes reprochées au notaire

En vertu de sa mission d’officier public ministériel, le notaire est tenu, outre d’une obligation d’information et de conseil, d’assurer la sécurité et l’efficacité des actes diligentés par ses soins. Le notaire instrumentant pour le compte de plusieurs personnes est le mandataire de chacune d’elles, et doit agir dans le sens de leurs intérêts respectifs sans privilégier l’une au détriment de l’autre, et après avoir recueilli leur accord.

En l’espèce, la mission de service public confiée au notaire a consisté en la rédaction, le 5 octobre et 5 décembre 2005, de dix-huit actes de cession d’immeubles, situés à [Localité 27] et appartenant à la société Immosur, au profit de quatre acquéreurs distincts (cinq actes pour Mmes [S] et [Z] [T] ; quatre actes pour M. [H] et Mme [M] [T]), et en l’authentification des contrats de prêt immobilier y afférents.

En page 32 de la motivation du jugement du 27 juin 2014, le juge correctionnel du tribunal de grande instance de [Localité 16] a retenu que :

« [G] [X], instruit par [D] [W], a voulu réaliser une opération immobilière consistant à acheter des immeubles en vue de leur revente immédiate. Sa société Immosur ne disposant cependant pas des fonds nécessaires aux acquisitions, il a envisagé un achat avec paiement différé, solution qui lui permettait de revendre les biens à ses propres acquéreurs, avec bénéfice, et ainsi d’obtenir les fonds nécessaires au règlement de son vendeur.

[C] [Y], notaire de [G] [X], a confirmé qu’il avait sollicité de son confrère [U], notaire de la famille [R], la réalisation d’une vente à terme, cependant, cette formule avait été refusée par le vendeur.

De ce fait, l’opération envisagée ne pouvait plus être menée à bien. [C] [Y] a admis devant le magistrat instructeur qu’il aurait dû alors mettre fin aux négociations. Maître [U] a évoqué une situation « nébuleuse », et s’est trouvée confront[ée], durant plusieurs mois, à l’absence de réponse de son confrère quant au mode de financement de [G] [X]. L’échange de courriers entre les deux notaires fait état d’un financement au comptant évoqu[é] par le vendeur, solution que [ne] pouvait confirmer [C] [Y], conscient qu’il était de l’absence de fonds disponibles chez Immosur.

Afin de quitter cette impasse, [C] [Y] a accepté d’inverser l’ordre des ventes : c’est ainsi que le 5 octobre [2015], il a authentifié des ventes réalisées par Irnmosur au profit de [N] [S], [P] [H], [Z] et [M] [T], alors que Immosur n’était pas encore propriétaire des biens concernés.

Le même jour, mais postérieurement à ces actes, Immosur a acquis les biens auprès de la SCI [R].

Les actes de vente ont repris les mentions figurant dans les compromis daté[s] du 19 juillet 2005 ainsi au paragraphe « propriété-jouissance », il était stipulé que « l’entrée en jouissance aura lieu le même jour par la perception des loyers, les biens ci-dessus désignés étant loués à des conditions bien connues de l’acquéreur qui reconnaît être en possession d’une copie du bail de chacun d’eux »; pour autant, au paragraphe « logement décent » , il était précisé que « l’acquéreur déclare que l’immeuble objet des présentes est destiné à sa résidence principale ».

Si [C] [Y] s’est défendu d’avoir rédigé [ces] compromis de vente, il ne les a pas moins utilisés lors de la rédaction des actes, les dossiers retrouvés en perquisition à son étude contenaient d’ailleurs [le] compromis daté du 19 juillet 2005 sous la mention « bon compromis ».

Ces mêmes compromis avaient été transmis aux banques à l’occasion des demandes de prêts. Les offres de prêts ont ainsi été émises pour l’achat d’un bien immobilier dont la destination était la résidence principale de l’emprunteur.

Alors que les compromis, daté[s] du 24 mai 2005, étaient relatifs chacun à plusieurs biens, [ceux] datés du 19 juillet 2005, déposés à l’étude du notaire par [G] [X], ne concern[aient] qu’une seule vente.

Cette modification avait été rendue nécessaire afin que chaque acheteur puisse solliciter un seul prêt auprès de cinq banques différentes.

[C] [Y] a reçu l’ensemble de ces offres de prêts, qu’il a mentionné aux actes de vente, et a pu ainsi constater que les prêts étaient accordés pour le financement d’une résidence principale, ce qu’il savait nécessairement [inexact] dans la mesure où chacun des acquéreurs d’Immosur achetait simultanément plusieurs habitations. [C] [Y] s’est bien gardé de relever [ces] contradictions et n’a pas cru bon d’en aviser les banques alors même que certaine[s] é[aient] représentées aux actes.

De la même manière, le notaire s’est abstenu de faire figurer aux actes, pour certaines transactions, l’état d’insalubrité de l’immeuble pourtant notifié par son confrère valenciennois, notaire du vendeur.

En agissant ainsi, [C] [Y] a permis [à] [G] [X] de mener à bien son opération laquelle, sans son concours, aurait été vouée à l’échec.

Si [C] [Y] a permis la réalisation d’une opération immobilière frauduleuse, en particulier en acceptant d’authentifier des actes de vente nécessairement nuls dans la mesure où le vendeur Immosur n’était pas propriétaire des biens vendus, sa complicité dans les man’uvres frauduleuses mises en ‘uvre afin de déterminer des banques à consentir des prêts aux différents acquéreurs, ne peut résulter de ces actions, postérieures à l’engagement pris par les organismes prêteurs.

Le contrat de prêt est en effet parfait [dès] que l’offre a été acceptée par l’emprunteur et ce, nonobstant la clause résolutoire de la signature de l’acte authentique.

Les banques ont été déterminées à consentir des prêts par le moyen de la production de faux documents (avis d’imposition, fiches de salaire ou relevés bancaires), man’uvres qui ne peuvent être imput[ées] à [C] [Y].

Il n’a pu être démontré que les compromis de vente datés du 19 juillet 2005, et qui ont été transmis aux banques, ont été rédigé par [C] [Y], ni que ce dernier a eu connaissance, avant de recevoir les offres de prêts, de cette transmission.

En conséquence, en l’absence d’actes antérieurs aux engagements pris par les banques pouvant être imputés à [C] [Y], ce dernier sera relaxé du chef de complicité d’escroquerie en bande organisée qui lui est reprochée. »

Afin d’assurer la validité des actes qu’il reçoit, le notaire doit d’abord vérifier si toutes les conditions de fait nécessaires à la validité d’un acte sont réunies, et doit ensuite s’assurer qu’aucune condition de droit ne fait défaut. Il a l’obligation d’informer les parties sur les données de fait dont il a connaissance, en fonction non seulement de la nature de l’acte, mais aussi du contexte particulier de chaque affaire.

Au titre de son devoir de conseil, il lui appartient de rechercher de manière générale si l’acte qu’on lui demande de rédiger n’est pas frauduleux. En sa qualité d’officier ministériel, il lui est formellement interdit de s’associer à une fraude ; il est tenu d’examiner scrupuleusement les actes qu’il reçoit et ne doit pas donner l’authenticité à une convention dont il connaît l’irrégularité.

En l’espèce, si M. [Y] et sa société d’exercice libéral ne sont pas intervenus dans la négociation des prêts accordés par les banques, ils ne pouvaient légitimement ignorer que le même jour en l’étude, quatre particuliers se portaient acquéreurs chacun de quatre ou cinq résidences principales au moyen de prêts immobiliers souscrits auprès d’établissements bancaires distincts.

En outre, M. [Y] devait également vérifier l’existence des droits et titres de ses clients afin de prévenir la survenance de toute irrégularité, et notamment s’assurer de la qualité de propriétaire du vendeur, sous peine de voir engager sa responsabilité en sa qualité de rédacteur de l’acte litigieux.

Dans le cadre de la procédure pénale, celui-ci a admis qu’il avait sciemment accepté d’intervertir l’ordre des ventes pour permettre à M. [X] de financer l’opération immobilière envisagée et que, de ce fait, la société Immosur n’était pas propriétaire des biens immobiliers vendus à M. [H], Mmes [S], [M] et [Z] [T], au moment de la régularisation des actes authentiques.

M. [Y] a également admis que les dossiers avaient été mal suivis et gérés, qu’il n’avait pas relu les actes avant leur signature, et qu’il ne s’était pas étonné des contradictions y figurant, les offres de prêt ayant pour objet de financer l’achat d’une résidence principale, alors que les compromis de vente du 19 juillet 2005 portaient sur des investissements locatifs, et qu’il était mentionné, dans les actes de cession au paragraphe des déclarations du vendeur « 4° – situation locative : l’immeuble est loué à usage d’habitation à des conditions bien connues de l’acquéreur ».

Si M. [Y] soutient à juste titre que les offres de prêts sont devenues définitives dès leur acceptation par les emprunteurs, et que les banques, avant même son intervention, ont été déterminées à consentir les prêts par la production de faux documents et de man’uvres qui ne lui étaient pas imputables, il reste pour autant que le Crédit mutuel, le Crédit lyonnais et le Crédit agricole étaient représentés aux actes par son clerc de notaire, et que M. [Y] avait reçu mission d’authentifier en même temps chacun des dix-huit prêts immobiliers afin de garantir aux banques un privilège de prêteur de deniers, ainsi qu’une hypothèque conventionnelle.

Bien qu’il s’en défende, M. [Y] avait dès l’origine connaissance de l’ensemble des opérations immobilières envisagées, alors que chacune des banques agissait pour sa part de façon isolée, les offres de prêts, négociées par un courtier professionnel, ayant une apparence de normalité pour les prêteurs eu égard à leur objet, au montant du capital emprunté, et aux justificatifs produits.

Alors qu’il n’ignorait rien du montage juridique complexe de l’opération, M. [Y], qui n’était pas dispensé de son devoir de conseil par les compétences professionnelles ou les connaissances des parties à l’acte, s’est abstenu d’informer les prêteurs des risques présentés par les cessions immobilières qu’ils avaient acceptées de financer, dès lors qu’il a reçu le 5 octobre et le 5 décembre 2005 pas moins de dix-huit contrats de vente en pleine connaissance des emprunts souscrits par les acquéreurs auprès de différentes banques pour l’acquisition par chacun de quatre ou cinq « résidences principales », ce qui s’avérait manifestement impossible.

M. [Y], qui a joué un rôle pivot dans ce montage immobilier, a bien manqué à son devoir de conseil et d’information vis à vis des banques en s’abstenant de les informer du risque de surendettement et d’insolvabilité des emprunteurs, lequel s’avérait majeur, et dont il avait nécessairement connaissance à raison du nombre de cessions simultanées, des liens unissant les acquéreurs, et des difficultés de financement rencontrées par la société Immosur.

Si le notaire est astreint à un devoir de réserve et au strict respect du secret professionnel, il reste pour autant tenu d’un devoir de loyauté et de conseil envers chacun de ses clients, et a l’obligation de fournir à chacun tous les éléments factuels d’information en sa possession susceptibles de l’éclairer sur la nature et la portée de son engagement, sans que pèse sur l’officier public une obligation complémentaire d’investigations.

Au-delà du seul appareillage juridique de chaque cession à laquelle il confère l’authenticité et de ses conséquences, l’obligation de conseil du notaire a vocation à concerner certaines données de fait extérieures à l’acte, relatives soit à l’une des parties, soit à son objet, mais qui sont de nature à avoir une incidence sur la bonne exécution de la convention conclue ou sur l’équilibre de celle-ci.

M. [Y] avait ainsi l’obligation d’informer loyalement les banques intéressées de l’insolvabilité des acquéreurs, dès lors que cette insolvabilité, dont il avait connaissance, était déjà acquise ou à tout le moins particulièrement menaçante, puisqu’il apparaissait d’emblée que l’opération envisagée était vouée à l’échec ou sérieusement menacée.

Ayant lui-même rédigé dix-huit actes distincts impliquant quatre parties et quatre banques différentes, ayant ainsi seul connaissance de l’ensemble de l’opération, le notaire ne pouvait ignorer que les cessions de plusieurs résidences principales le même jour à un même acquéreur étaient le résultat d’un montage juridique complexe, qui constituait une fraude au droit des tiers, étant ici précisé qu’il devait en principe s’abstenir de prêter son ministère pour conférer le caractère authentique à des conventions dont il savait qu’elles méconnaissaient les droits d’un tiers

De l’ensemble de ces pièces et considérations, il ressort que M. [Y] a commis de graves fautes professionnelles civiles en inversant l’ordre des ventes, en acceptant d’authentifier des actes inexacts, et a manqué à son devoir d’information et de conseil à l’égard des établissements bancaires ayant prêté leur concours financier à M. [H], Mme [S], [M] et [Z] [T], de tels manquements étant de nature à engager pleinement sa responsabilité civile professionnelle et celle de la SCP notariale.

B – Sur le lien de causalité

Il est ici rappelé que chaque banque a consenti un seul prêt à chacun des acquéreurs dans l’ignorance parfaite de l’existence d’autres emprunts immobiliers négociés par chacun d’eux auprès d’autres établissements bancaires, de sorte chaque offre prise isolément revêtait une apparence de normalité pour le prêteur, eu égard à son objet et à son faible montant.

S’il appartenait aux établissements bancaires, avant d’émettre les offres de prêt, de s’assurer de la solvabilité des emprunteurs, de la validité des pièces justificatives produites, de la valeur vénale des immeubles, il reste pour autant que ceux-là ont été victimes d’une vaste escroquerie en bande organisée et que, si M. [Y] n’avait pas accepté en toute connaissance de cause de prêter son concours en inversant l’ordre des ventes au mépris de ses obligations professionnelles les plus élémentaires, et choisi de taire l’opération immobilière d’envergure et les anomalies apparentes contenues dans les actes individuels qu’il authentifiait, la société Immosur se serait trouvée dans l’incapacité de financer les acquisitions projetées, et les banques n’auraient pas débloqués les fonds issus des prêts consentis à partir de documents falsifiés, ni subi par suite aucun préjudice financier.

Compte tenu du contexte frauduleux dans lequel ont été conclues les transactions immobilières, M. [Y] et la SCP notariale échouent à démontrer que les banques auraient commis des fautes ayant concouru à la réalisation de leur dommage.

Les manquements fautifs reprochés à M. [Y] sont bien en lien de causalité direct et certain avec l’entier préjudice subi par les établissements bancaires.

Le jugement querellé est confirmé sur ce point.

C – Sur le préjudice

Le Crédit agricole, le Crédit mutuel et le Crédit lyonnais contestent le jugement attaqué en ce qu’il a limité l’indemnisation mise à la charge du notaire et de sa société d’exercice libéral à 10% du préjudice subi, considérant que ceux-ci n’étaient intervenus qu’après l’octroi des emprunts, et que seuls MM. [A], [X], [H], Mmes [S], [M] et [Z] [T] avaient été pénalement condamnés pour escroquerie en bande organisée.

Il est indifférent que ne soient démontrées ni l’insolvabilité des emprunteurs ni les mesures d’exécution initiées pour tenter de recouvrer tout ou partie des créances, dès lors que rien ne contraint une victime à limiter son préjudice.

Il s’ensuit qu’en l’absence des fautes commises par le notaire, les prêts accordés par les banques n’auraient pas été décaissés au profit des acquéreurs, et que celui-là doit être condamné à réparer l’entier préjudice financier subi, lequel correspond au montant des fonds décaissés et non recouvrés par les établissements bancaires.

M. [Y] et la SCP notariale ne contestent pas le solde des décomptes de créances bancaires, tels que produits par les prêteurs.

En conséquence, le Crédit agricole est fondé à obtenir l’indemnisation de son entier préjudice à hauteur des sommes suivantes :

104 673,81 euros de dommages et intérêts correspondant au prêt consenti à Mme [M] [T] ;

75 239,24 euros de dommages et intérêts correspondant au prêt consenti à Mme [Z] [T] ;

94 401,80 euros de dommages et intérêts correspondant au prêt consenti à Mme [S] ;

96 298,89 euros de dommages et intérêts correspondant au prêt consenti à M. [H].

Le Crédit mutuel est fondé à obtenir l’indemnisation de son entier préjudice à hauteur des sommes suivantes :

119 371,85 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [M] [T] ;

137 174,30 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [Z] [T] ;

112 167,45 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [S] ;

135 058,59 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à M. [H].

Le Crédit lyonnais est fondé à obtenir l’indemnisation de son entier préjudice à hauteur des sommes suivantes :

76 150 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [M] [T] ;

76 150 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [Z] [T] ;

76 150 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [S] ;

76 150 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à M. [H].

M. [Y] et la SCP notariale seront condamnés solidairement entre eux au paiement des dommages et intérêts ainsi arrêtés.

La cour ayant majoré le montant des dommages et intérêts accordés en réparation d’une faute délictuelle, le cours des intérêts au taux légal court, d’une part, à compter de la date du jugement critiqué sur les sommes retenues par le premier juge et, d’autre part, à compter du présent arrêt sur le solde des condamnations prononcées par la cour.

Les intérêts de droit des sommes indemnitaires ainsi allouées seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

IV – Sur la responsabilité du courtier

En application des articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

En l’espèce, il ressort de la procédure pénale que M. [X] avait contacté M. [A] pour qu’il constitue des dossiers de prêt pour plusieurs clients.

En pages 17 et 18 de la motivation du jugement du 27 juin 2014, dont M. [A] n’a pas interjeté appel, le juge correctionnel du tribunal de grande instance de [Localité 16] a relevé que :

En août 2005, M. [X], marchand de biens, « avait indiqué [à M. [A]] qu’il possédait de nombreux biens à [Localité 27] et avait plusieurs clients pour une quinzaine de biens ; il lui avait demandé de constituer les dossiers de prêt pour eux et lui avait remis des photocopies des documents nécessaires. Chaque maison devait coûter environ 70 000 euros, et sa commission de 5% devait s’élever à 50 000 euros ; il avait finalement perçu 60 000 euros. Il était également prévu que la banque qui acceptait d’accorder le prêt lui remît 1% du montant du prêt. Il précisait qu’il n’avait pas perçu les 1% du montant du capital et ne les avait pas réclamés en raison du dépôt de plainte de la Banque Scalbert Dupont. De plus, il concédait qu’il avait monté des dossiers de prêts immobiliers pour financer l’achat de cinq maisons à titre de résidence principale, ce qui était pourtant physiquement impossible. [‘]

Finalement, [O] [A] admettait qu’il avait constaté que les documents nécessaires au montage des dossiers de prêts étaient en réalité des photocopies falsifiées. Sa société ayant quelques difficultés, il avait choisi de « fermer les yeux » et de présenter les dossiers frauduleux aux banques. De plus, il avait bien vu que les clients ne pouvaient pas exercer les métiers de secrétaire de direction ou de commercial comme ils le prétendaient, car ils n’en avaient pas les capacités intellectuelles et l’aspect. De plus, Maître [Y] l’avait informé qu’il avait commis une faute sur tous les compromis de vente en indiquant qu’il s’agissait de « résidences principales » et que s’il avait indiqué « immeuble à usage locatif », les dossiers de prêts n’auraient pas été accordés par les banques. »

Ainsi, bien qu’il conteste les avoir lui-même établis, M. [A] a néanmoins reconnu qu’il avait démarché les banques en produisant sciemment de faux documents et faux bulletins de salaire pour obtenir les crédits immobiliers pour le compte de ses mandants ; il a admis que sa qualité de courtier professionnel avait pu faciliter la commission des escroqueries, dans la mesure où les banques s’étaient montrées moins vigilantes dans le contrôle des documents produits, son rôle consistant en principe à faciliter et sécuriser le travail de celles-ci.

M. [A] a été définitivement condamné par le juge pénal pour complicité et tentative d’escroquerie en bande organisée courant 2005 dans le Nord-Pas-de-Calais.

M. [A], qui n’ignorait pas l’ampleur de la fraude, ne peut s’exonérer de la responsabilité contractuelle qui pèse sur lui en prétendant que le Crédit mutuel aurait manqué à son obligation de vigilance lors du contrôle des pièces justificatives produites alors que, courtier professionnel commissionné par la banque, il lui appartenait de recueillir les justificatifs des emprunteurs, d’en vérifier la sincérité et la fiabilité quant à l’identité, l’emploi, la solvabilité, et le projet individualisé de chacun, et ce afin de sécuriser les offres consenties.

Comme l’a exactement retenu le premier juge, en remettant sciemment de faux documents au prêteur afin de l’inciter à consentir des offres de prêt immobilier aux acquéreurs, le courtier a commis une faute en lien de causalité direct et certain avec le préjudice subi par le Crédit mutuel, et engage pleinement sa responsabilité contractuelle envers celui-ci.

En conséquence, M. [A] sera condamné in solidum avec M. [Y] et la SCP notariale à réparer en totalité le préjudice financier subi par le Crédit mutuel.

V – Sur les appels en garantie

A titre subsidiaire, M. [Y] et la SCP notariale demandent à la cour, sur le fondement de l’article 1382 ancien du code civil, de condamner in solidum, ou les uns à défaut des autres, M. [A], Mme [S], M. [H], Mme [M] [T], Mme [Z] [T] à les garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre par l’arrêt.

A – Sur l’appel en garantie formé contre le courtier

Considérant que les manquements graves et déloyaux de M. [A] ont permis la commission des escroqueries au préjudice du Crédit mutuel, que l’appât du gain a conduit celui-là à taire le caractère frauduleux des justificatifs qu’il lui avait remis, et enfin que le notaire a été relaxé par le juge correctionnel alors que le courtier a été condamné pénalement pour ses agissements délictueux, la cour retient, dans leurs relations entre eux, que le comportement fautif du courtier a concouru à hauteur des deux tiers à la situation dommageable subie par le Crédit mutuel, et le comportement fautif du notaire à hauteur d’un tiers.

En conséquence, M. [A] sera condamné à garantir le notaire et la SCP notariale à hauteur des deux tiers des condamnations mises à leur charge au bénéfice du Crédit mutuel par le présent arrêt.

En revanche, M. [A], qui est reconnu responsable uniquement du préjudice subi par le Crédit mutuel, ne peut donc être condamné à garantir le notaire de toutes les condamnations mises à la charge de ce dernier, lesquelles incluent les sommes indemnitaires au profit des autres banques.

B – Sur l’appel en garantie formé contre les acquéreurs

Au soutien de leurs prétentions tendant à voir condamner les acquéreurs à les garantir de toutes condamnations prononcées à leur encontre sur le fondement de l’article 1240 du code civil, M. [Y] et la SCP notariale font valoir que :

– reconnus coupables d’escroquerie en bande organisée, les consorts [S], [H] et [T] ont participé à une entente dans le but de tromper les banques afin de les déterminer à leur consentir des prêts immobiliers ;

– en leur qualité d’emprunteurs, ils devaient respecter leurs obligations contractuelles et rembourser les banques ;

– enfin, le manquement à leurs obligations contractuelles de remboursement des prêts est caractérisé ;

– il s’ensuit que le notaire et sa société d’exercice professionnel sont fondés à obtenir leur condamnation à les garantir de toutes condamnations prononcées à leur encontre sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

Sur ce, le notaire doit rapporter la preuve de la faute qu’il reproche aux acquéreurs à l’égard de lui-même, de son préjudice, et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice subi.

En l’espèce, le notaire n’articule aucune faute directement commise par les consorts [H], [T], [S] à son égard, puisqu’il leur reproche exclusivement d’avoir frauduleusement trompé les banques, et manqué à leurs obligations contractuelles de remboursement des prêts ; les seules fautes qu’il propose de retenir sont commises au préjudice des établissements bancaires, et non de lui-même.

En définitive, seules les man’uvres du marchand de biens, du courtier et du notaire lui-même, pris en leur qualité de professionnels des cessions immobilières, ont concouru à la réalisation du préjudice subi par ce dernier.

Le jugement querellé sera confirmé en ce qu’il a retenu que malgré les condamnations pénales prononcées à leur encontre, les consorts [T], [S] et [H] n’ont participé d’une quelconque manière aux fautes commises par M. [Y] et la SCP notariale.

En conséquence, le notaire et sa société d’exercice professionnel sont mal fondés à obtenir la condamnation de ces derniers à les garantir de toutes les condamnations prononcées à leur encontre sur le fondement de l’article 1382 précité.

VI – Sur le préjudice moral de Mmes [M] et [Z] [T]

La cour rappelle que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, de sorte que Mmes [M] et [Z] [T] apparaissent mal fondées à obtenir du notaire réparation du préjudice moral qu’elles allèguent.

En effet, elles seules, et non le notaire instrumentaire, ont été condamnées pénalement pour escroqueries en bande organisée. Elles ne justifient ni des problèmes de santé qu’elles allèguent, ni de leur imputabilité à la faute commise par M. [Y]. Enfin, les difficultés financières qu’elles rencontrent sont en lien de causalité avec les man’uvres frauduleuses qu’elles ont commises, et non avec les manquements reprochés à l’officier ministériel, étant ici souligné qu’elles savaient leur situation économique incompatible avec l’acquisition de quatre immeubles d’habitation pour l’une, et cinq pour l’autre, ont livré des informations erronées quant à leur profession et leurs ressources, et se sont abstenues de visiter les immeubles dont elles se portaient acquéreurs.

Le jugement querellé sera infirmé en ce qu’il a condamné in solidum M. [Y] et la SCP notariale à payer à Mmes [M] et [Z] [T] la somme de 1 000 euros chacune en réparation de leur préjudice moral.

VII – Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens de l’arrêt conduit à infirmer le jugement sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.

M. [Y], la SCP notariale, solidairement entre elles, et M. [A], qui succombent, seront condamnés in solidum aux entiers dépens de première instance et d’appel.

En application de l’article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera Maître Éric Tiry, avocat au barreau de Valenciennes, Maître Laurent Heyte, avocat au barreau de [Localité 16], à recouvrer directement contre les personnes condamnées les dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision.

L’équité commande de condamner, à titre d’indemnité de procédure de première instance et d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, à payer les sommes suivantes :

M. [A] : 1 500 euros à la Caisse d’épargne ;

1 500 euros au CIC ;

1 500 euros au Crédit agricole ;

1 500 euros au Crédit mutuel ;

solidairement, M. [Y] et la SCP notariale :

3 000 euros au Crédit lyonnais ;

1 500 euros au Crédit agricole ;

1 500 euros au Crédit mutuel.

M. [Y], la SCP notariale, et M. [A], qui succombent, seront déboutés de leur demande d’indemnité de procédure sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu le 14 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Valenciennes en ce qu’il a :

– rejeté la fin de non-recevoir formulée par M. [C] [Y] et la SCP notariale ;

– dit que M. [Y], exerçant au sein de la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy, avait engagé sa responsabilité dans le cadre des opérations d’acquisitions et de ventes des biens appartenant à la société Immosur ;

– dit que M. [O] [A] était responsable du préjudice subi par la Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] liberté ;

– déclaré les demandes formées par Mme [M] [T] à l’encontre de M. [G] [X] irrecevables ;

– déclaré les demandes formées par Mme [Z] [T] à l’encontre de M. [G] [X] irrecevables ;

– ordonné l’exécution provisoire ;

L’infirme pour le surplus en toutes ses dispositions querellées ;

Prononçant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Rejette la demande de la Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] liberté tendant à voir écarter des débats comme tardives les conclusions de M. [O] [A] notifiées le 14 octobre 2022 ;

Déclare recevable mais mal fondée la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée soulevée par M. [O] [A] dans ses conclusions notifiées le 14 octobre 2022 ;

La rejette ;

Condamne M. [C] [Y] et la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy, représentée par son liquidateur amiable Maître [V] [K]-Roy, solidairement entre eux, et in solidum avec M. [O] [A], à payer à la Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] liberté les sommes suivantes en réparation de son entier préjudice :

119 371,85 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [M] [T] ;

137 174,30 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [Z] [T] ;

112 167,45 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [N] [S] ;

135 058,59 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à M. [P] [H] ;

Condamne solidairement M. [C] [Y] et la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy, représentée par son liquidateur amiable, Maître [V] [K]-Roy, à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord France les sommes suivantes en réparation de son entier préjudice :

104 673,81 euros de dommages et intérêts correspondant au prêt consenti à Mme [M] [T] ;

75 239,24 euros de dommages et intérêts correspondant au prêt consenti à Mme [Z] [T] ;

94 401,80 euros de dommages et intérêts correspondant au prêt consenti à Mme [N] [S] ;

96 298,89 euros de dommages et intérêts correspondant au prêt consenti à M. [P] [H] ;

Condamne solidairement M. [C] [Y] et la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy, représentée par son liquidateur amiable, Maître [V] [K]-Roy, à payer à la société LCL Crédit lyonnais les sommes suivantes en réparation de son entier préjudice :

76 150 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [M] [T] ;

76 150 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [Z] [T] ;

76 150 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à Mme [N] [S] ;

76 150 euros de dommages et intérêts au titre du prêt consenti à M. [P] [H] ;

Ordonne capitalisation des intérêts de droit dus pour une année entière dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Condamne M. [O] [A] à garantir M. [C] [Y] et la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy, représentée par son liquidateur amiable, Maître [V] [K]-Roy, des deux tiers des condamnations mises à leur charge au bénéfice de la Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] liberté par le présent arrêt ;

Déboute M. [C] [Y] et la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy, représentée par son liquidateur amiable, Maître [V] [K]-Roy, de leur demande tendant à voir condamner M. [P] [H], assisté par son curateur l’AGSS de l’UDAF, Mme [N] [S], Mme [M] [T], et Mme [Z] [T] à les garantir de toutes condamnations prononcées à leur encontre par le présent arrêt ;

Déboute les parties de leurs plus amples prétentions ;

Condamne M. [C] [Y] et la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy, représentée par son liquidateur amiable, Maître [V] [K]-Roy, solidairement entre eux, et in solidum avec M. [O] [A], aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

Dit qu’en application de l’article 699 du code de procédure civile, Maître Éric Tiry, avocat au barreau de Valenciennes, et Maître Laurent Heyte, avocat au barreau de Lille, recouvreront directement contre M. [O] [A], M. [C] [Y], et la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy, représentée par son liquidateur amiable, les dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision ;

Condamne M. [O] [A] à payer à titre d’indemnité de procédure de première instance et d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, les sommes suivantes :

1 500 euros à la Caisse d’épargne de Flandres ;

1 500 euros à la société Banque CIC nord-ouest ;

1 500 euros la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord France ;

1 500 euros à la Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] liberté  ;

Condamne solidairement M. [C] [Y] et la SCP [Y]-Fournet-[K]-Roy, représentée par son liquidateur amiable, Maître [V] [K]-Roy, à payer à titre d’indemnité de procédure de première instance et d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, les sommes suivantes :

3 000 euros à la société LCL Crédit lyonnais;

1 500 euros à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord France ;

1 500 euros à la Caisse de crédit mutuel de [Localité 16] liberté ;

Déboute les parties de leurs autres prétentions sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon

 


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