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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63B
DU 25 JUILLET 2023
N° RG 21/03288
N° Portalis DBV3-V-B7F-UQTR
AFFAIRE :
SAS BERNOT [X] PUJOL
C/
S.C.I. NICOLAS -MATHIEU
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Mars 2021 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 18/08670
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-Me Valérie TOUTAIN DE HAUTECLOCQUE,
-Me Julie COUTIE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 04 juillet 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :
SAS BERNOT [X] PUJOL anciennement dénommée SCP REILLAC BERNOT [X], Notaires Associés
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : 314 776 717
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Valérie TOUTAIN DE HAUTECLOCQUE, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : D0848 – N° du dossier 218.192
APPELANTE
****************
S.C.I. NICOLAS -MATHIEU
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : 414 082 651
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Marianne ROUSSO substituant Me Julie COUTIE, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : E0640
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Avril 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte authentique reçu le 25 juillet 2017 avec la participation de M. [J] [X], notaire à [Localité 4], la SCI Nicolas-Mathieu, représentée par ses deux associés, M. et Mme [F], a promis de vendre, au plus tard le 22 décembre 2017 sous réserve de la réunion des conditions suspensives, à M. et Mme [D] un immeuble sis à [Localité 6] au prix de 860 000 euros.
La déclaration de plus-value établie par M. [X] à la demande de la SCI a mentionné un prix de cession de 460 000 euros, la différence de 400 000 euros correspondant au montant que les associés souhaitaient réinvestir dans l’acquisition d’une résidence principale en France afin de bénéficier de l’exonération fiscale prévue à l’article 150 U, II, 1 bis, du code général des impôts.
Lors de la signature de la vente, le notaire des acquéreurs a toutefois relevé que cette exonération fiscale n’était pas applicable, faute pour les associés de la SCI d’avoir la qualité de résidents fiscaux en France. Le montant de la plus-value imposable calculée sur l’intégralité du prix de cession s’établissait ainsi à 102 496 euros au lieu de 54 027 euros.
Finalement, par acte notarié du 22 décembre 2017, le bien immobilier a été vendu à la SCI [Localité 6] 164, dont les associés étaient M. et Mme [D].
C’est dans ces circonstances que, par acte introductif d’instance du 5 septembre 2018, la SCI Nicolas-Mathieu a fait assigner la SCP Reillac Bernot [X], devenue la SAS Bernot [X] Pujol (ci-après « SAS B[X]P »), devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin d’obtenir réparation de la perte de chance d’avoir pu renoncer à la vente qu’elle estime avoir subi du fait de la faute du notaire.
Par un jugement contradictoire rendu le 11 mars 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
Condamné la société civile professionnelle Reillac-Bernot-[X] à payer à la société civile immobilière Nicolas-Mathieu la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,
Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2018,
Rejeté toute demande plus ample ou contraire,
Condamné la société civile professionnelle Reillac-Bernot-[X] à payer à la société civile immobilière Nicolas-Mathieu la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamné la société civile professionnelle Reillac-Bernot-[X] aux dépens de l’instance,
Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.
La SAS Bernot [X] Pujol, anciennement dénommée la SCP Reillac-Bernot-[X] a interjeté appel de ce jugement le 20 mai 2021 à l’encontre de la SCI Nicolas-Mathieu.
Par conclusions notifiées le 26 juillet 2021, la SAS Bernot [X] Pujol, anciennement dénommée la SCP Reillac-Bernot-[X] demande à la cour de :
La déclarer recevable et bien fondée en ses conclusions,.
Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre du 11 mars 2021 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
Juger que la SCI Nicolas-Mathieu ne justifie pas de l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice, susceptible d’engager la responsabilité du notaire,
Débouter la SCI Nicolas-Mathieu de toute ses demandes,
Condamner la SCI Nicolas-Mathieu au paiement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner la même aux entiers dépens d’instance, dont distraction au profit de Me Valérie Toutain de Hauteclocque, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 25 octobre 2021, la SCI Nicolas-Mathieu demande à la cour, au fondement des articles 1240 et suivants du code civil, de :
Dire et juger qu’elle est recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,
Débouter la SCP Reillac-Bernot-[X], notaires, de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
Confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que la SAS Bernot [X] Pujol, nouvelle dénomination de la SCP Reillac Bernot [X], avait engagé sa responsabilité à son égard,
Réformer partiellement le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 11 mars 2021,
Condamner la SAS Bernot [X] Pujol à lui payer, en réparation de son préjudice résultant de la perte de chance, une somme de 38 000 euros,
Condamner la SAS Bernot [X] Pujol à lui payer, en réparation de son préjudice distinct, une somme de 3 000 euros,
Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2018 et ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,
Condamner la SAS Bernot [X] Pujol à lui payer une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de la procédure d’appel,
Condamner la SAS Bernot [X] Pujol aux entiers dépens d’appel, y compris ceux relatifs à l’exécution forcée de la décision à intervenir, dont distraction au profit de Me Julie Coutié, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 20 octobre 2022.
SUR CE, LA COUR,
Sur les limites de l’appel
Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d’appel se présente dans les mêmes termes qu’en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.
Sur la faute du notaire
Moyens des parties
Poursuivant l’infirmation du jugement en ce qu’il a considéré que le notaire avait manqué à son devoir d’information et de conseil, la SAS Bernot [X] Pujol, anciennement dénommée SCP Reillac Bernot [X], demande à la cour, au fondement des articles 1240 et suivants du code civil, de rejeter la demande d’indemnisation formée par l’intimé et de considérer que le notaire n’a pas commis de faute.
Elle explique avoir été saisie par courriel du 13 mai 2017, postérieurement à la signature et l’acceptation d’une offre d’achat au prix (net vendeur) de 860 000 euros, aux fins de rédaction d’une promesse de vente. Elle ne conteste pas avoir eu connaissance de ce que ses clients n’étaient pas résidents fiscaux en France. Elle précise que le 15 mai 2017, elle a adressé un courriel au vendeur disant « je ne manquerai pas de revenir vers vous ultérieurement lorsque j’aurai les documents nécessaires en ma possession concernant l’aspect fiscal de cette vente (plus-values) ».
Elle fait valoir que la promesse de vente, signée le 25 juillet 2017, mentionnait le fait qu’un impôt sur la plus-value serait dû par le vendeur (sans que le montant de ce dernier soit précisé).
Il explique n’avoir été informée du projet d’affecter une partie de la somme au financement d’une résidence principale en France afin de bénéficier de l’exonération fiscale prévue à l’article 150 U II du code général des impôts, que le 29 novembre 2017 par courriel.
Elle soutient n’avoir commis aucune faute aux motifs que :
le principe du paiement de l’impôt sur la plus-value était connu du promettant et acquis bien avant la signature de la promesse de vente (courriel du 15 mai 2017) et ce, alors que l’accord des parties sur la chose et le prix avait été définitivement arrêté ;
la SCI Nicolas Mathieu n’a émis aucune réserve sur le principe de ce paiement ni même évoqué l’éventualité d’une exonération fiscale lors de la signature de la promesse de vente, de sorte que la connaissance par le vendeur du montant exacte de la plus-value n’a jamais conditionné la vente ;
la tentative d’obtenir une exonération fiscale a été décidée et portée à la connaissance du notaire quatre mois après la signature de la promesse de vente. A aucun moment au cours des négociations qui ont précédé la signature de la promesse, ni même dans les mois qui ont suivi, le montant de l’impôt n’a été évoqué ou abordé.
Il en déduit que le montant de l’impôt sur la plus-value n’avait pas un caractère déterminant sur la vente et que la vente a bien été conclue, de sorte que le notaire n’a commis aucune faute.
La SCI Nicolas Mathieu poursuit la confirmation du jugement de ce chef et réplique que la SCP B[X]P a manqué à son devoir d’information et de conseil en ne communiquant aucune information sur la plus-value à ses clients dès sa saisine, avant la signature de la promesse de vente, et en transmettant une déclaration de plus-value (n°2048) erronée le 30 novembre 2017, dont les erreurs ne seront découvertes par le notaire des acheteurs que le jour de la vente (22 décembre 2017).
Rappelant avoir saisi M. [X] par courriel du 13 mai 2017 en l’informant du fait que ses associés n’étaient pas résidents français, la SCI Nicolas Mathieu considère qu’il appartenait au notaire, dès avant la signature de la promesse, de s’enquérir des objectifs recherchés par sa cliente à travers l’opération. N’ayant délivré aucune information ni aucun conseil sur ce point, il a, selon elle, manqué à son devoir d’information et de conseil.
La SCI Nicolas Mathieu poursuit donc la confirmation du jugement en ce qu’il a reconnu la faute de la SCP B[X]P.
Appréciation de la cour
L’article 150 U II du code général des impôts dispose, dans sa version applicable au litige, en son point I que « (‘) les plus-values réalisées par les personnes physiques ou les sociétés (‘) lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis ou de droits relatifs à ces biens, sont passibles de l’impôt sur le revenu (‘) ».
En son point II, sont énumérées plusieurs cas d’exonération et notamment : « 1° bis Au titre de la première cession d’un logement, y compris ses dépendances immédiates et nécessaires au sens du 3° si leur cession est simultanée à celle dudit logement, autre que la résidence principale, lorsque le cédant n’a pas été propriétaire de sa résidence principale, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession.
L’exonération est applicable à la fraction du prix de cession défini à l’article 150 VA que le cédant remploie, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la cession, à l’acquisition ou la construction d’un logement qu’il affecte, dès son achèvement ou son acquisition si elle est postérieure, à son habitation principale. En cas de manquement à l’une de ces conditions, l’exonération est remise en cause au titre de l’année du manquement ; » (souligné par la cour).
L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En application des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, celui qui s’estime lésé doit démontrer, outre la faute du notaire, un préjudice et le lien causal entre ce dernier et la faute.
Le notaire qui, prêtant son concours à l’établissement d’un acte doit veiller à l’utilité et à l’efficacité de cet acte, est également tenu à l’égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, à une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les conséquences et risques des stipulations convenues, sous réserve que celles-ci n’aient pas été immuablement arrêtées ou qu’elles n’aient pas produit leurs effets antérieurement.
Le devoir de conseil est impératif et le notaire ne peut s’y dérober en alléguant qu’il s’est borné à donner une forme authentique aux conventions des parties, ou en se prévalant des compétences ou connaissances personnelles de son client, ou de l’intervention d’autres professionnels à ses côtés (1ère Civ., 19 décembre 2006, pourvoi n° 04-14.487 ; 3ème Civ., 28 novembre 2007, pourvoi n°06-17.758).
Le devoir de conseil est particulièrement fort en matière fiscale (1ère Civ., 15 juin 2016, n° pourvois n°15-14.192, 15-17.370 et 15-18.113 ; 1ère Civ., 17 juin 2015, pourvois n° 13-19.759 à 13-19.762).
Découle de l’exigence d’efficacité et de sécurité une obligation d’investigation qui s’inscrit dans la logique de sécurité juridique qui fonde la fonction notariale. Pour ce faire, le notaire doit rechercher la volonté des parties, prendre toutes les initiatives nécessaires, se renseigner avec précision afin de déceler les obstacles juridiques qui pourraient s’opposer à l’efficacité de l’acte qu’il instrumente.
Toutefois, tenu d’une obligation de moyen, le notaire n’est pas soumis à une obligation d’investigation illimitée ; son étendue dépend des possibilités effectives de contrôle et de vérification. En effet, la responsabilité du notaire, qui aura accompli les contrôles juridiques nécessaires, ne peut être engagée que si l’officier public pouvait suspecter l’inefficacité de l’acte, douter de l’efficacité de l’opération envisagée, dans ce cas, il peut lui être reproché de ne pas avoir accompli des investigations complémentaires.
En l’espèce, il est constant que la SCP PJB, en la personne de M. [X], notaire associé, a été saisie par les consorts [F], associés de la SCI Nicolas Mathieu, par courriel du 13 mai 2017 afin de rédiger une promesse de vente, qui sera signée avec les futurs acquéreurs le 25 juillet 2017 pour un prix de 860 000 euros. Il résulte de ce courriel et du courriel en réponse du notaire le 15 mai 2017 que le notaire avait connaissance de ce que les époux [F] étaient résidents fiscaux étrangers et qu’il était convenu que le notaire rédige la déclaration de plus-value (pièces 1 et 2 de l’appelant, pièces 5 et 9 de l’intimée).
Il est donc établi par les échanges de courriels versés aux débats que M. [X], dès sa saisine, sait que les époux [F] ne sont pas résidents français, mais résident depuis plusieurs années à [Localité 5], que le bien vendu n’est pas leur résidence principale et connaît le prix de vente convenu entre les parties. Ayant pour mission de rédiger ou veiller à la rédaction d’une promesse de vente, il lui incombait dès sa saisine ou, a minima, lors de la signature de la promesse, de s’assurer des conséquences fiscales de la vente et, de ce fait, d’informer ses clients sur le fait qu’ils auraient à payer un impôt sur l’intégralité de la plus-value puisqu’ils ne pouvaient prétendre au bénéfice de l’exonération fiscale relative à la résidence principale en raison de leur résidence fiscale à l’étranger.
La SCP PJB ne peut sérieusement contester son obligation puisque dès sa saisine, le notaire répond le 15 mai 2017 : « je ne manquerai pas de revenir vers vous ultérieurement lorsque j’aurai les documents nécessaires en ma possession concernant l’aspect fiscal de cette vente (plus-values) ». La SCP PJB est donc consciente de ce qu’il lui appartient de s’assurer des conséquences fiscales de la vente envisagée.
Pourtant, en dépit de son engagement, force est de constater qu’elle ne s’est pas pleinement acquittée de l’obligation d’information et de conseil qui lui incombait.
Elle ne démontre pas avoir fourni à ses clients l’information selon laquelle l’intégralité de la plus-value serait imposée puisqu’ils ne pouvaient bénéficier, en tant que résidents fiscaux étrangers, de l’exonération prévue pour les résidences principales.
Contrairement à ce que la SCP PJB prétend, cette obligation n’était pas dûment remplie avec la simple mention du paiement d’un impôt sur la plus-value par les vendeurs dans la promesse et la transmission, au demeurant très tardive, d’une déclaration n°2048. En outre, après la signature de la promesse, les échanges de courriels du mois de septembre 2017 n’ont concerné que la désignation d’un représentant accrédité. Ce manquement ressort également du courriel de Mme [F] du 29 novembre 2017, alors qu’elle a les plus grandes difficultés à joindre M. [X] et à obtenir des réponses claires sur les démarches à entreprendre en matière de déclaration de plus-value : « j’ai besoin de renseignements et de conseils concernant le calcul de plus-value car nous souhaitons réinvestir des fonds issus de la vente dans l’acquisition de notre première résidence principale et la signature définitive est soumise je présume à cette déclaration de plus-value » (pièce 6 de l’appelant).
Par ailleurs, il est établi et non contesté que par courriel du 30 novembre 2017, la SCP PJB , a transmis une déclaration n°2048 mentionnant une plus-value de 54 027 euros, calculée sur un prix de cession de 460 000 euros (pièce 7 de l’appelant et pièce 2 de l’intimée), dont il n’est pas contesté qu’elle était erronée, puisqu’en tant que résidents fiscaux à l’étranger, les époux [F] ne pouvaient pas bénéficier de l’exonération fiscale prévue à l’article 150 U II 1 bis du code général des impôts.
Dès lors, en n’informant pas la SCI Nicolas Mathieu dès sa saisine ou, tout du mois, lors de la signature de la promesse, alors qu’il était informé de la situation et du projet de cette dernière, des conséquences fiscales de l’opération dont il avait la charge (paiement d’un impôt sur l’intégralité de la plus-value dans la mesure où l’exonération sur la résidence fiscale n’était pas applicable), le notaire a manqué à son obligation d’information et de conseil.
La faute du notaire est donc parfaitement établie et le jugement, sur ce point, sera confirmé.
Sur le préjudice et le lien de causalité
Moyens des parties
Poursuivant l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a condamnée à indemniser la SCI Nicolas Mathieu, la SAS Bernot [X] Pujol, anciennement dénommée SCP Reillac Bernot [X], demande à la cour de rejeter les demandes d’indemnisation de l’intimée aux motifs que cette dernière ne démontre ni lien de causalité ni préjudice.
Sur le lien de causalité, elle fait tout d’abord valoir :
que la SCI Nicolas Mathieu n’avait aucun moyen de se dédire, les parties s’étant mises d’accord directement entre elles sur les termes de la vente (l’acceptation de l’offre valant vente), antérieurement à l’intervention du notaire ;
qu’en signant la promesse de vente, la SCI s’est engagée à payer l’impôt sur la plus-value, étant résidents étrangers, et que le montant de ce dernier n’a jamais été une condition suspensive de la vente ;
que, quand bien même l’impossibilité de bénéficier de l’exonération fiscale aurait été abordée le 29 novembre 2017, il était juridiquement impossible à la SCI Nicolas Mathieu de renoncer à vendre selon les termes mêmes de la promesse.
Elle en déduit qu’il n’y a aucun lien de causalité entre la prétendue faute du notaire et le fait d’avoir eu à payer un impôt sur la plus-value sans exonération.
Par ailleurs, sur le préjudice, elle soutient que le montant de l’impôt qui est dû et que la SCI Nicolas Mathieu s’est engagée à régler aux termes de la promesse ne constitue pas un préjudice indemnisable dès lors qu’il s’agit de l’application d’une règle de droit fiscal qui s’impose au vendeur, qui au demeurant avait été avisé et avait accepté d’opérer ce paiement.
Poursuivant l’infirmation du jugement sur le montant du préjudice indemnisé, la SCI Nicolas Mathieu demande à la cour, au fondement de l’article 1240 du code civil, de lui allouer 38 000 euros au titre de la perte de chance de n’avoir pu renoncer à la vente et 3000 euros « compte tenu de la gestion calamiteuse, voire l’absence totale de gestion, de ce dossier par le notaire jusqu’au jour de la signature ».
Elle fait valoir que la faute du notaire l’a privée de la possibilité de renoncer à l’opération envisagée, en ne signant pas la promesse ou en faisant insérer dans l’acte une clause conditionnant la réalisation de la vente à l’obtention de l’exonération fiscale recherchée.
Elle ajoute que si les époux [F] avaient eu connaissance du délai obligatoire de six mois de résidence en France, ils auraient ainsi pu négocier avec l’acquéreur une vente longue, et en cas de refus de celui-ci, ils auraient pu refuser de signer la promesse. La découverte de ce qu’ils ne pouvaient bénéficier de l’exonération fiscale le jour de la signature de la vente ne leur a laissé, selon eux, aucune possibilité de rétractation.
La SCI Nicolas Mathieu estime sa perte de chance à 38 000 euros, soit 37% du montant total de la plus-value que les époux [F] ont eu à payer.
Appréciation de la cour
La perte de chance s’analyse comme la perte certaine d’une éventualité favorable. Pour être indemnisable, elle doit être certaine, même faible, et non hypothétique. Elle doit en outre résulter directement de la faute commise.
En l’espèce, la SCI Nicolas Mathieu fait valoir tout d’abord qu’en raison de la faute du notaire, elle a perdu une chance de négocier l’insertion dans l’acte d’une clause conditionnant la réalisation de la vente à l’obtention de l’exonération fiscale recherchée. La perte de chance d’avoir pu insérer une telle clause ne constitue pas un préjudice indemnisable puisqu’en tout état de cause, les époux [F] n’étaient pas éligibles lors de la signature de la vente à cette exonération fiscale de sorte que la vente, avec cette clause, n’aurait pas eu lieu.
Ensuite la SCI Nicolas Mathieu soutient qu’en raison de la faute du notaire, elle a perdu une chance de pouvoir renoncer à la vente. Il convient d’analyser cette demande en deux temps : avant la signature de la promesse, puis après la signature de la promesse.
Avant la signature de la promesse de vente, force est de constater que la SCI Nicolas Mathieu a saisi le notaire alors qu’elle (ou ses associés) avait déjà signé une offre d’achat avec les acquéreurs. Par conséquent, elle ne pouvait plus se dédire de la vente. Elle ne démontre pas avoir saisi le notaire en amont de la signature de cette offre d’achat de sorte que dûment informée, elle aurait pu renoncer à vendre. Au contraire, la SCI Nicolas Mathieu ayant saisi le notaire tardivement, était déjà tenue par l’offre d’achat. Dès lors, la perte de chance qu’elle invoque est hypothétique et, partant, ne constitue pas un préjudice.
En outre, la promesse de vente signée le 25 juillet 2017 stipule en page 3 : « Le promettant ne pourra en aucun cas se refuser à réaliser la vente. En cas de refus par le promettant de réaliser la vente par acte authentique, le bénéficiaire pourra poursuivre l’exécution forcée de la vente par voie judiciaire. Toute rétractation unilatérale de la volonté du promettant sera en effet de plein droit inefficace du fait de l’acceptation de la présente promesse de vente en tant que telle par le bénéficiaire » (pièce 3 de l’appelant et pièce 1 de l’intimée).
Il résulte de cette disposition qu’à partir du moment où la promesse de vente était signée (le 25 juillet 2017), la SCI Nicolas Mathieu ne pouvait plus renoncer à la vente,.
Dès lors, la perte de chance d’avoir pu renoncer à la vente est inexistante puisque nonobstant la faute du notaire, les vendeurs ne pouvaient en tout état de cause pas renoncer à la vente à compter de la signature de la promesse (25 juillet 2017).
Enfin, l’intimé allègue avoir subi un préjudice constitué par une perte de chance d’avoir pu négocier avec l’acquéreur « une vente longue ». La cour comprend que les époux [F] font valoir que s’ils avaient été dûment informés de l’absence de bénéfice de l’exonération fiscale envisagée, ils auraient négocié avec les acquéreurs une signature de la vente dans un délai supérieur à six mois, leur laissant un temps suffisant pour établir leur résidence fiscale en France, puis, dans un second temps, vendre le bien de [Localité 6] et remployer les fonds à l’acquisition de leur résidence principale. Pourtant, à aucun moment dans leurs écritures, ni dans les pièces produites, ils n’explicitent leur demande ni ne justifient que dans cette hypothèse, ils avaient l’intention, la possibilité financière et matérielle ou l’opportunité de différer la vente et de s’organiser pour fixer leur résidence fiscale en France préalablement à la vente. Ils ne produisent aucun élément de preuve démontrant qu’ils avaient la capacité de s’organiser pour quitter [Localité 5], fixer leur résidence fiscale en France et différer la vente.
Il s’ensuit que le préjudice invoqué par l’intimée, seulement allégué, n’est pas démontré et que le jugement en ce qu’il a condamné le notaire à indemniser la SCI Nicolas Mathieu, doit être infirmé.
Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu’il a rejeté la demande au titre du préjudice pour « gestion calamiteuse », ce dernier n’étant étayé par aucune pièce ni aucun élément de preuve.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.
Partie principalement perdante, la SCI Nicolas Mathieu sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
REJETTE les demandes d’indemnisation et de capitalisation des intérêts de la SCI Nicolas Mathieu ;
DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SCI Nicolas Mathieu aux dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Madame Sixtine DU CREST, conseiller pour la présidente empêchée et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller,