Responsabilité du Notaire : 5 septembre 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/00932

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Responsabilité du Notaire : 5 septembre 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/00932
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N° RG 21/00932

N° Portalis DBVX – V – B7F – NMO6

Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de ROANNE

Au fond du 25 janvier 2021

RG : 19/00255

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 05 Septembre 2023

APPELANT :

M. [U] [I]

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 2]

représenté par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938

INTIMES :

M. [E] [D]

[Adresse 1]

[Localité 6]

représenté par la SELARL DE BELVAL, avocat au barreau de LYON, toque : 654

MMA IARD (Mutuelles du Mans Assurances IARD)

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par la SELARL DE BELVAL, avocat au barreau de LYON, toque : 654

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 06 Avril 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 16 Mai 2023

Date de mise à disposition : 05 Septembre 2023

Audience tenue par Olivier GOURSAUD, président, et Bénédicte LECHARNY, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier

A l’audience, un des membres de la Cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

– Olivier GOURSAUD, président

– Stéphanie LEMOINE, conseiller

– Bénédicte LECHARNY, conseiller

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par acte authentique du 28 octobre 2011 établi par Maître [D], notaire à [Localité 6] (Loire), Mr [U] [I] a acquis un bien immobilier sis [Adresse 5] à [Localité 7] (Loire), moyennant le paiement de 135.000 €, financé par deux prêts s’élevant respectivement à 118.969 € et 17.200 €, garantis par des inscriptions hypothécaires.

Une déclaration d’insaisissabilité du bien immobilier a été intégrée au contrat de vente.

L’acte de vente a été enregistré et publié à la conservation des hypothèques de [Localité 9] le 17 novembre 2011.

La déclaration d’insaisissabilité a été publiée dans un journal d’annonces judiciaires et légales du 23 au 29 mars 2011.

Par jugement du 2 mai 2012, le tribunal de grande instance de Roanne a prononcé la liquidation judiciaire simplifiée de l’activité exercée par Mr [I].

Par jugement du 7 novembre 2012, le tribunal de grande instance de Roanne, après avoir constaté la présence d’un bien immobilier pouvant entrer dans l’actif, a converti la procédure de liquidation judiciaire simplifiée en liquidation judiciaire de droit commun.

Le 4 novembre 2014, le mandataire liquidateur, au motif que la déclaration d’insaisissabilité portant sur l’immeuble de Mr [I] n’avait pas fait l’objet de l’ensemble des formalités obligatoires requises pour devenir opposable aux tiers, à savoir, une publication spécifique de la déclaration d’insaisissabilité au service de la publicité foncière et une parution dans un journal d’annonces légales, exigée lorsque le professionnel n’est pas immatriculé à un registre, a sollicité l’autorisation de vendre l’immeuble et par ordonnance en date du 10 décembre 2014, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de Mr [I] a autorisé le mandataire liquidateur de Mr [I] a poursuivre la vente aux enchères de son bien immobilier.

L’immeuble a été vendu aux enchères pour la somme de 70.000 € selon jugement d’adjudication du 3 juin 2015.

Par exploits d’huissier des 11 et 13 mars 2019, Mr [I] a fait assigner Maître [E] [D] et son assureur la société Mutuelle du Mans Assurances Iard aux fins de reconnaître sa responsabilité et obtenir l’indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 25 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Roanne a :

– déclaré prescrite l’action engagée sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle par Mr [I] à l’encontre de Maître [D] et de la société MMA Assurances Iard,

– condamné Mr [I] à payer une somme de 1.000 € à Maître [D] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mr [I] à payer une somme de 1.000 € à la société Mma Assurances Iard au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

– condamné Mr [I] aux dépens de l’instance.

Par déclaration du 9 février 2021, Mr [I] a interjeté appel de ce jugement.

Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 24 août 2022, Mr [U] [I] demande à la cour de :

– réformer le jugement du tribunal judiciaire de Roanne du 25 janvier 2021 en ce qu’il :

– a déclaré prescrite l’action engagée sur le fondement de la responsabilité extra contractuelle par Mr [I] à l’encontre de Maître [D] et de la société MMA Assurances Iard,

– l’a condamné à payer une somme de 1.000 € à Maître [D] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– l’a condamné à payer une somme de 1.000 € à la société Mma Assurances Iard au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

– condamné Mr [I] aux dépens de l’instance.

statuant à nouveau,

– juger que son action n’est pas prescrite et est en conséquence recevable,

– juger que Maître [D] a commis une faute lui ayant causé un préjudice,

en conséquence,

– condamner Maître [D], notaire associé au sein de la Selas Labarrière-[D] et associés, in solidum avec la compagnie d’assurances MMA Iard, à lui payer la somme de 243.887,80 €, décomposée comme suit :

– préjudice lié à la perte du bien : 151.700 €,

– préjudice lié aux frais investis à perte : 52.187,80 €,

– préjudice moral : 40.000 €,

– condamner la compagnie d’assurance MMA Iard à garantir la condamnation de Maître [D], notaire associé au sein de la Selas Labarrière-[D] et associés, à hauteur de 243.887,80 €,

– condamner Maître [D], notaire associé au sein de la Selas Labarrière-[D] et associés, et la compagnie d’assurance Mma Iard in solidum et sous la même garantie à verser cette somme totale assortie des intérêts au taux légal à compter de l’assignation, outre capitalisation,

subsidiairement,

– juger que sa perte de chance ne saurait être inférieure à 90%,

en tout état de cause,

– débouter les intimés de l’ensemble de leurs prétentions,

– condamner in solidum Maître [D], notaire associé au sein de la Selas Labarrière-[D] et associés, et la compagnie MMA Iard à lui payer la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum Maître [D], notaire associé au sein de la Selas Labarrière-[D] et associés, et la compagnie d’assurances Mma Iard aux entiers dépens, au profit de la Selarl Lexavoué Lyon, avocats, par application de l’article 699 du code de procédure civile.

Au terme de leurs dernières conclusions notifiées le 12 septembre 2022, Maître [D] et la société Mutuelle du Mans Assurances Iard demandent à la cour de :

– confirmer le jugement dont appel,

au besoin,

avant dire droit,

– faire injonction à Mr [I] de communiquer :

– la déclaration de créance du Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne à la procédure collective,

– la déclaration de créance du même établissement dans le cadre de la procédure de saisie immobilière,

– l’état de collocation suite à la vente sur adjudication,

– le détail des sommes versées par lui au Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne dans le cadre du remboursement du prêt,

– la déclaration de cessation des paiements de son activité professionnelle,

– les comptes de clôture de la procédure collective,

en tout état de cause, au fond,

– juger que l’action engagée est prescrite et à tout le moins infondée,

– juger en tout état de cause que les trois conditions nécessaires à engager la responsabilité du notaire ne sont pas caractérisées,

– juger en toute hypothèse que la perte de chance est nulle,

– débouter Mr [I] de l’intégralité de ses demandes,

en toute hypothèse,

– condamner Mr [I] à leur payer les sommes de 5.000 € de dommages et intérêts et de 4.000 € chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens d’instance.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 6 avril 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. sur la prescription :

Mr [I] soutient que sa demande n’est pas prescrite et fait valoir que :

– le 10 juillet 2013 ne pouvait être retenu comme point de départ du délai de prescription ainsi que l’a jugé le tribunal, car à cette date, aucun dommage n’était encore réalisé et il n’existait qu’une éventualité de dommage,

– en effet à cette date, le jugement qui a prorogé les opérations de liquidation judiciaire a seulement retenu qu’il était de l’intérêt des créanciers de savoir si l’immeuble pouvait ou non être considéré comme un actif de l’activité liquidée,

– le délai de prescription a commencé en réalité à courir au plus tôt le jour de la vente aux enchères du bien immobilier, soit le 3 juin 2015, date du jugement d’adjudication permettant de caractériser le dommage, voire même plus tard à la date des échanges de lettres et courriels entre 2017 et 2018 par lesquels la DGFiP a expliqué que la déclaration d’insaisissabilité aurait dû être transmise par une seconde réquisition de publication et être déposée par voie papier, ce qui constitue la révélation du dommage.

Maître [D] et la société Mutuelle du Mans Assurances Iard concluent à la confirmation du jugement qui a déclaré l’action prescrite et font valoir que l’élément déclencheur de la prescription est le prononcé de liquidation judiciaire de Mr [I], soit le 2 mai 2012, que Mr [I] n’ignorait plus que c’était le liquidateur qui disposait de la totalité de son passif et savait qu’il revendiquait le bien immobilier, qu’il a immédiatement revendiqué l’insaisissabilité de son habitation en raison de l’acte notarié, que le tribunal a reporté à plusieurs reprises pour cette raison et que l’appelant ne peut soutenir qu’il ignorait la situation car il l’avait lui même soulevé.

Sur ce :

En application de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

L’action engagée par Mr [I] à l’encontre de Maître [D] vise à obtenir l’indemnisation du préjudice résultant de l’erreur du notaire qui n’a pas effectué les formalités adéquates pour faire échapper son bien à une éventuelle procédure collective.

Il appartient à Mr [I] qui soutient avoir eu connaissance de ce fait générateur de son action, moins de cinq ans après l’introduction de son instance d’en rapporter la preuve.

Dans son jugement du 7 novembre 2012 rendu au contradictoire de Mr [I], le tribunal de grande instance de Roanne a converti la liquidation judiciaire simplifiée en liquidation judiciaire de droit commun au motif que le bien immobilier pourrait être intégré dans l’actif de l’activité exercée par Mr [I] lequel alors qu’il n’avait pas fait mention de ce bien dans sa déclaration de cessation de paiement, a nécessairement été alerté d’une difficulté sur ce point.

Or il ressort de la requête du liquidateur judiciaire de Mr [I] sollicitant l’autorisation de vendre le bien immobilier que le relevé des formalités requis auprès de l’administration qui lui avait été adressé le 1er juillet 2013 ne faisait pas mention de cette déclaration au motif que la déclaration d’insaisissabilité n’avait pas été régulièrement publiée au fichier immobilier.

Cette information détenue par le liquidateur depuis le 1er juillet 2013 a nécessairement été évoquée si ce n’est lors de l’instance ayant donné lieu au jugement du 10 juillet 2013 par lequel le tribunal de grande instance de Roanne a prorogé les opérations de liquidation judiciaire, puisque l’audience s’est tenue le 5 juin 2013, à tout le moins lors de celle du 4 décembre 2013, date à laquelle le tribunal a de nouveau prorogé le délai pour les opérations de liquidation judiciaire, et pour les mêmes motifs.

Il en résulte qu’au plus tard le 4 décembre 2013, Mr [I] avait la connaissance de ce que la déclaration d’insaisissabilité n’avait pas été correctement publiée et ce de façon certaine et non pas éventuelle.

Les échanges de courriers intervenus entre le conseil de Mr [I] et l’administration des finances publiques en 2018, manifestement en vue de se procurer des éléments de preuve pour caractériser la faute du notaire, ne sont pas de nature à contredire cette affirmation et un courrier précédent de Mr [I] lui même du 17 janvier 2017 adressé au notaire atteste de ce qu’il savait déjà, et donc bien avant l’explication technique de l’administration, que la déclaration d’insaisissabilité n’avait pas été publiée.

Il n’a d’ailleurs jamais contesté la décision du juge commissaire autorisant la vente de son bien ni émis la moindre contestation sur la procédure d’adjudication confirmant s’il en était besoin qu’il savait à quoi s’en tenir sur ce point.

Mr [I] ayant engagé son action par assignation du 11 mars 2019, soit plus de cinq ans plus tard, son action est prescrite et le jugement est confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevables ses demandes.

2. sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Par des motifs pertinents que la cour adopte, le premier juge a rejeté la demande en dommages et intérêts de Maître [D] et de la société Mutuelle du Mans Assurances Iard étant constaté par ailleurs que ces derniers ne sollicitant pas l’infirmation du jugement, celui-ci ne peut qu’être confirmé à ce titre.

3. sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

La cour estime que l’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit des intimés en cause d’appel et leur alloue à ce titre et à chacun les sommes respectives de 1.000 €.

Les dépens d’appel sont à la charge de Mr [I] qui succombe en ses prétentions de remise en cause du jugement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

Condamne Mr [U] [I] à payer en cause d’appel à Maître [E] [D] et à la société Mutuelle du Mans Assurances Iard la somme de 1.000 € à chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mr [U] [I] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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