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COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°384
DU : 20 Septembre 2023
N° RG 22/00071 – N° Portalis DBVU-V-B7G-FXQF
VTD
Arrêt rendu le vingt Septembre deux mille vingt trois
Sur APPEL d’une décision rendue le 30 Novembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de CLERMONT-FERRAND (RG N°20/02621)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
Me [U] [O]
[Adresse 7]
[Localité 8]
Représentant : Me Jean-michel DE ROCQUIGNY de la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTE
ET :
M. [T] [B]
[Adresse 6]
[Localité 9]
Représentant : Me Sophie GIRAUD de la SCP GIRAUD-NURY, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Mme [H] [S]
[Adresse 6]
[Localité 9]
Représentant : Me Sophie GIRAUD de la SCP GIRAUD-NURY, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMÉS
copie MP
DEBATS : A l’audience publique du 07 Juin 2023 Madame THEUIL-DIF a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 20 Septembre 2023.
ARRET :
Prononcé publiquement le 20 Septembre 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu la communication du dossier au ministère public le 30 Mars 2023 et ses conclusions écrites reçues au greffe la troisième chambre civile et commerciale le 06 Avril 2023nt communiquées par la communication électronique le même jour aux parties qui ont eu la possibilité d’y répondre utilement.
Exposé du litige :
Suivant compromis de vente reçu le 30 août 2019 par Me [U] [O], notaire à [Localité 11], Mme [P] a accepté de vendre à M. [T] [B] et Mme [H] [S], un terrain non bâti sis à [Localité 12] cadastré section ZB n°[Cadastre 3] et [Cadastre 4], moyennant le prix de 50 000 euros. L’immeuble provient de la division de la parcelle ZB n°[Cadastre 10] en :
– ZB n°[Cadastre 3] et [Cadastre 4],
– ZB n°[Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 5] demeurant la propriété de Mme [P].
Le compromis comprenait usuellement une condition suspensive liée à l’obtention d’un prêt, et celle d’un permis de construire au plus tard le 30 novembre 2019.
M. [B] et Mme [S] ont sollicité le 28 octobre 2019 un permis de construire auprès de la commune de [Localité 12]. Par décision du 26 novembre 2019, la commune a refusé le permis de construire au motif que les parcelles n’étaient pas constructibles en leur totalité, révélant ainsi une nouvelle zone non constructible non signalée.
Ces derniers se disant contraints de renoncer à leur projet tout en ayant dû assumer entre-temps des frais d’études de sol et d’études d’assainissement, ont par courrier du 29 novembre 2019, sollicité du notaire l’indemnisation de leurs préjudices.
Par acte d’huissier du 16 juillet 2020, M. [B] et Mme [S] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand Me [O] aux fins de voir engager sa responsabilité.
Par jugement du 30 novembre 2021, le tribunal a :
– condamné Me [O] à payer à M. [B] et Mme [S] la somme de 5 988,65 euros en réparation de leur préjudice financier ;
– condamné Me [O] à payer à M. [B] et Mme [S] la somme de 1 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
– condamné Me [O] à payer à M. [B] et Mme [S] la somme de 750 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– condamné Me [O] aux dépens ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le tribunal a, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, retenu l’existence d’une faute du notaire qui a omis de s’assurer de la surface constructible globale de la parcelle. Il a énoncé que le caractère constructible des parcelles était un élément essentiel du contrat, les acquéreurs ayant clairement exprimé leur projet de construction ; qu’en insérant dans l’acte une clause stipulant une condition suspensive liée à l’obtention d’un permis de construire, sans vérifier la surface constructible réelle du terrain afin d’en alerter les parties, le notaire n’a pas veillé à assurer à l’acte l’efficacité juridique que les acquéreurs étaient en droit d’attendre.
Suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour en date du 3 janvier 2022, Me [U] [O] a interjeté appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions reçues au greffe en date du 24 mai 2023, l’appelante demande à la cour, au visa de l’article 1240 du code civil, de :
– réformer le jugement entrepris ;
– débouter M. [B] et Mme [S] de l’ensemble de leurs demandes ;
– les condamner au règlement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Elle fait valoir que sa responsabilité ne peut être recherchée conformément à l’article 1240 du code civil, que sur un fondement délictuel. Elle relève que les intimés prétendent qu’elle aurait failli à son obligation de conseil en ne les alertant pas quant au caractère non constructible d’une partie de la parcelle. Or, elle ne détenait pas cette information. Elle expose que quelques documents ont été annexés au compromis, à savoir une modification du parcellaire cadastral datée du 6 mai 2019 ainsi qu’un plan topographique permettant de constater la limite constructible des parcelles : la parcelle ZB [Cadastre 4] (D sur le plan) d’une superficie de 1 200 m² apparaît entièrement constructible. Il s’agissait des seuls éléments qui lui avaient été communiqués. Or, le géomètre expert a clairement affirmé que ‘le plan d’arpentage faisant apparaître la limite constructible a été établi le 18 novembre 2019″. Aussi, à l’époque du compromis régularisé le 30 août 2019, ni les parties, ni le géomètre expert ni le notaire ne connaissaient le caractère partiellement constructible de la parcelle qui ne ressortait d’aucun document. Elle ajoute que le notaire n’a pas à se substituer aux autres professionnels et ne doit répondre que de ses propres manquements : il n’est pas responsable des erreurs ou omissions commises par d’autres intervenants et en l’occurrence le fait que le géomètre n’ait pas correctement appréhendé la situation des lieux.
Elle précise qu’avant de rendre un arrêté relatif au refus de permis, la mairie en a informé de façon orale les acquéreurs afin qu’un retrait soit opéré. Ils ont alors pris attache avec le géomètre qui a contacté l’ADIT 63, laquelle a confirmé au mois de novembre 2019 la limite constructible de la parcelle. Elle a alors déconseillé aux intimés de retirer leur demande afin qu’un véritable refus leur soit opposé. A contrario, ils auraient contrevenu aux obligations du compromis de vente et se seraient exposés à ce que la venderesse réclame le paiement de la clause pénale ou sollicite la régularisation de la vente.
En outre, elle fait valoir que seul un compromis de vente a été régularisé entre les parties et non la vente définitive. Il s’agit d’un avant-contrat soumis à la réalisation de différentes conditions suspensives. Or, une clause relative à l’urbanisme avait été insérée, de même qu’une condition suspensive liée à l’obtention d’un permis de construire, préservant ainsi les droits des acquéreurs. Elle s’est montrée prudente et diligente.
Enfin, s’agissant des sommes réclamées, elle soutient que l’empressement des intimés est uniquement à l’origine de leur désarroi puisqu’ils auraient dû attendre que la mairie accorde le permis de construire avant de prendre de quelconques initiatives. Par ailleurs, les intimés n’établissent pas avoir effectivement procédé au règlement des factures dont ils réclament le remboursement d’autant que leur projet tendant à la construction d’une maison individuelle n’ayant pu débuter, il semble douteux que le maître d’oeuvre ait perçu l’intégralité de ses honoraires.
Le lien de causalité entre la faute imputée et le préjudice n’est pas établi : les préjudices invoqués ne sont pas liés à la faute du notaire, mais au refus de délivrance d’un permis de construire qui résulte uniquement de la situation des lieux. Ainsi, seuls les frais liés strictement au dépôt du permis de construire pourraient éventuellement être sollicités.
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 24 mai 2023, M. [T] [B] et Mme [H] [S] demande à la cour, au visa de l’article 1240 du code civil, de :
– déclarer Me [O] mal fondée en son appel ;
– débouter Me [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires ;
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
– y ajoutant, condamner Me [O] à leur payer la somme complémentaire de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.
Ils font valoir que le notaire est tenu de vérifier par toutes investigations utiles, les déclarations faites par le vendeur et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l’efficacité de l’acte qu’il dresse. Ils soutiennent que le caractère constructible des parcelles était un élément essentiel du contrat puisqu’ils avaient clairement exprimé leur projet de construction : ils ont appris qu’en plus de la zone non constructible dont ils avaient connaissance, les parcelles étaient non constructibles sur toute une autre partie, réduisant d’autant plus la surface constructible globale et mettant à néant leurs projets. Le fait de ne pas les avoir informés du caractère non constructible d’une partie des parcelles constitue une faute du notaire tenu à une obligation générale d’information et de conseil envers les parties à l’acte. Ils précisent que le géomètre n’a fait que confirmer une situation connue puisqu’un simple échange téléphonique avec les services de l’ADIT 63 a permis de s’en apercevoir. Même si le notaire n’en avait pas été avisé par Mme [P], la venderesse, il était tenu de procéder à un minimum de vérifications pour satisfaire son obligation de conseil et d’information.
Ils estiment que s’ils avaient été informés dès le départ de la situation, ils n’auraient pas signé le compromis, ni engagé de frais.
Enfin, ils précisent que les parcelles sont situées sur une zone de pente et qu’une nouvelle implantation de la construction remettait totalement en cause l’économie du projet. Ils ont ainsi engagé en pure perte les frais suivants :
– provision sur frais notariés : 250 euros ;
– facture PBM 63 (frais de dossier) : 150 euros ;
– facture AET (étude thermique) : 300 euros ;
– facture Bati Concept (acompte ) : 1 500 euros ;
– facture Bati Concept (permis de construire : 3 002,65 euros ;
– facture Aquatiris (étude assainissement) : 696 euros ;
– frais de contrôle conception parcelle : 90 euros.
Ils ajoutent que les autres frais que ceux liés à la demande de permis de construire et les frais de notaire, devaient être engagés au stade du compromis pour pouvoir chiffrer le projet et constituer le dossier de demande de crédit.
Il sera renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé complet de leurs demandes et moyens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 31 mai 2023.
Motifs de la décision :
A la différence du devoir d’authentification, aucun texte précis ne vient fixer les obligations du notaire en matière de devoir de conseil. Les notaires sont néanmoins tenus d’éclairer les parties et d’attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique. Ils sont également tenus d’assurer la validité et l’efficacité des actes passés.
L’exigence d’efficacité imposée par la Cour de cassation à l’activité des notaires est marquée par un souci de proportionnalité, c’est-à-dire de réalisme et d’adaptation aux possibilités effectives de contrôle et de vérification de ces derniers. Ainsi, le notaire n’a pas à informer son client de données de fait qui sont déjà connues de lui et dont il ne peut ignorer la portée.
La responsabilité du notaire ne peut pas être affirmée au seul constat de l’inefficacité de l’acte auquel il a prêté son concours : l’inefficacité de l’acte n’entraîne la responsabilité de l’officier public que si elle est la conséquence d’une défaillance de celui-ci dans les investigations et contrôle que celui-ci impose nécessairement. Cette obligation d’investigation existe en l’absence même de texte parce qu’elle est une composante nécessaire de l’obligation d’efficacité et qu’elle s’inscrit dans la logique de sécurité juridique qui fonde la fonction notariale.
En l’espèce, les consorts [N] reprochent au notaire de pas les avoir informés du caractère non constructible d’une partie des parcelles, alors qu’il était tenu à une obligation générale d’information et de conseil envers eux. Ils estiment que même si le notaire n’avait pas été avisé par le vendeur de la non-constructibilité d’une partie du terrain, il était tenu de procéder à un minimum de vérifications. Ils ajoutent qu’une simple prise de renseignements par le notaire auprès de la mairie ou des services de Publicité Foncière ou de l’ADIT 63 (comme l’a fait le géomètre) aurait permis de le savoir.
Il résulte des pièces versées aux débats et notamment d’un courrier de l’assureur du notaire en date du 30 janvier 2020, qu’au compromis de vente signé le 30 août 2019 entre Mme [P] et les consorts [N] portant sur les parcelles cadastrées ZB n°[Cadastre 3] (2 169 m²) et ZB n°[Cadastre 4] (1 200 m²) provenant de la subdivision de la parcelle initialement cadastrée ZB n°[Cadastre 10], étaient joints les pièces suivantes :
– le plan ‘modification du parcellaire cadastral’ établi par le géomètre et transmis à l’étude de Me [O] par courriel du 6 juin 2019 ;
– une copie de la déclaration préalable établie par le géomètre, transmise à l’étude par courriel du 4 juillet 2019 ;
– les pièces d’urbanisme requises par l’étude sur la parcelle de terrain avant division faisant apparaître que la parcelle d’origine cadastrée ZB n°[Cadastre 10] était partiellement située en zone U et partiellement en zone N.
M. [B] et Mme [S] ont déposé une demande de permis de construire le 28 octobre 2019, demande qui a été rejetée le 26 novembre 2019 au motif que la parcelle ZB n°[Cadastre 4] n’était que partiellement constructible et que leur projet de construction de maison individuelle se situait en zone non constructible.
Le géomètre a communiqué le 18 novembre 2019 un plan d’arpentage daté du 6 mai 2019 lequel faisait apparaître les parties constructibles et non constructibles. Ainsi, la parcelle ZB n°[Cadastre 4] présente une surface non constructible de 397 m² sur 1 200 m².
Or, le plan topographique joint à la déclaration préalable de division, faisant mention dans sa légende de signets relatifs à une limite constructible, ne fait pas apparaître cette limite sur la parcelle cadastrée ZB n°[Cadastre 4]. De même, le plan de division joint à la déclaration préalable ne fait pas mention de cette limite. Il en va de même du plan ‘modification du parcellaire cadastral’, l’ensemble de ces pièces étant les documents qui avaient été transmis au notaire et qui avaient été annexés au compromis.
Au vu des documents dont le notaire disposait, rien ne lui permettait de douter du caractère inconstructible d’une partie de la parcelle ZB n°[Cadastre 4]. Il est nécessaire pour voir la responsabilité du notaire engagée que celui-ci ait eu les moyens de soupçonner l’inexactitude du caractère constructible de la parcelle.
Or, en l’état il n’existait aucune circonstance devant conduire Me [O] à douter de la constructibilité de la parcelle litigieuse et de devoir vérifier cette information au stade du compromis.
Il n’est pas non plus établi que le notaire avait connaissance du projet de construction des consorts [N] qui présentait la spécificité de devoir être implanté spécifiquement sur la partie de la parcelle non constructible au vu de l’inclinaison du terrain et de la projection solaire (projet basé sur un principe bioclimatique), le seul élément figurant au compromis sur ce point était l’obtention d’un permis de construire autorisant la réalisation d’une maison individuelle à usage d’habitation de 125 m².
Il convient d’observer que le notaire avait prévu dans le compromis une condition suspensive d’obtention du permis de construire et qu’il a en outre conseillé les acquéreurs d’attendre la notification du refus de permis de construire afin de pouvoir être dégagés sans frais vis-à-vis du vendeur alors que les services d’urbanisme leur demandaient de déposer une demande de retrait de permis de construire.
Dans ces circonstances, Me [O] n’a pas manqué à son devoir de conseil et les consorts [N] doivent être déboutés de leurs demandes d’indemnisation. Le jugement sera ainsi infirmé.
Succombant à l’instance, les consorts [N] seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d’appel.
Toutefois, l’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
Déboute M. [T] [B] et Mme [H] [S] de leurs demandes de dommages et intérêts ;
Dit n’y avoir lieu à faire application de l’article 700 du code de procédure civile;
Condamne in solidum M. [T] [B] et Mme [H] [S] aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier La Présidente