Responsabilité du Notaire : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 22/03064

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Responsabilité du Notaire : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 22/03064
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/03064 – N°Portalis DBVH-V-B7G-ISCQ

SL

TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE PRIVAS

18 août 2022

RG:21/02558

[T]

C/

[N]

Grosse délivrée

le 19/10/2023

à Me Frédéric VIGNAL

à Me Jean-michel DIVISIA

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

1ère chambre

ARRÊT DU 19 OCTOBRE 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PRIVAS en date du 18 Août 2022, N°21/02558

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre,

Mme Isabelle DEFARGE, Présidente de chambre,

Mme Séverine LEGER, Conseillère,

GREFFIER :

Mme Audrey BACHIMONT, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l’audience publique du 19 Septembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 19 Octobre 2023.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

APPELANT :

Monsieur [J] [T]

né le [Date naissance 7] 1962 à [Localité 16]

[Adresse 13]

[Localité 8]

Représenté par Me Christophe JOSET de la SAS CHRISTOPHE JOSET ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de VALENCE

Représenté par Me Frédéric VIGNAL, Postulant, avocat au barreau D’ARDECHE

INTIMÉ :

Monsieur [O] [N]

[Adresse 9]

[Localité 12]

Représenté par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 19 Octobre 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

M. [J] [T] est bénéficiaire d’une hypothèque judiciaire inscrite, enregistrée et publiée à la conservation des hypothèques de [Localité 15] en date du 26 juin 2013 pour une durée de 10 ans jusqu’au 26 juin 2023, sur le lot n°62 d’un immeuble en copropriété sis à [Localité 11] (07) lieudit [Localité 14], cadastré section AE n°[Cadastre 10], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] lot 62 dont son débiteur, M. [S] [W], était co-propriétaire indivis.

Le 30 juin 2017, le bien a été vendu par acte authentique reçu par Maître [O] [N], notaire à [Localité 12], et le prix réparti entre les vendeurs sans que l’hypothèque prise par M. [T] n’ait été préalablement levée.

Par acte du 4 octobre 2021, M. [T] a assigné Maître [N] devant le tribunal judiciaire de Privas afin de voir engager la responsabilité civile professionnelle du notaire sur le fondement de l’article 1240 du code civil et le voir condamner à lui payer la somme de 86 276,56 euros correspondant au principal, accessoires, intérêts et frais, déduction faite des acomptes reçus ainsi que la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, outre 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi que les dépens.

Par jugement contradictoire du 18 août 2022, le tribunal judiciaire de Privas a:

– débouté M. [J] [T] de ses demandes ;

– condamné M. [J] [T] aux dépens ;

– condamné M. [J] [T] à payer à Maître [O] [N] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a rejeté les demandes de M. [T] en considérant que le notaire n’avait commis aucune faute puisqu’il avait sollicité un état hypothécaire antérieurement à la vente dont aucun élément ne lui permettait de douter de la conformité et de la complétude même s’il ne mentionnait pas l’hypothèque judiciaire inscrite au profit de son créancier.

Par déclaration du 15 septembre 2022, M. [T] a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 20 mars 2023, la procédure a été clôturée le 5 septembre 2023 et l’affaire fixée à l’audience du 19 septembre 2023 et mise en délibéré par mise à disposition au greffe de la décision le 19 octobre 2023.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS

Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 octobre 2022, l’appelant demande à la cour d’infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

– condamner Maître [N] à lui payer la somme totale de 86 276,56 euros, correspondant au principal, accessoires, intérêts et frais, déduction faite des acomptes reçus,

A titre subsidiaire,

– condamner Maître [N] à lui payer la somme de 16 000 euros,

En tout état de cause,

– condamner Maître [N] à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi,

– condamner Maître [N] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il fait essentiellement valoir que :

– les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité du notaire sur le fondement de l’article 1240 du code civil sont réunies au regard de la faute commise en procédant à la vente des biens grevés après avoir interrogé de manière incomplète les services de la publicités foncières et sans avoir désintéressé le créancier inscrit ;

– cette faute lui a causé un préjudice direct et certain constitué par la perte de sa garantie à l’encontre de M. [W] qu’il convient d’indemniser à hauteur de la totalité de sa créance, principal, accessoires et intérêts ;

– la faute commise par le notaire lui a également causé un préjudice moral qu’il estime à la somme de 5 000 euros.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 janvier 2023, l’intimé demande à la cour de:

– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

– condamner M. [T] à lui régler la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Maître [N] réplique que :

– l’absence de mention de l’inscription de l’hypothèque par la conservation des hypothèques et sur l’état hypothécaire reçu constitue un cas de force majeure, excluant que sa responsabilité soit mise en cause ;

– M. [T] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice en lien de causalité avec la faute alléguée et il ne saurait être fait droit à la demande de condamnation à hauteur du montant de la créance formulée par l’appelant sans aboutir à l’enrichissement sans cause de ce dernier.

Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la faute imputée au notaire :

Le notaire, en sa qualité de professionnel, est tenu d’un devoir de conseil à l’égard de ses clients en vertu duquel il lui incombe de les éclairer sur la portée, les effets et les risques de l’acte dressé dont il est également tenu d’assurer par ailleurs la validité, l’efficacité et la sécurité juridique.

Dans le cadre de ses obligations professionnelles, il appartient au notaire de solliciter un état hypothécaire préalablement à la vente qu’il instrumente afin de vérifier l’existence de sûretés éventuelles sur le bien immobilier.

Le notaire qui néglige de tenir compte dans la distribution du prix d’une inscription d’hypothèque en cours de validité prive le créancier concerné du bénéfice de la sûreté que cette inscription a précisément pour effet de conserver.

Pour apprécier l’existence de la faute du notaire, il convient de rechercher si, compte tenu de la date de la vente, la délivrance d’un état hypothécaire aurait pu matériellement révéler l’existence de l’inscription d’hypothèque litigieuse.

En l’espèce, par jugement du 31 janvier 2002 rendu par le tribunal de grande instance de Privas, M. [S] [W] a été condamné à payer à M. [T] la somme de 35753,18 euros avec intérêts depuis le 13 mars 2001, outre 457,35 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par arrêt confirmatif de la cour d’appel de Nîmes du 3 février 2004, M. [W] a également été condamné au paiement de la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, arrêt devenu définitif suite à sa signification le 2 mars 2004.

M. [T] justifie avoir obtenu l’inscription d’une hypothèque judiciaire le 25 juin 2013 à l’encontre de M. [W] effectuée pour un montant total de créance de 63 110,27 euros sur un bien immobilier indivis issu de la succession du père de M. [W], les biens grevés étant désignés comme portant sur 1/6 indivis en nue propriété sur la commune de [Localité 11] [Localité 14] dans un ensemble en copropriété cadastré :

– section AE n°[Cadastre 10] lieudit [Localité 14] pour 9 ares et 10 ca

– section AE n° [Cadastre 2] lieudit [Localité 14] pour 87 ares et 35 ca

– section AE n°[Cadastre 3] lieudit [Localité 14] pour 33 ares et 27 ca

– section AE n°[Cadastre 4] lieudit [Localité 14] pour 57 ares et 93 ca

– section AE n°[Cadastre 5] lieudit [Localité 14] pour 54 ares et 73 ca

-section AE n°[Cadastre 6] lieudit [Localité 14] pour 41 ares et 60 ca

correspondant au lot n°62 avec les 365/29342 èmes des parties communes.

La vente immobilière réalisée par acte authentique dressé par Maître [N] le 30 juin 2017 porte précisément sur le lot n°62 et vise les parcelles et leur contenance exacte telle que précisément visées ci-dessus.

Le notaire produit une demande de renseignements adressée au service de la publicité foncière datée du 8 juin 2017 portant sur l’intégralité des parcelles susvisées correspondant au lot de copropriété n°62.

L’analyse de l’état hypothécaire transmis le 20 juin 2017 suite à la requête déposée le 9 juin 2017 par Maître [N], référencée sous le numéro 2017H7707, qui contient 103 pages, ne comporte strictement aucune mention s’agissant des parcelles cadastrées section AE n° [Cadastre 10] et [Cadastre 2] à [Cadastre 6] correspondant au lot n° 62 de copropriété précisément objet de la vente.

M. [T] produit en outre la demande de renseignements du 20 juin 2017 correspondant au numéro 2017H7707 tel qu’enregistré par le service de la publicité foncière, pièce transmise par les soins du notaire antérieurement à la présente procédure, mentionnant dans la liste des immeubles pris en compte dans le service téléactes une astérisque à côté du lot de copropriété n°62 correspondant aux parcelles AE [Cadastre 10] et AE [Cadastre 1] à [Cadastre 6] indiquant ‘paramètre inconnu de Fidji ou incomplet’.

Au regard de ces éléments, le notaire est mal fondé à exciper d’un événement de force majeure pour s’exonérer de sa responsabilité alors qu’il aurait dû être alerté par le contenu de l’état hypothécaire ne comportant strictement aucune mention pour le lot n°62 de copropriété correspondant aux parcelles AE [Cadastre 10] et AE [Cadastre 1] à [Cadastre 6] précisément objet de la vente.

Contrairement à la décision du premier juge, il lui appartenait, en sa qualité de professionnel, de veiller à la complétude des informations transmises par le service de la publicité foncière et ne saurait invoquer un événement imprévisible, irrésistible et extérieur non caractérisé en l’espèce puisque l’état hypothécaire transmis ne comportait aucune indication concernant le lot n°62, ce qui n’aurait pas du échapper à la vigilance d’un notaire diligent.

Le manquement du notaire à son obligation professionnelle est ainsi caractérisé contrairement à la décision du premier juge qui sera infirmée.

Sur le préjudice allégué :

– sur le préjudice matériel

La responsabilité du notaire ne peut être engagée que si le préjudice allégué est en lien de causalité direct et certain avec la faute qui lui est imputée.

L’appelant sollicite principalement la condamnation du notaire au paiement de la somme de 86 276,56 euros correspondant au montant total de sa créance et subsidiairement, la somme de 16 000 euros correspondant à la partie du prix de vente encaissé par son débiteur lors de la vente litigieuse.

Il est établi que lors de la vente du bien immobilier le 30 juin 2017, le prix a été réparti par le notaire entre les vendeurs sans qu’il ne soit tenu compte de l’inscription d’hypothèque au profit de M. [T].

Il ressort du relevé de compte du notaire que la somme de 16 000 euros a été versée à M. [S] [W] en date du 4 juillet 2017.

Le manquement du notaire a privé le créancier du bénéfice de la sûreté de sorte que le préjudice matériel allégué est parfaitement établi mais seulement à hauteur de la somme de 16 000 euros que M. [W] n’aurait pu encaisser si le notaire avait tenu compte de l’inscription d’hypothèque, somme qui aurait ainsi du revenir à M. [T].

Maître [N] sera ainsi condamné à payer la somme de 16 000 euros de dommages-intérêts à M. [T] en réparation de son préjudice matériel par voie d’infirmation du jugement déféré.

– sur le préjudice moral :

Le manquement du notaire à ses obligations professionnelles a également entraîné un préjudice moral pour M. [T] qui avait pris le soin de procéder à une inscription d’hypothèque judiciaire de nature à préserver ses droits à l’encontre de son débiteur et dont il a été privé par la faute du notaire, la sûreté ayant perdu toute son efficacité.

M. [T] justifie ainsi d’un préjudice moral distinct du préjudice matériel constitué par les tracasseries occasionnées du fait de la faute du notaire qui sera intégralement réparé par l’allocation de la somme de 2.000 euros de dommages-intérêts que Maître [N] sera condamné à lui payer.

Sur les autres demandes :

Succombant à l’instance, Maître [N] sera condamné à en régler les entiers dépens, de première instance et d’appel, en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

L’équité commande par ailleurs de condamner Maître [N] à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par ce dernier au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La prétention du même chef présentée par Maître [N] sera rejetée en ce qu’il succombe.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme le jugement déféré dans l’intégralité de ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne Maître [O] [N] à payer la somme de 16 000 euros de dommages-intérêts à M. [J] [T] en réparation du préjudice matériel ;

Condamne Maître [O] [N] à payer la somme de 2 000 euros de dommages-intérêts à M. [J] [T] en réparation du préjudice moral ;

Condamne Maître [O] [N] à régler les entiers dépens, de première instance et d’appel;

Condamne Maître [O] [N] à payer à M. [J] [T] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

 


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