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délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 09 MARS 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/03411 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PO53
JONCTION RG n°22/3411 et n°22/3445 sous le RG n° 22/3411
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 24 MAI 2022
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE MONTPELLIER
N° RG 21/04605
APPELANTS :
Maître [W] [R]
[Adresse 14]
[Localité 1]
Représenté par Me Gilles BERTRAND de la SCP ROZE, SALLELES, PUECH, GERIGNY, DELL’OVA, BERTRAND, AUSSEDAT , SMALLWOOD, avocat au barreau de MONTPELLIER
qualité : Appelante dans 22/3411 – Intimée dans 22/03445
SELARL SPSL société d’exercice libéral à responsabilité limitée titulaire d’un Office Notarial immatriculée au RCS d’Antibes sous le n°500 350 897 prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège social
[Adresse 15]
[Adresse 15]
[Localité 2]
Représentée par Me Gilles BERTRAND de la SCP ROZE, SALLELES, PUECH, GERIGNY, DELL’OVA, BERTRAND, AUSSEDAT , SMALLWOOD, avocat au barreau de MONTPELLIER
qualité : Appelante dans 22/3411 – Intimée dans 22/03445
S.A.R.L. OBERTO prise en la personne de son gérant en exercice, Mr [U] [T], domicilié en sa qualité audit siège social
[Adresse 8]
[Localité 17]
Représentée par Me Cyrille AUCHE de la SCP VERBATEAM MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué sur l’audience par Me Célia DOLCIANI, avocat au barreau de Nice
qualité : Appelante dans 22/3445 – Intimée dans 22/03411
INTIMES :
Madame [N] [L]
née le 22 Juin 1985 à [Localité 16]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 17]
Représentée par Me Fleur GABORIT, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué sur l’audience par Me Laëtitia GABORIT, avocat au barreau de NICE
Monsieur [H] [S] [K]
né le 18 Septembre 1987 à [Localité 16]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 17]
Représenté par Me Fleur GABORIT, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué sur l’audience par Me Laëtitia GABORIT, avocat au barreau de NICE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 JANVIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Gilles SAINATI, président de chambre
M. Thierry CARLIER, conseiller
Mme Emmanuelle WATTRAINT, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Sabine MICHEL
ARRET :
– contradictoire,
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Sabine MICHEL, Greffière.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE :
Selon acte authentique du 13 janvier 2016 reçu par Me [Z], notaire à [Localité 2], M. [X] [M] a vendu à la SARL Oberto une propriété sise sur la commune de [Localité 17], [Adresse 10] et [Adresse 3], cadastrée section AV n°[Cadastre 12] d’une contenance de 9047 m2 à laquelle on accède directement depuis la voie publique, comprenant :
– une maison à usage d’habitation composée de quatre pièces élevées d’un simple rez-de-chaussée,
– deux bâtiments initialement à usage agricole, qualifiés de bâtiments à usage d’habitation,
moyennant le prix de 300 000 euros.
La SARL Oberto a procédé à une division de la parcelle AV n°[Cadastre 12] pour revendre chacun des lots séparément soit les parcelles AV n° [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 7].
En réitération d’un compromis de vente du 11 octobre 2017, par acte authentique du 15 novembre 2017 reçu par Me [W] [R] notaire au sein de l’Office notarial de [Localité 2] (Alpes-Maritimes), la SARL Oberto a vendu à M. [H] [K] et Mme [N] [L] une maison à usage d’habitation à l’ouest élevée d’un simple rez-de-chaussée d’environ 110 m2 de surface brute intérieure sur la parcelle section AV numéro [Cadastre 5] provenant de la division de la parcelle AV n°[Cadastre 12], moyennant le prix de 310 000 euros.
La maison a été vendue en l’état hors d’eau, hors d’air.
Selon acte authentique en date du 19 septembre 2019 reçu par Me [O] [E] avec la participation Me [W] [R], M. [H] [K] et Mme [N] [L] ont consenti une promesse unilatérale de vente du bien susvisé au bénéfice de M. et Mme [V] moyennant le prix de 395 000 euros.
Par courriel du 4 novembre 2019 Me [W] [R] informait M. [H] [K] et Mme [N] [L] de la rétractation de M. et Mme [V] suite au défaut du permis de construire concernant la maison objet de la promesse de vente.
Par lettres recommandées du 15 janvier 2021 avec accusés de réception le conseil de M. [H] [K] et Mme [N] [L] a notifié à Me [W] [R] et à Me [Z], notaire en charge lors de l’acquisition du bien par la SARL Oberto, une demande de dommages-intérêts à hauteur de 430 000 euros tenant le fait que le bien acquis par ces derniers sous leur égide est dépourvu de permis de construire, contrairement à ce qui était mentionné dans l’acte de vente, et a proposé un règlement amiable.
Par lettre recommandée du 15 janvier 2021 avec accusé de réception, le conseil de M. [H] [K] et Mme [N] [L] a reproché à la SARL Oberto l’absence de permis de construire sur le bien vendu et des man’uvres dolosives à leur encontre, sollicitant des dommages-intérêts à hauteur de 430 000 euros, sans opposition à un règlement amiable.
Par actes des 31 mai 2021 et 1er juin 2021, M. [H] [K] et Mme [N] [L] ont assigné à jour fixe devant le tribunal judiciaire de Nice la SARL Oberto, la SELARL SPSL et Me [W] [R].
Par jugement du 12 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Nice s’est déssaisi selon la procédure à jour fixe au profit du tribunal judiciaire de Montpellier sur le fondement de l’article 47 du code de procédure civile, tenant la qualité d’avocat de Mme [N] [L].
Par jugement contradictoire du 24 mai 2022, le tribunal judiciaire de Montpellier a :
– Constaté que la demande de communication de pièces formée par Me [W] [R] et la SELARL SPSL est sans objet ;
– Condamné in solidum la SARL Oberto, Me [W] [R] et la SELARL SPSL à payer à M. [H] [K] et Mme [N] [L] :
– la somme de 200 000 euros de dommages et intérêts au titre de la perte de chance,
– la somme de 59 760 euros de dommages et intérêts au titre des travaux de construction,
– la somme de 20 000 euros au titre des frais notariés ;
– Débouté M. [H] [K] et et Mme [N] [L] du surplus de leurs demandes ;
– Condamné in solidum la SARL Oberto, Me [W] [R] et la SELARL SPSL à payer à M. [H] [K] et Mme [N] [L] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné in solidum la SARL Oberto, Me [W] [R] et la SELARL SPSL aux entiers dépens ;
– Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire.
Le 24 juin 2022, Me [W] [R] et la SELARL SPSL ont interjeté appel de ce jugement à l’encontre de la SARL Oberto, de M. [H] [K] et de Mme [N] [L].
Le 28 juin 2022, la SARL Oberto a interjeté appel de ce même jugement à l’encontre de M. [H] [K], Mme [N] [L], Me [W] [R] et la SELARL SPSL.
Par ordonnance du 12 juillet 2022, M. [H] [K] et Mme [N] [L] intimés ont été autorisés à assigner à jour fixe Me [W] [R], la SELARL SPSL et la SARL Oberto devant la cour pour l’audience du 10 janvier 2023.
Par acte d’huissier des 13 et 15 juillet 2022, la SARL Oberto a assigné en référé, devant le premier président de la cour d’appel de Montpellier, M. [K] et Mme [L], Me [R] et la SELARL SPSL aux fins de suspendre l’exécution provisoire du jugement rendu le 24 mai 2022.
Par ordonnance du 7 septembre 2022, la SARL Oberto a été déboutée de ses demandes, de même que Me [R] et la SELARL SPSL qui souhaitaient être autorisées à consigner les sommes objets du jugement entre les mains de la CARPA de [Localité 17] à titre de garantie.
Vu les conclusions d’appelantes de Me [W] [R] et la SELARL SPSL remises en greffe le 22 juillet 2022 ;
Vu leurs conclusions d’intimées remises au greffe le 9 août 2022 ;
Vu les conclusions de M. [H] [K] et Mme [N] [L] remises en greffe le 23 décembre 2022 ;
Vu les conclusions de la SARL Oberto remises en greffe le 19 décembre 2022 ;
MOTIFS :
Sur la jonction des instances,
Selon l’article 367 du code de procédure civile, « le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble ».
En l’espèce, les instances n°22-03411 et n°22-03445 concernent l’appel d’un même jugement et opposent les mêmes parties.
Au vu du lien de connexité existant, et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il convient de prononcer la jonction des instances n°22-03411 et n°22-03445 sous le numéro RG 22-03411.
Sur la nullité de la vente pour dol,
La SARL Oberto conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il a retenu qu’elle avait usé de man’uvres dolosives à l’égard de M. [K] et Mme [L] en leur dissimulant que le bien vendu ne faisait pas l’objet d’un permis de construire et qu’il avait été construit irrégulièrement.
Elle fait valoir que les acheteurs ne se sont jamais fondés sur le permis de construire de 1977, qui porte en effet sur l’ensemble de la propriété et non précisément sur la maison d’habitation vendue à Mme [L] et M. [K] ; qu’en revanche, la déclaration préalable du 28 juin 2016, laquelle constitue indiscutablement une autorisation d’urbanisme, porte régularisation de la construction existante dans toutes ses caractéristiques et notamment dans sa destination à usage d’habitation.
M. [H] [K] et Mme [N] [L] exposent que le silence gardé sur la réelle situation administrative du bien vendu est constitutive d’un dol et concluent à la confirmation du jugement sur ce point ; ils exposent notamment que le fait de rassurer faussement les acquéreurs sur la validité du permis de construire, lequel constituait un élément déterminant de leur acquisition, par le rappel fait dans l’acte de l’obtention d’un permis de construire, est constitutif de man’uvres dolosives de la part de la SARL Oberto.
Selon l’article 1137 du code civil : « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des man’uvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ».
En l’espèce, par acte du 13 janvier 2016 la SARL Oberto a fait l’acquisition de la parcelle AV [Cadastre 12], composée de trois bâtisses, puis a procédé à une division pour revendre chacun des lots séparément soit les parcelles AV [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 7].
Il ressort de l’acte de vente du 15 novembre 2017, par lequel la SARL Oberto a vendu la parcelle AV [Cadastre 5] à M. [K] et Mme [L], que : « la construction de l’immeuble présentement vendu (‘) a été achevée depuis plus de dix ans et a fait l’objet (‘) d’un permis de construire numéro 06088 76 S 04063 ».
Il n’est plus contesté que ce permis de construire délivré le 7 février 1977 ne portait pas sur la bâtisse acquise par M. [K] et Mme [L] mais qu’il portait en réalité sur une maison d’habitation voisine située sur la parcelle AV [Cadastre 4], et que le bien vendu aux consorts [K]-[L], qui n’était pas à l’origine une maison d’habitation mais un bâtiment agricole, a été qualifié sous l’acquisition de la SARL Oberto de bien d’habitation.
La SARL Oberto conteste le caractère irrégulier de la construction vendue aux consorts [K]-[L], faisant valoir que la déclaration préalable de travaux du 28 juin 2016 constitue une autorisation d’urbanisme équivalente à un permis de construire.
Ce moyen est inopérant, dans la mesure où cette déclaration de travaux, qui concerne la rénovation de la toiture et de la pergola, ne vient aucunement régulariser la construction en ce qu’elle ne permet pas de lui conférer un caractère habitable ; les consorts [K]-[L] ont d’ailleurs déposé le 5 mars 2021 une demande d’autorisation de changement de destination de leur bien en un bien d’habitation auprès de la Mairie de [Localité 17], qui leur a été refusée selon arrêté du 10 mai 2021 car :
– le bien se situe en zone rouge du plan de prévention des risques naturels de mouvements de terrain « qui interdit les projets de nature à augmenter le nombre de personnes exposées aux risques en zone rouge, ce qui est le cas du projet de changement de destination d’un bâtiment agricole existant en habitation »,
– le bien se situe en zone bleue du plan de prévention des risques incendie de forêts et « la défense extérieure contre l’incendie n’est pas assurée par un point d’eau normalisé situé à moins de 150 mètres ; dès lors le projet ne respecte pas le PPRIF et est de nature à porter atteinte à la sécurité publique »,
– le terrain ne peut être considéré comme desservi en voirie,
– le terrain n’est pas desservi par le réseau public d’électricité,
– le terrain n’est pas riverain du réseau public d’eau potable.
Il en ressort que la SARL Oberto, société commerciale spécialisée dans la vente immobilière, a vendu à M. [K] et Mme [L], acheteurs profanes, une parcelle bâtie avec l’indication trompeuse de l’existence d’un permis de construire et a sciemment provoqué leur erreur sur la situation administrative du bien sans laquelle ils auraient renoncé à l’acquérir ou l’auraient acquis à un prix moindre, en faisant état d’un permis de construire qui ne correspondait pas à la parcelle vendue aux consorts [K]-[L].
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu le dol commis par la SARL Oberto.
Du fait de la nullité du contrat de vente, celui ci est censé ne jamais avoir existé et les parties doivent être remises en l’état où elles se trouvaient avant la vente, chacune des parties devant restituer à l’autre ce qu’elle a reçu en vertu de la vente.
La SARL Oberto sera condamnée à restituer à M. [K] et Mme [L] la somme de 310 000 euros et ces derniers devront en retour lui restituer l’immeuble dans le même état que lors de la vente du 15 novembre 2017 présentement annulée.
Il sera prononcé une astreinte de 5 000 euros par jour à compter du prononcé de l’arrêt.
Sur la responsabilité du notaire,
Sur la mise hors de cause de Me [R],
Me [R] conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de mise hors de cause, faisant valoir qu’elle était notaire salariée de la SELARL SPSL à la date à laquelle elle a reçu l’acte litigeux et qu’il est acquis que le notaire salarié qui a agi sans excéder la limite de la mission qui lui était impartie par son commettant ne peut engager sa responsabilité personnelle à l’égard des tiers.
Cependant, aucune disposition ne dispense le notaire salarié, qui a la qualité d’officier public et reçoit seul tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent conférer l’authenticité, du respect des dispositions législatives et règlementaires relatives à l’exercice des fonctions de notaire en vertu du décret du 15 janvier 1993 modifié par le décret du 6 mai 2017.
Ainsi, aucune disposition ne dispense le notaire salarié de son devoir de conseil, d’information et d’efficacité de l’acte, et sa responsabilité personnelle peut être engagée solidairement avec celle de l’étude notariale.
Le jugement ayant rejeté la demande de mise hors de cause de Me [R] sera donc confirmé sur ce point.
Sur les manquements du notaire,
Il est constant que les obligations du notaire qui tendent à assurer l’efficacité d’un acte instrumenté par lui et qui constituent le prolongement de sa mission de rédacteur d’acte relèvent de sa responsabilité délictuelle, dont son obligation de conseil érigée en devoir légal implicite.
Le devoir de conseil incombant au notaire consiste pour ce dernier à éclairer les parties et appeler leur attention sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours.
En l’espèce, Me [W] [R] et la SELARL SPSL concluent à la réformation du jugement en ce qu’il a retenu un manquement au devoir de conseil du notaire pour ne pas avoir vérifié les droits de la SARL Oberto quant à l’origine et la consistance du bien cédé, et qu’il aurait notamment dû s’enquérir du permis de construire et non se contenter d’acter son existence sur simple déclaration du vendeur et sans aucune vérification de son étendue.
A cet égard, le notaire expose qu’il ne pouvait en effet y avoir de permis de construire attaché à la parcelle AV n°[Cadastre 5] puisque celle-ci n’existait pas à la date de délivrance de ce permis, ayant été créée par division de la parcelle mère (AV n°[Cadastre 12]) ; il fait valoir que les acheteurs ont déclaré dans l’acte de vente du 15 novembre 2017 vouloir faire leur affaire personnelle des conséquences d’absence de certificat de conformité et d’éventuelles constructions réalisées sans autorisation, et que le premier juge aurait dû prendre en compte cette disposition contractuelle.
Ce faisant, le notaire reconnaît avoir soumis aux consorts [K]-[L] un acte de vente indiquant expressément que le bien vendu faisait l’objet d’un permis de construire alors qu’il en était manifestement dépourvu ; si les acheteurs ont donné leur accord pour faire leur affaire « d’éventuelles constructions réalisées sans autorisation », encore aurait-il fallu que ces informations soient portées à leur connaissance.
Par ailleurs, le notaire aurait dû attirer l’attention de ses clients sur les conséquences de l’acquisition d’un bien immobilier en zone rouge, qui empêche toute régularisation de la construction existante au vu de l’arrêté de la mairie de [Localité 17].
Me [R] et la SELARL SPSL ont ainsi manqué à leur devoir d’information, de conseil et d’efficacité de leur acte et leur responsabilité est parfaitement caractérisée ; ils sont donc responsables solidairement du préjudice subi par les consorts [K]-[L].
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Sur les demandes de dommages et intérêts,
Sur la demande au titre de la perte de chance,
M. [K] et Mme [L] concluent à la réformation du jugement qui a limité à 200 000 euros les dommages et intérêts versés par la SARL Oberto, Me [R] et la SELARL SPSL au titre de la perte de chance de ne pas acquérir la maison.
Ils invoquent un préjudice né de la réduction du prix de vente, puisqu’il ressort des règles d’urbanisme et de l’arrêté du 6 mai 2021 qu’il est impossible de régulariser la situation de leur bien immobilier édifié sans permis de construire dans une zone faisant l’objet de plans de prévention de risques naturels ; ils font valoir qu’ils ne pourront pas revendre le bien au prix du marché, et sont en droit de percevoir des dommages et intérêts afin de rétablir l’équilibre du contrat.
Ils sollicitent à ce titre la condamnation solidaire de la SARL Oberto, Me [R] et la SELARL SPSL à leur payer la somme de 280 000 euros en raison du préjudice consistant en la perte de chance d’avoir pu négocier le bien à un prix moindre, ce montant correspondant à la différence entre la valeur estimée du bien sans permis (30 000 euros) et le prix payé en 2017 dans le cadre de la vente (310 000 euros).
Cependant, la résolution de la vente pour dol emportant restitution intégrale du prix aux acheteurs, seule peut intervenir une indemnisation de la perte de chance pour les consorts [K]-[L] d’avoir fait l’acquisition d’une maison d’habitation remplissant les caractéristiques mentionnées à l’acte de vente ; en raison de la réticence dolosive d’informations, ils se sont lancés dans un projet immobilier sans avenir, car les agissements du vendeur et du notaire les ont privés de la possibilité d’acquérir un tel bien et de le revendre.
Selon la jurisprudence de la Cour de la cassation, l’absence d’information précontractuelle, reconnue comme fautive, donne lieu à indemnisation au titre de la perte de chance, dès lors que celui à qui cette information était due ne se serait probablement pas engagé ou alors à des conditions plus favorables s’il avait été correctement informé.
Le rapport d’expertise du 27 mai 2021 établi par M. [A] [J], expert commis par M. [K] et Mme [L], évalue le terrain nu du fait de son emplacement en zone naturelle inconstructible à 53 000 euros. Selon lui, la valeur de la construction est estimée à 84 000 euros pour une construction en règle avec les autorisations administratives de rigueur.
Le rapport d’expertise du cabinet LE MAO GS évalue à 483 655,10 euros la valeur d’une maison identique à celle achetée par les consorts [K]-[L] avec un permis de construire (méthode sol et construction).
Selon la méthode par capitalisation, la valeur locative de ce type de bien serait de 485 161,29 euros, et de 517 000 euros selon la méthode par comparaison.
Il se déduit que les consorts [K]-[L] auraient pu revendre ce bien immobilier au prix du marché qui est de 500 000 euros ; la perte de chance s’évaluant à la différence entre ce prix et celui auquel ils ont acheté le bien (310 000 euros), il y a lieu de réformer le jugement entrepris et de fixer à 190 000 euros les dommages et intérêts dus à M. [K] et Mme [L] au titre de la perte de chance de ne pas acquérir la maison.
Sur la demande afférente aux frais notariés,
Il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné solidairement la SARL Oberto, Me [R] et la SELARL SPSL à verser aux consorts [K]-[L] la somme de 20 000 euros au titre des frais notariés qu’ils ont exposés.
Sur les frais engagés au titre du crédit immobilier,
M. [K] et Mme [L] sollicitent l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté leur demande tenant au remboursement des frais au titre des intérêts d’emprunt et d’assurance payés dans le cadre d’un prêt immobilier.
Ils versent aux débats une offre de crédit immobilier dont le coût s’élève à 123 110,99 euros comprenant les intérêts, frais de dossier, cotisations et frais de garantie.
Cependant, il apparaît dans l’acte authentique du 15 novembre 2017 que les consorts [K]-[L] ont acheté le bien « comptant », donc sans recourir à un crédit.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement et de rejeter cette demande.
Sur la demande afférente aux travaux de construction,
Au vu des éléments versés aux débats, il convient de confirmer le jugement qui a fait droit à la demande de dommages et intérêts à hauteur de 59 760 euros au titre des travaux de construction réalisés sur le bien.
Par ailleurs, les consorts [K]-[L] sollicitent l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté leur demande de dommages et intérêts à hauteur de 15 500 euros pour des travaux réalisés personnellement par M. [K] (pose de portes et encadrements, création d’une mezzanine, enduits, lissage, ponçage et mise en peinture, pose de faïence de la salle de bains, conception et aménagement d’un dressing) ; toutefois, en l’absence de pièces attestant de la réalisation et du coût de ces travaux, il ne peut être fait droit à cette demande.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Sur la demande afférente au préjudice de jouissance,
M. [K] et Mme [L] sollicitent l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté leur demande de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance, faisant valoir l’échec de la vente et l’impossibilité d’habiter le bien, et l’obligation pour eux de se reloger et de payer un loyer.
1) Sur le préjudice de jouissance
Il est acquis que les agissements dolosifs de la SARL Oberto et les manquements du notaire ont conduit M. [K] et Mme [L] à acquérir une maison dont ils n’ont pas été en mesure de jouir paisiblement.
Toutefois, en application de l’article 1234 ancien du code civil et en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, le contrat de vente est censé ne jamais avoir existé ; il en résulte que les acquéreurs ne sont pas fondés à obtenir une indemnité en réparation d’un trouble affectant un droit de jouissance qui n’a rétroactivement jamais existé.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande formée par les consorts [K]-[L] en réparation de ce chef de préjudice.
2) Sur les loyers
Du fait des agissements fautifs de la SARL Oberto et du notaire, les consorts [K]-[L] n’ont jamais pu occuper ni louer le bien dont ils avaient fait l’acquisition et ont été contraints d’exposer des frais afin de se reloger.
Il ressort des éléments versés aux débats que Mme [L] loue depuis le 1er août 2019 un appartement sis à [Adresse 11] à [Localité 17], moyennant un loyer de 850 euros par mois (charges comprises) et qu’elle en était toujours locataire au 29 décembre 2021 ce qui représente un loyer total de 24 650 euros.
M. [K] produit quant à lui des relevés de compte bancaire dont il ressort qu’il a payé pour un logement situé [Adresse 13] à [Localité 17] la somme totale de 9 958,90 euros, sur une période allant du 1er août 2019 au 1er décembre 2021.
Il convient d’infirmer le jugement et de faire droit à la demande de M. [K] et Mme [L] au titre des loyers qu’ils ont été contraints de payer, à hauteur de la somme de 34 608,90 euros.
Sur la demande afférente au préjudice moral,
M. [K] et Mme [L] sollicitent l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté leur demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral, faisant valoir que les man’uvres dolosives de la SARL Oberto et les manquements du notaire ont causé l’échec du projet de construction, la nécessité pour eux de devoir rembourser un crédit immobilier pour un bâtiment agricole avec la crainte de devoir le régler par anticipation (sur réclamation de la banque puisque les sommes objets du prêt ne correspondent plus au bien financé, et sur lequel une garantie hypothécaire a été prise) et le risque de poursuites judiciaires en ce qu’aucune prescription n’est acquise ; ils exposent que ces circonstances ont un retentissement certain sur leur vie personnelle et familiale, justifiant des dommages et intérêts à hauteur de 50 000 euros.
Les fautes de la SARL Oberto et du notaire ont occasionné un préjudice moral à M. [K] et Mme [L], qui ont dû engager une procédure judiciaire et subir les tracasseries inhérentes, ce qui justifie que leur soit allouée une somme de 10 000 euros.
Le jugement sera donc réformé sur ce point.
Sur les demandes accessoires,
En cause d’appel, il sera fait droit en son principe à la demande de M. [K] et Mme [L] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile selon les modalités prévues au dispositif de la présente décision, les demandes des autres parties étant rejetées.
Par ailleurs, les dépens d’appel seront mis à la charge solidairement de la SARL Oberto, Me [R] et la SELARL SPSL.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Prononce la jonction des instances n°22-03411 et n°22-03445 sous le numéro RG 22-03411 ;
Confirme le jugement en ce qu’il a retenu le dol commis par la SARL Oberto ;
Confirme le jugement en ce qu’il a condamné in solidum la SARL Oberto, Me [W] [R] et la SELARL SPSL à payer à M. [H] [K] et Mme [N] [L] :
– la somme de 59 760 euros de dommages et intérêts au titre des travaux de construction,
– la somme de 20 000 euros au titre des frais notariés,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,
Prononce la nullité du contrat de vente reçu par Me [R] le 15 novembre 2017 entre la SARL Oberto et M. [K] et Mme [L] portant sur la vente de la maison à usage d’habitation située sur la parcelle section AV [Cadastre 5] provenant de la division de la parcelle AV [Cadastre 12], pour un prix de 310 000 euros, pour dol ;
Dit qu’à compter du prononcé du présent arrêt, M. [K] et Mme [L] seront tenus de restituer l’immeuble objet de la vente annulée à la SARL Oberto et la SARL Oberto sera tenue de leur restituer le prix de 310 000 euros ;
Dit qu’à défaut de la restitution de cette somme, la SARL Oberto sera condamnée à payer une astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;
Dit que cette astreinte courra sur un délai de trois mois à compter de sa mise en ‘uvre ;
Dit que le juge de l’exécution reste compétent pour liquider cette astreinte et/ou en prononcer une nouvelle ;
Condamne in solidum la SARL Oberto, Me [W] [R] et la SELARL SPSL à payer à M. [H] [K] et Mme [N] [L] les sommes de :
– 190 000 euros au titre de la perte de chance,
– 34 608,90 euros au titre des loyers versés,
– 10 000 euros au titre du préjudice moral subi,
Condamne in solidum la SARL Oberto, Me [W] [R] et la SELARL SPSL à régler à M. [H] [K] et Mme [N] [L] la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour leurs frais engagés en première instance et en cause d’appel ;
Condamne in solidum la SARL Oberto, Me [W] [R] et la SELARL SPSL aux entiers dépens de première instance et d’appel ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif ;
Ordonne la publication du présent arrêt au service chargé de la publicité foncière de la situation de l’immeuble à la diligence de M. [H] [K] et Mme [N] [L] ;
Le greffier, Le président,