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COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 26 Avril 2023
N° RG 21/02525 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FXBG
VD
Arrêt rendu le vingt six Avril deux mille vingt trois
Sur APPEL d’une décision rendue le 02 novembre 2021 par le Tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND (RG n° 19/02250 ch1 cab1)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Madame Virginie DUFAYET, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
M. [N] [W]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Me Christophe GASNIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Mme [O] [I] épouse [W]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Me Christophe GASNIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTS
ET :
Me [Z] [M]
Office notarial d'[Localité 3]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMÉ
copie MP
DEBATS : A l’audience publique du 15 Février 2023 Madame DUFAYET a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 26 Avril 2023.
ARRET :
Prononcé publiquement le 26 Avril 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu la communication du dossier au ministère public le 15 novembre 2022 et ses conclusions écrites du 22 novembre 2022 reçues au greffe de la trosième chambre civile et commerciale le 24 novembre 2022, dûment communiquées par la communication électronique le 28 novembre 2022, aux parties qui ont eu la possibilité d’y répondre utilement ;
Exposé du litige
M. [N] [W] et Mme [O] [I] épouse [W] ont cédé leur fonds de commerce à M. [F] [K] par acte authentique du 24 avril 2015 établi par maître [Z] [M], notaire.
M. [K] n’ayant pas respecté ses obligations quant au paiement du prix, ils l’ont fait assigner devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand par acte en date du 19 octobre 2017.
Le 23 novembre 2017, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au bénéfice de M. [K], convertie en liquidation judiciaire le 11 janvier 2018.
Par exploit d’huissier en date du 3 juin 2019, les époux [W] ont fait assigner la SELARL de notaires Enjolras-Perrier-Monney venant aux droits de maître [M], devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, devenu tribunal judiciaire, afin d’engager sa responsabilité.
Par exploit du 15 octobre 2019, M. [M] a également été assigné aux mêmes fins et les procédures ont été jointes.
Par jugement du 2 novembre 2021, le tribunal a :
– débouté M. [N] [W] et Mme [O] [I] épouse [W] de l’intégralité de leurs demandes ;
– débouté M. [Z] [M] et la SELARL Enjolras-Perrier-Monney de leur demande de dommages et intérêts ;
– condamné in solidum M. [N] [W] et Mme [O] [I] épouse [W] à payer à M. [Z] [M] et à la SELARL Enjolras-Perrier-Monney la somme totale de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné in solidum M. [N] [W] et Mme [O] [I] épouse [W] aux dépens et dit que ces derniers pourront être recouvrés par la SCP Collet- de Rocquigny- Chantelot-Brodiez-Gourdou & Associés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le tribunal a retenu :
– que le défaut d’information, ou de conseil, d’un notaire relevait de la responsabilité délictuelle ;
– qu’en l’espèce, le défaut de conseil ou de vigilance du notaire n’était pas démontré au moment de la signature de l’acte relativement à l’insolvabilité de l’acheteur, l’absence de garantie et d’apport, le tribunal rappelant que :
– en vertu de l’acte les parties ont déclaré que la cession avait été négociée directement entre elles sans recours à un intermédiaire ;
– les modalités de paiement convenues entre les parties témoignent de ce que les vendeurs avaient connaissance de la situation financière de l’acheteur à savoir absence d’apport et impossibilité de souscrire un prêt ;
– deux garanties du prix de vente ont été prises dans l’acte, adaptées à la situation des parties.
– que les demandeurs ne pouvaient pas faire reproche au notaire de ne pas les avoir avertis de la situation d’insolvabilité de M. [K] dès le mois de juin 2016, ces derniers en étant parfaitement informés puisque destinataires des sommes versées par M. [K] dès que le notaire les recevait.
Suivant déclaration électronique en date du 15 novembre 2021, les époux [W] ont interjeté appel de cette décision en intimant uniquement M. [M].
Dans leurs conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 26 janvier 2022, les appelants demandent à la cour, au visa des articles 1984 et suivants et 1301 et suivants du code civil, de :
– réformer le jugement ;
– statuant à nouveau :
– condamner M. [M] à leur payer la somme de 77 755 euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamner M. [M] à leur payer chacun une somme de 20 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
– condamner M. [M] à leur payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Suivant conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 21 février 2022, M. [M] demande à la cour, au visa de l’article 1217 du code civil, de :
– déclarer les époux [W] mal fondés en leur appel et les en débouter ;
– condamner in solidum les époux [W] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d’appel.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé complet de leurs prétentions et moyens.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 19 janvier 2023.
Motivation de la décision
Aux termes du dispositif de leurs conclusions, les appelants fondent leurs demandes sur les articles 1984 et suivants et 1301 et suivants du code civil.
Ils entendent ainsi engager la responsabilité du notaire au titre du mandat, mais aussi titre de la gestion d’affaire.
En outre, dans le corps de leurs conclusions, ils développent une argumentation basée sur le devoir de conseil du notaire envers ses clients, exposant qu’il dépasse le simple devoir d’information et est le même, quelles que soient les compétences de ses clients et son degré d’intervention à l’acte.
Ils soutiennent que le tribunal a d’ailleurs inversé la charge de la preuve car il appartient au notaire de démontrer qu’il a satisfait à son devoir de conseil.
Concrètement, ils reprochent au notaire, qui était leur notaire de famille, d’avoir négligé leurs intérêts financiers alors qu’il avait parfaitement conscience des risques d’insolvabilité de M. [K]. Pour autant, il n’a pas veillé à l’existence d’une part d’un apport significatif, d’autre part de garanties de paiement. Il a donc fait le choix de régulariser un acte de vente en ayant conscience des risques très élevés d’insolvabilité de l’acheteur. Selon eux, le notaire ne pouvait pas sérieusement penser que l’acheteur serait en capacité de décaisser la somme de 97 000 euros en un seul versement et sans aucune garantie.
Ils ajoutent que le risque d’insolvabilité s’est manifesté dès le mois de juin 2016, date à laquelle les règlements sont devenus irréguliers, puis se sont interrompus. Le notaire aurait dû les alerter dès cette date et mettre en demeure M. [K].
De son côté, M. [M] rappelle que l’efficacité juridique de l’acte n’est pas remise en question et que sa responsabilité délictuelle en tant qu’officier public ne peut être utilement mise en cause. Il fait valoir que les négociations qui ont permis de déterminer les conditions de la cession ont été menées hors sa présence, ce qui est rappelé en page 2 de l’acte authentique. Il est évident que M. [K] ne pouvait pas obtenir de caution bancaire pour financer son acquisition. Si tel avait été le cas, les vendeurs n’auraient pas été conduits à mettre en place un crédit vendeur sur une durée supérieure à 2 ans. M. [K] ne pouvant pas obtenir de prêt bancaire, aucune banque n’aurait accepté de se constituer caution de ses engagements et encore moins de délivrer une garantie à première demande au profit des vendeurs. L’acte authentique traduit bien, selon lui, cette situation acceptée par chacune des parties. L’acte énumère les deux garanties qui étaient envisageables : un privilège du vendeur avec l’action résolutoire en cas de défaut de paiement du prix et un nantissement sur le fonds artisanal. Aucun défaut de conseil ne peut donc lui être reproché.
En outre, l’étude reversant systématiquement les sommes payées par M. [K] aux époux [W], ils ont eu eux-mêmes la possibilité de vérifier si celui-ci remplissait ou non ses engagements quant au paiement du prix.
Ainsi que l’ont parfaitement rappelé les premiers juges, la responsabilité du notaire peut être recherchée sur plusieurs fondements :
– celui de la responsabilité contractuelle, lorsque le notaire va au-delà de sa mission d’authentification et assume, pour le compte de ses clients, le rôle d’un mandataire ou d’un gérant d’affaires ;
– celui de la responsabilité délictuelle, en sa qualité de rédacteur d’acte et d’authentificateur d’acte.
Par ailleurs, la jurisprudence impose au notaire un devoir de conseil, lequel lui incombe tant lors d’un simple rendez-vous de consultation avec son client, qu’à l’occasion de la rédaction d’un acte. Ce devoir se rattache à sa fonction d’officier public et découle des devoirs professionnels légaux du notaire. La méconnaissance de ce devoir relève également de la responsabilité délictuelle.
En l’espèce, c’est un manquement au devoir de conseil qui est reproché au notaire par les appelants. Ces derniers ne faisant nulle démonstration de ce que M. [M] aurait agi dans le cadre du mandat ou de la gestion d’affaire, ce que d’ailleurs la teneur de l’acte ne révèle pas davantage, l’action engagée est nécessairement de nature délictuelle.
Les dispositions de l’article 1382 du code civil, en vigueur à la date de la rédaction de l’acte et devenu article 1240, prévoient que ‘tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faut duquel il est arrivé à le dépasser’.
Il appartient à celui qui entend engager la responsabilité délictuelle de démontrer l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien entre les deux.
Contrairement à ce qu’affirment les appelants, le tribunal n’a pas renversé la charge de la preuve et ils leur appartient de démontrer que le notaire a manqué à son devoir de conseil et non à ce dernier de prouver qu’il a bien rempli son obligation.
En page 2 de l’acte de cession du 24 avril 2015 se trouve un paragraphe intitulé ‘absence de commission d’intermédiaire’ qui prévoit que ‘les parties déclarent que la présente cession a été négociée directement entre elles sans recours à aucun intermédiaire’.
Bien que le notaire ne soit pas dispensé pas de son obligation de conseil lorsqu’il intervient comme simple rédacteur d’un acte et alors qu’il n’a pas participé à sa négociation, cette mention permet de déterminer les conditions dans lesquelles l’acte a été passé et d’apprécier quel était le degré d’implication des parties à l’acte. Cette mention permet également d’établir une gradation dans l’obligation de conseil du notaire qui, si elle subsiste dans tous les cas, sera moindre dès lors qu’il n’est que rédacteur.
En l’espèce, cela traduit l’existence de pourparlers directs entre les cédants et cessionnaire sur les conditions de la cession et donc son prix.
Aux termes de cet acte, les époux [W] ont consenti la vente au prix de 150 000 euros et accepté les modalités de paiement suivantes :
– 24 mensualités constantes de 2 200 euros
– une 25ème mensualité de 97 200 euros.
La première échéance devait intervenir le 1er mai 2015 et la dernière le 1er mai 2017.
L’acceptation, par les cédants, de ces modalités de paiement plutôt inhabituelles atteste que, de toute évidence, le cessionnaire ne pouvait solliciter un prêt bancaire, ni faire un apport et que les cédants le savaient nécessairement.
Ne pouvant solliciter un prêt, il ne pouvait pas davantage bénéficier de garanties autres que celles que les vendeurs pouvaient eux-mêmes lui consentir et figurant effectivement à l’acte, à savoir :
– un privilège du vendeur avec action résolutoire
– un privilège de nantissement au profit du vendeur.
Ces garanties viennent renforcer la certitude dans laquelle se trouvaient nécessairement les vendeurs quant à la situation financière du cessionnaire.
Aussi, au moment de la signature de l’acte, les cédants avaient connaissance de la situation financière précaire de leur acheteur et échouent ainsi à démontrer que le notaire a commis une faute en ne les alertant pas sur ce risque et en ne prévoyant pas des modalités de paiement et de garantie sécurisantes, ces informations étant en leur possession.
S’agissant des manquements postérieurs allégués, à savoir un défaut d’information quant aux difficultés de paiement de M. [K] et l’absence de mise en demeure à partir de juin 2016, date du premier retard de paiement, il résulte des écritures concordantes des parties sur ce point que M. [K] a régulièrement payé ses mensualités jusqu’en mai 2016, soit pendant un an. Par la suite, il a payé de façon irrégulière : juillet, août, octobre, novembre 2016, janvier et mars 2017.
La ‘fiche de compte en euro’ versée au débat atteste de ce que l’étude notariale reversait immédiatement sur le compte des époux [W] les mensualités payées par M. [K], de sorte qu’en cas de défaut de paiement, ils en étaient nécessairement immédiatement informés par l’absence de versement.
A cet égard, l’acte de cession prévoyait ceci :
‘ Le solde du prix deviendra immédiatement et de plein droit exigible, si bon semble au vendeur, sans qu’il soit besoin de remplir aucune formalité judiciaire : à défaut de paiement à l’échéance du principal ou des intérêts, et un mois après un simple commandement de payer resté infructueux énonçant l’intention du créancier d’user du bénéfice de la présente clause, tout ce qui restera dû au titre des présentes sera immédiatement et de plein droit exigible, si bon lui semble, sans qu’il soit besoin de remplir aucune formalité judiciaire et nonobstant toutes offres de paiement et consignations ultérieures.’
Il en résulte qu’il appartenait aux cédants de délivrer commandement de payer, aucune obligation n’étant mise à la charge du notaire au stade du paiement du prix et les cédants ayant parfaitement connaissance des paiements irréguliers puis des impayés depuis le mois de juin 2016.
Ainsi, les appelants échouent à démontrer l’existence d’une faute de la part de M. [M] dans le cadre de son obligation de conseil et le jugement sera confirmé sur ce point.
Pour autant, il n’est pas démontré par l’intimé que les appelant ont abusé du droit d’agir en justice et d’exercer une voie de recours, raison pour laquelle le jugement sera également confirmé en ce qu’il l’a débouté de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts.
Les appelants seront tenus aux dépens de la procédure d’appel et condamnés in solidum à payer à M. [M] une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Confirme, dans les limites de sa saisine, le jugement entrepris ;
Condamne in solidum M. [N] [W] et Mme [O] [I] épouse [W] à payer à M. [Z] [M] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne in solidum M. [N] [W] et Mme [O] [I] épouse [W] aux dépens d’appel.
Le greffier, La présidente,