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ARRET N°
du 16 janvier 2024
N° RG 22/02110
N° Portalis DBVQ-V-B7G-FIMV
1) Me [L] [K]
2) S.C.P [L] [K]
& [B] [I] NOTAIRES
c/
S.A FORTIS LEASE IBERIA
Formule exécutoire le :
à :
la SELARL RAFFIN ASSOCIES
Me Pascal GUILLAUME
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 16 JANVIER 2024
APPELANTS :
d’un jugement rendu le 29 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de REIMS.
1) Maître [L] [K]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par la SELARL RAFFIN ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, postulant et par la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, plaidant,
2) la S.C.P [L] [K] & [B] [I], prise en la personne de ses liquidateurs amiables [L] [K] et [B] [I],
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentée par la SELARL RAFFIN ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, postulant, et par la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, plaidant,
INTIMEE :
la S.A FORTIS LEASE IBERIA
[Adresse 5]
[Localité 2]/ESPAGNE
Représentée par Me Pascal GUILLAUME, avocat au barreau de REIMS, postulant et par la SELARL SIGRIST & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, plaidant,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame Véronique MAUSSIRE et Madame Sandrine PILON, conseillères, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre,
Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère,
Madame Sandrine PILON, conseillère.
GREFFIER :
Madame Jocelyne DRAPIER, greffier lors des débats et de la mise a disposition.
DEBATS :
A l’audience publique du 27 novembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 16 janvier 2024,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Jocelyne DRAPIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * *
Suivant acte authentique dressé le 17 avril 2007 devant Maître [S] [T], notaire à [Localité 4] (Espagne), la SA Fortis Lease Iberia a consenti à la société Mecablog Immobiliaria un prêt de 2.022.000 euros, le remboursement étant garanti par une obligation personnelle solidaire, la constitution de garants et une hypothèque sur des biens immobiliers.
La société Coperfil Group et la SA Compagnie Financière Frey sont intervenues à l’acte pour se porter garantes de toutes les sommes dues au titre du contrat et ce conjointement entre elles à hauteur de 50 % pour chacune.
M. [M] [V] est intervenu au nom et en représentation de la SA Compagnie Financière Frey en sa qualité d’administrateur et de directeur financier, ses pouvoirs étant certifiés par une attestation notariale datée du 31 mai 2006 émise par Maître [K], notaire à [Localité 7].
Suivant acte authentique dressé le 13 juin 2008 par Maître [O] [E], notaire à [Localité 2] (Espagne), la SA Fortis Lease Iberia a concédé à la société Mecablog Immobiliaria une augmentation de la somme prêtée à hauteur de 3.240.000 euros portant l’emprunt à un total de 5.262.000 euros.
Les sociétés Coperfil Group et Compagnie Financière Frey se sont portées garantes desdites sommes dans les mêmes conditions que celles établies pour le premier prêt.
Suivant acte authentique dressé le même jour, soit le 13 juin 2008 par Maître [O] [E], la SA Fortis Lease Iberia a accordé à la société Mecablog Immobiliaria un prêt d’un montant de 3.970.000 euros avec les mêmes conditions de garantie que précédemment.
Pour chacun de ces deux actes, M. [H] [A] est intervenu au nom et en représentation de la SA Compagnie Financière Frey comme fondé de pouvoir au regard de la procuration spéciale octroyée en sa faveur par M. [M] [V], administrateur de la société, devant Maître [K], notaire à [Localité 7], le 4 juin 2008.
Par deux actes authentiques datés du 9 mars 2009, la SA Fortis Lease Iberia, la société Mecablog Immobiliaria, la SA Coperfil Group et la SA Compagnie Financière Frey ont convenu de modifier la date d’échéance finale des deux prêts et de la fixer au 13 juin 2019. Les parties et plus particulièrement les sociétés garantes ont confirmé leurs garanties.
Pour chacun de ces deux actes, M. [H] [A] est intervenu au nom et en représentation de la SA Compagnie Financière Frey comme mandataire au regard de la procuration spéciale octroyée en sa faveur par M. [M] [V], administrateur de la société, devant Maître [K], le 4 juin 2008.
Par jugement du tribunal de commerce de Barcelone en date du 20 novembre 2012, une procédure collective a été ouverte à l’encontre de la société Mecablog Immobiliaria qui a été convertie en liquidation judiciaire le 17 mars 2014.
La SA Fortis Lease Iberia a déclaré sa créance pour un montant de 4.947.625.51 euros après la vente par adjudication des immeubles hypothéqués.
Le 3 juin 2015, la SA Fortis Lease Iberia a fait assigner la SAS Compagnie Frey venant aux droits de la SA Compagnie Financière Frey devant le tribunal de commerce de Reims pour la voir condamner en sa qualité de garant à lui payer notamment la somme de 2.473.812.76 euros correspondant à 50 % de la créance détenue à l’encontre de la société Mecablog Immobiliaria.
M. [V] et M. [A] ont été assignés en intervention forcée aux fins de condamnation.
Le 23 février 2017, la SA Fortis Lease Iberia a également fait assigner Maître [K] et la SCP [L] [K] et [B] [I] devant le tribunal de grande instance de Reims aux fins de les voir condamner solidairement à lui payer la somme de 2.473.812.76 euros correspondant à 50 % de la créance détenue à l’encontre de la société Mecablog Immobiliaria et ce, pour manquement au devoir de conseil par le notaire et commission d’une erreur de droit lors des actes du 31 mai 2006 et 4 juin 2008.
Il a été sursis à statuer sur les demandes des parties en l’attente de l’issue de la procédure initiée devant le tribunal de commerce de Reims.
Par jugement en date du 26 novembre 2019, le tribunal de commerce de Reims a notamment :
– constaté l’absence d’autorisation en bonne et due forme du conseil d’administration afférent aux garanties figurant dans les actes des 17 avril 2007, 13 juin 2008 et 9 mars 2009, l’absence de pouvoir de signature en bonne et due forme afférent à ces garanties et l’absence de promesse de porte-fort,
– jugé inopposables les actes de garantie invoqués par la SA Fortis Lease Iberia à l’appui de ses demandes,
– débouté la SA Fortis Lease Iberia de toutes ses demandes formées à l’encontre de M. [V] et de M. [A].
Par arrêt en date du 9 février 2021, la cour d’appel de Reims a notamment confirmé le jugement sauf en ce qu’il a débouté la SA Fortis Lease Iberia de ses demandes formées à l’encontre de Mrs [V] et [A] et statuant à nouveau, les a déclarées irrecevables à leur encontre.
L’instance a été reprise devant le tribunal et les parties ont réitéré leurs demandes initiales.
Par jugement rendu le 29 novembre 2022, le tribunal a :
– déclaré Maître [K] responsable du préjudice subi par la SA Fortis Lease Iberia,
– condamné solidairement Maître [K] et la SCP [L] [K] et [B] [I] prise en la personne de ses liquidateurs amiables, M. [L] [K] et Mme [B] [I], à payer à la SA Fortis Lease Iberia la somme de 2.226.431.40 euros outre intérêts légaux à compter du jugement,
– ordonné la capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière,
– condamné solidairement Maître [K] et la SCP [L] [K] et [B] [I] prise en la personne de ses liquidateurs amiables, M. [L] [K] et Mme [B] [I], à payer à la SA Fortis Lease Iberia la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles,
– condamné solidairement Maître [K] et la SCP [L] [K] et [B] [I] prise en la personne de ses liquidateurs amiables, M. [L] [K] et Mme [B] [I] aux dépens,
– écarté l’exécution provisoire de droit du jugement.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont considéré que la responsabilité du notaire ne pouvait être retenue pour l’attestation authentique du 31 mai 2006 (plus exactement, ils ont reconnu des fautes professionnelles du notaire mais qui n’ont pas causé de préjudice dès lors que dans le cadre de l’extension du montant du premier prêt, la Compagnie Financière Frey avait réitéré sa garantie le 13 juin 2008) mais qu’elle devait en revanche être retenue pour la procuration spécifique établie le 4 juin 2008.
Ils ont considéré qu’il appartenait à Maître [K] non seulement de vérifier l’identité de la personne donnant procuration, en l’occurrence M. [V], ainsi que sa qualité d’administrateur de la SA Compagnie Financière Frey, ce qu’il avait fait en citant expressément la décision de l’assemblée générale des actionnaires du 9 juin 2004 mais qu’il devait également s’assurer des pouvoirs de M. [V] pour octroyer une garantie solidaire à première demande de la société Mecablog au profit de la SA Fortis à l’occasion de l’extension du prêt de 2007 et du second prêt hypothécaire ; or, et comme pour l’attestation notariale du 31 mai 2006, Maître [K] n’a pas vérifié les pouvoirs de M. [V] sur ce point alors même qu’aux termes de la procuration, il était affirmé qu’il avait les pouvoirs pour engager la Compagnie Financière Frey puisqu’il donnait procuration à M. [A] à cet effet ; ainsi, le notaire avait commis une erreur juridique et une faute de négligence en méconnaissant les dispositions des articles L 225-35 alinéa 4 et R 225-28 du code de commerce.
Le tribunal a relevé que les fautes professionnelles commises par le notaire avaient eu pour effet de rendre inefficaces les engagements de garanties et qu’elles avaient causé un préjudice à la SA Fortis Lease Iberia constitué par la perte de chance de récupérer les fonds sur la société Compagnie Frey qui a été fixée à 90 %.
Par déclaration reçue le 19 décembre 2022, Maître [K] et la SCP [K] [I], prise en la personne de ses liquidateurs amiables, [L] [K] et [B] [I], ont formé appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées le 26 avril 2023, les appelants demandent à la cour de :
Vu le jugement dont appel en date du 29 novembre 2022,
Vu les dispositions de l’article 1240 du code civil,
Vu le jugement du 26 novembre 2019 du tribunal de commerce de Reims,
Vu l’arrêt en date du 9 février 2021 de la cour d’appel de Reims,
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– débouter la société Fortis Lease Iberia de toutes ses demandes, fins et conclusions à l’encontre de Maître [L] [K] et de la SCP [L] [K] et [B] [I], prise en la personne de ses liquidateurs amiables, Me [L] [K] et Me [B] [I],
– la condamner au paiement d’une somme de 6 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– et condamner la société Fortis Lease Iberia en tous les dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Maître Éric Raffin (SELARL Raffin & Associés).
Par conclusions notifiées le 31 octobre 2023, la société Fortis Lease Iberia demande à la cour de :
Vu les articles 1103 et 1104 du code civil,
Vu le jugement du tribunal judiciaire de Reims en date du 29 novembre 2022,
Vu les pièces versées aux débats,
– débouter Maître [L] [K] et la SCP [L] [K] et [B] [I], prise en la
personne de ses liquidateurs amiables, Monsieur [L] [K] et [B] [I], de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Reims en date du 29 novembre 2022,
Y ajoutant,
– condamner Maître [L] [K] et la SCP [L] [K] et [B] [I], prise en
la personne de ses liquidateurs amiables, Monsieur [L] [K] et [B] [I], à payer à la société Fortis Lease Iberia la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Maître [L] [K] et la SCP [L] [K] et [B] [I] , prise en
la personne de ses liquidateurs amiables, Monsieur [L] [K] et [B] [I], aux entiers dépens d’appel.
MOTIFS DE LA DECISION :
1° L’action en responsabilité engagée par la société Fortis Lease Iberia à l’encontre de Maître [K] et de la SCP [K] et [I] :
A. L’absence de force contraignante dans la présente instance de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Reims le 9 février 2021:
Aux termes de l’article 500 du code de procédure civile, a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution.
Le jugement susceptible d’un tel recours acquiert la même force à l’expiration du délai du recours si ce dernier n’a pas été exercé dans le délai.
L’article 501 du même code dispose que le jugement est exécutoire à partir du moment où il passe en force de chose jugée à moins que le débiteur ne bénéficie d’un délai de grâce ou le créancier de l’exécution provisoire.
L’essentiel de l’argumentation des appelants consiste à soutenir que :
– le jugement est en contradiction avec l’arrêt rendu par la cour d’appel de Reims le 9 février 2021 qui a expressément indiqué que la société Fortis Lease avait manqué à son devoir d’information en ne vérifiant pas la validité d’une délégation de pouvoir en matière de garantie et de cautionnement et qu’elle ne pouvait se réfugier derrière des attestations notariales ne faisant aucune référence à une décision du conseil d’administration de la société Compagnie Frey, l’arrêt ayant même été plus précis que le jugement du tribunal de commerce puisqu’il a caractérisé la faute de la banque qui, en sa qualité de professionnelle, devait vérifier que les conditions d’octroi des garanties étaient réunies, celle-ci ne pouvant se retrancher derrière les attestations notariales de Maître [K] et se prévaloir du manquement à l’obligation de conseil qu’elle impute au notaire ;
– il en ressort que le préjudice allégué par la société Fortis Lease Iberia résulte directement de sa propre faute et qu’elle ne peut se réfugier derrière les deux actes établis antérieurement par Maître [K] ;
– le tribunal judiciaire de Reims ne pouvait pas ne pas tenir compte de cet arrêt qui accable la banque et qui retient sa faute à titre définitif, la décision précédemment rendue par la cour d’appel de Reims ayant à l’égard de la société Fortis Lease force de chose jugée ;
L’intimée leur objecte que :
– elle ne conteste aucunement que l’arrêt rendu par la cour d’appel de Reims le 9 février 2021 ait acquis force de chose jugée puisque cet arrêt n’est plus susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution mais que cette réalité est sans effet sur une instance dont l’objet, les parties et les demandes ne sont pas identiques ;
– en réalité, sous couvert de force de chose jugée, les appelants se prévalent de l’autorité de chose jugée en demandant à la cour de tenir compte de l’arrêt qu’elle a précédemment rendu ; or, le notaire n’était pas partie à l’instance qui opposait uniquement la société Fortis Lease Iberia à la Compagnie Frey et à Mrs [A] et [V] ; par ailleurs, la procédure n’avait pas pour objet de caractériser une faute professionnelle du notaire, les demandes ne visant qu’à obtenir la condamnation de la caution, la mention de la cour dans l’arrêt dont se prévalent les appelants constituant une simple observation qui n’a pas de portée juridique et qui ne pourrait en tout état de cause être invoquée que par le garant et non par le notaire ;
les appelants ne peuvent pas non plus lui opposer le fait qu’elle n’aurait pas agi dans le délai imparti, leur action étant parfaitement recevable.
Les appelants entendent opposer à l’intimée des dispositions contenues dans la décision qui a notamment relevé que la société Fortis Lease Iberia, en sa qualité de banquier professionnel, avait l’obligation de vérifier la réalité de la délégation de pouvoir du signataire et qu’elle ne pouvait se retrancher derrière l’attestation notariée du 31 mai 2006 et la délégation du 4 juin 2008, lesquelles ne remplissaient pas les conditions inhérentes au pouvoir du conseil d’administration ; et que la société Fortis Lease Iberia ne peut valablement se prévaloir du manquement à l’obligation de conseil qu’elle impute au notaire, Maître [K], dans la validation des pouvoirs, pour caractériser en même temps une faute intentionnelle commise par Messieurs [V] et [A].
Une décision acquiert force de chose jugée lorsqu’elle n’est plus susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution.
Il n’est pas contestable ni d’ailleurs contesté par la société Fortis Lease Iberia que cet arrêt a force de chose jugée puisqu’aucun recours suspensif d’exécution n’a été exercé à son encontre et que la décision présente par conséquent un caractère exécutoire que les parties à l’instance peuvent revendiquer.
Il ressort du contenu de leurs écritures que les appelants entendent en réalité non se prévaloir de la force jugée, improprement qualifiée comme telle, mais de l’autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt.
L’article1355 du code civil dispose que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
L’étude notariale n’était pas partie à l’instance.
Par ailleurs, la chose demandée n’était pas la même puisque l’action engagée par la société Fortis Lease Iberia était une action en paiement dirigée principalement contre la caution, la Compagnie Frey, alors que l’action dirigée contre le notaire vise à voir reconnaître l’existence d’une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle.
Enfin, les éléments ci-dessus reproduits dans l’arrêt du 9 février 2021 dont se prévalent les appelants pour lui donner une force juridique contraignante à l’égard de la société Fortis Lease Iberia ne figurent ni dans le dispositif de la décision ni dans les motifs décisoires ; or, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Les conditions pour voir opposer à la société Fortis Lease Iberia l’autorité de la chose jugée ne sont par conséquent pas réunies.
Il sera ajouté en tant que de besoin que les arrêts cités par les appelants au soutien de leur argumentation ne peuvent être transposés au cas d’espèce puisqu’ils concernent des situations dans lesquelles soit le notaire avait été attrait à la cause en même temps que les cautions soit la mention qui pouvait dans certaines circonstances être opposée à des tiers avait été tranchée dans le dispositif de l’arrêt.
Les appelants ne peuvent par conséquent se prévaloir de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 9 février 2021.
B. Les fautes notariales :
L’article 1382 ancien du code civil applicable au litige dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
La faute notariale s’apprécie par référence aux devoirs professionnels du notaire qui a une fonction d’officier public et une mission de dispensateur de sécurité juridique ; dans ce cadre, le notaire commet une faute et engage sa responsabilité délictuelle s’il ne s’assure pas de la validité et de l’efficacité juridique de l’acte qu’il rédige.
Plus spécifiquement, il lui appartient de contrôler la capacité juridique ainsi que la réalité et la régularité des pouvoirs du détenteur de la procuration.
– l’attestation notariale du 31 mai 2006 :
L’article L 225-35 alinéa 4 du code de commerce dispose qu’à défaut d’autorisation donnée par le conseil d’administration d’une société anonyme dans les conditions prévues à l’article R 225-28 du même code, la garantie donnée par son président, excédant ses pouvoirs légaux, ne peut engager la société.
Aux termes de l’article R 225-28, le conseil d’administration peut, dans la limite d’un montant total qu’il fixe, autoriser le directeur général à donner des cautions, aval ou garantie au nom de la société. Cette autorisation peut également fixer, par engagement, un montant au-delà duquel la caution, l’aval ou la garantie de la société ne peut être donnée. Lorsqu’un engagement dépasse l’un ou l’autre des montants ainsi fixés, l’autorisation du conseil d’administration est requise dans chaque cas.
La durée des autorisations prévues à l’alinéa précédent ne peut être supérieure à un an, quelle que soit la durée des engagements cautionnés, avalisés ou garantis.
Le directeur général peut déléguer le pouvoir qu’il a reçu en application des alinéas précédents.
Il ressort de l’attestation établie par Maître [K] qu’il a certifié qu’en sa qualité d’administrateur et de directeur financier de Compagnie Financière Frey Société Anonyme, M. [M] [W] [G] [V] a les plus amples facultés pour administrer, gérer et représenter Compagnie Financière Frey Société Anonyme, ayant des pouvoirs pour, au nom et en représentation de cette société, aussi bien en Espagne qu’à l’étranger, contracter des emprunts et pour constituer des hypothèques et/ou des autres garanties, pouvant aussi se constituer comme garant solidaire de l’exécution des obligations assumées par des tiers, sans aucune limitation.
C’est par une exacte motivation qui sera intégralement reprise par la cour que les premiers juges ont considéré que Maître [K] ne pouvait ignorer, en sa qualité de professionnel du droit, les règles rappelées ci-dessus et qu’il devait impérativement vérifier que M. [V] bénéficiait toujours d’une autorisation pour engager la société dans un acte de cautionnement, cette autorisation donnée le 7 mai 2004 étant en réalité expirée à la date d’établissement de l’attestation authentique du 31 mai 2006.
C’est par ailleurs à juste titre qu’il a été jugé que cette faute avérée n’avait causé aucun préjudice dès lors que dans le cadre de l’extension du premier prêt, la société Compagnie Financière Frey avait réitéré sa garantie dans l’acte authentique du 13 juin 2008.
– la procuration spécifique du 4 juin 2008 :
Cet acte, également établi par Maître [K], est un acte par lequel Monsieur [M] [V], au nom et en représentation de Compagnie Financière Frey Société Anonyme, donne une procuration spécifique à M. [H] [A] afin qu’au nom et en représentation de Compagnie Financière Frey, il puisse exercer les pouvoirs suivants :
‘Souscrire tout document public ou privé qui puisse être nécessaire ou convenable pour octroyer une garantie solidaire à première demande garantissant à l’entité Mecablog face à Fortis à l’occasion de l’extension du prêt hypothécaire octroyé par acte authentique le 17 avril 2007 …’.
Comme précédemment, Maître [K] n’a pas vérifié les pouvoirs de M. [V] et partant ceux de M. [A] au regard de l’autorisation qui lui avait été donnée par le conseil d’administration alors même qu’il est expressément spécifié qu’il les détient.
Il s’agit d’une négligence et d’une absence de maîtrise professionnelle qui engagent la responsabilité délictuelle du notaire à l’égard de la société Fortis Lease Iberia qui pouvait légitimement croire que ce dernier s’était assuré de l’efficacité de la procuration en vérifiant les autorisations nécessaires à sa validité, la charge de la preuve du caractère convenable de la procuration incombant au notaire instrumentaire et non à la société Fortis Lease Iberia de droit espagnol qui, fût-elle banquière professionnelle, n’avait aucune obligation particulière de vérifier la régularité d’un acte dressé par un notaire français.
La décision sera confirmée en ce qu’elle a retenu la responsabilité du notaire dans l’établissement de cet acte.
C. Le préjudice :
Aux termes de l’article 1149 ancien du code civil, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé.
Constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable.
En cas de perte de chance, la réparation du dommage ne peut être totale.
Le préjudice subi par la société Fortis Lease Iberia est constitué par la perte de chance réelle pour celle-ci de se prévaloir auprès de la société Compagnie Frey des garanties qui avaient été consenties à son profit dans les actes des 17 avril 2007 et 13 juin 2008.
En effet, l’arrêt rendu le 9 février 2021 par la cour d’appel de Reims a jugé inopposables à la société Compagnie Frey ces actes de garantie et a déclaré la société Fortis Lease Iberia irrecevable en ses demandes en paiement formées à l’encontre de Mrs [V] et [A].
Cette dernière a par conséquent irrémédiablement perdu le bénéfice des actes de cautionnement du fait des fautes notariales qui sont en lien de causalité direct avec le dommage subi.
Les premiers juges ont évalué la perte de chance à 90 %, de sorte que compte tenu du montant de la créance de la société Fortis Lease Iberia définitivement retenu au passif de la liquidation judiciaire de la société Mecablog et de la garantie à hauteur de 50 % à laquelle la banque pouvait prétendre envers la société Compagnie Financière Frey, le préjudice s’élève à 2.473.812.76 euros x 90 %, soit 2.226.431.40 euros.
Les appelants considèrent que le pourcentage de perte de chance qui a été fixé est trop élevé et qu’il ne tient pas compte de la responsabilité de la banque dans la réalisation de son préjudice et du fait que, par la prescription de son action à l’encontre de M. [V] et de M. [A], elle a perdu les recours dont elle disposait à l’égard de ses débiteurs.
Il a été précédemment exposé que les appelants ne pouvaient se prévaloir d’une faute de la société Fortis Lease Iberia qui n’avait pas été consacrée dans leurs rapports entre eux.
Il ne peut non plus être utilement opposé à l’intimée la perte des recours du fait de la prescription de l’action contre M. [V] et M. [A] pour les mêmes raisons et ce d’autant qu’ils ne sont pas cautions, que la société Fortis Lease Iberia n’a aucun rapport avec eux et que leur responsabilité extracontractuelle n’était d’ailleurs recherchée dans la précédente instance qu’à titre subsidiaire pour M. [V] d’avoir commis une faute détachable de ses fonctions d’administrateur de la société Compagnie Financière Frey et pour M. [A] d’avoir commis une faute en souscrivant et en augmentant au nom et pour le compte de la société Compagnie Financière Frey des engagements de caution.
A supposer même par extraordinaire qu’une faute de négligence puisse être retenue à l’encontre de la société Fortis Lease Iberia, il n’existe aucun lien de causalité entre cette faute et le préjudice subi dont il est rappelé qu’il est exclusivement constitué par la perte de chance pour la banque de se prévaloir auprès de la société Compagnie Frey des garanties qui avaient été consenties à son profit dans les actes des 17 avril 2007 et 13 juin 2008.
La société Fortis Lease Iberia justifie qu’elle a perdu une chance de recouvrer le montant du cautionnement qui avait été souscrit par la société Compagnie Financière Frey.
De leur côté et pas davantage qu’en première instance, les appelants n’apportent d’éléments pouvant démontrer que celle-ci n’aurait pas été en capacité financière de s’acquitter des montants dus en sa qualité de garante de la société Mecablog.
La décision sera par conséquent également confirmée quant au montant de la condamnation et de ses accessoires.
2° L’article 700 du code de procédure civile :
La décision sera confirmée.
Succombant en leur appel, Maître [L] [K] et la SCP [L] [K] et [B] [I], prise en la personne de ses liquidateurs amiables, Monsieur [L] [K] et [B] [I], ne peuvent prétendre à aucune indemnité à ce titre.
L’équité commande en revanche qu’il soit alloué à la société Fortis Lease Iberia la somme de 8 000 euros.
3° Les dépens :
La décision sera confirmée.
Maître [L] [K] et la SCP [L] [K] et [B] [I], prise en la personne de ses liquidateurs amiables, Monsieur [L] [K] et [B] [I], seront condamnés aux dépens de l’instance d’appel.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Reims.
Y ajoutant ;
Condamne Maître [L] [K] et la SCP [L] [K] et [B] [I], prise en la personne de ses liquidateurs amiables, Monsieur [L] [K] et [B] [I], à payer à la société Fortis Lease Iberia la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Les déboute de leur demande à ce titre.
Condamne Maître [L] [K] et la SCP [L] [K] et [B] [I], prise en la personne de ses liquidateurs amiables, Monsieur [L] [K] et [B] [I], aux dépens de l’instance d’appel.
Le greffier, La présidente de chambre,