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CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 36 F-D
Pourvoi n° M 22-22.960
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2024
1°/ Mme [T] [MP], domiciliée [Adresse 3],
2°/ M. [Y] [MP], domicilié [Adresse 2],
3°/ Mme [A] [N], épouse [MP], domiciliée [Adresse 5],
4°/ la société Holding Humani Flor, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° M 22-22.960 contre l’arrêt rendu le 25 octobre 2022 par la cour d’appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [J] [R], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société [JL] [D], [TM] [C], [X] [G], [H] [K], [J] [R], [W] [F], [ZJ] [E], [IU] [Z], [IU] [U], [S] [B], [DO] [O], [I] [D], [YA] [P] et [M] [RA], [V] [C] et [L] [D], notaires associés, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Rat, conseiller référendaire, les observations de Me Soltner, avocat de Mmes [T] et [A] [MP], M. [Y] [MP] et de la société Holding Humani Flor, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [R] et de la société [JL] [D], [TM] [C], [X] [G], [H] [K], [J] [R], [W] [F], [ZJ] [E], [IU] [Z], [IU] [U], [S] [B], [DO] [O], [I] [D], [YA] [P] et [M] [RA], [V] [C] et [L] [D], après débats en l’audience publique du 28 novembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Rat, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 25 octobre 2022), la société Le Prieuré Saint-Jacques (la venderesse) a vendu à M. et Mme [OR] (les acquéreurs) un appartement en l’état futur d’achèvement, par acte authentique dressé le 29 décembre 2010 par M. [R], notaire, auquel étaient annexés un plan mentionnant les surfaces de chaque pièce et une superficie totale de 51,50 m², ainsi que le contrat de réservation, faisant état d’une superficie identique.
2. La surface réelle du bien étant de 30,29 m², la venderesse a été condamnée, à la suite de l’assignation des acquéreurs, au paiement d’une certaine somme au titre de la réduction du prix de vente.
3. La société venderesse ayant été liquidée, ses associés, la société Holding Humani Flor, Mmes [T] et [A] [MP], M. [Y] [MP] (les consorts [MP]) ont, après avoir conclu un protocole transactionnel avec les acquéreurs, assigné M. [R] et la société civile professionnelle dont il était membre, la SCP [O], Dambier, Houzelot, [G], [K], [R] et [F], devenue la SCP [JL] Dambier, [TM] Houzelot, [X] [G], [H] [K], [J] [R], [W] [F], [ZJ] [E], [IU] [Z], [IU] [U], [S] [B], [DO] [O], [I] [D], [YA] [P] et [M] [RA], [V] [C] et [L] [D] (les notaires) en réparation de leur préjudice.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Les consorts [MP] et la société Holding Humani Flor font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes contre les notaires, alors :
« 1°/ que si la restitution, à laquelle le vendeur est tenu en vertu de la loi à la suite de la diminution du prix résultant d’une moindre mesure par rapport à la superficie convenue, ne constitue pas, par elle-même, un préjudice indemnisable, le vendeur peut se prévaloir à l’encontre du notaire qui, disposant des éléments qui auraient dû lui permettre de déceler cette erreur de superficie, n’en a fautivement pas avisé les parties, d’un préjudice tenant à la perte de chance de fixer le prix de vente de façon plus favorable ; que la cour d’appel, après avoir retenu que Me [R] avait commis une faute en n’attirant pas les parties sur l’incidence juridique de l’erreur dans le calcul des superficies figurant dans le plan annexé à l’acte de vente immobilière conclu par la SCCV Le Prieuré Saint-Jacques avec les époux [OR], erreur en raison de laquelle la SCCV avait été condamnée à restituer aux acquéreurs une partie du prix de vente, a retenu que « si la cour de cassation juge que le vendeur peut néanmoins se prévaloir à l’encontre du mesureur ayant réalisé un mesurage erroné d’une perte de chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre (Civ. 3ème, 28 janvier 2015 n° 13-27.397), tel n’est pas le sens des demandes des appelants qui prétendent avoir perdu une chance de vendre le bien à un prix légèrement inférieur et de vendre les autres lots à un prix supérieur pour compenser la perte issue de la réfaction de prix » ; que la cour d’appel a considéré qu’ « il n’est nullement établi que la SCCV a perdu une chance de percevoir un prix légèrement inférieur, dont le montant n’est d’ailleurs pas précisé, à celui initialement convenu puisque le prix de l’immobilier est calculé en fonction de la superficie du bien vendu et qu’il n’est pas démontré que les époux [OR] aurait accepté de payer un prix légèrement minoré s’ils avaient connu la superficie exacte du lot, inférieure de près du tiers à celle indiquée dans le contrat de réservation », et que les exposants « procèdent par simples affirmations quant à la perte de chance de pouvoir vendre les autres lots à un prix supérieur, pour compenser le manque à gagner sur la réfaction de prix du lot litigieux » ; qu’en statuant par de tels motifs, quand le vendeur ayant dû restituer une partie du prix de vente à raison de la faute du notaire ne lui ayant pas signalé les incidences juridiques de l’erreur de superficie mentionnée dans le contrat de vente subit un préjudice tenant dans la perte de chance d’avoir pu mieux fixer le prix de son bien, qu’il lui incombait d’évaluer et d’indemniser, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu 1240 du code civil ;
2°/ que toute perte de chance constitue un préjudice indemnisable ; qu’il incombe au juge saisi d’une demande d’indemnisation d’une perte de chance de rechercher quelle était la probabilité de survenance de l’événement favorable invoqué ; qu’en rejetant les demandes indemnitaires des exposants aux motifs qu’ « il n’est nullement établi que la SCCV a perdu une chance de percevoir un prix légèrement inférieur, dont le montant n’est d’ailleurs pas précisé, à celui initialement convenu puisque le prix de l’immobilier est calculé en fonction de la superficie du bien vendu et qu’il n’est pas démontré que les époux [OR] aurait accepté de payer un prix légèrement minoré s’ils avaient connu la superficie exacte du lot, inférieure de près du tiers à celle indiquée dans le contrat de réservation » et que les exposants « procèdent par simples affirmations quant à la perte de chance de pouvoir vendre les autres lots à un prix supérieur, pour compenser le manque à gagner sur la réfaction de prix du lot litigieux », quand il ne pouvait être exigé des exposants qu’ils établissent de manière certaine que le vendeur aurait pu vendre ses biens à un meilleur prix, et qu’il lui incombait de rechercher quelle était la probabilité que la SCCV adapte le prix de vente des lots de son programme immobilier afin de ne pas subir la perte dont elle avait été victime, la cour d’appel a encore violé l’article 1382 du code civil dans sa version applicable en la cause, devenu 1240 du code civil ;
3°/ que toute perte de chance, même minime, constitue un préjudice indemnisable, la réparation d’un tel préjudice n’étant exclue que dans l’hypothèse où la perte de chance est dénuée du moindre sérieux ; qu’en se bornant à énoncer qu’il n’était « nullement établi que la SCCV a[vait] perdu une chance de percevoir un prix légèrement inférieur, dont le montant n’est d’ailleurs pas précisé, à celui initialement convenu puisque le prix de l’immobilier est calculé en fonction de la superficie du bien vendu et qu’il n’est pas démontré que les époux [OR] aurait accepté de payer un prix légèrement minoré s’ils avaient connu la superficie exacte du lot, inférieure de près du tiers à celle indiquée dans le contrat de réservation », et que « les appelants procèdent par simples affirmations quant à la perte de chance de pouvoir vendre les autres lots à un prix supérieur, pour compenser le manque à gagner sur la réfaction de prix du lot litigieux », la cour d’appel, qui a statué par des motifs impropres à écarter l’existence de toute perte de chance pour la SCCV Le Prieuré Saint-Jacques d’avoir pu fixer différemment le prix de son bien, n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1382 du code civil dans sa version applicable en la cause, devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. La cour d’appel, après avoir rappelé que la responsabilité du notaire ne pouvait être engagée que sur justification d’un préjudice en lien causal avec la faute de ce dernier, a d’abord constaté que les consorts [MP] et la société Holding Humani Flor ne démontraient pas que la venderesse avait perdu une chance de percevoir un prix légèrement inférieur à celui initialement convenu, dès lors que la superficie réelle du lot était inférieure de près du tiers à celle indiquée dans le contrat de réservation, et que les acquéreurs ayant acquis le bien en l’état futur d’achèvement, ce dont il ressort qu’ils n’avaient pu le visiter et prendre connaissance de sa superficie réelle avant la vente, le prix du bien avait été calculé en fonction de sa superficie.
6. Elle a, ensuite, énoncé que les consorts [MP] et la société Holding Humani Flor ne démontraient pas l’existence d’une perte de chance de vendre les autres lots à un prix supérieur, pour compenser le manque à gagner sur la réfaction de prix du lot litigieux.
7. En l’état de ces appréciations souveraines, la cour d’appel a pu, par ces seuls motifs, retenir que la preuve d’un préjudice indemnisable n’était pas rapportée, et a, ainsi, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mmes [T] et [A] [MP], M. [Y] [MP] et la société Holding Humani Flor aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-quatre.