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MINUTE N° 21/2024
Copie exécutoire
aux avocats
Le 19 janvier 2024
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 19 Janvier 2024
Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/03555 – N° Portalis DBVW-V-B7F-HUVR
Décision déférée à la cour : 15 Juin 2021 par le Président du tribunal judiciaire de COLMAR
APPELANT et intimé sur incident :
Maître [G] [E]
exerçant son activité [Adresse 4] à [Localité 5]
représenté par Me Christine LAISSUE-STRAVOPODIS de la SELARL ACVF ASSOCIES, avocat à la cour.
INTIMÉ et appelant sur incident :
Monsieur [V] [F]
demeurant [Adresse 1] à [Localité 6]
représenté par Me Thierry CAHN de la SCP CAHN ET ASSOCIES, avocat à la cour.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Septembre 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre, et Madame Nathalie HERY, conseiller, chargées du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre
Madame Myriam DENORT, conseiller
Madame Nathalie HERY, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN
ARRÊT contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Selon promesse synallagmatique de vente sous seing privé du 16 mars 2019, établie par l’entremise de la société Sodim espace, Mme [S] [N], représentée par son tuteur, M. [R] [C], a vendu à M. [V] [F] une maison d’habitation sise [Adresse 3] à [Localité 6], au prix de 65 000 euros, honoraires d’agence en sus, la vente devant être réitérée au plus tard le 30 juin 2019 en l’étude de Me [E], notaire à [Localité 5].
Mme [N] est décédée le [Date décès 2] 2019 laissant pour lui succéder son fils, [B] [M]. Ce dernier a été convoqué par Me [E] aux fins de signature de l’acte de vente le 13 septembre 2019 mais ne s’est pas présenté, et le notaire a dressé un procès-verbal de carence.
La promesses synallagmatique de vente n’ayant pas été réitérée dans le délai de six mois prévu par l’article 42 de la loi du 1er juin 1924 est devenue caduque.
Reprochant à Me [E] un manquement à son devoir de conseil, M. [F] l’a fait citer devant le tribunal judiciaire de Colmar par exploit du 17 décembre 2020 en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement réputé contradictoire du 15 juin 2021, le tribunal a condamné Me [E] à payer à M. [F] une somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu’une somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Le tribunal a retenu que si Me [E] avait bien convoqué M. [M] pour signer l’acte de vente avant expiration du délai de validité du ‘compromis’ de vente, la convocation avait été envoyée le 6 septembre 2019 et reçue le 10 septembre 2019, ce qui ne laissait que très peu de marge de manoeuvre pour pouvoir décaler le rendez-vous avant expiration de ce délai.
En outre, si Me [E] avait bien dressé un procès-verbal de carence, il aurait dû informer M. [F] de la durée de validité du ‘compromis’ de vente et de la nécessité d’engager une action en justice avant le 17 septembre 2019, or le défendeur non comparant ne démontrait pas avoir délivré cette information. Le tribunal a donc considéré que cette faute engageait la responsabilité du notaire à l’égard de M. [F], et que celui-ci avait perdu une chance de pouvoir saisir la justice avant l’expiration du délai de validité du ‘compromis’ de vente, ce qui l’avait privé de la possibilité d’acquérir cette maison qui était accolée à celle de ses parents.
En l’absence d’éléments permettant d’affirmer qu’une telle action n’avait aucune chance d’aboutir, le tribunal a alloué à M. [F] une somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts.
Me [E] a interjeté appel de ce jugement le 5 août 2021, en toutes ses dispositions.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 2 mai 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 mai 2022, Me [E] demande à la cour de :
– rejeter l’appel incident,
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et de débouter M. [F] de sa demande,
– condamner M. [F] aux dépens des deux instances et au paiement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, il fait valoir qu’ayant appris le décès de [S] [N] il a pris contact avec l’étude de Me [Z], en charge du règlement de la succession, afin d’obtenir les documents nécessaires à la régularisation de l’acte, en application des articles 724 et 1122 du code civil. Le 30 juillet 2019, l’étude de Me [Z] lui a fait part du refus de l’héritier de Mme [N] de mener la vente à son terme, au motif que l’ordonnance du juge des tutelles ayant autorisé la vente était caduque, ce dont a été informé M. [F].
L’appelant affirme par ailleurs avoir tenu informé M. [F] de ses échanges avec Me [Z] et du refus de réitération de la vente par l’héritier de [S] [N], ainsi que la nécessité de saisir le tribunal avant l’expiration du délai de 6 mois à compter de la signature du ‘compromis’, et l’avoir également incité à consulter un avocat afin d’envisager la possibilité d’agir en réitération alors que la venderesse était placée sous mesure de protection.
Il soutient que pour éviter la caducité du ‘compromis’ de vente, et dans la perspective d’une éventuelle action en justice, il a convoqué M. [M] et dressé procès-verbal de carence.
Il prétend par ailleurs que l’ordonnance du juge des tutelles ayant ordonné la vente étant caduque du fait du décès de la personne protégée, le compromis de vente était lui-même caduque et les héritiers n’étaient pas tenus de poursuivre la vente aux conditions visées dans le compromis, de sorte que le dommage allégué est dépourvu de lien de causalité avec la faute reprochée.
Il estime que M. [F] ne rapporte pas la preuve de son préjudice et de ce qu’il aurait eu une chance raisonnable de contracter avec l’héritier de la venderesse qui invoquait un vil prix.
L’appel incident qui porte sur le non-paiement de la clause pénale devra enfin être rejeté comme étant sans lien avec le préjudice résultant de la faute du notaire.
Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 3 février 2022, M. [F] conclut au rejet de l’appel principal et forme appel incident pour demander la réformation partielle du jugement et solliciter la condamnation de Me [E] au paiement d’une somme de 12 000 euros à titre de préjudice et dommages et intérêts pour perte de chance de ne pas avoir réalisé l’acquisition immobilière, outre un montant de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, pour la procédure de première instance et d’appel. Il conclut en outre au rejet des prétentions adverses.
Il fait valoir qu’il appartient au notaire de rapporter la preuve de ce qu’il a rempli son devoir de conseil, or Me [E] ne rapporte pas cette preuve. Il conteste avoir été informé de la durée de validité du ‘compromis’ de vente qui obligeait les héritiers, et de la nécessité de saisir le tribunal, soulignant qu’il n’a été destinataire du procès-verbal de carence que le 18 septembre 2019. Il approuve les motifs du jugement, s’agissant de la responsabilité du notaire.
Par contre, il en demande la réformation en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts, soulignant qu’il s’agit d’un immeuble contigu à celui occupé par ses parents chez qui il réside, les deux immeubles constituant à l’origine un ensemble immobilier unique.
Il ajoute que, par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal de proximité de Guebwiller a rejeté sa demande de condamnation de M. [M] au paiement de la somme de 6 500 euros au titre de la clause pénale, et que la partie adverse est totalement taisante sur la suite qui a été réservée à cet immeuble.
Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS
Le notaire, en sa qualité d’officier ministériel chargé d’authentifier les actes qu’il reçoit, est tenu à un devoir d’information et de conseil à l’égard de l’ensemble des parties à l’acte, même professionnelles. En cas de manquement à ce devoir, il engage sa responsabilité, sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
Si conformément à l’article 443 du code civil, une mesure de protection prend fin au décès de la personne protégée, cette disposition n’a toutefois aucune incidence sur la validité des actes régulièrement passés par le tuteur du vivant de la personne protégée.
En effet, d’une part en application de l’article 724 du code civil, les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt, et d’autre part la promesse stipule expressément au paragraphe ‘autres conditions’ 1° que ‘le vendeur et l’acquéreur s’obligent et obligent leurs héritiers et ayant cause solidairement entre eux à toutes les garanties ordinaires et de droit les plus étendues’.
Par voie de conséquence, le décès de [S] [N] n’a pas eu pour effet de rendre caduque la promesse synallagmatique de vente régulièrement signée, le 16 mars 2019, par son tuteur avec l’autorisation du juge des tutelles.
Comme l’a exactement rappelé le tribunal, il appartenait à Me [E] d’informer M. [F] de la durée de validité de la promesse synallagmatique de vente, et de la nécessité d’engager une action en justice en application de l’article 42 de la loi du 1er juin 1924, avant le 17 septembre 2019.
Il est établi que M. [F] a bien été informé par Me [Z], au nom des ayant-droits de la défunte, de ce qu’ils entendaient se prévaloir d’une prétendue caducité de la promesse du fait d’une caducité de l’ordonnance du juge des tutelles. Si Me [E] justifie avoir transmis à l’intimé, le 30 juillet 2019, copie d’un courrier électronique qu’il adressait le même jour à l’étude de Me [Z], par lequel il s’étonnait de l’attitude des clients de celui-ci et demandait la fixation d’un rendez-vous de signature, en indiquant qu’à défaut, une mise en demeure serait adressée à M. et Mme [M], qu’un procès-verbal de carence serait dressé et que la procédure judiciaire suivrait son cours, il ne justifie cependant pas avoir effectivement et dûment informé M. [F] de la durée de validité de la promesse de vente et de la nécessité d’agir en justice avant expiration du délai de six mois susvisé, ni même de lui avoir conseillé de consulter un avocat, comme il l’affirme sans le démontrer.
Me [E] a ainsi manqué à son devoir de conseil et d’information à l’égard de l’acquéreur.
Cette faute a fait perdre à M. [F] une chance de pouvoir agir en justice dans les délais pour obtenir la condamnation des héritiers de Mme [N] à passer l’acte de vente, et donc une chance de pouvoir acquérir l’immeuble. Si l’argument tiré d’une prétendue caducité de la promesse de vente du fait du décès de Mme [N] apparaît inopérant, il ressort toutefois des échanges entre Me [E] et Me [Z] que le ou les héritier(s) de la venderesse se prévalaient également du fait que la vente aurait été conclue à vil prix. En outre, aucun élément n’est fourni par les parties quant à la situation actuelle du bien, de sorte qu’il n’est pas non plus établi que M. [F] n’aurait plus aucune possibilité de l’acquérir. Dans ces conditions, et en l’état des éléments d’appréciation dont dispose la cour, le préjudice subi par l’intimé peut être évalué à une somme de 6 000 euros.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a condamné l’appelant au paiement d’une somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts, Me [E] étant condamné au paiement de la somme de 6 000 euros.
Le jugement entrepris étant confirmé sur le principe de la responsabilité, les dispositions relatives aux dépens et frais exclus des dépens seront confirmées. Me [E] qui succombe en son appel supportera la charge des dépens d’appel et sera condamné au paiement d’une somme de 1 500 euros au titre de frais exclus des dépens exposés en cause d’appel par l’intimé, sa propre demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Colmar du 15 juin 2021, en ce qu’il a condamné Me [E] à payer à M. [F] une somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau dans cette limite,
CONDAMNE M. [G] [E] à payer à M. [V] [F] une somme de 6 000 € (six mille euros) à titre de dommages et intérêts ;
CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus ;
Y ajoutant,
DEBOUTE M. [G] [E] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [G] [E] aux entiers dépens d’appel ainsi qu’à payer à M. [V] [F] une somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, La présidente,