Responsabilité du Notaire : 25 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/04055

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Responsabilité du Notaire : 25 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/04055
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

2ème CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 25 JANVIER 2024

N° RG 20/04055 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LYCH

[G] [P]

[N] [Z]

c/

[B] [R] [L]

[H] [I]

S.A.S. HUMAN IMMOBILIER venant aux droits de la S.A.S. BOURSE DE L’IMMOBILIER

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 13 octobre 2020 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 7, RG : 19/08648) suivant déclaration d’appel du 27 octobre 2020

APPELANTES :

[G] [P]

née le 28 Août 1995 à [Localité 9]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 7] – [Localité 5]

[N] [Z]

née le 05 Juin 1993 à [Localité 10]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 7] – [Localité 5]

Représentées par Me Marie BOISSEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

et assistées de Me Loïc-Clément DEROUET, avocat au barreau de CAEN

INTIMÉS :

Angel SARRION CARCELEN

né le 18 Octobre 1954 à ELCHE DE LA SIERRA (ESPAGNE)

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 6] – [Localité 5]

[H] [I]

née le 10 Mars 1957 à [Localité 8]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 6] – [Localité 5]

Représentés par Me Pierre-Olivier BALLADE de la SELARL BALLADE-LARROUY, avocat au barreau de BORDEAUX

S.A.S. HUMAN IMMOBILIER venant aux droits de la S.A.S. BOURSE DE L’IMMOBILIER

immatriculée sous le numéro B 414 854 216 du registre du commerce et des sociétés de BORDEAUX ayant son siège social [Adresse 3] [Localité 4] pris en la personne de son Président domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Catherine LATAPIE-SAYO, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 novembre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jacques BOUDY, Président, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Monsieur [Y] [O]

Conseiller : Monsieur [X] [M]

Conseiller : Monsieur [U] [A]

Greffier : Madame Audrey COLLIN

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * *

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte sous seing privé rédigé le 8 novembre 2017 par la société Bourse de l’Immobilier, Monsieur [B] [R] [L] et Madame [H] [I] se sont engagés à vendre à Mesdames [G] [P] et [N] [Z] une parcelle à bâtir résultant d’une division parcellaire d’un bien sis [Adresse 7] à [Localité 5], moyennant le prix de vente de 122 000 euros pour une surface de 321 m2.

L’acte authentique de vente a été régularisé le 27 juin 2018.

Se prévalant par la suite de la présence de canalisations dont la localisation leur aurait été dissimulée, Mesdames [P] et [Z] se sont rapprochées de l’agent immobilier, de leur notaire et des consorts [K] en vue d’aboutir à une conciliation.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 juillet 2018, Mmes [P] et [Z] ont demandé aux consorts [K] de déplacer sur leur terrain les canalisations d’eau potable et d’eaux usées ainsi que le tabouret de tout à l’égout.

A défaut d’accord amiable, Mmes [P] et [Z] ont saisi, par exploits des 18 et 19 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Bordeaux afin d’obtenir la réparation de leur préjudice au visa des articles 1137, 1217 et suivants, 1231-1,1240 et 1604 et 1641 du code civil.

Par jugement du 13 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– débouté Mmes [P] et [Z] de l’intégralité de leurs demandes,

– débouté M. [R], Mme [I] et la SAS Bourse de l’Immobilier de leurs demandes reconventionnelles,

– condamné Mmes [P] et [Z] à verser à Mme [I] et M. [R] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles et à la SAS Bourse de l’Immobilier la somme de 1 000 euros au même titre,

– condamné Mmes [P] et [Z] aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.

Mmes [P] et [Z] ont relevé appel du jugement le 27 octobre 2020.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 30 mai 2023, Mmes [P] et [Z] demandent à la cour, sur le fondement des articles 1137, 1217 et suivants, 1231-1, 1240, 1604 et suivants et 1641 du code civil, de :

– les déclarer recevables et bien fondées en leur appel formé à l’encontre du jugement rendu le 13 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux,

– réformer le jugement dont appel,

– débouter les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier de l’ensemble de leurs demandes,

– déclarer mal fondé l’appel incident de la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier,

à titre principal,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 28 000 euros en réparation du préjudice lié à la perte de valeur du terrain, telle qu’évaluée par M. [S] en qualité d’expert immobilier,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 1 000 euros au titre des frais de modification et de régularisation de l’acte de vente,

à titre subsidiaire,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à verser la somme de 1 883,89 euros au titre des travaux de déplacement de la canalisation de tout à l’égout à l’emplacement déclaré par les vendeurs et tel qu’il résulte de l’acte authentique de vente, à indexer sur l’indice du coût de la construction au jour de l’arrêt à intervenir avec intérêt de droit à compter de l’assignation,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à verser la somme de 3 000 euros au titre des travaux de recherche du puisard ainsi que des travaux de déplacement de la canalisation d’eau potable à l’emplacement déclaré par les vendeurs et tel qu’il résulte de l’acte authentique de vente,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à verser la somme de 1 000 euros au titre du trouble de jouissance lié à la réalisation de ces travaux,

– condamner solidairement les époux [R] à réaliser les travaux précités dans le mois suivant la signification de l’arrêt à intervenir et passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant 6 mois, les travaux nécessaires sur leur parcelle afin de permettre le déplacement des canalisations d’eaux usées et de l’eau potable situées sur la parcelle de Mmes [P] et [Z],

en tout état de cause,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 200 euros par mois depuis l’acte de vente signé le 27 juin 2018 au titre de l’indemnisation du préjudice de jouissance,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 1 100 euros au titre du coût de l’intervention de la société AC Terrassement pour mettre à nu les canalisations,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 588 euros au titre du coût de l’intervention du géomètre expert pour établir un plan des canalisations,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 1 000 euros au titre des travaux de recherche du puisard,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 990 euros au titre du coût de l’intervention d’un professionnel afin de renforcer la canalisation à l’endroit où il y avait le regard, à indexer sur l’indice du coût de la construction au jour de l’arrêt à intervenir,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser 1 000 euros au titre des frais de modification et de régularisation de l’acte de propriété,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– faire application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

– condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier aux entiers dépens dont distraction à maître [C] conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Elles font notamment valoir que :

– Il est démontré que les vendeurs avaient connaissance de l’emplacement des canalisations avant la signature du compromis et de l’acte de vente.

– Sur la canalisation de tout à l’égout, les déclarations dolosives de M. [R] selon lesquelles la canalisation de tout à l’égout se trouvent à un mètre seulement de la limite séparative, avaient manifestement pour finalité d’obtenir leur consentement pour l’acquisition de la parcelle. Les vendeurs avaient une parfaite connaissance de l’emplacement des canalisations et réseaux raccordés puisque M. [R] exerçait la profession de maçon et avait participé à la construction de leur maison. Les canalisations se trouvent en réalité à 3,5 mètres de la limite séparative, soit une différence de 2,5 mètres. Contrairement à ce que soutiennent les consorts [K], la localisation des canalisations n’était pas visible en particulier pour des profanes. Il appartenait à la société La Bourse de l’Immobilier d’en faire état et d’attirer l’attention de Mmes [P] et [Z] sur la localisation erronée des canalisations. Les défendeurs ne peuvent se retrancher derrière le plan du géomètre qui ne comporte aucune échelle concernant la localisation des canalisations et qui s’avère manifestement erroné en raison des fausses déclarations de M. [R]. C’est donc à tort que le tribunal a considéré que le projet de division établi par un géomètre expert requis par les vendeurs ferait figurer la servitude de canalisation à son emplacement exact soit 3,5 mètres. C’est une lecture erronée du plan. C’est le tracé de la construction projetée qui est situé à 3,5 mètres de la limite séparative, non celui des canalisations. L’intention de tromper est manifestement caractérisée au regard des fausses déclarations des consorts [K] réitérées devant le géomètre, l’agent immobilier, les acquéreurs et le notaire. En conséquence, la garantie des vices cachés est mobilisable et elles sont bien fondées à rechercher la responsabilité contractuelle de leurs vendeurs.

– Sur la canalisation d’eau potable, les déclarations dolosives concernaient également l’emplacement et la profondeur de la canalisation d’eau potable. Contrairement à ce qui leur avait été déclaré avant la signature du compromis de vente, cette canalisation passe pour partie au travers de la parcelle et non à 1 mètre de la limite séparative. Un constat d’huissier démontre l’emplacement erroné d’une part, et que les vendeurs avaient connaissance de cette localisation d’autre part. La clause élusive de garantie figurant à l’acte de vente n’est pas applicable.

– Sur les eaux pluviales, les vendeurs ont omis de déclarer que leur puisard était situé sur la parcelle de Mmes [P] et [Z]. La présence et la localisation de ce puisard étaient pourtant parfaitement connues des vendeurs, M. [R] ayant en sa qualité de maçon participé à la construction de sa maison. Au delà de la dissimulation, le déversement des eaux pluviales sur leur parcelle constitue un trouble anormal de voisinage et n’est pas conforme aux dispositions du PLU.

– Sur la responsabilité de la société Human Immobilier, venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier, l’agent immobilier est un professionnel de la vente immobilière et est à ce titre tenu à une obligation de conseil et de renseignement. La Cour de cassation considère en particulier que l’agent immobilier doit vérifier l’existence de charges réelles, dont notamment la servitude conventionnelle soulevée, et si cette charge éventuelle est de nature à affecter l’usage normal attendu. En l’espèce, l’agence immobilière n’a pas attiré l’attention de Mmes [P] et [Z] sur l’emplacement erroné des canalisations dont elle ne pouvait ignorer l’existence en sa qualité de professionnel de l’immobilier. Il lui appartenait de procéder à des vérifications complémentaires en particulier s’il existait des doutes quant à la présence et la localisation des canalisations. Dans ces circonstances, la responsabilité de la société Human Immobilier sera engagée sur le fondement de l’article 1240 du code civil en ce qu’elle a manifestement manqué à son obligation de conseil et de diligences. La carence de la société Human Immobilier en amont de la signature du compromis puis de l’acte de vente est directement à l’origine de leur préjudice.

– Sur leurs préjudices, elles sont contraintes de renoncer à une partie de leur projet dont la réalisation d’une terrasse et d’un spa. La réalisation de travaux d’aménagement extérieurs est en l’état impossible. La cour relèvera que le devis chiffrant la réalisation du spa a été établi antérieurement à la signature de l’acte de vente. Elles sollicitent la somme de 19 000 euros en réparation de leur préjudice lié à la perte de valeur du terrain. La localisation dissimulée des canalisations impacte directement plus de 15% de la surface totale de la parcelle à bâtir. En outre, elles sollicitent la réparation de leur préjudice lié à l’impossibilité de jouir d’une partie de leur parcelle. Le préjudice est évalué à 200 euros par mois depuis le 27 juin 2018.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 19 juillet 2022, M. [E] et Mme [I] demandent à la cour, sur le fondement des articles 1104, 1130, 1137 et 1240 du code civil, de :

– les déclarer recevables et bien fondés en leurs demandes,

partant,

– débouter Mmes [P] et [Z] de leurs entières prétentions,

en conséquence,

– confirmer le jugement contesté en toutes ses dispositions,

– ordonner l’exécution provisoire de l’arrêt à intervenir,

– condamner Mmes [P] et [Z] à leur payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Ils font notamment valoir que :

– Ils n’ont commis aucun dol. Ils n’ont pas dissimulé le regard d’eaux usées. Qui plus est, il était ouvert, béant, au cours des multiples visites. Il était donc visible que les canalisations passaient à 3 mètres de la limite séparative. Ils n’ont à aucun moment désigné l’emplacement de la servitude, c’est le géomètre qui l’a constaté sur place en relevant les signes visibles tels que le tabouret. Le géomètre a seul compétence et a seul fixé et constaté ce qui est la description contractuelle de l’immeuble. Le plan du géomètre fait figurer la servitude en précisant parfaitement l’emplacement. C’est donc à bon droit que la juridiction a considéré que Mme [P] et [Z] avaient parfaitement connaissance de la localisation exacte du tabouret dans la mesure où elles étaient présentes lors de la réalisation du bornage et que le procès-verbal du géomètre a été annexé à l’acte authentique. Egalement, les appelantes ne démontrent pas l’intention dolosive des vendeurs. Enfin, la réalisation d’un spa n’était pas déterminant du consentement des acquéreurs au moment de l’achat, de sorte que l’information relative à la servitude de passage ne les auraient pas poussé à renoncer à l’acquisition de l’immeuble. En conséquence, la responsabilité des consorts [K] ne peut être recherchée sur le fondement du dol.

– Ils ont exécuté le contrat de bonne foi. Ils ont fait preuve de transparence tant au moment des négociations qu’au stade de la formation du contrat de vente.

– Aucun manquement à l’obligation de délivrance n’est caractérisée. Aucune faute ne leur est imputable, ce qui permet d’exclure toute réparation de préjudice.

– Sur la garantie des vices cachés, la clause éluvise ne peut s’appliquer dans la mesure où les canalisations étaient souterraines et que les acquéreurs ne démontrent aucunement que les consorts [K] avaient connaissance de leur localisation. En outre, ils ne sont pas des professionnels de l’immobilier.

– Le notaire, maître [V], se décharge de sa responsabilité professionnelle en s’appuyant prétendument sur les dires de M. [R]. Il aurait dû relever les contradictions entre les dires allégués et le plan de bornage et notamment procéder à toutes les vérifications nécessaires pour s’assurer que la description de la servitude de canalisation était exacte. Compte tenu de cette négligence, M. [R] et Mme [I] ont d’ailleurs saisi le tribunal judiciaire d’une action aux fins d’engager la responsabilité du notaire. Cette instance est pendante devant la première chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux, enrôlée sous le numéro RG 20/04129. La juridiction a sursis à statuer dans l’attente de l’issue de cette instance d’appel.

– Sur l’absence de préjudice, l’emplacement des canalisations n’a aucune incidence sur la réalisation du projet de Mmes [P] et [Z]. Il n’y a donc aucune perte de valeur de terrain. Pour tenter de démontrer un préjudice, elles présentent un devis de spa réalisé postérieurement à l’engagement contractuel. Or cette production postérieure du devis confirme qu’elles n’ont jamais fait part de ce projet de spa aux vendeurs de telle sorte qu’il n’a pas intégré le champ contractuel et ne saurait être opposé aux consorts [K]. Le préjudice allégué est relatif et se limite à la perte de chance de pouvoir positionner un spa plus près de la limite séparative de la propriété. En outre, les demandes d’indemnités au titre des travaux de déplacement ne pourront qu’être rejetées dès lors que ces frais trouvent leur origine dans la volonté des acquéreurs de déplacer les canalisations, il s’agit de travaux réalisés à leur convenance et non imposés par une quelconque nécessité. Sur les prétendus préjudices complémentaires, les appelantes occupent l’immeuble de sorte que la localisation inexacte des canalisations ne les empêche aucunement de pouvoir jouir quotidiennement de leur parcelle.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 avril 2021, la SAS Bourse de l’Immobilier demande à la cour, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, de :

– déclarer recevable et bien fondé son appel incident,

– voir déclarer irrecevables comme étant nouvelles en cause d’appel les demandes de Mmes [P] et [Z] tendant à la condamnation in solidum des époux [R] et la société Bourse de l’Immobilier suivantes :

– à verser la somme de 1 000 euros au titre du trouble de jouissance lié à la réalisation des travaux de recherche du puisard et de déplacement de la canalisation d’eau potable,

– à verser une somme de 200 euros par mois depuis l’acte de vente signé le 27 juin 2018 au titre de l’indemnisation du préjudice de jouissance,

– à verser une somme de 588 euros au titre de l’intervention du géomètre expert pour établir un plan des canalisations,

– voir confirmer le jugement du 13 octobre 2020 du tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu’il a débouté Mmes [P] et [Z] de l’intégralité de leurs demandes tant à titre principal que subsidiaire et de dommages et intérêts à son encontre,

– le réformant partiellement,

– voir condamner solidairement Mmes [P] et [Z] au paiement de la somme de 1 000 euros pour procédure abusive,

– les condamner solidairement au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait notamment valoir que :

– En vertu de l’article 565 du code de procédure civile, trois demandes des appelantes seront déclarées irrecevables car nouvelles en cause d’appel.

– Sur son absence de responsabilité, la responsabilité d’un agent immobilier ne peut être engagée du chef des vices apparents dont l’acquéreur a pu se convaincre lui-même ni du chef des vices cachés que seul l’usage du bien ou des investigations réalisées par un homme de l’art peuvent révéler. Ainsi, si l’agent immobilier est tenu d’une obligation de conseil et à un devoir d’information, ces obligations s’exercent en fonction des connaissances que l’on est en droit d’attendre de l’agent, qui est un professionnel de la vente et de l’immobilier mais non de la construction. Il appartient aux appelantes de rapporter la preuve des manquements au devoir de conseil de l’agent immobilier et de sa pleine connaissance de l’emplacement erroné desdites canalisations, sur un terrain en friche, avec des déclarations des vendeurs confirmées par la production d’un plan d’un géomètre-expert. En outre, l’emplacement des canalisations n’a jamais été déterminant du consentement des acquéreurs, puisque le projet de division porté à leur connaissance au stade du compromis renseignait l’emplacement d’une servitude qui rendait en toute hypothèse impossible la réalisation d’un spa de 218 cm x 218 cm. L’agent immobilier a délivré toutes les informations en sa possession au jour du compromis de vente. Les parties ont convenu de reporter au stade de l’acte authentique l’établissement de la servitude dans sa consistance. C’est donc avec mauvaise foi que Mmes [Z] et [P] arguent d’un défaut d’information de l’agent immobilier. Au stade du compromis de vente, les consorts [K] n’ont fait aucune déclaration, de telle sorte que la SAS Bourse de l’Immobilier n’avait pas à vérifier des déclarations inexistantes et a fortiori à procéder à des vérifications. L’agent immobilier n’avait aucune raison de suspecter des erreurs d’implantation sur le plan et de mettre en doute le travail du géomètre-expert. Contrairement aux allégations de Mmes [Z] et [P], M. [W], salarié de la société Bourse de l’Immobilier, a évoqué la question de l’emplacement de la servitude en soulignant que les déclarations des vendeurs devant notaire étaient en contrariété avec leurs précédentes déclarations au géomètre-expert. Il est mensonger d’indiquer qu’aucune observation n’a été formulée.

– Les appelantes ne justifient pas de leur préjudice ni d’un lien causal avec une faute de l’agent immobilier. Mmes [P] et [Z] ne rapportent pas la preuve de l’impossibilité de construire un spa. En l’état du plan définitif des réseaux, il est possible d’installer le spa à l’arrière du terrain. Ainsi, aucune perte de valeur dudit terrain ne peut être alléguée. Enfin, le sous-seing privé a été signé sous la condition suspensive d’obtention d’un permis de construire, or cette condition a été réalisée. L’agent immobilier a ainsi assuré pleinement l’efficacité de son acte, il n’en ressort aucun préjudice pour les acquéreurs. Mmes [P] et [Z] ont pu mener à bien leur projet de construction d’une maison sur la parcelle acquise.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 novembre 2023.

MOTIVATION

Sur l’irrecevabilité de demandes nouvelles en appel

L’article 564 du code de procédure civile dispose : ‘A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.»

En l’espèce la SAS Bourse de l’Immobilier invoque, sur ce fondement, l’irrecevabilité des demandes formées par les appelantes et tendant à voir :

-condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 200 euros par mois depuis l’acte de vente signé le 27 juin 2018 au titre de l’indemnisation du préjudice de jouissance,

-condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 588 euros au titre du coût de l’intervention du géomètre expert pour établir un plan des canalisations,

-condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à verser la somme de 1 000 euros au titre du trouble de jouissance lié à la réalisation des travaux de recherche du puisard ainsi que des travaux de déplacement de la canalisation d’eau potable à l’emplacement déclaré par les vendeurs et tel qu’il résulte de l’acte authentique de vente,

En effet, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, qui ne s’en expliquent pas plus avant, il s’agit bien de demandes nouvelles qui n’avaient pas été formulées en première instance et qui seront donc déclarées irrecevables.

Sur l’existence d’un dol

L’existence d’un dol au sens de l’article 1137 du code civil suppose au préalable l’existence d’une erreur portant sur une qualité déterminante de la chose vendue.

En l’espèce, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, les acquéreurs ont été induits en erreur quant à l’assiette exacte de la servitude.

En effet, d’une part, l’acte notarié mentionnait clairement l’existence d’une servitude de passage de canalisation s’exerçant ‘à une profondeur minimale de 70 cm pour l’adduction en eau et d’un mètre pour les canalisations des eaux usées et ce, exclusivement à un mètre de la limite séparative avec la parcelle AD [Cadastre 1] telle que son emprise est figurée au plan annexé approuvé par les parties.’

Si ce plan réalisé par un expert-géomètre est quelque peu sujet à interprétation, son examen attentif démontre qu’il n’est nullement en contradiction avec les mentions susvisées.

La ligne discontinue qui figure l’emplacement de la servitude est parallèle à la limite divisoire et si on distingue une cote de 3,5 (pour 3,5 m), l’emplacement de celle-ci, à cheval sur cette ligne, montre qu’elle ne la concerne pas.

Cette cote est également mentionnée au niveau des limites divisoires avec d’autres parcelles, au sud et à l’est et désigne à l’évidence la distance séparant de celles-ci la zone de constructibilité figurée sur le plan.

Au demeurant, cette distance de 3,5 m correspond justement aux prescriptions du PLU, notamment en son article UB7.

Or, ces indications, qui ont une valeur contractuelle et qui font la loi des parties, se sont avérées inexactes et ce, de façon sensible.

En effet, à la suite des opérations de recherche du tracé exact de ces canalisations et du constat d’huissier dressé à cette occasion, le 26 novembre 2020, un géomètre-expert a été requis par les consorts [D] et en a dressé le plan précis (pièce 18 des appelantes).

Il en résulte, notamment que les tracés des canalisations d’adduction d’eau et des eaux usées ne sont ni parallèles ni surtout superposés.

Qu’en particulier, cette dernière s’écarte très vite de la ligne séparative d’avec la parcelle AD [Cadastre 1] pour s’en trouver séparée de 3,03 m puis de 3,24 m avant de retrouver la première et de cheminer alors ensemble en coupant la parcelle et d’atteindre la parcelle AD n°[Cadastre 2] appartenant aux époux [R], à 6,89 m de la ligne séparative susvisée.

Il s’agit là d’une erreur substantielle, précisément en ce qu’alors que les consorts [P] et [Z] étaient fondés à s’en tenir aux indications précises de l’acte, il est apparu que celles-ci étaient totalement erronées.

Il est également établi que les époux [R] en avaient connaissance, notamment en raison de la présence d’un regard desservant les canalisations des eaux usées et

situé à 3,03 m de la ligne divisoire.

De plus, c’est sur leurs indications que le plan annexé à l’acte notarié a été établi, ainsi que le précise le géomètre et comme le confirme le notaire dans une lettre du 20 août 2018.

Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement, cette servitude ayant été établie à leur demande expresse et nécessairement sur leurs indications.

Par conséquent, c’est bien par l’effet d’indications mensongères, constitutives d’un dol, que les acquéreurs ont été induits en erreur.

Les appelantes reprochent également aux époux [R] de leur avoir dissimulé l’existence d’un puisard implanté dans lequel se déverseraient les eaux pluviales.

Mais à l’appui de leurs affirmations elles ne fournissent aucun élément de preuve de sorte que ce reproche ne saurait être retenu.

Sur la responsabilité de l’agent immobilier

S’il est exact que l’agent immobilier est tenu à un devoir de conseil à l’égard de l’acquéreur, il n’est pas tenu de procéder à des investigations techniques ni de vérifier les indications qui lui sont données par le vendeur lorsque celles-ci apparaissent comme vraisemblables et ressortissent du domaine du bâtiment.

En l’espèce, les vendeurs étaient censés être les mieux placés pour connaître l’emplacement exact des canalisations et ce, d’autant plus qu’ils entendaient le consacrer au moyen de l’institution d’une servitude.

La Sas Bourse de l’immobilier n’ a donc commis aucune faute à ce sujet et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts

Les consorts [T] réclament la somme de 28 000 € se décomposant en une somme de 19 000 € au titre de la perte de valeur du terrain et en une somme de 9 000 € au titre de la perte de chance de réaliser certains équipements de loisirs extérieurs autorisés par le PLU.

La perte de valeur qu’ils invoquent est calculée sur la base d’une surface de 50 m² non exploitable multipliée par le prix d’achat au mètre carré du terrain.

Mais un tel calcul reviendrait à considérer que cette zone serait donc privée de toute valeur de sorte qu’ils seraient victimes en quelque sorte d’une expropriation de fait.

Il en résulte qu’ils ne sauraient réclamer à la fois une indemnité censée rendre compte de l’impossibilité totale d’utiliser cette portion de terrain et une indemnité liée à une perte de chance d’utiliser la même portion de terrain!

La portion de terrain considérée est parfaitement conforme à son objet dès lors qu’on n’envisage pas d’y réaliser des travaux pouvant porter atteinte à l’intégrité des canalisations en question.

C’est donc en effet une indemnité pour perte de chance de les réaliser qui doit être retenue.

Il faut noter à cet égard qu’en réalité, certaines constructions ne sont pas autorisées en deçà d’une distance de 3,5 m de la ligne divisoire.

Que cependant, le plan local d’urbanisme en excepte les annexes isolées telles que des garages, remises, locaux techniques, abris de jardins, piscines, terrasses couvertes etc. à certaines conditions en termes de surface et de hauteur.

Il n’est pas démontré pour autant que tous ces édicules et installations sont incompatibles avec la présence de canalisations en sous-sol.

Par exemple, les appelantes évoquent leur souhait de construire une terrasse sans démontrer en quoi ce projet serait incompatible avec la présence de canalisations enterrées à une profondeur non négligeable.

Dans ces conditions, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il convient d’évaluer la perte de chance subie à la somme de 5000 €.

Il y a lieu de faire droit à la demande de remboursement des frais engagés en vue de rechercher l’emplacement exact des canalisations, soit la somme de 1100 €.

Celle relative à des frais de recherche d’un puisard sera rejetée faute de démontrer l’existence d’un tel équipement qui ne repose que sur les allégations des consorts [T] citant elles-mêmes les affirmations supposées de M. [F].

Il en est de même pour la demande relative au coût d’un renforcement des canalisations au lieu où se situait le regard dans la mesure où il résulte des explications des demanderesses elles-mêmes que la nécessité d’un tel ouvrage est purement hypothétique.

En revanche, il est certain que l’acte de propriété devra être modifié pour tenir compte du tracé réel des canalisations constituant la servitude et la somme de 1000 € réclamée à ce titre est justifiée.

La somme de 5000 € réclamée à titre de dommages et intérêts, qui ne fait l’objet d’aucune justification, sera donc écartée.

Sur les demandes annexes

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné les consorts [P] et [Z] à payer la somme de 1000 € à la Sas Bourse de l’Immobilier par application l’article 700 du code de procédure civile.

La même somme sera allouée à cette société en cause d’appel.

En revanche sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée en ce qu’il n’est pas démontré que les appelantes ont agi avec une légèreté blâmable ou dans le but de nuire.

Les époux [R] seront condamnés aux dépens de première instance et d’appel.

Ils verseront aux consorts [P] et [Z], par application de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 4000 €.

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevables les demandes formées par Mmes [P] et [Z] tendant à voir :

-condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 200 euros par mois depuis l’acte de vente signé le 27 juin 2018 au titre de l’indemnisation du préjudice de jouissance,

-condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à leur verser une somme de 588 euros au titre du coût de l’intervention du géomètre expert pour établir un plan des canalisations,

-condamner in solidum les époux [R] et la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier à verser la somme de 1 000 euros au titre du trouble de jouissance lié à la réalisation des travaux de recherche du puisard ainsi que des travaux de déplacement de la canalisation d’eau potable à l’emplacement déclaré par les vendeurs et tel qu’il résulte de l’acte authentique de vente,

Infirme le jugement en ce qu’il a débouté les consorts [P] et [Z] de la totalité de leurs demandes et les a condamnés à diverses sommes en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Statuant à nouveau,

Déboute Mmes [P] et [Z] de leurs demandes dirigées contre la SAS Bourse de l’Immobilier aux droits de laquelle vient la société Human Immobilier

Condamne les époux [R] à payer à Mmes [P] et [Z] les sommes de :

-5000 € au titre de la perte de chance subie

-1100 € au titre du coût de la recherche des canalisations

-1000 € au titre du coût de la modification de l’acte de propriété

Déboute Mmes [P] et [Z] de leurs autres demandes

Confirme le jugement pour le surplus

Y ajoutant,

Condamne Mmes [P] et [Z] à payer à la société Human Immobilier venant aux droits de la société Bourse de l’Immobilier la somme de 1000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel

Condamne les époux [R] à payer à Mmes [P] et [Z] la somme de 4000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions prévues par l’article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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