Contrefaçon : 15 décembre 2023 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 22/08239

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Contrefaçon : 15 décembre 2023 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 22/08239
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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

N° RG 22/08239
N° Portalis 352J-W-B7G-CXL6F

N° MINUTE :

Assignation du :
06 Juillet 2022

JUGEMENT
rendu le 15 Décembre 2023
DEMANDEUR

Monsieur [O] [X]
[Adresse 3]
[Localité 2]

représenté par Maître Arnaud LELLINGER de l’AARPI LLF AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0112

DÉFENDEURS

Monsieur [C] [E]
[Adresse 1]
[Localité 4]

Société Editions Yris
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentés par Maître Felicia MALINBAUM, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #A0298

et par Maître Mohamed FELOUAH, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

Copies délivrées le :
– Maître LELLINGER #L112
– Maître MELINBAUM #A298

Décision du 15 Décembre 2023
3ème chambre 2ème section
N° RG 22/08239 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXL6F

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Anne BOUTRON, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l’audience du 06 Octobre 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l’audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [O] [X] se présente comme l’unique ayant-droit de [J] [P], décédé le 31 janvier 1994, qui est notamment l’auteur d’un roman intitulé La planète des singes, paru en 1963, qui a connu un très grand succès et a été adapté plusieurs fois au cinéma et à la télévision.
La société Les éditions Yris, est une société coopérative d’édition de livres, dont M. [C] [E] est directeur de collection.
Le 18 mars 2021, la société Les éditions Yris a publié, dans une collection nommée Les archives de la télévision, un livre intitulé La planète des singes dont l’auteur est M. [E].
Après mise en demeure du 19 mai 2022 de rappeler et détruire l’ensemble des ouvrages et d’indemniser son préjudice, par actes du 6 juillet 2022, M. [X] a fait assigner la société Les éditions Yris et M. [E] devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droit d’auteur sur le titre La planète des singes et réparation de pratiques commerciales trompeuses.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 29 décembre 2022, M. [X] demande au tribunal, au visa des articles L. 112-4, L. 122-4 et L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle, L. 121-1 à 3 du code de la consommation et 1240 du code civil, de : faire interdiction aux défendeurs de fabriquer et vendre tout ouvrage reprenant le titre La planète des singes dans le mois de la décision, sous astreinte de 1.000 euros par infraction et par jour ; ordonner la communication d’un état des stocks certifié, le retrait et la destruction des ouvrages litigieux et documents en lien direct ou indirect avec celui-ci, sous astreinte, et publication de la décision à intervenir dans 15 journaux ; condamner in solidum les défenderesses à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral, celle de 20.000 euros en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon et celle de 10.000 euros en réparation du préjudice causé la tromperie sur l’origine de l’ouvrage, le détournement et l’affaiblissement de l’œuvre et les pratiques commerciales trompeuses ; les condamner aux dépens et à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sous le bénéfice de l’exécution provisoire.
Il soutient que :- il détient les droits sur le titre de sorte que l’utilisation de celui-ci sans son autorisation constitue une contrefaçon, le risque de confusion étant indifférent ;
– ce titre est original, à la date de sa création, par sa valeur conceptuelle et, ultérieurement, par sa très grande renommée issue d’un succès planétaire ;
– sa reproduction à l’identique sur la couverture de l’ouvrage litigieux constitue une contrefaçon ;
– le préjudice consiste dans la dévalorisation de l’œuvre originale, les investissements substantiels qu’il devra faire pour y remédier et dans les économies d’investissement et bénéfices indus des défendeurs.

Dans leurs dernières conclusions du 20 décembre 2022, la société Les éditions Yris et M. [E] demandent au tribunal de débouter M. [X] de ses demandes et de le condamner aux dépens et à leur payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir que:- M. [X] n’a pas intérêt à agir en contrefaçon, l’ouvrage incriminé portant sur la série télévisée d’[W] [H] et non sur l’œuvre de [J] [P] ;
– aucune confusion ne peut être faite entre les deux ouvrages ;
– si le titre est original, il est impossible de faire référence à l’œuvre sans citer son titre, ce qui ne constitue pas une contrefaçon ;
– aucun préjudice n’est démontré ni vraisemblable et le quantum des demandes ne repose sur aucun calcul sérieux.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 février 2023.

MOTIVATION

L’article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle dispose : “Le titre d’une œuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’œuvre elle-même”.La contrefaçon d’un titre original s’entend de la reprise des mots et formules qui le constituent pour en faire la locution distinctive sous laquelle une autre œuvre sera divulguée (1re Civ., 19 février 2002, pourvoi n° 00-12.151, Bull. civ. 2002, I, n°62).

L’article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que “Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : 1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée”.

Les articles L. 121-1 à L. 121-3 du code de la consommation définissent et interdisent les pratiques commerciales déloyales et trompeuses à l’égard des consommateurs, interdites en ce qu’elles sont “contraires aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elles altèrent ou sont susceptibles d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif, à l’égard d’un bien ou d’un service”.La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l’article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires.
La création d’un risque de confusion avec un bien d’un concurrent est une pratique commerciale déloyale vis-à-vis du consommateur susceptible de l’induire en erreur et, par conséquent, un acte de concurrence déloyale à l’égard du concurrent.

L’originalité du titre La planète des singes n’est pas discutée, pas plus que la titularité des droits patrimoniaux d’auteur de M. [X].
Le livre écrit par M. [E] et édité par la société Les éditions Yris est un inventaire illustré et commenté des adaptations au cinéma et à la télévision de l’œuvre de [J] [P], et porte un titre identique à cette œuvre. Contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, il ne s’agit pas d’une référence nécessaire à l’œuvre de [J] [P], qui n’est pas le sujet du livre, mais bien de la désignation de l’œuvre de M. [E].
Il constitue donc une contrefaçon du titre protégé par le droit d’auteur, quand bien même l’ouvrage litigieux n’est pas un roman.

Il y a donc lieu de faire droit aux mesures d’interdiction de vente pour l’avenir ainsi que de rappel et destruction des ouvrages contrefaisant ce titre et d’accès à l’information sur les stocks existant. En revanche, les demandes de prononcé d’astreinte n’apparaissent pas justifiées par les circonstances.
Quoiqu’interpellé sur ce point par les écritures adverses, le demandeur ne précise pas les références ni le mode de calcul des sommes forfaitaires demandées à titre de réparation de son gain manqué – alors que plusieurs livres en vente en France portent le titre litigieux -, ni des économies d’investissement qu’il estime réalisées par les défendeurs. De son côté, la société Les éditions Yris ne justifie aucunement des tirages, ni des stocks de l’ouvrage litigieux, qu’elle qualifie de minimes.
Les défendeurs ayant échappé au paiement d’une redevance en faisant usage de ce titre sans autorisation, ils ont tiré un bénéfice de l’atteinte aux droits de M. [X].
Dès lors, eu égard à la durée brève de l’exploitation et aux mesures de retrait ordonnées, le tribunal retient un préjudice économique résultant de l’usage sans autorisation du titre qu’il fixe à 1.500 euros

S’agissant du préjudice moral, M. [X] invoque le fait que l’ouvrage, de piètre qualité, fait l’étude des adaptations audiovisuelles au détriment de l’œuvre littéraire de [J] [P], galvaude cette œuvre, la dilue et est susceptible de ternir l’image de l’auteur.
Or, l’examen du livre de M. [E] ne corrobore pas l’affirmation brute selon laquelle il serait de piètre qualité. Par ailleurs, rien ne permet de retenir que ce livre aurait pu contribuer à galvauder ou à diluer l’œuvre littéraire originale de [J] [P], au contraire des très nombreuses adaptations de celle-ci, d’ambition artistique très variable, que l’auteur ou ses ayant-droits ont autorisées.
Le préjudice moral du titulaire des droits d’auteur n’est donc aucunement démontré et la demande d’indemnisation à ce titre est rejetée.

S’agissant des faits de concurrence déloyale, M. [X] reproche à l’ouvrage litigieux de créer une confusion avec l’œuvre originale de [J] [P], “dont elle reprend allègrement les éléments emblématiques”. Or, ces éléments se résument à des photographies tirées d’une adaptation au cinéma de La planète des singes, qui ne sont aucunement emblématiques de l’œuvre de [J] [P] et sont bien différents de l’illustration du livre litigieux.De plus, il est fait grief de ce que celui-ci serait présenté de sorte que le lecteur pourrait l’acheter en le prenant pour l’original. Or, le simple examen du livre montre immédiatement qu’il ne s’agit pas d’un roman et le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif ne peut confondre les deux œuvres.

Aucune pratique commerciale trompeuse ou création d’une confusion n’étant établie, il y a lieu de rejeter la demande fondée sur la concurrence déloyale.
La société Les éditions Yris et M. [E], qui succombent, sont condamnés aux dépens de l’instance et l’équité justifie de les condamner à payer à M. [X] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Interdit à la société Les éditions Yris et à M. [C] [E] de fabriquer, faire fabriquer, offrir à la vente et vendre tout ouvrage intitulé La planète des singes, dans le mois de la signification du jugement à intervenir ;

Ordonne à la société Les éditions Yris de communiquer à M. [O] [X] un état certifié par un comptable des stocks de l’ouvrage La planète des singes, de le retirer des stocks et circuits de distribution et d’en détruire l’intégralité à ses frais ;

Rejette la demande de publication ;

Condamne in solidum la société Les éditions Yris et M. [C] [E] à payer à M. [O] [X] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la contrefaçon du titre La planète des singes ;

Rejette les demandes fondées sur le préjudice moral et la concurrence déloyale ;

Condamne in solidum la société Les éditions Yris et M. [E] aux dépens de l’instance qui pourront être recouvrés directement par Me Arnaud Lellinger dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la société Les éditions Yris et M. [E] à payer à M. [O] [X] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 15 Décembre 2023

Le GreffierLa Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC

 


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