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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRÊT DU 08 DECEMBRE 2023
(n°170, 21 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 21/19696 – n° Portalis 35L7-V-B7F-CEU5O
Décision déférée à la Cour : jugement du 06 juillet 2021 – Tribunal Judiciaire de PARIS – 3ème chambre 3ème section – RG n°18/01602
APPELANTE AU PRINCIPAL et INTIMEE INCIDENTE
S.A.S. LUNDI MATIN, agissant en la personne de son président en exercice domicilié en cette qualité au siège social situé
[Adresse 4]
[Localité 1]
Immatriculée au rcs de Montpellier sous le numéro 499 092 930
Représentée par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de PARIS, toque W 09
Assistée de Me Bruno CARBONNIER plaidant pour la SCP LE STANC – CARBONNIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE AU PRINCIPAL et APPELANTE INCIDENTE
S.A. LA POSTE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé
[Adresse 3]
[Localité 2]
Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 356 000 000
Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque L 0018
Assistée de Me Olivier PIGNATARI plaidant pour la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque T 07
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 5 octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, en présence de Mme Agnès MARCADE, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport
Mmes Laurence LEHMANN et Agnès MARCADE ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Véronique RENARD, Présidente
Mme Laurence LEHMANN, Conseillère
Mme Agnès MARCADE, Conseillère
Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement contradictoire rendu le 6 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Paris.
Vu l’appel interjeté le 12 novembre 2021 par la société Lundi Matin.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 29 novembre 2022 par la société Lundi Matin, appelante et incidemment intimée.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 30 novembre 2022 par la société La Poste, intimée et appelante incidente.
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 8 décembre 2022.
Vu l’avis de changement de distribution du 6 mars 2023 par lequel l’affaire initialement attribuée au pôle 5 ‘ chambre 11 a été redistribuée au pôle 5 ‘ chambre 2.
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
La société Lundi Matin se présente comme une société éditrice de logiciels et d’applications mobiles de gestion.
Elle expose avoir proposé gratuitement de 2007 à 2010 le premier ERP (« Entreprise Ressource Planning ») Open Source en France, sous l’appellation de « LMB » (pour « Lundi Matin Business ») lequel a été adopté par plus de 40 000 entreprises utilisatrices. Elle dit avoir ensuite lancé en 2010 une version payante en mode Saas de ce logiciel permettant aux entreprises de gérer leur catalogue produit, leurs stocks, leurs ventes, leurs achats, leur trésorerie et la relation avec les clients.
La société Lundi Matin explique également avoir commercialisé en 2013 un logiciel de caisse à destination du monde du commerce de détail « Rovercash », disponible sur tablettes et smartphones.
La société La Poste expose pour sa part avoir adopté à compter de 2012 une stratégie de développement des services dans le secteur du commerce et du e-commerce et s’être, dans ce cadre, rapprochée de la société Lundi Matin afin d’envisager, en s’appuyant sur les solutions proposées par cette dernière, le développement d’une application de caisse utilisable sur tablette et smartphone avec un site web de gestion.
Plusieurs contrats à durée déterminée ont alors été signés, au gré de l’évolution des contours de la solution souhaitée par la société La Poste et dénommée « Genius » : le premier les 13 et 20 février 2015 relatif à un test (proof of concept) ; un deuxième en date des 23 et 30 septembre 2015 aux fins de « prestation de développement à fin d’interconnecter les solutions LMB et Rovercash avec un Front Office Commerçants » ; un troisième contrat « de prestation de développements d’adaptation des solutions LMB, lnfra LM et Rovercash et prestations associées » a été conclu les 26 avril et 30 mai 2016 ; enfin, un quatrième et dernier contrat a été signé les 14 et 25 novembre 2016, intitulé contrat de « prestations de développement d’adaptation des solutions LMB, Infra LM et Rovercash et d’infogérance », arrivé à échéance le 6 avril 2017.
Considérant que la mise en ligne par la société La Poste, le 3 avril 2017, de l’application « Genius » sur la plateforme de téléchargement Play Store de Google était constitutive de contrefaçon de ses droits portant sur les logiciels LMB et Rovercash, et alors que la société La Poste l’avait informée de sa volonté de s’émanciper de ses applications, la société Lundi Matin a mis un terme à sa collaboration avec la société La Poste à compter du 6 octobre 2017, estimant que les négociations en cours pour la signature d’un cinquième contrat n’était pas susceptibles d’aboutir.
Par lettre recommandée en date du 10 octobre 2017, la société Lundi Matin mettait en demeure la société La Poste de lui payer la somme de 236 769 euros au titre des prestations accomplies depuis six mois, tout en lui rappelant son obligation de la nommer dans les crédits de l’application Genius.
Par acte en date du 6 février 2018, la société Lundi Matin a fait assigner la société La Poste devant le tribunal judiciaire de Paris, à titre principal en contrefaçon de logiciel, en concurrence déloyale et en règlement de ses factures impayées et à titre subsidiaire en violation de ses obligations contractuelles.
La société La Poste concluait à l’irrecevabilité ou au débouté de la société Lundi Matin de ses demandes et sollicitait la condamnation de cette dernière à l’indemniser du préjudice qu’elle estimait avoir subi en raison de l’introduction fautive dans son espace Jira et de la rupture fautive des pourparlers dont se serait rendue coupable la société Lundi Matin.
Le jugement du tribunal dont appel a :
– dit la société Lundi Matin recevable à agir en contrefaçon de logiciel et rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société La Poste ;
– dit que le logiciel Rovercash version 2.5.4 de la société Lundi Matin est protégé au titre du droit d’auteur ;
– dit qu’en rendant accessible au public son application « Genius » dans une version exécutant le logiciel Rovercash de la société Lundi Matin, la société La Poste a commis des actes de contrefaçon de logiciel ;
– condamné la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 145 620 euros en réparation de son préjudice patrimonial du fait des actes de contrefaçon ;
– débouté la société Lundi Matin de ses demandes au titre de l’atteinte à son droit moral et en cessation d’exploitation ;
– condamné la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 12 000 euros pour résistance abusive ;
– débouté la société Lundi Matin de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire ;
– condamné la société La Poste à régler à la société Lundi Matin la somme de 236 769,18 euros TTC au titre des factures impayées, augmentée des pénalités de retard contractuelles et des intérêts légaux à la date de l’exigibilité de chaque facture ;
– débouté la société La Poste de ses demandes reconventionnelles en responsabilité délictuelle ;
– condamné la société La Poste à verser à la société Lundi Matin la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société La Poste aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Martin Lemery ;
– ordonné l’exécution provisoire.
La société Lundi Matin a relevé appel limité de cette décision sur les montants des dommages et intérêts alloués au titre de la contrefaçon du logiciel et de la résistance abusive et en ce qu’elle l’a déboutée de ses demandes au titre de l’atteinte au droit moral, de mesures d’interdiction et au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.
Par ses dernières conclusions elle demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu le 6 juillet 2021 (RG n°18/01602) rendu par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu’il a :
– condamné la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la seule somme de 145 620 euros en réparation de son préjudice patrimonial du fait des actes de contrefaçon ;
– débouté la société Lundi Matin de ses demandes au titre de l’atteinte à son droit moral et en cessation d’exploitation ;
– condamné la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la seule somme de 12 000 euros pour résistance abusive ;
– débouté la société Lundi Matin de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire ;
– condamné la société La Poste à verser à la société Lundi Matin la seule somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau, il est demandé à la cour de céans, réformant le jugement de :
1- Sur la contrefaçon
A titre principal,
– juger que la concluante est bien fondée à engager la responsabilité de La Poste sur le fondement du livre I du code de la propriété intellectuelle ; confirmant ainsi le jugement rendu et rejetant ainsi l’appel incident adverse à ce titre ;
– juger que le logiciel Rovercash (pièce n°13) de la société Lundi Matin est protégé par le droit d’auteur et que Lundi matin est fondée à demander le bénéfice de cette protection ; confirmant ainsi le jugement rendu et rejetant ainsi l’appel incident adverse à ce titre ;
– juger qu’en reproduisant le logiciel Rovercash de la société Lundi Matin au-delà des limites fixées dans les contrats liant les parties et en le mettant sur le marché à titre onéreux ou gratuit, la société La Poste a commis des actes de contrefaçon des droits d’auteur de la société Lundi Matin ; confirmant ainsi le jugement rendu et rejetant ainsi l’appel incident adverse à ce titre ;
En conséquence,
– condamner la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 11 914 560 euros au titre du préjudice patrimonial prenant en compte les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits (dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée) ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– condamner la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 2 372 155 euros au titre du préjudice patrimonial résultant des économies d’investissements intellectuels réalisés par la société La Poste ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– condamner la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 2 585 000 euros au titre du préjudice moral ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– condamner la société La Poste à cesser ses actes illicites et à empêcher l’utilisation des applications de Genius déjà téléchargées et exploitant le Logiciel, sous astreinte de 5000 euros par jour de retard ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
A titre subsidiaire, dans le cas où la cour jugerait irrecevable l’action en contrefaçon :
– juger qu’en utilisant le logiciel Rovercash de la société Lundi Matin au-delà des limites fixées dans les contrats liant les parties, la société La Poste a violé son obligation contractuelle de respect du périmètre d’utilisation du logiciel Rovercash ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
En conséquence,
– condamner la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 11 914 560 euros au titre du préjudice patrimonial ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– condamner la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 2 372 155 euros au titre du préjudice patrimonial résultant des économies d’investissements intellectuels réalisés par LA POSTE ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– condamner la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 2 585 000 euros au titre du préjudice moral ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– condamner la société La Poste à cesser ses actes illicites, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard, infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre
2- Sur la concurrence déloyale et parasitaire
– juger que la société La Poste a eu un comportement déloyal et parasitaire en détournant et en s’appropriant les investissements, les efforts et le savoir-faire de la société Lundi Matin ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
En conséquence,
– condamner la société La Poste à verser la somme provisionnelle de deux millions trois cents soixante-douze et cent cinquante-cinq (2.372.155) euros à titre de dommages et intérêts en réparation globale du préjudice subi infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– interdire à la société La Poste de poursuivre la commercialisation de produits ou services mettant en ‘uvre le savoir-faire de la société Lundi Matin sous astreinte de 1 000 euros par produit ou service commercialisé ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– ordonner la publication du jugement à intervenir (sic), aux frais avancés de la société La Poste, dans deux journaux ou revues, au choix de la société Lundi Matin, sans que le coût unitaire de ces publications ne puisse être supérieur à la somme de 5 000 euros hors taxe et ce dans le mois de la signification du jugement sous astreinte de 500 euros par jour de retard ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– ordonner à la société La Poste, aux frais de cette dernière, de publier sur le haut de la première page de son site Internet accessible à l’adresse www.laposte.fr, le jugement à intervenir dans son intégralité en police Arial 12 minimum, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé le délai de deux (2) jours à compter de la signification du jugement à intervenir et pour une durée de publication d’un mois ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
3 ‘ Sur le règlement des factures impayées
– juger que La Poste reconnait devoir la somme de deux cent trente-six mille sept cent soixante-neuf et dix-huit centimes d’euros (236.769,18) TTC au titre de factures impayées (ie. factures n°Oa629, Oa630, Oa631, Oa632, Oa633 ; pièce n°10) ; confirmant ainsi le jugement rendu ;
– juger que cette créance est liquide, certaine et exigible ; confirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– condamner la société La Poste à payer à la société Lundi Matin les factures non réglées pour un montant total de deux cent trente-six mille sept cent soixante-neuf et dix-huit centimes euros (236 769,18) TTC augmenté des pénalités de retard contractuelles et des intérêts légaux à la date de l’exigibilité de chaque facture ; confirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– condamner la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de cinquante mille (50 000) euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution de mauvaise foi des contrats liant les parties ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
4 – Sur le remboursement des frais exposés
– condamner la société La Poste à verser à la société concluante la somme totale de 30 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; infirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre ;
– condamner la société La Poste aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Guillaume Dauchel ;
5 – Sur les demandes incidentes adverses
– en tout état de cause, juger que la société Lundi Matin n’a commis aucune faute et rejeter toutes demandes, fins et conclusions de La Poste ; confirmant ainsi le jugement rendu et rejetant les demandes adverses à ce titre,
– débouter la société La Poste de l’ensemble de ses demandes.
La société la Poste demande à la cour de :
I/ Sur la contrefaçon,
A titre principal,
– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2021 en ce qu’il a :
– déclaré la société Lundi Matin recevable à agir en contrefaçon de logiciel et en ce qu’il a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société La Poste,
– dit que le logiciel Rovercash version 2.5.4 de la société Lundi Matin est protégé au titre du droit d’auteur,
– dit qu’en rendant accessible au public son application « Genius » dans une version exécutant le logiciel Rovercash de la société Lundi Matin, la société La Poste a commis des actes de contrefaçon de logiciel
– condamné la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 145.620 euros en réparation de son préjudice patrimonial du fait des actes de contrefaçon,
Statuant à nouveau,
– dire et juger que le présent litige n’est pas un litige de contrefaçon mais un litige commercial portant sur l’étendue des droits dont disposait La Poste en vertu des contrats conclus entre les parties ;
En conséquence,
– dire et juger la société Lundi Matin irrecevable en son action en contrefaçon,
A titre subsidiaire,
– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2021, en ce qu’il a retenu les actes de contrefaçon commis par la société La Poste, et notamment en ce qu’il a :
– dit que le logiciel Rovercash version 2.5.4 de la société Lundi Matin est protégé au titre du droit d’auteur,
– dit qu’en rendant accessible au public son application « Genius » dans une version exécutant le logiciel Rovercash de la société Lundi Matin, la société La Poste a commis des actes de contrefaçon de logiciel
– condamné la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 145.620 euros en réparation de son préjudice patrimonial du fait des actes de contrefaçon,
Statuant à nouveau,
– dire et juger que le programme sur lequel la société Lundi Matin revendique un droit de propriété intellectuelle n’est pas protégeable au titre du droit d’auteur relatif au logiciel,
– dire et juger que la société Lundi Matin ne rapporte nullement la preuve de l’originalité du programme sur lequel elle revendique un droit de propriété intellectuelle, condition nécessaire à l’exercice de l’action en contrefaçon,
– dire et juger que la société Lundi Matin ne démontre pas l’existence des prétendus emprunts constitutifs d’actes de contrefaçon allégués,
En conséquence,
– débouter la société Lundi Matin de l’ensemble de ses demandes de ce chef,
A titre infiniment subsidiaire, sur la réparation de l’éventuel préjudice patrimonial
– infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2021, en ce qu’il a condamné la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 145.620 euros en réparation de son préjudice patrimonial du fait des actes de contrefaçon,
Statuant à nouveau,
– débouter la société Lundi Matin de toutes ses demandes de ce chef,
– déclarer irrecevable la nouvelle demande indemnitaire de la société Lundi Matin visant à prendre en compte les prétendues économies d’investissements intellectuels réalisés par La Poste,
ou à défaut, si la cour devait faire droit aux demandes de la société Lundi Matin,
– juger que la réparation du préjudice patrimonial de la société Lundi Matin sera limitée à la somme de 18 180 euros HT,
En tout état de cause, sur l’absence d’atteinte au droit moral
– confirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2021 en ce qu’il a jugé que l’atteinte au droit moral revendiquée par la société Lundi Matin n’est pas caractérisée et en ce qu’il a débouté la société Lundi Matin de ses demandes au titre de l’atteinte à son droit moral et en cessation d’exploitation,
II/ Sur les demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,
– juger que la société Lundi Matin ne rapporte pas la preuve de la violation du contrat par la société La Poste,
– juger que la société Lundi Matin ne rapporte pas la preuve d’agissement constitutif de concurrence déloyale par la société La Poste,
En conséquence,
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2021 de ce chef,
III/ Sur les demandes reconventionnelles de la société La Poste relatives à la fin des relations contractuelles entre les parties.
– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2021 de son chef ayant rejeté les demandes reconventionnelles de la société La Poste « en responsabilité délictuelle de Lundi Matin ».
Statuant à nouveau,
1. Sur le préjudice subi par la société La Poste du fait des agissements de la société Lundi Matin,
– juger que l’intrusion fautive sur le site « JIRA » à la requête de la société Lundi Matin et la copie du code source de l’application Genius appartenant à la société La Poste lui a causé un préjudice moral,
En conséquence,
– condamner la société Lundi Matin à payer à la société La Poste la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
2. Sur la rupture fautive des pourparlers,
– juger que la rupture des pourparlers par la société Lundi Matin a été fautive,
En conséquence,
– condamner la société Lundi Matin à payer à la société La Poste les sommes :
– 371 000 euros, sauf à parfaire, au titre du surcoût lié au développement et à la sécurisation des données clients,
– 36 000 euros, sauf à parfaire, au titre du surcoût humain lié au retard de développement,
– 26 500 euros au titre des pertes de chiffre d’affaire résultant des résiliations de contrats directement causés par la rupture fautive des négociations et l’arrêt brutal des prestations par la société Lundi Matin,
– 1 014 000 euros au titre des pertes de chiffre d’affaires sur la période de 2017 à 2019 causée par le retard dans la commercialisation de Genius,
Soit la somme totale de 1 477 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son entier préjudice financier, commercial et économique,
– condamner la société Lundi Matin à payer à la société La Poste la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d’image,
– ordonner la compensation de cette somme à due concurrence avec la somme de 236 769,18 euros TTC que la société La Poste reste devoir à la société Lundi Matin,
IV/ Sur la condamnation de la société La Poste pour résistance abusive et l’article 700 du code de procédure civile,
– infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2021 de son chef ayant condamné la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 12.000 euros pour résistance abusive ainsi qu’à 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
– débouter la société Lundi Matin de l’ensemble de ses demandes de ce chef,
En tout état de cause,
– condamner la société Lundi Matin à payer à la société La Poste la somme de 30 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner la société Lundi Matin aux entiers dépens de l’instance qui pourront être recouvrés par la Selas DS Avocats, représentée par Maître Antoine Gravereaux, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
A titre liminaire, la cour relève que la disposition du jugement entrepris ayant condamné la société La Poste à régler à la société Lundi Matin la somme de 236 769,18 euros TTC au titre des factures impayées, augmentée des pénalités de retard contractuelles et des intérêts légaux à la date de l’exigibilité de chaque facture n’est pas contestée par la société La Poste qui n’en a pas relevé appel incident. En conséquence, cette disposition du jugement est devenue irrévocable et il n’y a pas lieu de la confirmer.
Sur la contrefaçon de droits d’auteur
– Sur la recevabilité des demandes
La société La Poste fait valoir que la société Lundi Matin lui reproche la commercialisation de la solution Genius sans faire référence à son nom et sans avoir obtenu son autorisation ainsi que la reproduction de son logiciel Rovercash. Elle en déduit que le litige qui l’oppose à la société Lundi Matin n’est pas un litige de contrefaçon mais un litige commercial portant sur l’étendue des droits dont elle disposait en application des contrats qui les liaient.
Le principe du non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle interdit au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle.
La Cour de justice de l’Union européenne a toutefois dit pour droit que « la directive [2004/48] et la directive [2009/24] doivent être interprétées en ce sens que la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme, relève de la notion d’ « atteinte aux droits de propriété intellectuelle », au sens de la directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national (CJUE, arrêt du 18 décembre 2019, C-666/18).
Or, il apparaît que l’action sur le fondement de la responsabilité contractuelle ne permet pas au titulaire de droits d’auteur sur un logiciel en cas d’atteinte portée à ses droits, de bénéficier de l’ensemble des garanties prévues par la directive 2004/48, notamment à ses articles 7 et 13.
En effet, si, selon l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ou l’article 1231-1 du code civil dans sa rédaction issue de cette ordonnance, en cas d’inexécution de ses obligations nées du contrat, le débiteur peut être condamné à des dommages-intérêts, ceux-ci ne peuvent, en principe, excéder ce qui était prévisible ou ce que les parties ont prévu conventionnellement. Par ailleurs, il résulte de l’article 145 du code de procédure civile que les mesures d’instruction légalement admissibles ne permettent pas la saisie réelle des marchandises arguées de contrefaçon ni celle des matériels et instruments utilisés pour les produire ou les distribuer.
Il s’en déduit que la société Lundi Matin est recevable à agir en contrefaçon.
La fin de non-recevoir opposée par la société La Poste sera en conséquence rejetée.
La société La Poste oppose également à titre de fin de non-recevoir le défaut d’identification précise par la société Lundi Matin du logiciel et de la version du programme argué de contrefaçon.
Néanmoins, ainsi que l’a relevé le tribunal, dès l’assignation, la société Lundi Matin a fait état de la contrefaçon du logiciel Rovercash dans sa version 2.5.4 dont les codes sources étaient communiqués (pièce 13 LM).
La société La Poste ne tire donc pas utilement argument des écritures de la société Lundi Matin qui peut désigner le logiciel argué de contrefaçon comme le « Logiciel » ou « bibliothèque Rovercash » ou « kit de développement Rovercash », celle-ci ayant été mise en mesure d’identifier le logiciel dont la contrefaçon lui est reprochée.
L’action en contrefaçon de la société Lundi Matin est donc recevable et le jugement déféré confirmé en ce qu’il a rejeté les fins de non-recevoir de la société La Poste.
– Sur le fond
– Sur l’originalité du logiciel
La société La Poste conteste l’originalité du logiciel « Rovercash » qui lui est opposé. Elle fait valoir que la société Lundi Matin ne démontre nullement l’originalité dudit logiciel, celle-ci procédant par affirmations, la conception d’un algorithme qui permet d’intégrer de nouvelles fonctionnalités et/ou solutions de paiement dans l’application sans devoir en modifier son architecture logicielle ne caractérise pas une originalité, l’algorithme étant exclu de la protection du droit d’auteur comme le choix des fonctionnalités et d’une ergonomie propre également revendiqués par la société Lundi Matin, les fonctionnalités essentielles étant demandées par le marché. Elle soutient que le choix d’orienter l’ergonomie d’un programme vers le commerçant ne relève pas d’un choix arbitraire mais d’une logique automatique et contraignante dès lors que la cible du programme est le commerçant. Elle ajoute que la possibilité de personnaliser son interface selon sa convenance relève du domaine des idées et que la performance d’un programme est indifférente à démontrer son originalité. Elle considère enfin que s’agissant de l’originalité dans l’écriture du code et dans la composition, la société appelante ne procède que par affirmations, celle-ci ne pouvant prétendre démontrer une quelconque originalité du code source en l’absence d’analyse par un expert, et reproche au tribunal d’avoir retenu ces simples déclarations non étayées pour considérer le logiciel en cause original.
L’originalité du logiciel argué de contrefaçon étant contestée, il appartient à la société Lundi Matin de caractériser celle-ci et notamment d’établir les choix opérés par le concepteur de ce logiciel témoignant un apport intellectuel propre et un effort personnalisé de l’auteur.
Pour ce faire, la société Lundi Matin fait valoir qu’elle a fait le choix d’un langage informatique (Java) permettant de faire fonctionner le logiciel avec un certain type de processeur, d’un algorithme qui permet d’intégrer de nouvelles fonctionnalités sans devoir modifier l’architecture logicielle, d’une ergonomie propre au logiciel, d’une originalité dans l’écriture de ce code et dans la composition, les raisons d’interaction et des tables. Elle explique avoir choisi de regrouper certaines informations dans certaines tables en utilisant le format JSON, en plus de les stocker dans leurs tables respectives. Elle ajoute avoir développé un connecteur directement dans le logiciel Rovercash permettant de synchroniser les données entre ce logiciel et le logiciel LMB. Elle fait enfin valoir une originalité dans l’apparence graphique du logiciel.
Le logiciel « Rovercash » dans sa version 2.5.4 est présenté comme un logiciel de caisses enregistreuses nouvelle génération qui couvre les fonctionnalités essentielles demandées par les commerçants telles le « click and collect » absent des logiciels ancienne génération, le « store-to-web » qui permet de saisir une commande sur le logiciel de caisse pour expédier la marchandise chez le client comme s’il s’agissait d’une commande Internet, le « Mode Kiosque » pour la sécurisation du logiciel, la traçabilité par numéro de série ou de lot, et offrant une ergonomie du catalogue, le logiciel Rovercash adoptant une approche « Bottom-up » permettant un paramétrage sur mesure afin d’obtenir l’ergonomie souhaitée (structure flexible).
La société Lundi matin ne se contente pas de décrire les fonctionnalités du programme Rovercash, le langage de programmation ou le format des fichiers utilisés dans le cadre de ce logiciel pour exploiter certaines de ses fonctions qui ne constituent pas une forme d’expression de ce programme et ne sont donc pas éligibles à la protection par le droit d’auteur, mais expose les choix auxquels elle a procédé dans l’écriture du code et dans la composition, les raisons des interactions des champs et des tables telles la nomenclature en nommant certains objets de son code source par un nom commençant par « LM » ou « LMB » (acronyme de Lundi Matin), en développant des fonctions spécifiques en décidant de n’avoir qu’un seul attribut dit « hashMap », tous les objets ayant la même architecture, en mettant en place un moteur générant des requêtes SQL, en utilisant exclusivement des objets Java et en choisissant de regrouper certaines informations dans des tables en utilisant le format JSON en plus de les stocker dans leur table respective.
Sont ainsi établis par la société Lundi Matin les choix auxquels elle a procédé dans l’écriture du code et dans la composition, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un expert, et partant dans la forme d’expression du programme, traduisant ainsi un effort personnalisé du programmateur dépassant la mise en ‘uvre d’une logique automatique et contraignante. Ainsi que l’a relevé le tribunal, si certains de ces choix pris individuellement peuvent ne pas être originaux, ils traduisent toutefois, ainsi combinés, des choix arbitraires et spécifiques.
L’originalité du logiciel Rovercash est ainsi caractérisée.
– Sur la validité du procès-verbal de constat
Le 9 novembre 2017, la société Lundi Matin a fait procéder par huissier de justice à un procès-verbal de constat sur le moteur de recherche Google.
Dans un premier temps, à l’adresse jira laposte.fr, après avoir cliqué sur le lien « System Dashboard ‘ DSI Courrier ‘ Gestion des évènements projets », l’huissier instrumentaire constate qu’une page « formulaire de connexion » s’affiche et que son « requérant entre ses identifiant et mot de passe » puis valide. L’huissier constate ensuite qu’une autre page s’affiche où, dans le menu horizontal supérieur, il clique lui-même sur « Genius-App1 » dans le menu déroulant GIT, un nouvelle page s’affichant dont le code source est numéroté 1) en fin de constat, que dans le menu déroulant Master de cette page, il choisit 2.6.3.0 puis successivement « src », « main », « java », « fr », « laposte », « genius », « datle a », « repository », « datasource » et « impt », indiquant alors que « le code source de la page est numéroté 2 en fin de constat » puis « copié collé du code source de l’application Genius est numéroté 3) en fin de constat ». L’huissier clique à nouveau sur Genius APP 1 dans le fil d’Ariane et indique « le code source de la page est numéroté 4 en fin de constat » puis affiche une autre page tout en indiquant « le code source de l’application Genius est numéroté 5) en fin de constat ».
Dans un deuxième temps, l’huissier instrumentaire indique fermer le navigateur, le rouvrir et taper google.fr puis dans la barre d’adresse « genius laposte » dans le champ saisi et clique sur le lien « LaPoste ‘ Genius : Accueil » et constate l’apparition d’une page où il clique sur « informations légales » et apparaît la page Genius informations légales.
Dans un troisième temps, l’huissier indique fermer le navigateur, le rouvrir et taper google.fr puis dans la barre d’adresse « Playstore Genius caisse » dans le champ saisi et clique sur le lien « Genius Caisse Connectée ‘ Android Apps on Google Play » et constate l’apparition d’une page puis indique « Le code source de la page est numéroté 7 en fin de constat ».
La société La Poste critique ce constat en soutenant que l’huissier a opéré des constatations dans un espace numérique privé sans autorisation judiciaire. Elle ajoute que la présence de M. [O], dirigeant de la société Lundi Matin aux côtés de l’huissier rend nulles les constatations de l’huissier sur les sites internet publics en accès libre (site web de La Poste, Playstore de Google) en raison du manque d’indépendance de la personne assistant l’huissier par rapport à la requérante.
S’il ressort de ce qui précède que ce n’est pas l’huissier qui a introduit les code et mot de passe pour accéder à l’espace de travail collaboratif et de stockage numérique dit « Jira » de la société La Poste permettant aux développeurs d’y déposer les codes qu’ils ont développés, mais M. [O] de la société Lundi Matin détenteur de ces code et mot de passe, il n’en demeure pas moins que ce procédé qui a permis à l’huissier de faire ensuite des constatations dans un espace privé de la société La Poste et de copier des codes sources de l’application Genius de la société La Poste, ce sans autorisation judiciaire pour ce faire, doit être qualifié de déloyal.
S’agissant des constatations de l’huissier instrumentaire sur les sites internet publics de La Poste et Playstore de Google, la circonstance que celles-ci se fassent au siège de la société requérante et que le dirigeant de la société Lundi matin a pu être présent aux côtés de l’huissier de justice est inopérante à en caractériser la déloyauté. En effet, il est seulement noté par l’huissier de justice que le requérant a saisi ses code et mot de passe lors de la première phase de constatations dans l’espace « Jira », mais nullement que celui-ci l’a assisté lors de la suite des opérations, l’huissier instrumentaire ayant procédé à des constatations purement matérielles sur des sites internet publics.
Seules la partie du procès-verbal du 9 novembre 2017 relative aux opérations de l’huissier de justice effectuées à partir de « Jira » ainsi que les copies des codes sources y afférent seront annulées.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
– Sur la matérialité de l’exploitation du logiciel Rovercash par l’application Genius
L’article L. 122-6 du code de la propriété intellectuelle prévoit :
« Sous réserve des dispositions de l’article L. 122-6-1, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur d’un logiciel comprend le droit d’effectuer et d’autoriser :
1° La reproduction permanente ou provisoire d’un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme. Dans la mesure où le chargement, l’affichage, l’exécution, la transmission ou le stockage de ce logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu’avec l’autorisation de l’auteur ;
2° La traduction, l’adaptation, l’arrangement ou toute autre modification d’un logiciel et la reproduction du logiciel en résultant ;
3° La mise sur le marché à titre onéreux ou gratuit, y compris la location, du ou des exemplaires d’un logiciel par tout procédé. Toutefois, la première vente d’un exemplaire d’un logiciel dans le territoire d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen par l’auteur ou avec son consentement épuise le droit de mise sur le marché de cet exemplaire dans tous les Etats membres à l’exception du droit d’autoriser la location ultérieure d’un exemplaire. »
L’article L. 122-6-1 I. dispose :
« I. Les actes prévus aux 1° et 2° de l’article L. 122-6 ne sont pas soumis à l’autorisation de l’auteur lorsqu’ils sont nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser, y compris pour corriger des erreurs.
Toutefois, l’auteur est habilité à se réserver par contrat le droit de corriger les erreurs et de déterminer les modalités particulières auxquelles seront soumis les actes prévus aux 1° et 2° de l’article L. 122-6, nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser. (…) »
Selon la société Lundi Matin, l’exploitation de son logiciel Rovercash s’effectue par l’importation par des lignes de codes dans l’application Genius qui appellent ou importent le logiciel Rovercash pour le faire fonctionner ce qui permet d’alléger le code de Genius.
La société La Poste conteste que l’application Genius reproduit le code source du logiciel Lundi Matin. Elle expose que la version de l’application Genius accessible via le Play store est la version 2.6.3.5 et non la version 2.6.3.0 datée du 12 juillet 2017 et que dans le constat du 9 novembre 2017, l’huissier de justice n’ayant pas eu accès au code source de cette version 2.6.3.5, la matérialité de la contrefaçon n’est pas établie. Elle fait valoir que jusqu’au mois d’octobre 2017 période de rupture des pourparlers par la société Lundi Matin, elle était en droit d’utiliser la bibliothèque Rovercash et de diffuser dans le cadre du test effectué sur la plateforme Play Store son application Genius. Elle invoque l’exception prévue à l’article L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle et que, disposant d’un droit d’utilisation sur les logiciels, elle est un utilisateur légitime, ces logiciels ayant été utilisés conformément à leur destination soit dans le cadre de la réalisation et de l’exploitation de l’application Genius.
Il résulte des éléments versés au débat et des explications des parties que selon les contrats qui les ont liées et notamment l’annexe 3 du contrat en date du 23 septembre 2015 (pièce 5 LM), le logiciel Rovercash sera « intégré » au logiciel Genius App afin de :
– maximiser les possibilités d’interactions en les 2 logiciels
– minimiser les contraintes techniques d’installation pour le client commerçant
– améliorer l’ergonomie du bouquet de logiciels proposé.
Le dernier contrat conclu entre les parties les 14 et 26 novembre 2016 (contrat n°1416003352) venu à échéance le 6 avril 2017, intitulé « prestations de développements d’adaptation des solutions LMB, Infra LM et Rovercash et d’infogérance », prévoit dans son préambule que la société La Poste souhaite en suite des travaux précédents réalisés par la société Lundi Matin confier à ce prestataire « la réalisation de développements d’adaptation de la solution logicielle proposée par le prestataire et la réalisation de l’infogérance afin d’étendre le POC de la solution Genius Caisse Connectée ». Il est expressément prévu à l’article 20 dudit contrat que « la documentation et les codes sources des progiciels LMB, Infra LM et Rovercash et le savoir-faire présenté en annexe n°5 restent la propriété du prestataire et La Poste s’engage à ne pas les exploiter sans l’accord écrit du prestataire. L’utilisation des progiciels LMB, Infra LM et Rovercash est soumis à un droit d’usage (licence) convenu entre les parties ».
La société La Poste dit avoir décidé (p. 14 de ses écritures) de tester sa solution Genius d’avril à septembre 2017 en conditions réelles. Elle ajoute sans l’établir que cette publication était limitée à quelques utilisateurs (petits commerçants de produits non alimentaires) et à l’Ile de France. Elle indique que cette application était téléchargeable gratuitement.
Si elle avait informé la société Lundi Matin de cette intention, elle n’a pas sollicité son accord à cette fin ce que lui faisait remarquer le dirigeant de la société Lundi Matin par courriel du 17 janvier 2017 mentionnant « il faudra quand même discuter de cela car ça dépasse le cadre de note contrat « POC »… » (pièce 30B La Poste). Par courriel du 3 avril 2017 (pièce 6 La Poste), le dirigeant de la société Lundi Matin constatait en outre : « nous n’avions pas été informés de la publication sur le store pour aujourd’hui. (Nous l’avions effectivement évoqué, mais nous ne savions pas que c’était imminent car nous avions convenu de signer le nouveau contrat avant cela.) En particulier, tu devais me confirmer la mention « powered by Rovercash » a bien été remise … ».
Ainsi que le fait justement valoir la société Lundi Matin, les autorisations par elle données à la société La Poste « d’intégrer » le logiciel Rovercash dans la solution Genius étaient aux fins de test et non d’une exploitation commerciale telle que constatée sur la plateforme Play Store de Google par le procès-verbal de constat du 9 novembre 2017 ainsi que par d’autres rapports de constat dressés au mois de juillet 2017 par la plateforme de constatation en ligne easyconstat (pièces 14 LM). A cet égard, la « note technique » sur l’utilisation de la bibliothèque Rovercash établie par M. [E], gérant de la société Tamika prestataire de la société La Poste (pièce 27 La Poste), commentant le procès-verbal de constat du 9 novembre 2017 partiellement annulé, ne fait que confirmer l’utilisation du logiciel Rovercash prévu par la documentation fournie par la société Lundi Matin dans le cadre des relations contractuelles qui l’unissaient alors à la société La Poste.
En effet, il ressort de l’offre technique de la société Lundi Matin jointe au quatrième contrat (pièce 9 LM) que le droit d’usage du logiciel Rovercash n’était consenti que dans le cadre d’une phase de test, limité à un nombre précis d’utilisateurs (500) et non dans le cadre d’une commercialisation :
« LUNDI MATIN réalisera les prestations permettant à La Poste de déployer la solution « Genius Caisse connectée » auprès des commerçants, dans le cadre d’un POC (Test auprès de client réels sélectionnés)… » et que : « La Prestation d’hébergement est fournie pour 500 instances du logiciel, dont les caractéristiques sont les suivantes : – Nombre d’articles du catalogue inférieur à 5000 articles – Nombre de clients et fournisseurs inférieur à 5000 personnes/entreprises – Nombre de ventes en base de données inférieur à 5000 – Volume des fichiers d’images et de la GED inférieur à 5 Go ».
La société La Poste ne discute pas que la version 2.6.3.0 de l’application Genius utilise la brique « Rovercash Framework ». Elle soutient que le 9 novembre 2017, date du constat, elle exploitait la version 2.6.3.5 qui n’est pas celle dont l’huissier a copié les codes sources.
Toutefois, le jugement déféré (p. 13) relève qu’« une attestation sur l’honneur de M. [T] [E], gérant et directeur de projet de la société Tamika, aux termes de laquelle une nouvelle version de « Genius » totalement indépendante de Rovercash et expurgée de toute référence à ce logiciel a été livrée en production le 13 décembre 2017 » (pièce 42 La Poste qui n’est plus versée au débat devant la cour), ce qui n’est pas contredit par la société La Poste.
Un document signé par M. [G] [M] directeur du développement de la société La Poste (pièce 40 La Poste) vient confirmer ce qui précède en ce qu’il est indiqué à propos des versions Genius :
« – utilisant des éléments Lundi Matin : version 2.6.3.X ou inférieure.
– 100% La Poste, sans briques de tiers : version : 2.6.4.X ou ultérieures, disponible dès le 13 décembre 2017 »
En outre, un courriel de la société La Poste du 13 mars 2019 (pièce 31 LM) informe ses clients que « les versions antérieures à la 2.6.3 (inclus) et de votre application Genius ne seront plus accessibles à compter du 20 mars 2019 » ce qui montre que la société La Poste a bien exploité la version 2.6.3.0 dont elle reconnaît qu’elle utilise le logiciel Rovercash. En outre, selon M. [E], la version de l’application Genius expurgée de toute référence au logiciel en cause date du 13 décembre 2017, ce qui établit que le 9 novembre 2017 date des constatations de l’huissier de justice sur la plateforme Play Store, la version 2.6.3.5 intégrait encore le logiciel Rovercash.
Le logiciel Rovercash se présente sous la forme d’une bibliothèque et il n’est pas sérieusement discuté que ce logiciel était intégré dans l’application Genius commercialisée par la société La Poste sur la plateforme Play Store au mois de novembre 2017 peu important que la reproduction se fasse par un appel de la bibliothèque par l’application Genius, qui a pour résultat une nécessaire exécution du logiciel Rovercash.
Aussi en commercialisant le logiciel Genius reproduisant sans autorisation le logiciel Rovercash, la société La poste a commis des actes de contrefaçon au sens de l’article L. 122-6 du code de la propriété intellectuelle précité.
La société La Poste ne peut utilement invoquer les dispositions de l’article L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle limitant les droits de l’auteur en matière de logiciel s’agissant d’actes nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser, y compris pour corriger des erreurs. En effet, la société La Poste n’a, ainsi que l’a relevé le tribunal, pas le droit d’utiliser le logiciel Rovercash depuis la fin du contrat le 6 avril 2017. La poursuite des relations d’affaires jusqu’au mois d’octobre 2017 entre les parties qui étaient en train de négocier un cinquième contrat, la société Lundi Matin continuant ses prestations d’accompagnement pour le POC (pièce 14A La Poste), ne suffit pas à établir que la société La Poste était en droit d’exploiter commercialement l’application Genius 2.6.3 alors que, comme la pertinemment relevé le tribunal, les échanges entre la société Lundi Matin et la société La Poste (pièces 14 à 21, 36 et 37 La Poste) montrent que l’exploitation d’une version de l’application Genius intégrant l’exécution du logiciel Rovercash apparaît conditionnée à la régularisation d’un nouveau contrat et au paiement de licences additionnelles au vu du nombre d’instance déployées hors périmètre du POC (pièce 39 LM).
Les actes de contrefaçon du logiciel Rovercash sont ainsi caractérisés. Le jugement mérite également confirmation de ce chef.
– Sur la violation du droit de paternité
Selon un courriel en date du 5 avril 2017 adressé par le dirigeant de la société Lundi Matin à M. [M] de la société La Poste (pièce 7B La Poste), la société Lundi Matin a donné son accord pour que la mention « powered by » ne figure pas sur le logo, la page d’accueil de la solution Genius comme prévu initialement, mais soit reprise dans les mentions légales
ou sur une page annexe du logiciel (tablette et portail). Le 20 août 2017, M. [M] indiquait à M. [O] (pièce 20 La Poste) que le portail Genius comportait la mention « powered by Lundi Matin Business » dans les mentions légales depuis plusieurs semaines et qu’il avait demandé que cette mention remonte dans le pied de page de la page d’accueil.
Aussi, si M. [O] en réponse à ce courriel revenait sur le fait qu’un des contrats précédents indiquait que Lundi-Matin était « coéditeur de la solution » ce qui lui ouvre un droit « à une meilleure visibilité » tout en reconnaissant que le sujet est un peu technique, il est établi que la société La Poste a respecté les demandes du 5 avril 2017 de la société Lundi Matin s’agissant de la mention de sa participation à l’application Genius et il n’est aucunement établi par cette dernière que cette mention ne figure pas dans les mentions légales de l’application Genius. A cet égard, la société Lundi Matin ne peut utilement soutenir que l’accord qu’elle a consenti le 5 avril 2017 l’a été sur la base d’une tromperie, celui-ci faisant partie des négociations en cours pour parvenir à la conclusions d’un nouveau contrat.
L’atteinte au droit de la paternité de la société Lundi Matin n’est pas démontrée et sera rejetée. Le jugement mérite confirmation à cet égard.
– Sur les mesures réparatrices et indemnitaires
L’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que :
« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. «
La société Lundi Matin critique le jugement entrepris qui a évalué son préjudice patrimonial à la somme de 145 620 euros au motif que le tribunal se fondant sur les déclarations de la société La Poste n’a pas tenu compte de l’étendue réelle du préjudice qu’elle a subi.
Elle fait valoir un taux de marge de 84% du prix de la licence et un tarif de vente public du logiciel Rovercash de 59,90 euros HT par mois et par utilisateur en 2016. Elle en déduit que ce tarif est à prendre en considération et non le prix remisé accordé à la société La Poste dans le cadre des relations contractuelles. Elle invoque un nombre de téléchargements de l’application Genius à 4 000 fois entre le 29 juin et le 9 novembre 2017 soit un rythme de 1 200 téléchargements par mois. S’agissant de la durée d’exploitation litigieuse, elle considère qu’à minima la période du 3 avril 2017 au 20 mars 2019 doit être retenue soit 1 an et 352 jours. Elle en déduit que son préjudice doit être évalué à 10 000 (utilisateurs) x 720 euros (prix de la licence par an) x 1,97 (durée de la contrefaçon) x 84% (taux de marge) soit un préjudice de 11 914 560 euros. Elle réclame en outre la somme de 2 372 155 euros au titre des économies d’investissements intellectuels de La Poste, cette somme correspondant à la valorisation des frais de recherche et de développement qu’elle a exposés.
La société La Poste réplique que le préjudice de la société Lundi Matin ne peut excéder la somme de 18 180 euros. Elle se fonde sur une redevance de licence entre 8 et 11 euros contestant l’application du montant de la licence applicable au commerçant et arguant n’utiliser que la bibliothèque Rovercash et non l’ensemble de l’application. Elle argue également des propositions tarifaires faites par la société Lundi Matin dans le cadre de leurs relations commerciales où le coût de la licence mensuelle était inférieur à 10 euros, en deçà des 60 euros retenus par le tribunal. Elle ajoute que la société Lundi Matin ayant déjà facturé le coût de la licence pour la période du 1er avril au 6 octobre 2017, elle est mal fondée à réclamer un préjudice patrimonial à ce titre. Elle conteste également les 10 000 téléchargements de l’application invoqués par l’appelante considérant que le nombre de « clics » ne correspond pas au nombre d’applications installées qui est de 202, un téléchargement ne signifiant pas une utilisation effective et seuls les comptes actifs devant donner lieu au paiement d’une licence. Elle soutient enfin qu’à compter du 13 décembre 2017 l’application Genius utilisée n’appelait plus le Framework Rovercash et qu’en conséquence, seule une période de 9 mois doit être retenue. Elle demande enfin que soit déclarée irrecevable la demande indemnitaire nouvelle de la société Lundi Matin au titre des économies des investissements intellectuels.
Selon les dispositions des articles 564 et 565 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance de la révélation d’un fait. Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent. L’article 566 du même code prévoit que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Aussi, une demande complémentaire d’indemnisation du préjudice en lien avec les actes de contrefaçon tenant aux économies des investissements intellectuels du contrefacteur qui est l’accessoire à l’indemnisation des conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, est recevable en cause d’appel.
La fin de non-recevoir de la société La Poste à ce titre sera rejetée.
Il ressort des éléments fournis au débats et des explications des parties que la société la Poste a commercialisé son application Genius utilisant le logiciel Rovercash à compter du 3 avril 2017 et que le 13 décembre 2017, une version de l’application Genius expurgée de toute référence au logiciel en cause a été livrée en production. Il sera également relevé qu’un courriel de la société La Poste du 13 mars 2019 (pièce 31 LM) informe ses clients que « les versions antérieures à la 2.6.3 (inclus) et de votre application Genius ne seront plus accessibles à compter du 20 mars 2019 ».
En conséquence, il apparaît que la version contrefaisante de l’application Genius était utilisée jusqu’au 20 mars 2019 ce quand bien même une nouvelle version expurgée du logiciel Rovercash a été livrée en production au mois de décembre 2017. Si la société Lundi Matin a déjà facturé des redevances d’utilisation pour une période d’avril à octobre 2017, pour un montant de 64 044 euros (pièce 10A LM), ces paiements concernent les prestations associées au POC La Poste et ne peuvent compenser l’indemnisation d’un préjudice en lien avec les actes de contrefaçon. La durée de la contrefaçon retenue est en conséquence de 1 an et 352 jours.
Quant au nombre d’exemplaires, selon le tableau de la société La Poste objet de sa pièce 40, le nombre de clients inscrits et ayant activé une version 2.6.3.X ou inférieure de Genius était de 367 au 12 décembre 2017 comme au 1er avril 2019 et le nombre de clients inscrits utilisateurs à date de la solution Genius (soit LM soit 100% LP) était de 202 au 12 décembre 2017 et 101 au 1er avril 2019. Ce document émane de la société La Poste et n’est corroboré par aucun autre élément et a donc peu de force probante ainsi que le relève la société Lundi Matin qui se contente toutefois, alors qu’il lui appartient de démontrer son préjudice, de se fonder sur le chiffre de 10 000 utilisateurs correspondant au nombre d’ « installations » figurant sur une page Google Play (pièce 27 LM), ce chiffre ne pouvant être retenu, la société Lundi Matin ne démontrant pas qu’il correspond au nombre de clients utilisateurs de l’application. La cour retiendra en conséquence un nombre de 400 exemplaires.
Pour ce qui concerne le gain manqué, le taux de redevance de 10 euros par mois et par utilisateur versé par la société La Poste dans le cadre de relations contractuelles négociées avec la société Lundi Matin et qui correspond à un environnement « proof of concept » ne peut être retenu pour évaluer le préjudice de la société Lundi Matin en lien avec la contrefaçon. Le prix public destiné au commerçant final qui utilise le logiciel de caisse Rovercash n’est pas plus adapté s’agissant en l’espèce de l’utilisation de la bibliothèque Rovercash dans l’application Genius pour indemniser la société Lundi Matin de son préjudice lié au gain manqué. Le chiffre de 30 euros par mois et par personne sera en conséquence appliqué et la marge de 84% proposée par la société Lundi Matin non utilement contestée par la société La Poste sera retenue.
Les conséquences économiques négatives de l’atteinte au droit sur le logiciel de la société Lundi Matin seront réparées par l’allocation de la somme de 241 128 euros (400 x 30 x12 x 1,97 x 0,85).
Pour ce qui est des bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, également invoqués par la société Lundi Matin pour évaluer son préjudice, la somme de 2 372 155 euros qui correspond à la valorisation de ses frais de recherche et de développement du logiciel Rovercash ne correspond pas au préjudice qu’elle a effectivement subi ce quand bien même la société La Poste a pu bénéficier de ces investissements pour développer son application Genius. Un montant de 50 000 euros sera retenu.
Aussi, au vu des éléments dont dispose la cour, le préjudice de la société Lundi Matin en lien avec les actes de contrefaçon commis par la société La Poste du logiciel Rovercash sera entièrement réparé par l’allocation de la somme totale 291 128 euros.
Ainsi que l’a décidé à juste titre le tribunal, les mesures d’interdiction sollicitées par la société Lundi Matin ne sont pas fondées, celle-ci ne démontrant nullement la poursuite des actes de contrefaçon par la société La Poste.
L’allocation des sommes indemnitaires apparaissent suffisantes à réparer l’entier préjudice de la société Lundi Matin et les demandes de publications judiciaires non fondées seront rejetées.
Les manquements aux obligations contractuelles reprochés par la société Lundi Matin à la société La Poste étant invoqués à titre subsidiaire, ceux-ci n’ont pas à être examinés par la cour, la contrefaçon de logiciel ayant été retenue.
– Sur les demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire
La société Lundi Matin soutient que la société La Poste a été d’une particulière mauvaise foi en voulant l’évincer dès avant la conclusion du troisième contrat ce que reconnait la société La Poste lorsqu’elle indique avoir décidé de développer sa solution Genius de manière indépendante des logiciels de Lundi Matin. Elle soutient que la société La poste a cherché à s’accaparer sans frais ses efforts, investissements et son savoir-faire, ce détournement lui ayant permis de lancer rapidement son logiciel en 2017 en se constituant un avantage concurrentiel et arriver sur le marché des logiciels de caisse plus rapidement.
Néanmoins, si la société La Poste a pu bénéficier du savoir-faire de la société Lundi Matin qui avait déjà développé un logiciel de caisse, ce bénéfice a été acquis pendant une relations d’affaires qui a duré du 20 février 2015 au 6 octobre 2017 au cours de laquelle ont été conclus quatre contrats successifs, la société Lundi Matin ayant été rémunérée à ce titre. La circonstance que les contrats ont été conclus pour une durée de six mois ne caractérise aucune déloyauté s’agissant d’un projet en constante évolution. De même, le fait que la société La Poste a envisagé de développer sa propre solution n’est pas en soi fautive et relève de la liberté du commerce et de l’industrie, celle-ci ayant proposé à la société Lundi Matin un cinquième contrat dont les conditions ont été refusées par cette dernière. Enfin, la commercialisation de l’application Genius en avril 2017 a été retenue comme élément constitutif de la contrefaçon de logiciel.
Aussi, la société Lundi matin ne démontre pas de comportement déloyal de la société La Poste et notamment que celle-ci a profité sans bourse délier de son savoir-faire ou de ses investissements.
La société Lundi Matin est en conséquence déboutée de l’ensemble de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.
Le jugement est confirmé de ce chef.
– Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive
Ainsi que précédemment relevé, la société La Poste n’a pas relevé appel incident du chef de jugement l’ayant condamnée à payer la somme de 236 769,18 euros TTC au titre des factures impayées en date du 10 octobre 2017, augmentée des pénalités de retard contractuelles et des intérêts légaux à la date de l’exigibilité de chaque facture.
En revanche la société Lundi Matin critique le jugement entrepris qui lui a alloué la somme de 12 000 euros en réparation du préjudice qu’elle a subi en raison de la résistance abusive de la société La Poste, réclamant à ce titre la somme de 50 000 euros en considérant qu’elle a été contrainte d’effectuer de nombreuses démarches amiables par l’entremise de son conseil ce qui lui a causé un préjudice distinct résultant du retard de paiement, son résultat financier ayant été par ailleurs affecté.
La société Lundi Matin établit un préjudice distinct de celui lié au retard de paiement des factures précitées compensé par les intérêts de retard. En effet, il ressort qu’elle a rencontré des difficultés financières ce qui a conduit à une dégradation de sa cotation Fiben et a amené la banque publique d’investissement à relever de plusieurs points son taux d’emprunt.
Au vu néanmoins du peu d’éléments dont dispose la cour pour évaluer le préjudice de la société Lundi Matin, il lui sera alloué la somme de 12 000 euros en réparation du préjudice lié à la résistance abusive de la société La Poste.
Le jugement sera également confirmé de ce chef.
– Sur les demandes incidentes de la société La Poste
– Sur la rupture fautive des pourparlers
L’article 1104 du code civil prévoit que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.
L’article 1112 du même code précise que l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages.
La société La Poste critique le jugement déféré qui a rejeté sa demande au titre de la rupture fautive des pourparlers en faisant valoir que la société Lundi Matin a mis en place une stratégie de chantage visant à lui imposer un nouveau contrat dont les conditions lui étaient défavorables, la société Lundi Matin ayant en outre brutalement mis fin aux pourparlers en cours et interrompu ses prestations dès le 2 octobre 2017 par la coupure de l’accès aux serveurs où étaient stockées les données puis en retirant ses équipes et en arrêtant ses prestations.
Selon les éléments fournis au débat et les explications des parties la société La Poste et la société Lundi Matin ont été en relations commerciales entre le 20 février 2015 et le 6 octobre 2017. Pendant cette période, quatre contrats à durée déterminée ont été conclus, le dernier contrat ayant pris fin le 6 avril 2017, sachant que la société La Poste avait projeté en mai 2016 de développer son application Genius de manière indépendante des logiciels de la société Lundi Matin ce dont cette dernière a été informée au cours du mois de juin 2017. L’application Genius de la société La Poste intégrant le logiciel de la société Lundi Matin a été mise à disposition sur la plateforme Google Play Store le 3 avril 2017. En suite de la fin du dernier contrat, les parties ont continué à travailler ensemble et ont entamé des négociations qui ont débuté en mars 2017 pour la conclusion d’un cinquième contrat.
La société Lundi Matin, au cours de ces négociations s’est montrée ouverte à l’achat du code source du logiciel Rovercash par la société La Poste ainsi qu’il ressort de l’échange de courriels du 4 mai 2017 (pièce 13 A La Poste), le comité exécutif de la société La Poste ayant toutefois fait le choix d’une solution indépendante des logiciels de la société Lundi Matin au mois de juin 2017 ce dont celle-ci a été informée. Les négociations pour la conclusion d’un cinquième contrat ont toutefois continué (pièces 14A et 15 A et B La Poste) au cours du mois de juin 2017. Le courriel de la société Lundi Matin du 23 juin 2017 précise que ses prestations ont été maintenues au-delà du dernier contrat depuis le 7 avril 2017, appelle de ses v’ux la conclusion d’un nouveau contrat tout en relevant que la société La Poste ne souhaitant pas le développement d’un partenariat durable avec elle, ses prestations d’accompagnement pour le POC prendront fin le 6 octobre 2017. La proposition de contrat de la société La Poste qui était un contrat à durée déterminée a été refusée par la société Lundi Matin en raison de l’insertion d’une clause de non concurrence. Au mois de juillet 2017, la société La Poste acceptait de retirer la clause de non-concurrence et au mois d’août suivant insérait au contrat une clause de « réversibilité » prévoyant les conditions dans lesquelles la société Lundi Matin devait l’accompagner et l’assister lors du passage de la solution Genius alors en production à la solution Genius indépendante des logiciels de la société Lundi Matin, ce qu’a refusé cette dernière, estimant ne pas avoir été consultée lors du passage en production de la solution Genius et des dispositions relatives à la propriété intellectuelle prévues (pièce 19 La Poste). Les négociations qui ont suivies montrent la persistance d’un désaccord sur le sort des droits de propriété intellectuelle, la qualité de coéditeur de la société Lundi Matin et le paiement des prestations qu’elle continue à fournir (pièce 19 et 20 La Poste).
Il ressort de ce qui précède qu’aucune « stratégie de chantage » de la société Lundi Matin n’est caractérisée, celle-ci ne faisant que tirer les conséquences de la décision de la société La Poste de s’émanciper de son partenariat avec elle, et qu’elle lui a accordé un préavis de trois mois avant l’arrêt de ses prestations d’accompagnement laissant à la société La Poste la possibilité de trouver des solutions alternatives, cette dernière ayant recourt à différents prestataires telle la société Akima. Il sera relevé que la société Lundi Matin a continué à fournir ses prestations malgré les négociations difficiles en cours et l’absence de règlement de ses services par la société La Poste. Il ne peut à cet égard être reproché à la société Lundi Matin d’avoir cherché à tirer les meilleures conditions tarifaires dans le cadre de ces négociations alors qu’elle savait que le partenariat n’était pas pérenne. Les désaccords entre les parties sur les conditions tarifaires du contrat ou les conditions relatives à la propriété intellectuelle ne démontrent pas une mauvaise foi de la société Lundi Matin dans le cadre de ces négociations précontractuelles.
En conséquence, il ne peut être reproché à la société Lundi Matin d’avoir rompu brutalement et unilatéralement les négociations et manqué aux règles de bonne foi dans les relations commerciales ce d’autant que la tournure de ces négociations ne laissait pas augurer une issue favorable malgré les diverses propositions de la société La Poste.
Les demandes de la société La Poste seront donc rejetées y compris celle relative à la réparation d’un préjudice d’image et le jugement confirmé de ce chef.
– Sur l’utilisation par la société Lundi Matin des codes d’accès à l’espace Jira
La société Lundi Matin a fourni à l’huissier instrumentaire qu’elle a requis pour obtenir une copie du code source de l’application Genius, les codes dont elle était en possession pour accéder à l’espace privé de la société La Poste dit « Jira » qui est un espace de travail collaboratif et de stockage numérique permettant aux développeurs d’y déposer les codes qu’ils ont développés et qui permet le suivi de bugs et la gestion d’incidents.
Ainsi que le fait justement valoir la société La Poste, le fait pour la société Lundi Matin d’utiliser les codes d’accès à l’espace Jira pour une finalité autre que celle pour lesquels ils sont prévus, copie d’un code source au lieu de la gestion d’incidents, constitue un détournement de l’outil qui caractérise un comportement déloyal et fautif, quand bien même la société Lundi Matin serait légitimement en possession des dits codes.
Ce comportement fautif a nécessairement causé un préjudice moral à la société La Poste, qu’il convient de réparer au vu des éléments dont dispose la cour par l’allocation de la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef.
– Sur les autres demandes
Le sens de l’arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles.
Partie perdante, la société La Poste est condamnée aux dépens d’appel et à payer à la société Lundi Matin, en application de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 10 000 euros. Elle sera elle-même déboutée de ses demandes à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, dans les limites de l’appel,
Confirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions ayant condamné la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 145 620 euros en réparation de son préjudice patrimonial du fait des actes de contrefaçon et débouté la société La Poste de ses demandes reconventionnelles en responsabilité délictuelle ;
Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,
Rejette la fin de non-recevoir de la société La Poste concernant la demande indemnitaire de la société Lundi Matin visant à prendre en considération les économies d’investissements intellectuels,
Condamne la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 291 128 euros en réparation de son préjudice patrimonial du fait des actes de contrefaçon,
Déboute la société Lundi Matin de ses demandes de publication judiciaire,
Condamne la société Lundi Matin à payer à la société La Poste la somme de 12 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral du fait de l’intrusion fautive sur le site « Jira »,
Déboute la société La Poste de ses demandes au titre de la rupture abusive des pourparlers,
Condamne la société La Poste à payer à la société Lundi Matin la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel et la déboute de ses demandes à ce titre,
Condamne la société La Poste aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente