COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
15e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 SEPTEMBRE 2022
N° RG 20/00410
N° Portalis DBV3-V-B7E-TX7V
AFFAIRE :
[P] [M]
C/
S.A.R.L INSTITUT DE FORMATION AU CARRIÈRES DE LA COMMUNICA TION ET DE LA VENTE (IFCV)
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Décembre 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de Nanterre
N° Section : Activités Diverses
N° RG : 16/00202
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Ghislain DADI
Me Sylvie POUPEE
Me Paul COUTURE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [P] [M]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Ghislain DADI de la SELAS DADI AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0257 substitué par Me Clémence DUBUARD, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
S.A.R.L INSTITUT DE FORMATION AU CARRIÈRES DE LA COMMUNICATION ET DE LA VENTE (IFCV)
N° SIRET : 440 263 200
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Sylvie POUPEE de la SELARL OFFICE JURIDIQUE ET JUDICIAIRE DE L’ENTREPRISE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0058
S.A.R.L. AIDEMO CONSULTING
N° SIRET : 399 439 835
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Paul COUTURE, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 292 – Représentant : Me Jean-Baptiste LE ROY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 16 mai 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,
Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,
EXPOSE DU LITIGE
La société Aidemo, société qui propose des formations professionnelles notamment en langues étrangères à des entreprises ou établissements d’enseignement privé, a engagé à compter du mois d’octobre 2011 Madame [P] [M], sous son statut d’auto-entrepreneur, pour dispenser à ses clients parmi lesquels la société Institut de Formation aux carrières de la communication et de la vente (ci-après société IFCV) des cours d’espagnol, par le biais de contrats de mission.
Le 6 mai 2013, Madame [M] a demandé à la société Aidemo à bénéficier d’un contrat de travail et à exercer ses fonctions en qualité de salarié.
La société Aidemo n’a pas donné suite à cette demande.
La société Aidemo a cessé de confier des missions à Madame [M] à compter du mois de janvier 2014.
Par requête du 19 janvier 2016, Madame [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris aux fins d’obtenir la requalification de sa relation avec la société Aidemo en contrat de travail à durée indéterminée et obtenir le paiement de diverses sommes.
Par requête du 7 mars 2016, elle a attrait la société Aidemo devant le conseil de prud’hommes de Nanterre afin de faire requalifier son contrat de mission en contrat de travail et obtenir le versement de diverses sommes.
Par jugement de départage du 15 mars 2018, le conseil de prud’hommes de Paris a constaté la recevabilité de l’intervention de la société IFCV, l’a déclarée bien fondée et a transmis le dossier au conseil de prud’hommes de Nanterre ;
Par jugement du 20 décembre 2019, auquel la cour renvoie pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre dans sa formation de départage, a :
– Prononcé la jonction entre les dossiers du CPH de Nanterre RG 16/00202 et le dossier RG 18/00954 (anciennement enrôlée au CPH de Paris sous le RG 18/00954 transmis au CPH de Nanterre suite au jugement du CPH de Paris du 15 mars 2018),
– Débouté Madame [P] [M] de l’ensemble de ses demandes,
– Constaté que le conseil des prud’hommes est incompétent,
– Rejeté les demandes de la société Institut de formation aux carrières de la communication et de la vente et de la société Aidemo Consulting au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Dit n’y avoir lieu a exécution provisoire,
– Laissé les dépens à la charge de Madame [P] [M],
– Enjoint Madame [P] [M] à mieux se pourvoir devant le tribunal de commerce.
Madame [P] [M] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 13 février 2020.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 16 juin 2020, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, elle demande à la cour de :
– Infirmer le jugement entrepris, statuant à nouveau,
A titre principal,
– Constater qu’elle était sous le double lien de subordination des sociétés Aidemo et IFCV,
– Constater ainsi sa situation de co-emploi à l’égard des sociétés Aidemo et IFCV,
– Dire qu’elle avait le statut de cadre et une classification en position 2.2, coefficient 130 en vertu de la convention collective Syntec,
– Fixer son salaire brut mensuel à 2 808, 21 euros,
-à titre subsidiaire sur la base de la convention collective 2 080, 49 euros brut mensuel,
-à titre infiniment subsidiaire sur la base des heures rémunérées par Aidemo 1 188, 07 euros brut mensuel;
– Dire que le contrat de travail a débuté en octobre 2011 pour s’achever en janvier 2014 ;
– Condamner solidairement les sociétés Aidemo et IFCV à un rappel de salaire de 46 440, 00 euros brut et une indemnité compensatrice de congés payés afférente au rappel de salaire 4 644, 00 euros, subsidiairement si le conseil se fonde sur le salaire brut conventionnel (Syntec) les condamner solidairement à un rappel de salaire de 24 987 euros et une indemnité compensatrice de congés payés de 5 825 euros pour l’ensemble de la relation de travail,
– Condamner solidairement les sociétés Aidemo et IFCV à des dommages et intérêts pour absence de contrat de travail et absence de paiement des salaires 10 000,00 euros,
– Requalifier la démission en prise d’acte et la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– Condamner solidairement les sociétés Aidemo et IFCV à payer la somme de 20 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
– Condamner solidairement les sociétés Aidemo et IFCV à payer les sommes de 8 424, 63 euros à tire d’indemnité de préavis et 842, 00 euros à titre de congés payés afférents, subsidiairement, sur la base du salaire brut conventionnel, 6 241, 47 euros à titre d’indemnité de préavis et 624 euros à titre de congés payés afférents, à titre infiniment subsidiaire, sur la base des seules heures payées, 3 564, 21 euros à titre d’indemnité de préavis et 356 euros au titre des congés payés afférents,
– Condamner solidairement les sociétés Aidemo et IFCV à une indemnité pour travail dissimulé de 16 849, 26 euros, à titre subsidiaire de 12 482, 94 euros et à titre infiniment subsidiaire de 7 128, 42 euros,
– Ordonner la remise des bulletins de paie d’octobre 2011 à janvier 2014 ainsi que les documents de fin de contrat (Solde de tout compte, certificat de travail, attestation Pôle Emploi) conformes au jugement à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du lendemain de la notification de la décision et se réserver le pouvoir de la liquider,
– Condamner solidairement les sociétés Aidemo et IFCV au règlement de la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
À titre subsidiaire,
– Requalifier le contrat de consultant en contrat de travail entre elle et la société Aidemo,
– Dire qu’elle avait le statut de cadre et une classification en position 2.2, coefficient 130 en vertu de la convention collective Syntec,
– Fixer son salaire brut mensuel à 2 808, 21 euros,
-à titre subsidiaire sur la base de la convention collective Syntec 2 080, 49 euros brut mensuel,
– à titre infiniment subsidiaire sur la base des heures rémunérées par Aidemo 1 188, 07 euros brut mensuel;
– Dire que le contrat de travail a débuté en octobre 2011 pour s’achever en Janvier 2014 ;
– Condamner la société Aidemo à un rappel de salaire de 46 440 euros et à une indemnité compensatrice de congés payés afférente au rappel de salaire 4 644, 00 euros, à titre subsidiaire, si le conseil se fonde sur le salaire brut conventionnel, condamner la société Aidemo à un rappel de salaire de 24 987 euros et une indemnité compesnatrice de congés payés pour l’ensemble de la relation de travail de 5 825 euros,
– Condamner la société Aidemo à des dommages et intérêts pour absence de contrat de travail et absence de paiement des salaires 10 000 euros,
– Requalifier la démission en prise d’acte et la prise d’acte en licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
– Condamner la société Aidemo à une indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse de
20 000 euros,
– Condamner la société Aidemo à une indemnité de préavis 8 424, 63 euros et à une indemnité compensatrice de congés payés afférente à l’indemnité de préavis de 842 euros, à titre subsidiaire sur la base du salaire brut conventionnel la condamner à une indemnité de préavis de 6 241, 47 euros et une indemnité compensatrice de congés payés afférente de 624 euros, à titre infiniment subsidiaire, sur la base des seules heures payées par la société Aidemo, à une indemnité de préavis de 3 564, 21 euros et 356 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférente,
– Condamner la société Aidemo à une indemnité pour prêt de main d »uvre illicite de 10 000 euros,
– Condamner la société Aidemo à une indemnité pour délit de marchandage de 10 000 euros,
– Ordonner la remise des bulletins de paie d’octobre 2011 à janvier 2014 ainsi que les documents de fin de contrat (Solde de tout compte, certificat de travail, attestation Pôle Emploi) conformes au jugement à intervenir sous astreinte de 150 par jour de retard à compter du lendemain de la notification de la décision et se réserver le pouvoir de la liquider,
– Condamner la société Aidemo au règlement de la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
A titre infiniment subsidiaire,
– Requalifier le contrat de consultant en contrat de travail entre elle et la société IFCV,
– Dire qu’elle avait le statut de cadre niveau F en vertu de la convention collective des organismes de formation ;
– Fixer son salaire brut mensuel à 2 767, 50 euros,
– à titre subsidiaire sur la base de la convention collective 1 951, 21 euros brut mensuel,
-à titre infiniment subsidiaire sur la base des heures rémunérées par IFCV 1 108, 90 euros brut mensuel;
– Dire que le contrat de travail a débuté en octobre 2011 pour s’achever en Janvier 2014 ;
– Condamner la société IFCV à un rappel de salaire 46 440, 00 euros brut et à une indemnité compensatrice de congés payés afférente de 4 644 euros, à titre subsidiaire, si le conseil se fonde sur le salaire brut conventionnel, à un rappel de salaire de 15 778, 76 euros et à une indemnité compensatrice de congés payés pour l’ensemble de la relation de travail de 4 629 euros,
– Condamner la société IFCV à des dommages et intérêts pour absence de contrat de travail et absence de paiement des salaires à hauteur de 15 000 euros,
– Requalifier la démission en prise d’acte et la prise d’acte en licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
– Condamner la société IFCV à une indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse à hauteur de 20 000 euros,
– Condamner la société IFCV à une indemnité de préavis de 8 302, 50 euros à une indemnité compensatrice de congés payés afférente de 830 euros, subsidiairement sur la base du salaire brut conventionnel à une indemnité de préavis de 5 853, 63 euros à une indemnité de compensatrice de congés payés afférente de 585 euros, à titre infiniment subsidiaire, sur la base des seules heures payées par la société IFCV, à une indemnité de préavis de 3 326, 70 euros et une indemnité compensatrice de congés payés afférente de 332, 60 euros
– Condamner la société IFCV à une indemnité pour travail dissimulé de 16 605, 00 €
– à titre subsidiaire : 11 707, 26 euros
– à titre infiniment subsidiaire : 6 653,40 euros
– Ordonner la remise des bulletins de paie d’octobre 2011 à janvier 2014 ainsi que les documents de fin de contrat (Solde de tout compte, certificat de travail, attestation Pôle Emploi) conformes au jugement à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du lendemain de la notification de la décision et se réserver le pouvoir de la liquider,
– Condamner la société IFCV au titre de l’article 700 du code de procédure civile à une indemnité de 2 500 euros,
-Condamner la société IFCV aux entiers dépens,
En tout état de cause,
– Ordonner l’exécution provisoire sur l’ensemble des condamnations en application de l’article 515 du code de procédure civile,
– Dire que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, devant l’article 1343-2.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le15 septembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, la société IFCV demande à la cour de :
– Confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a débouté Madame [P] [M] de ses demandes,
– L’infirmer en qu’il a rejeté sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau
– Condamner Madame [P] [M] à payer la somme de 5000 euros en application de l’article 700
du Code de procédure civile ;
– Condamner Madame [P] [M] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 15 septembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, la société Aidemo Consulting demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident ;
A titre principal :
– Confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a débouté Madame [M] de l’ensemble de ses demandes,
– Infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a rejeté sa demande reconventionnelle,
En conséquence :
– Condamner Madame [M] à verser la somme de 10 000 euros à Madame [U] [I] au titre du préjudice physique et du préjudice moral dont elle a souffert,
– Condamner Madame [M] à lui payer à la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– Condamner Madame [M] aux entiers dépens.
A titre subsidiaire :
– Minorer les montants de son éventuelle condamnation.
La clôture de l’instruction est intervenue le 16 mai 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le co-emploi
Madame [M] affirme que sa relation de travail tant avec la société Aidemo qu’avec la société IFCV doit être requalifiée en contrat de travail, qu’elle était vis-à-vis de ces deux sociétés dans une situation de co-emploi, que ses horaires de travail lui étaient imposés, qu’elle n’avait pas le choix des classes à qui elle dispensait cours, qu’elle était tenue d’assister à des réunions de fin d’année, que le choix de la méthodologie (notation, suivi de la progression des élèves, modèles des examens et le matériel pédagogique lui étaient imposés), qu’elle était destinataire de toutes les notes de service envoyées par la direction de l’IFCV et figure dans l’organigramme comme tous les salariés de la société, que son travail était contrôlé par le biais de fiches de progressions, qu’elle devait également rentrer ses heures de travail dans un logiciel de la société Aidemo, que la qualité de son travail était évaluée par les élèves et elle était convoquée à des entretiens de progrès, que la société IFCV lui donnait des directives en lui demandant de rentrer les notes et appréciations à des dates précises, de l’informer de la progression des élèves, de préparer les examens et leur support corrigé, que la société Aidemo fixait de manière unilatérale son tarif et était dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de ces deux sociétés.
La société Aidemo Consulting soutient que Madame [M] a librement choisi le statut d’auto entrepreneur dans la relation de travail qu’elle a eu avec elle, qu’elle ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un lien de subordination entre elles, que ses ordres de mission ne contenaient aucune instruction mais uniquement le nom du client et les renseignements minimum utiles pour réaliser la formation, qu’elle avait la possibilité de les refuser, que Madame [M] a été rémunérée à un taux horaire qui comprenait le travail effectué en dehors des heures de formation, qu’elle ne pouvait accéder à la demande de Madame [M] d’augmenter ce tarif horaire, que celle-ci avait la maîtrise de l’organisation de ses tâches sans qu’elle-même n’intervienne, que l’ensemble des pièces produites par Madame [M] concerne l’organisation des cours, les examens, la méthodologie employée qui sont des documents édités par la société IFCV, aucune pièce ne démontre qu’elle imposait le contenu de ses formations ou lui donnait des consignes, qu’elle avait l’initiative du choix de son matériel, que les demandes de renseignement ou d’information qui ont pu lui être adressés ne permettent pas de démontrer qu’elle avait un pouvoir de contrôle et de sanction sur Madame [M], que Madame [M] avait dans le temps où elle était en relation de travail avec elle d’autres clients, qu’elle ne justifie pas d’une dépendance économique et de l’impossibilité de développer sa propre clientèle inhérente au statut d’auto-entrepreneur.
La société IFCV explique qu’elle a été mise en relation avec Madame [M] par l’intermédiaire de la société Aidemo Consulting, qu’elle n’incite pas ses intervenants à se placer sous le statut d’auto entrepreneur, qu’elle n’avait aucune relation contractuelle avec Madame [M] et n’était pas donneur d’ordre, que Madame [M] ne relevait pas d’un donneur d’ordre unique mais exerçait en qualité d’auto-entrepreneur d’au moins sept clients, qu’il n’existait aucune dépendance économique entre elles, qu’il n’est pas plus démontré de lien de subordination entre elles, que le cahier des charges et les documents qui y sont joints ont pour seule vocation de rappeler au prestataire de service quels étaient les impératifs à respecter pour l’exercice de sa mission, qu’aucun horaire n’a été imposé à Madame [M], qu’aucun ordre ou directive ne lui a été donnée, qu’elle veillait seulement à ce que les intervenants respectent le cahier des charges, qu’aucun contrôle autre que celui d’un client sur les prestations de son prestataire n’est démontré, qu’elle n’avait aucun pouvoir de sanction sur Madame [M] qui restait maître de la préparation de ses cours et de sa manière d’enseigner, de l’appréciation du niveau de ses étudiants, de ses notations et de la préparation des supports, que si elle était destinataire des notes de services et d’information au même titre que les autres membres du service, cela ne permet pas de caractériser l’existence d’une relation de travail.
Il résulte de l’article L.8221-6 du code du travail que les personnes physiques, dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation aux registres que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail. L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre.
L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Il résulte des pièces produites que la société Aidemo Consulting, société qui propose des formations professionnelles à des entreprises ou à des établissements d’enseignement privés a fait appel à compter du mois d’octobre 2011 et jusqu’en janvier 2014 à Madame [M] sous son statut d’auto-entrepreneur pour dispenser auprès de ses clients des formations professionnelles d’espagnol.
Au cours de cette période, elle a adressé à Madame [M] des ordres de mission pour donner des cours d’espagnol auprès de trois clients, dont principalement la société IFCV dont l’activité est de concevoir, organiser et réaliser toute action de formation continue et plus particulièrement de préparer des étudiants par des formations en alternance en entreprise, dans le cadre de contrats de professionnalisation, à l’obtention de divers diplômes pour la plupart de niveau BTS.
La société IFCV qui explique qu’elle ne vend elle-même aucune action de formation en langue étrangère mais que son offre de formation contient une épreuve mineure de langue étrangère associée à d’autres épreuves techniques et professionnelles, a choisi de sous-traiter à la société Aidemo Consulting, la préparation d’une partie de ces épreuves et a conclu à cette fin le 26 septembre 2011 un contrat de prestation de service qui prévoit :
– article 1 Objet :
‘Le Client confie au Prestataire, qui l’accepte, l’exécution de prestations de formation suivantes :
-BTS AM à l’épreuve E2 2 : expression et culture en langue vivante espagnole,
– BTS MUC à l’épreuve E2 : langue vivante anglaise
-BTS NRC à l’épreuve E2 : communication en langue étrangère du diplôme
-BAC PRO ARCU à l’épreuve E4 : langue vivante espagnole
dans les conditions prévues par le cahier des charges remis par le Client et annexé au présent contrat’
– article 2 condition d’exécution de la prestation :
‘Le Prestataire effectue la prestation en qualité d’entrepreneur indépendant qui n’est pas et donc aucun membre du personnel n’est préposé ou employé du client.
Le fait que le Client contrôle l’exécution de la prestation ne met nullement en cause la qualité d’entrepreneur indépendant du Prestataire.
Les parties déclarent donc expressément qu’elles sont et demeureront, pendant toute la durée du présent contrat des partenaires professionnels indépendants. ‘
– article 3 obligation du prestataire
‘Le prestataire s’engage à mettre en oeuvre les ressources suffisantes pour réaliser les prestations qui lui sont confiées conformément aux besoins du Client et aux règles de l’art.
Il s’engager à adapter ses méthodes et son savoir faire aux règles applicables chez le client et à prendre toutes dispositions nécessaires pour que son personnel respecte le cahier des charges annexé aux présentes ainsi que les consignes de sécurité en vigueur chez le client.
Le prestataire, qui jouit d’une totale indépendance dans l’organisation de son activité, assume pleinement la direction de ses prestations, sous réserve du respect des règles et documents visés ci-dessus.
Toutefois, pour tenir compte de l’activité du client et de l’organisation existant au sein de ses établissements, le prestataire s’engage à tenir compte de celles-ci, notamment au titre du contrôle des connaissances des stagiaires et de la participation aux réunions pédagogiques et techniques et aux conseils d’évaluation (…)’
– article 4 Obligations du client
‘ le client définit ses objectifs, ses besoins, ainsi que l’organisation pratique des prestations.
Le client s’engage à remettre au formateur un emploi du temps qui pourra être modifié en accord avec le prestataire, qui devra tenir compte des impératifs professionnels de ce dernier dont la direction pédagogique a eu connaissance avant l’établissement de celui-ci.
Le client s’engage à mettre à disposition du prestataire les informations et moyens nécessaires au bon accomplissement de sa prestation qui restent sa proporiété et notamment les outils pédagogiques nécessaires tels photocopieuse, salle des formateurs, référentiels des épreuves, salles de classes, matériel audio et vidéo (…)’
– article 7 Lieu d’exécution de la prestation
‘Les prestations seront exécutées dans les locaux du client ou dans ceux que le client est amené à occuper en fonction de son activité. ‘
Pour démontrer qu’en dépit de son statut d’auto entrepreneur, elle a dans les faits réalisé ses prestations de formation en espagnol sous un statut de salarié tenu par un lien de subordination tant avec la société Aidemo consulting qu’avec la société IFCV, Madame [M] invoque et produit notamment les pièces suivantes:
– ses plannings et emplois du temps prévisionnels qui lui sont adressés par la société Aidemo,
– des convocations par la société Aidemo à des réunions avec l’ensemble de ses collègues également en mission auprès de la société IFCV,
– le cahier des charges de l’IFCV qui impose à ses formateurs notamment le respect des fréquences d’évaluation et des délais de saisie des notes et des appréciations, la participation obligatoire aux conseils d’évaluation, la prise de connaissance régulière de l’ensemble de la communication nécessaire au bon fonctionnement de l’IFCV,
– les fiches de progression, les fiches module fournies par l’IFCV aux formateurs,
– un échange de mails entre Madame [M] et la société Aidemo du 28 septembre 2011 aux termes duquel celle-là demande à celle-ci si elle a pu négocier pour que l’école paye les achats des livres pour le cours d’espagnol, lui précisant qu’elle va probablement acheter les méthodes d’espagnol pour BTS, la société lui répondant que l’on peut acheter les livres et les facturer à l’école ou les acheter et les garder pour soi en interne et lui demandant quel est le budget dont elle aurait besoin,
– des notes de service adressées par la société IFCV à l’ensemble de l’équipe enseignante, salariés comme autoentrepreneur, leur demandant par exemple de se conformer aux horaires de formation, ou pour les informer de l’organisation de l’école, des résultats des élèves, leur donner des précisions sur l’organisation des épreuves
– des convocations adressées par la société IFCV à des réunions,
– des mails de la société Aidemo Consulting lui demandant de retourner le ‘CV ISQ’ complété au plus vite (mail du 2 juillet 2012), de remplir le planning prévisionnel de ses cours sur l’extranet (mail du 21 mai 2013), lui demandant de la rappeler (mails des 17 juillet 2012 et 12 septembre 2012),
– des notes de la société IFCV concernant l’évaluation des enseignants par les élèves,
– un modèle vierge de fiche ‘synthèse’ de l’entretien de progrès éditée par la société IFCV comportant plusieurs rubriques parmi lesquelles les commentaires du ‘hiérarchique’ sur la période écoulée, la satisfaction professionnelle du collaborateur, ses commentaires et suggestions, sa contribution aux objectifs communs, ses objectifs individuels, ses points forts,
– des demandes ou rappels de l’IFCV à ses formateurs de saisir les notes et appréciations dans des délais déterminés,
– des mails de la société IFCF lui demandant de laisser son téléphone portable allumé au moment des épreuves d’espagnol au cas où il y aurait un problème sur le sujet,
– des échanges de mails entre elles et la société IFCV sur l’organisation des examens et les corrigés qu’elle doit préparer tels que par exemple un courrier électronique du 12 décembre 2013 de la société IFCV adressé aux enseignants et formateurs libellé en ces termes ‘ je vous remercie tous de passer dans mon bureau à votre prochaine venue à l’IFCV afin de valider l’ensemble des supports écrits et oraux dont je dispose pour la préparation à l’examen blanc de février pour les deuxième années. J’ai également des grilles d’éval et des consignes qu’il faudra valider’.
Or, contrairement à ce que soutient Madame [M], il ne ressort pas de ces pièces que celle-ci exerçait ses missions de formation en espagnol sous un lien de subordination hiérarchique avec les sociétés Aidemo Consulting et IFCV et notamment il n’en résulte pas qu’elle était contrôlée, évaluée par ces dernières ou susceptible d’être sanctionnée ou encore qu’elle recevait des directives notamment sur l’organisation de ses cours, la pédagogie ou le matériel à utiliser.
Elle était libre de refuser ou d’accepter les missions qui lui étaient proposées par la société Aidemo Consulting et les seules contraintes qui lui étaient imposées ne dépassaient pas celles qui peuvent être exigées par un client de son prestataire de service et qui étaient inhérentes au bon fonctionnement des formations en alternance dispensées par la société IFCV et sanctionnées par un diplôme d’Etat.
En conséquence, Madame [M], qui a réalisé ses missions de formation sous le statut d’autoentrepreneur ne démontre d’aucun lien de subordination entre elle et la société Aidemo Consulting ou entre elle et la société IFCV.
Elle sera en conséquence déboutée de l’intégralité de ses demandes qui reposent toutes sur sa qualité prétendue de salariée, à titre principal à l’égard des deux sociétés intimées et à titre subsidiaire à l’égard de l’une ou de l’autre.
Le jugement sera confirmé.
Sur la demande reconventionnelle de la société Aidemo Consulting
La société Aidemo Consulting explique que sa dirigeante, Madame [I] a été particulièrement affectée par cette instance qui menace l’avenir de sa société, qu’elle a dû être placée en arrêt de travail, que Madame [M] doit l’indemniser du préjudice moral et physique subi.
Néanmoins, la société Aidemo Consulting ne peut solliciter la condamnation de Madame [M] à payer une indemnité à Madame [I] qui n’est pas partie à l’instance.
Il est observé en tout état de cause qu’elle ne justifie pas que Madame [M] aurait commis une faute en mettant en initiant la présente action judiciaire, étant rappelé que l’erreur dans l’appréciation de ses droits et du Droit en général ne suffit pas à engager la responsabilité de celui qui la commet.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
Madame [M] qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Il apparait en outre équitable de laisser à chaque partie les frais irrépétibles qu’elle a engagés. Les parties seront en conséquence déboutées de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre du 20 décembre 2019,
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [P] [M] aux dépens de première instance et d’appel,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,