COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80B
15e chambre
ARRÊT N°
RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
DU 15 SEPTEMBRE 2022
N° RG 20/00602
N° Portalis DBV3-V-B7E-TY7G
AFFAIRE :
[C] [N]
C/
Me [H] [Z] – Mandataire liquidateur de Société GRAVITY CONSULTING
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Décembre 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Nanterre
N° Section : Encadrement
N° RG : 13/02161
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Christophe NEVOUET de la SELEURL CNE
Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE et Associés
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, fixé initialement au 18 mai 2022, prorogé au 15 juin 2022 puis au 14 septembre 2022 et différé au 15 septembre 2022, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Monsieur [C] [N]
né le 23 Octobre 1956 à [Localité 4] (92)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentant : Me Christophe NEVOUET de la SELEURL CNE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0106
APPELANT
****************
Me [H] [Z] ès qualités de mandataire liquidateur de la société GRAVITY CONSULTING
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Non comparant – non représenté
L’UNEDIC, DÉLÉGATION AGS CGEA DE ROUEN
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE et Associés, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98 substitué par Me François GREGOIRE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 09 mars 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,
Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,
FAITS ET PROCÉDURE,
Monsieur [C] [N] a été engagé par contrat à durée indéterminée le 23 juillet 2001, en qualité de chef de projet, par la société Syntegra.
La convention collective applicable est celle de Syntec.
En 2004, le contrat de M. [N] a été transféré à la société BT Syntegra.
En avril 2009, le contrat de M. [N] a de nouveau été transféré à la société BT Services.
En août 2009, le contrat de M. [N] a une nouvelle fois été transféré à la société Gravity Consulting.
M. [N] a été convoqué à un entretien préalable le 5 février 2013.
L’entretien s’est déroulé le 13 février 2013.
M. [N] a été licencié pour motif économique le 25 février 2013.
Le 17 juillet 2013, le tribunal de commerce de Caen a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Gravity Consulting.
Par jugement du 18 décembre 2013, le tribunal de commerce de Caen a prononcé la liquidation judiciaire de la Société Gravity Consulting et a désigné par Maître [H] [Z], ès qualité de mandataire liquidateur.
Par requête reçue au greffe le 17 juin 2013, Monsieur [C] [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre afin de contester la rupture de son contrat de travail et obtenir le versement de diverses sommes.
Par jugement du 23 décembre 2019, auquel la cour renvoie pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre :
– Juge les demandes de Monsieur [N] irrecevables et, en tout état de cause, non fondées,
– Déboute Monsieur [N] de l’ensemble de ses demandes,
– Condamne Monsieur [N] aux dépens.
Monsieur [C] [N] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 28 février 2020.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 20 janvier 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, Monsieur [C] [N], appelant, demande à la cour de :
– Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Nanterre en date du 23 décembre 2019 en ce qu’il déclarait les demandes de Monsieur [N] irrecevables et le débouter de l’intégralité de ses demandes ;
– Statuant à nouveau, il est demandé à la Cour de :
– Juger les demandes de Monsieur [N] recevables ;
– Juger que le licenciement pour motif économique de Monsieur [N] prononcé par la société Gravity Consulting le 25 février 2013 est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ;
– Fixer la moyenne de salaires de Monsieur [N] à 4.945,08 € bruts ;
– Fixer la créance de Monsieur [N] à l’égard des organes de la procédure collective de la société Gravity Consulting aux sommes suivantes :
– 85.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 14.503,62 euros en paiement de l’indemnité compensatrice de préavis ;
– 1.450,36 euros en paiement des congés payés afférents ;
– 414,24 euros à titre de complément d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– 7.620,59 euros à titre de rappels de primes sur objectifs ;
– 762,05 euros en paiement des congés payés afférents ;
– 1.905,14 euros à titre de complément d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 190,51 euros en paiement des congés payés afférents ;
– 2.042,15 euros à titre de complément d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
-3.500 euros à titre d’indemnité de procédure sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
– Dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal dans le cadre des dispositions des articles 1153 et suivants du Code civil ;
– Condamner la société Gravity Consulting aux dépens, en ce compris les frais éventuels d’exécution forcée de la décision à intervenir.
– Déclarer la présente décision opposable aux organes de la procédure collective de la société Gravity Consulting et à l’AGS CGEA de Rouen.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 20 octobre 2020, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, l’association Unedic AGS CGEA de Rouen, intimée, demande à la cour de :
– Juger les demandes irrecevables du fait du désistement d’instance et d’action intervenu devant le Conseil de prud’hommes,
– En conséquence :
– Débouter Monsieur [N] de l’ensemble de ses demandes, fins, prétentions,
-Subsidiairement :
– Juger que le licenciement repose sur un motif économique,
– Ramener à de plus justes proportions la demande de dommages et intérêts,
– En tout état de cause :
– Mettre hors de cause l’AGS s’agissant des frais irrépétibles de la procédure,
– Dire et juger que la demande qui tend à assortir les intérêts au taux légal ne saurait prospérer postérieurement à l’ouverture de la procédure collective en vertu des dispositions de l’article L 622-28 du code du Commerce,
– Fixer l’éventuelle créance allouée au salarié au passif de la Société,
– Dire que le CGEA, en sa qualité de représentant de l’AGS, ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L 3253-6, L 3253-8 et suivants du Code du Travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-15, L 3253-19 à 21 et L 3253-17 du Code du Travail,
– Dire et juger que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le Mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.
La SAS Gravity consulting représentée par Maître [H] [Z], ès qualité de mandataire liquidateur désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de CAEN en date du 18 décembre 2013 n’a pas conclu, bien que régulièrement attraite dans la procédure d’appel devant la Cour d’appel de Versailles.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 16 février 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des demandes de M. [N]
Aux termes de l’article 384 du code de procédure civile : « En dehors des cas où cet effet résulte du jugement, l’instance s’éteint accessoirement à l’action par l’effet de la transaction, de l’acquiescement, du désistement d’action ou, dans les actions non transmissibles, par le décès d’une partie.
L’extinction de l’instance est constatée par une décision de dessaisissement.
Il appartient au juge de donner force exécutoire à l’acte constatant l’accord des parties, que celui-ci intervienne devant lui ou ait été conclu hors sa présence. »
Aux termes de l’article 385 du code de procédure civile : « L’instance s’éteint à titre principal par l’effet de la péremption, du désistement d’instance ou de la caducité de la citation. »
Il est établi que M. [N] a dirigé devant le Conseil de prud’hommes de Nanterre ses demandes à titre principal contre la société BT Services et à titre subsidiaire contre la Société Gravity Consulting.
En cas de pluralité de parties, un demandeur peut toujours se désister de son action à l’égard de certaines d’entre elles à l’exclusion des autres.
Ainsi, si une partie transige en cours de procédure avec certaines parties seulement, mais pas avec d’autres, elle peut alors se désister de son action à l’égard des parties avec lesquelles elle a transigé, sans que ceci n’affecte son droit d’action à l’égard des autres.
Au cas présent, il est établi que Monsieur [N] a saisi le Conseil de prud’hommes de Nanterre le 17 juin 2013 aux fins de solliciter les demandes suivantes :
– A titre principal, que soit jugé que le contrat de travail de Monsieur [N] n’avait pas fait l’objet d’un transfert selon l’article L.1224-1 du Code du travail et qu’en conséquence, que soit prononcée la résiliation judiciaire de son contrat à l’encontre de la société BT Services ;
– A titre subsidiaire, juger que la rupture du contrat de travail liant Monsieur [N] à la société BT Services du fait du transfert était dépourvu du cause réelle et sérieuse et juger que le licenciement pour motif économique prononcé par la société Gravity Consulting était dénué de cause réelle et sérieuse ;
– A titre infiniment subsidiaire, juger que le licenciement pour motif économique prononcé par la société Gravity Consulting est injustifié.
Il est relevé que les sociétés BT Services et Gravity Consulting ont été les deux employeurs successifs du salarié, le salarié a ainsi dirigé ses demandes initiales pour la partie concernant l’exécution de son contrat de travail, contre la société BT Services d’une part et pour celle relative à la contestation de son licenciement pour motif économique contre la société Gravity Consulting qui venait de le licencier.
Au cours de cette procédure prud’homale, la société BT Services et Monsieur [N] ont régularisé un protocole d’accord transactionnel à la suite duquel ce dernier s’est désisté de son action et de l’instance prud’homale à l’égard de la seule société BT Services, tel que cela ressort de l’article 3 du protocole transactionnel établi et versé aux débats, mais non pas de ses demandes à l’encontre de la Société Gravity Consulting.
En l’absence de désistement à l’encontre de la Société Gravity Consulting, il s’en déduit que M. [N] entendait pouvoir se réserver de poursuivre son action à l’encontre de cette seule société devant la juridiction prud’homale saisie.
Il est ainsi établi que le désistement de Monsieur [N] qui ne concernait que la Société BT Services avec laquelle il a transigé, n’a nullement affecté son droit d’action à l’égard de la Société Gravity Consulting, même si sa demande à son encontre était initialement formulée à titre subsidiaire seulement.
Sur ce dernier point, il est relevé que l’ordonnance supprimant le principe de l’unicité de l’instance en droit du travail est entrée en vigueur le 26 mai 2016, soit postérieurement à la saisine déposée par Monsieur [N] en 2013, de sorte que M. [N] demeurait autorisé à modifier en cours de procédure sa saisine initiale formulée à titre subsidiaire contre la société Gravity Consulting, en une demande principale unique dès lors qu’il ne s’était pas désisté de ses demandes à l’encontre de la Société Gravity Consulting.
Pour l’ensemble de ces raisons, Monsieur [N] demeure bien fondé à poursuivre son action à l’encontre de la seule société Gravity Consulting, sans devoir de nouveau saisir le Conseil de prud’hommes.
En outre, ses demandes ne sont pas prescrites dès lors que le Conseil des Prud’hommes a été saisi par requête reçue au greffe dès le 17 juin 2013 et que le licenciement contesté du salarié lui a été notifié le 25 février 2013.
Il s’en déduit que c’est à tort que le Conseil de prud’hommes a considéré que les demandes formulées à l’encontre de la société Gravity Consulting pour lesquelles cette juridiction était déjà saisie, étaient irrecevables et en tout état de cause prescrites.
Le jugement dont appel sera dès lors infirmé et les demandes formulées par Monsieur [N] à l’encontre de la société Gravity Consulting déclarées recevables.
Sur le licenciement économique
En application de l’article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques, à une réorganisation de l’entreprise ou à une cessation d’activité.
La lettre de licenciement du 25 février 2013, qui fixe les limites du litige, est libellée dans les termes suivants :
» Monsieur,
Nous vous confirmons par la présente être contraint de poursuivre notre projet de licenciement pour motif économique à votre égard, en raison des difficultés économiques rencontrées par l’activité Consulting du Groupe Gravity.
En effet, il ressort de l’analyse des données comptables de la société Gravity Consulting depuis sa création que si l’activité Consulting du Groupe est parvenue dans un premier temps à augmenter régulièrement son chiffre d’affaires, cette augmentation a cessé au cours de l’exercice 2012, et s’est accompagnée d’un accroissement très important de ses pertes.
Ces pertes ont entraîné un épuisement complet des capacités de trésorerie tant de l’entreprise que du Groupe et placent la société en situation extrêmement précaire puisque ne pouvant continuer son activité sans apport perpétuel de fonds extérieurs.
L’activité » Consulting » initialement conçue comme devant participer au développement des autres activités du Groupe, notamment celles de conception et d’édition de logiciels, en permettant de positionner le Groupe Gravity plus en amont dans la chaîne de valeur des projets clients (projets de conception et de mise en ‘uvre) et de mieux affirmer son expertise dans le domaine du PLM, se révèle au contraire consommatrice des ressources financières du Groupe, mettant ce dernier également en péril.
En outre, la société ayant continué en 2012 son activité déficitaire, a accumulé à fin 2012 une importante dette fiscale et sociale.
La raison de cette situation s’en trouve dans la difficulté qu’éprouve la société à atteindre un niveau de consulting en adéquation avec :
d’une part, un marché à tendance baissière aussi bien sur les volumes que sur les prix ;
d’autre part, une taille intrinsèque limitée qui rend difficile, voire impossible, son référencement auprès des Grands Comptes et donc, son accès à une part importante du marché du conseil SAP.
Il est apparu ainsi au cours du temps que la société n’avait accès qu’aux marchés de faible dimension, au travers de contrats de sous-traitance précaires, n’impliquant qu’un seul consultant à l’exclusion de projets multi-compétences.
Au vu de ce constat, il apparaît indispensable :
de renoncer à l’espoir (qui s’avère vain depuis 3 ans) d’adresser les grands comptes et/ou les grands projets multi-compétences ;
de concentrer l’activité commerciale de la société vers les marchés de dimension modeste, afin d’accroître le taux de placement des consultants, diminuer le taux et la durée des inter-contrats et, ainsi, adapter l’offre de la Société aux marchés auxquels elle est en mesure d’accéder ;
de poursuivre la spécialisation métier de la société dans le domaine du PLM, qui constitue le c’ur de son expertise aujourd’hui et le deviendra encore plus dans les mois à venir.
Dans ces conditions, il a été décidé de procéder à la suppression de votre poste et, en l’absence de solution de reclassement existante au sein de la société comme du Groupe, à la rupture de votre contrat de travail ».
Il appartient à l’employeur de justifier des difficultés économiques qu’il invoque.
Il est rappelé par ailleurs que la cause économique de licenciement s’apprécie à la date de notification de la rupture et le périmètre d’appréciation de la cause économique est le secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise qui licencie.
Il est relevé que la Société mentionne » une augmentation du chiffre d’affaires qui aurait cessé en 2012 » et une » augmentation des pertes » ainsi qu’un » épuisement de trésorerie « .
La société Gravity Consulting appartenait à un groupe constitué des sociétés Gravity Partners Group (Conseil pour les affaires et autres conseils de gestion) et Gravity Nearshore.
Toutefois, la Société Gravity Consulting ne justifie par aucune pièce versée aux débats de sa situation financière à la date de la notification de la rupture de M. [N], ni même encore de celle du groupe auquel elle appartient (sociétés Gravity Partners Group et Gravity Nearshore) au moment du licenciement de ce salarié, elle ne fait à ce titre mention d’aucune donnée chiffrée contemporaine du licenciement permettant à la Cour d’exercer son contrôle sur la réalité de la cause économique invoquée.
La seule variation du chiffre d’affaires produite par la Société Gravity Consulting, et réalisée entre 2010 et 2013, ne peut être retenue comme une donnée comptable suffisante pour apprécier les difficultés économiques alléguées, un chiffre d’affaires réalisé à hauteur de près de 3,5 millions d’euros n’étant pas de nature à laisser augurer un résultat déficitaire de l’entreprise.
Il est encore relevé des seules pièces produites que les pertes de la société Gravity Consulting se sont avérées moins importantes en 2012 que l’année précédente, puisqu’en 2011, les pertes s’étaient élevées à 317.000 euros alors qu’elles étaient réduites à 281.000 euros en 2012 , soit une diminution substantielle de 36.000 euros qui n’est pas démonstrative des difficultés alléguées par l’employeur.
Enfin, il est établi que la Société Gravity Consulting a indiqué que l’activité PLM à laquelle était rattachée Monsieur [N] était déficitaire, raison pour laquelle elle supprimait son poste, tout en lui précisant vouloir poursuivre une spécialisation dans l’activité PLM sans s’adjoindre les compétences de son salarié spécialisé dans cette activité.
La liquidation de la Société Gravity Consulting en juin 2015, deux ans après le licenciement intervenu, n’est pas en soi de nature à permettre de justifier de la cause économique du licenciement intervenu dont il est rappelé qu’elle s’apprécie à la date de notification de la rupture.
Aucune donnée économique concernant chacune des autres sociétés du Groupe n’est produite.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la société Gravity Consulting ne justifie devant la Cour d’aucune difficulté économique de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartenait à la date à laquelle le contrat de travail de Monsieur [N] a été rompu, le licenciement de M. [N] est dès lors dépourvu de toute cause économique réelle et sérieuse.
Sur le non-respect de l’obligation de reclassement
L’article L.1233-4 du Code du travail impose à l’employeur qui licencie pour motif économique une obligation générale de reclassement dans les termes suivants : » Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, sur un emploi d’une catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l’entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient. [‘] Les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises « .
Cette obligation de reclassement s’impose à l’employeur quel que soit l’effectif de l’entreprise et le nombre de salariés concernés et doit être exécutée loyalement.
Dans le cadre de son obligation de reclassement dans l’entreprise, l’employeur doit en cas de suppression ou de transformation d’emplois proposer aux salariés concernés, des emplois disponibles de même catégorie, ou à défaut de catégorie inférieure, fut-ce par voie de modification substantielle des contrats de travail.
Dès lors que l’employeur n’a pas satisfait à son obligation de reclassement, le licenciement du salarié est sans cause réelle et sérieuse.
La cour ayant toutefois retenu l’absence de cause réelle et sérieuse attachée au défaut de justification des difficultés économiques intervenues, il n’y pas lieu d’examiner l’obligation de reclassement de M. [N] dans l’entreprise, dont le défaut de respect par l’employeur emporterait les mêmes effets.
Sur les conséquences du licenciement
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Monsieur [N], était âgé de 56 ans lors de la rupture de son contrat de travail, il justifiait d’une ancienneté de plus de 11 années, il n’a jamais retrouvé d’emploi avant de faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er janvier 2019. En dernier lieu, Monsieur [N] percevait une rémunération mensuelle moyenne brute de 4.834,54 euros au titre des mois de mars 2012 à février 2013 ainsi qu’il ressort de ses bulletins de paie.
La Cour fixe à 58. 000 euros le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alloués à M. [N] en réparation du préjudice subi du fait de la perte injustifiée de son emploi. Il convient d’inscrire cette somme au passif de la Société Gravity Consulting.
Sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents
Aux termes des articles 15 et 17 de la convention collective Syntec, M. [N] pouvait bénéficier d’un préavis de 3 mois.
La Cour fixe à 14.503,62 euros le montant de l’indemnité compensatrice de préavis due à M. [N] et à la somme 1.450,36 euros les congés payés afférents, sommes qu’il convient d’inscrire au passif de la Société Gravity Consulting.
Sur la demande de rappel d’indemnité de licenciement
L’article R.1234-4 du Code du travail dispose que : » Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :
1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement;
2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion « .
Ces dispositions légales demeurent plus favorables que les dispositions de l’article 19 de la convention collective Syntec appliquée par l’employeur au montant du licenciement, la rémunération servant de base de calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, la rémunération mensuelle moyenne brute perçue soit au titre des douze derniers mois, soit au titre des trois derniers mois.
Monsieur [N] percevait au titre des douze derniers mois, une rémunération globale brute de 58.014,46 euros, soit une rémunération mensuelle moyenne brute de 4.834,54 euros.
Au titre des trois derniers mois, une rémunération globale brute de 14.835,23 euros, soit une rémunération mensuelle moyenne brute de 4.945,08 euros.
Monsieur [N] est dès lors bien fondé à solliciter que son indemnité de licenciement soit calculée sur la base d’une rémunération mensuelle brute de 4.945,08 euros, soit 4.945,08 euros / 3 x 11,68 (du 17 septembre 2001, date d’embauche du salarié au 25 mai 2013, date du terme du préavis) = 19.252,83 euros.
La cour fixe le complément d’indemnité conventionnelle de licenciement restant due à M. [N] à 414,24 euros (19.252,83 euros – 18.838,59 euros indemnité versées = 414,24 euros) qui sera également inscrite au passif de la Société Gravity Consulting
Sur les demandes au titre de l’exécution du contrat de travail
Il ressort du contrat de travail de Monsieur [N] que celui-ci percevait une prime sur objectifs quantitatifs et qualitatifs.
Les objectifs quantitatifs correspondaient au nombre de jours passés chez les clients de l’entreprise dans le cadre des missions qui lui étaient confiées par cette dernière.
Il n’est pas établi que les objectifs quantitatifs fixés chaque année par l’employeur n’étaient pas réalisables et qu’ils ne correspondaient pas à des normes sérieuses et raisonnables alors qu’ il ressort a contrario des pièces produites et notamment de ses entretiens d’évaluation, qu’il n’aurait pas atteint deux d’entre eux au motif qu’il n’aurait pas fait preuve de » proactivité » et n’aurait atteint ses objectifs sur la partie commerciale, qu’à hauteur de 8 %, « n’ayant pas été en mesure de mettre en valeur les éléments de [son] parcours professionnel « .
Il convient dès lors de débouter M. [N] de ses demandes de rappels de primes sur objectifs et de congés payés afférents, de complément d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents ainsi que de complément d’indemnité conventionnelle de licenciement consécutives à cette demande.
Sur la garantie de l’AGS
La présente décision sera opposable à l’association Unedic AGS CGEA de Rouen dans la limite de son plafond de garantie, en application des articles L. 3253-17 et D 3253-5 du code du travail.
En application de l’article L 622-28 du code du commerce, il est en outre rappelé que l’ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts.
Sur les demandes accessoires
Le liquidateur devra remettre à M. [N] une attestation pôle emploi et un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision.
La Société Gravity Consulting supportera les dépens.
Il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,
INFIRME le jugement du Conseil de prud’hommes de Nanterre du 23 décembre 2019 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DÉCLARE recevables les demandes de M. [C] [N],
DIT que le licenciement de M. [C] [N] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
FIXE la créance de M. [C] [N] au passif de la société Gravity Consulting aux sommes suivantes :
– 58.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-14.503,62 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1450,36 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents,
– 414,24 euros à titre de rappel d’indemnité de licenciement,
DÉBOUTE M. [C] [N] de ses autres demandes,
RAPPELLE que l’ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts,
DIT que le liquidateur devra remettre à M. [C] [N] une attestation pôle emploi et un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision,
DIT que la décision est opposable à l’association Unedic AGS CGEA de Rouen dans la limite de sa garantie légale et du plafond applicable,
DIT n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Gravity Consulting aux dépens.
– Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,