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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 3 – Chambre 1
ARRET DU 30 NOVEMBRE 2022
(n°2022/ , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/09704 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDXAE
Décisions déférées à la Cour :
Arrêt du 17 Mars 2021 – Cour de Cassation – pourvoi n° X 20-14.360
Arrêt du 28 Janvier 2020 – Cour d’appel de VERSAILLES – RG n° 19/02799
Ordonnance du 28 Mars 2019 – Tribunal de grande instance de NANTERRE – 18/00868
APPELANTS
Madame [S] [D] [E] veuve [Z]
née le 26 Juin 1935 à [Localité 10] (ALGERIE)
[Adresse 4]
[Localité 6]
Monsieur [I] [M]
né le 06 Août 1939 à [Localité 7] (ALGERIE)
[Adresse 1]
[Localité 9]
représentés par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
ayant pour avocat plaidant Me Serge BOUGANIM, avocat au barreau de PARIS, toque : C106
INTIMES
Monsieur [U] [V]
né le 05 Avril 1946 à [Localité 8] (MAROC)
[Adresse 2]
[Localité 9]
représenté par Me Stéphane FERTIER de l’AARPI JRF AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075
ayant pour avocat plaidant Me Denis BENSAUDE, avocat au barreau de PARIS, toque : E519
Monsieur [A] [Z], assigné à tiers présent au domicile par acte d’huissier du 07.06.2021
[Adresse 3]
[Localité 6]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Patricia GRASSO, Président, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Patricia GRASSO, Président
Mme Sophie RODRIGUES, Conseiller
Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON
ARRÊT :
– rendu par défaut
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier.
***
EXPOSE DU LITIGE :
Engagés dans un projet d’investissement immobilier en Israël M. [U] [V], [W] [Z] et M. [I] [M] ont organisé leurs relations d’associés dans diverses sociétés dont la société de droit israélien 8 Harlington 2 BV selon protocole des 9 février 1995, modifié le 16 février 1998 puis le 31 août 2000.
Selon sentence arbitrale du 31 janvier 2011 confirmée par le tribunal étatique de Tel Aviv-Yafo, la propriété des sommes investies par les associés dans la société [Adresse 5] a été jugée ainsi répartie : 15 % à M. [V] et 85 % à [W] [Z] et M. [M].
Depuis lors, un litige persiste entre les parties principalement quant à l’évaluation des parts dont M. [V] réclame le paiement.
[W] [Z] est décédé le 1er juillet 2017 à [Localité 9], laissant pour lui succéder sa veuve Mme [S] [E] épouse [Z] avec laquelle il était marié sous le régime de la communauté universelle et son fils, M. [A] [Z].
Par actes d’huissier en date des 11 et 12 décembre 2017, M. [V] a assigné Mme [E] épouse [Z], M. [A] [Z] et M. [M] devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins principalement de :
-dire que la succession de tous les biens du défunt, [W] [C] [Z] incluant les titres lui appartenant dans la société [Adresse 5] Israël et les sociétés affiliées est soumise au droit français, à la juridiction française et en conséquence au tribunal de grande instance de Nanterre,
-dire que M. [A] [Z], est dirigeant de fait de la société [Adresse 5] et est prétendant aux titres-actions de la société 8 et des sociétés affiliées de la succession du défunt [W] [Z]
-dire que M. [I] [M] détient avec [W] [Z] les titres de la société [Adresse 5] sans distinction de la quote-part de chacun,
-dire et juger que les déficits de la société 8 des années 2011 à 2016 et 2017 seront supportés exclusivement par la succession de [W] [Z] à savoir, ensemble M [A] [Z] et Mme [Z] née [E],
-condamner in solidum Mme [Z] née [E], M. [Z] et M. [M] à lui payer la somme de 5 500 000 euros en paiement de 15% des actions qu’il détient dans la société [Adresse 5] et les sociétés affiliées précitées,
-condamner in solidum Mme [Z] née [E], M. [Z] et M. [M] à lui payer la somme de 1 500 000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance subie par lui.
Mme [S] [E], M. [A] [Z] et M. [I] [M] ont saisi d’un incident le juge de la mise en état aux fins de voir déclarer nulle l’assignation, et déclarer les juridictions israéliennes saisies en premier lieu, en particulier l’arbitre [H] [L], non démis à ce jour, le Tribunal Régional de Tel Aviv et si besoin le Tribunal Etatique de Tel Aviv seules compétentes pour statuer sur les demandes de Monsieur [U] [V] en tout cas pour faire établir la valorisation de la société [Adresse 5] et sociétés affiliées et celle des parts de Monsieur [V] dans ladite société ; le renvoyer à mieux se pourvoir devant ces juridictions et en tout cas à poursuivre devant la juridiction d’arbitrage rabbinique l’expertise ordonnée pour cette valorisation.
Par une ordonnance du 28 mars 2019, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre a statué dans les termes suivants :
-rejette la demande de Mme [E] [S], M. [Z] [A] et M. [M] [I] tendant à la nullité de l’assignation délivrée le 7 décembre 2017,
-rejette l’exception de litispendance et la demande tendant à voir déclarer les juridictions israéliennes saisies dont l’arbitre [H] [L], le tribunal Régional de Tel Aviv ou le Tribunal Etatique de Tel Aviv seules compétentes pour statuer sur les demandes de M. [U] [V],
-dit n’y avoir lieu de renvoyer M. [V] [U] à mieux se pourvoir devant ces juridictions,
-renvoie l’affaire à la mise en état,
-rejette la demande des parties au titre des frais irrépétibles,
-condamne Mme [E] [S] épouse [Z], M. [Z] [A] et M. [M] [I] à supporter les dépens de l’incident.
Par un arrêt du 28 janvier 2020, la cour d’appel de Versailles a statué dans les termes suivants :
-confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions,
y ajoutant :
-rejette les demandes plus amples ou contraires,
-condamne in solidum Mme [E], M. [Z] et M. [M] aux dépens,
-autorise Maître [O] à recouvrer directement à leur encontre ceux des dépens qu’elle a exposés sans avoir reçu provision.
Mme [S] [E] et M. [I] [M] se sont pourvus en cassation.
Par un arrêt du 17 mars 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 28 janvier 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles.
Mme [S] [E] et M. [I] [M] ont saisi la cour d’appel de renvoi par déclaration du 18 mai 2021.
Le 2 septembre 2021, l’affaire a été fixée à bref délai.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 17 octobre 2022, Mme [S] [E] et M. [I] [M] demandent à la cour de :
-infirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état de la 1ère chambre du tribunal de grande instance de Nanterre du 28 mars 2019 en ce qu’elle a statué par les chefs suivants:
*rejette l’exception de litispendance et la demande tendant à voir déclarer les juridictions israéliennes saisies dont l’arbitre [H] [L], le Tribunal Régional de Tel Aviv ou le Tribunal étatique de Tel Aviv seules compétentes pour statuer sur les demandes de Monsieur [U] [V],
*dit n’y avoir lieu de renvoyer M. [V] [U] à mieux se pourvoir devant ces juridictions,
*renvoie l’affaire à la mise en état,
*rejette la demande des parties au titre des frais irrépétibles,
*condamne Mme [E] [S] épouse [Z], M. [Z] [A] et M. [M] [I] à supporter les dépens de l’incident,
et statuant à nouveau,
-dire et juger que M. [U] [V] a porté devant le tribunal judiciaire de Nanterre une action dont était préalablement saisi un tribunal arbitral siégeant en Israël de sorte que la litispendance est avérée,
en conséquence,
-dire et juger M. [U] [V] irrecevable en son action et l’en débouter,
-dire et juger que sont seules compétentes les juridictions israéliennes saisies en premier lieu, en particulier l’arbitre [H] [L], le tribunal régional de Tel Aviv et si besoin le tribunal étatique de Tel Aviv,
-dire et juger que la sentence arbitrale israélienne rendue le 15 mars 2021 est assortie de l’autorité de la chose jugée,
-ordonner le dessaisissement du juge français, soit du tribunal judiciaire de Nanterre, au titre de l’instance enrôlée sous le numéro 18/00868 pour statuer sur des demandes déjà tranchées par une juridiction étrangère assortie de l’autorité de la chose jugée,
-débouter M. [U] [V] de toutes demandes autres, plus amples, ou contraires au présent dispositif,
-condamner M. [U] [V] à payer à chaque appelant la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en sus des entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 14 octobre 2022, M. [U] [V], intimé, demande à la cour de :
à titre principal :
-dire et juger que ni Mme [S] [D] [E], veuve [Z] ni M. [I] [M], ni même M. [A] [Z], n’apportent la preuve de l’existence d’une convention d’arbitrage qui soit opposable à M. [V] au regard des demandes formées à leur encontre par M. [U] [V] dans le présent litige,
-dire et juger que ni Mme [S] [D] [E], veuve [Z], ni M. [I] [M], ni même M. [A] [Z], n’apportent la preuve de ce qu’un arbitre est actuellement saisi du litige qui les oppose à M. [V] au regard des demandes formées à leur encontre par M. [U] [V] devant le Juge français,
-dire et juger l’article 1448 du code de procédure civile inapplicable en l’espèce,
-dire et juger qu’il n’existe aucune situation de litispendance,
-rejeter en conséquence l’exception de litispendance soulevée par Mme [S] [D] [E], veuve [Z] et M. [I] [M],
subsidiairement :
-dire et juger que MM. [I] [M] et [A] [Z] ne démontrent ni ne peuvent prétendre être partie à quelque instance arbitrale que ce soit au regard des demandes formées à leur encontre par M. [U] [V] devant le Juge français,
-dire et juger que le compromis d’arbitrage ayant conduit au prononcé de la sentence arbitrale rendue le 31 janvier 2011 en Israël, et rappelé à cette sentence, est manifestement inapplicable au litige constitué des demandes formées à l’encontre de Mme [S] [D] [E], veuve [Z] et de M. [I] [M] par M. [U] [V] devant le Juge français par assignation des 7 et 11 décembre 2017,
en tout état de cause :
-dire et juger qu’il n’existe aucune situation de litispendance,
-dire et juger que la décision rendue le 15 mars 2021 par le médiateur [L], qui avait épuisé sa compétence arbitrale au 31 janvier 2011, ne peut être une sentence,
-dire et juger que cette décision rendue le 15 mars 2021 par le médiateur [L] a été rendue sans compétence arbitrale, en violation du contradictoire et donc de l’ordre public international,
-dire et juger que cette décision ne saurait être reconnue en France et ne saurait donc bénéficier d’une quelconque autorité de chose jugée,
-dire et juger que cette décision n’a aucune autorité de chose jugée à l’égard des parties et du litige constitué des demandes formées à l’encontre de Mme [S] [D] [E], veuve [Z] ni de M. [I] [M] par M. [U] [V] devant le Juge français par assignation des 7 et 11 décembre 2017,
-rejeter en conséquence les demandes de Mme [S] [D] [E], veuve [Z] et M. [I] [M] tendant à voir « Juger que la sentence arbitrale israélienne rendue le 15 mars 2021 est assortie de l’autorité de la chose jugée »
-débouter Mme [S] [D] [E], veuve [Z], et M. [I] [M] de toutes leurs demandes, fins et prétentions,
-dire et juger le Tribunal judiciaire de Nanterre compétent pour statuer sur les demandes de M. [U] [V] à l’encontre de Mme [S] [D] [E] veuve [Z], et de MM. [I] [M] et [A] [Z] et pour statuer au fond sur le bien-fondé de ces demandes,
-confirmer en conséquence l’ordonnance rendue par le Juge de la mise en état de la 1ère Chambre du Tribunal de grande instance Nanterre du 28 mars 2019 dans son intégralité,
-condamner Mme [S] [D] [E], veuve [Z], MM. [I] [M] et [A] [Z] à payer chacun à M. [U] [V] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner Mme [S] [D] [E], veuve [Z], et MM. [I] [M] et [A] [Z] aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Me Stéphane Fertier conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
M. [A] [Z], intimé, n’a pas constitué avocat. Les actes de procédure ne lui ont pas été remis à personne.
Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 octobre 2022.
L’affaire a été appelée à l’audience du 26 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
En l’espèce, Monsieur [U] [V], partenaire dans le cadre d’un projet d’investissement immobilier, a assigné l’un de ses associés et les héritiers de l’autre pour voir juger que la succession était soumise à la compétence des juridictions françaises.
Les défendeurs ont saisi le juge de la mise en état d’un incident tendant à voir dire que le tribunal arbitral rabbinique et les juridictions israéliennes, saisis en premier lieu, étaient seuls compétents. Le juge de la mise en état a, notamment, rejeté l’exception de litispendance.
Saisie d’un appel sur ce point, la cour d’appel de Versailles, pour confirmer et rejeter l’exception de litispendance, a retenu d’une part que le tribunal de grande instance de Nanterre, dans le ressort duquel sont domiciliés deux des défendeurs, est compétent en application de l’article 42 du code de procédure civile, d’autre part, qu’en application de l’article 100 du même code ,la litispendance ne peut exister que lorsqu’un même litige est pendant devant deux juridictions « également compétentes », alors qu’en l’espèce il n’existait pas de « même litige » pendant devant deux juridictions du fait de l’absence d’identité de parties et d’objet du litige.
La Cour de cassation sur le fondement de l’article 1448 du code de procédure civile, applicable à l’arbitrage international en vertu de l’article 1506 du même code, a cassé cette décision au motif qu’il résulte de ce texte que « le tribunal arbitral, saisi en premier lieu, est compétent par priorité pour apprécier si le différend entre dans le champ d’application de la convention d’arbitrage » et qu’en statuant sur le fondement des articles 42 et 100 du code de procédure civile pour rejeter l’exception de litispendance, « motifs inopérants, alors qu’étant alléguée la saisine antérieure d’un tribunal arbitral, il lui incombait de vérifier sa compétence au regard des seules dispositions de l’article 1448 du code de procédure civile , en recueillant au préalable les observations des parties sur ce point, la cour d’appel a violé » ce texte.
Devant la cour de renvoi, Monsieur [U] [V] fait valoir en substance que l’arbitre, qui n’était en réalité qu’un médiateur, a épuisé sa compétence par la décision du le 31 janvier 2011, et que par suite du décès de [W] [Z] le 1er juillet 2017, c’est un litige distinct de celui soumis à l’époque au Rabbin [L] qui persiste entre les parties au présent litige, qui sont elles aussi différentes.
Mme [S] [E] et M. [I] [M] répondent que la procédure arbitrale n’a pas pris fin en 2011 mais s’est au contraire poursuivie de manière contradictoire ; que le juge arbitral a désormais définitivement purgé le litige mais qu’en tout état de cause, à la date de l’ordonnance entreprise, la litispendance était acquise.
A titre liminaire la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et les demandes des parties tendant à voir « dire et juger ” ou «constater » ne constituant pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile dés lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert, ne feront en conséquence pas l’objet d’une mention au dispositif.
Aux termes de l’article 1448 du code civil : « Lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.
La juridiction de l’Etat ne peut relever d’office son incompétence.
Toute stipulation contraire au présent article est réputée non écrite. ”
Sur l’existence d’une convention arbitrale antérieure
Il résulte des pièces produites que les parties se sont entendues pour soumettre leur litige à un arbitre israélien, entente qui fut formalisée le 21 Kislev 5771 ( le 28 novembre 2010 selon le calendrier grégorien), date à laquelle les parties signaient une convention d’arbitrage devant le Rabbin [P] [L], ainsi qu’il résulte de la sentence que celui-ci a rendue le 30 janvier 2011, fixant la répartition des participations entre les associés.
La procédure arbitrale découlant de la convention voulue et signée entre les parties a pour objet le règlement des relations entre associés en ce qu’ils détiennent des droits sur plusieurs sociétés dont 8 Harlington 2 BV, exploitante d’un hôtel en Israël.
Les décisions arbitrales sont soumises au visa du Tribunal étatique saisi, en l’espèce le Tribunal de Tel-Aviv en Israël.
Le 10 janvier 2012, le Tribunal régional de Tel Aviv déboutait Monsieur [V] de sa demande en nullité de la sentence arbitrale.
Le 7 avril 2013, l’arbitre israélien a nommé Monsieur [T] [K], expert-comptable, afin de valoriser les actifs et de déterminer la valeur de la quote-part des participations détenues par M. [U] [V] au jour de l’expertise.
Dans sa décision du 10 mai 2020, il a indiqué aux parties qu’à l’issue de l’expertise, il rendrait sa sentence définitive mettant fin à la procédure d’arbitrage.
Il résulte de la pièce traduite n°11 produite par les intimés que le 23 février 2016, un débat a eu lieu devant le tribunal régional de Tel Aviv Jaffa pour savoir si les arguments de Monsieur [U] [V] qui faisait valoir que les défendeurs auraient fait fuir des biens vers les filiales et qu’il y aurait des filiales de filiales ce qui pouvait modifier la valeur des actions, étaient de nature « à modifier la ligne directrice de l’arbitrage et de la dévier vers des arguments selon lesquels les défendeurs ont volé les sociétés et ceci n’est pas l’objet de la querelle ».
La décision a été la suivante : « Verdict Nous avons pris bonne note de la déclaration des mandataires des défendeurs selon laquelle : nous sommes d’accord pour que l’estimateur tienne compte des arguments du plaignant pour autant qu’il pense en tant que professionnel qu’ils sont pertinents pour les besoins de la valorisation. Nous lui faisons confiance pour que le plaignant lui soumette toutes ses requêtes sans aucune limitation ».
Le 26 septembre 2017, le Tribunal régional de Tel Aviv a débouté Monsieur [U] [V] de sa demande de démettre l’arbitre en charge du dossier, ce qui démontre que celui-ci ne remettait pas en cause le principe de l’arbitrage, mais l’arbitre.
A la requête de Madame veuve [Z] et de Monsieur [M] et par acte du 11 janvier 2021, l’arbitre israélien [H] [L] a été de nouveau saisi pour qu’il soit statué sur le rapport définitif rendu par l’expert judiciaire évaluateur. Cette requête a été signifiée à M. [U] [V] le 8 février 2021.
L’arbitre a rendu sa sentence définitive le 15 mars 2021, par laquelle il a fixé le montant des actions de Monsieur [V].
La traduction de cette décision rédigée en hébreu porte en en-tête « devant le médiateur le rabbin [H] [L] », mais est intitulée « jugement définitif » et est ainsi libellée « jugement final de l’arbitrage entre les parties ci-dessus ».
L’arbitre a motivé sa décision par le fait que Monsieur [U] [V], dénommé le plaignant, n’avait pas tenu compte de l’expertise de l’évaluateur alors qu’il avait connaissance de la demande de la partie adverse tendant à obtenir une décision et alors que l’arbitre avait dans sa précédente décision souligné que l’absence de coopération de l’une des parties à la poursuite de la procédure le contraindrait à rendre un jugement final en l’absence de cette partie.
Le 28 avril 2021, la sentence définitive avec sa traduction a été signifiée à Monsieur [U] [V] à l’adresse qu’il déclare devant la présente cour d’appel.
Le 31 mai 2021, le Tribunal du district de Tel Aviv a autorisé la signification avec exécution de la sentence du 15 mars 2021 déjà signifiée à toutes fins.
La sentence arbitrale rendue le 15 mars 2021 signifiée selon les dispositions de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965, n’a fait l’objet d’aucun recours recevable de la part de M. [U] [V] puisque le recours introduit en Israël par Monsieur [U] [V] a été jugé irrecevable par décision du Tribunal civil du district de Tel Aviv du 9 septembre 2021.
Nonobstant les vains développements de monsieur [V] sur l’existence d’une simple médiation alors qu’il est question tout au long des procédures de jugement ou sentence arbitrale, il est ainsi constant et non contestable qu’une convention d’arbitrage a été signée en 2011 avant la saisine du juge français et que la procédure s’est poursuivie jusqu’à ce qu’une décision soit rendue.
Sur la litispendance
Il résulte des termes de l’ordonnance entreprise que les demandeurs à l’incident ont évoqué oralement la litispendance devant le juge de la mise en état qui a dès lors décidé de statuer distinctement sur une exception de litispendance, pour la rejeter, et les appelants la soulèvent désormais dans leurs écritures.
Le mécanisme de la litispendance n’a pas vocation à s’exercer en présence d’un conflit de compétence entre juridiction étatique et tribunal arbitral saisi en premier.
Les textes relatifs à la litispendance étant ainsi sans application en matière d’arbitrage, le juge étatique devant lequel est invoquée la saisine antérieure d’un tribunal arbitral doit vérifier sa compétence au regard des seules dispositions de l’article 1448 du code de procédure civile lequel dispose que le tribunal arbitral, saisi en premier lieu, est compétent par priorité pour apprécier si un différend entre dans le champ d’application de la convention d’arbitrage .
En raison du principe « compétence-compétence », et par application de l’article 1465 du code de procédure civile applicable à l’arbitrage international par renvoi de l’article 1506 du même code, qui dispose que « Le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel », le tribunal arbitral est le seul juge de sa compétence, sauf si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable.
Le principe de l’effet prohibitif de la convention d’arbitrage est d’ordre public.
Les demandeurs à l’incident ayant excipé et établi qu’un arbitrage était en cours en Israël, s’applique la première hypothèse envisagée par l’alinéa 1er, de l’article 1448 du code de procédure civile selon laquelle le tribunal arbitral étant déjà saisi, l’incompétence soulevée par l’une des parties à son profit rend absolument incompétent le juge étatique qui s’avère dans ce cas tenu de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
Rechercher si le litige dont est saisi la juridiction française est le même que celui soumis à l’arbitre étranger et concerne ou non les mêmes parties conduirait à examiner le fond du droit alors qu’il incombe seulement au juge étatique, qui retient que la convention d’arbitrage n’est pas manifestement inapplicable, de se déclarer incompétent, sans intervenir sur le fond même du droit.
Seul l’arbitre a compétence pour dire si, notamment eu égard à la décision du 23 février 2016 rendue par le tribunal régional de Tel Aviv Jaffa, le différend introduit par Monsieur [V] devant la juridiction française entre dans le champ d’application de la convention d’arbitrage et a, le cas échéant, été tranché.
Il n’est aucunement soutenu que la convention arbitrale serait inapplicable.
Le juge étatique français étant ainsi en l’espèce incompétent, l’ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu’elle a rejeté l’exception de litispendance et la demande tendant à voir déclarer les juridictions israéliennes saisies dont l’arbitre [H] [L], le tribunal Régional de Tel Aviv ou le Tribunal Etatique de Tel Aviv seules compétentes pour statuer sur les demandes de M. [U] [V], et dit n’y avoir lieu de renvoyer M. [V] [U] à mieux se pourvoir devant ces juridictions.
Sur l’autorité de la chose jugée
Pour les motifs sus exposés, il n’entre pas dans la compétence du juge étatique français de dire si le litige arbitral est définitivement tranché.
Sur les demandes accessoires
L’équité commande de faire droit à la demande des intimés présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; l’appelant est condamné à leur verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision.
Partie perdante, l’appelant ne saurait prétendre à l’allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par défaut et en dernier ressort,
Infirme l’ordonnance du 28 mars 2019, en ce qu’elle a
– rejeté l’exception de litispendance dont le juge était saisi et la demande tendant à voir déclarer les juridictions israéliennes saisies dont l’arbitre [H] [L], le tribunal Régional de Tel Aviv ou le Tribunal Etatique de Tel Aviv seules compétentes pour statuer sur les demandes de M. [U] [V],
-dit n’y avoir lieu de renvoyer M. [V] [U] à mieux se pourvoir,
– renvoyé l’affaire à la mise en état ;
Y substituant,
Déclare le juge étatique français incompétent,
Renvoie Monsieur [U] [V] à se pourvoir devant le tribunal arbitral rabbinique israélien.
Le Greffier, Le Président,