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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 1
ARRÊT DU 05/10/2023
N° de MINUTE :23/833
N° RG 21/01709 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TQZX
Jugement (N° 19-000690) rendu le 08 Mars 2021 par le Tribunal judiciaire de Lille
APPELANTE
Madame [S] [N]
née le [Date naissance 3] 1974 à [Localité 8] – de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Charles-Henry Lecointre, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉES
SELAFA MJA mandataire judiciaire prise en la personne de Maître [B] [F] ès qualité de liquidateur judiciaire de la Société Viva Vieco France, désignée à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 7 février 2018
[Adresse 2]
[Localité 7]
Défaillante, à qui la déclaration d’appel a été signifiée le 21 mai 2021 à personne morale
SA Domofinance agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Francis Deffrennes, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 14 juin 2023 tenue par Catherine Ménegaire magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Gaëlle Przedlacki
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Yves Benhamou, président de chambre
Catherine Ménegaire, conseiller
Catherine Convain, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 05 octobre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Yves Benhamou, président et Gaëlle Przedlacki, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 1er juin 2023
EXPOSE DU LITIGE
Le 26 janvier 2017, Mme [S] [N] a souscrit une offre préalable de crédit affecté auprès de la société Domofinance, destinée à financer l’installation d’une centrale photovoltaïque, d’un montant de 21’500 euros remboursable en 140 mensualités, précédées d’un différé de paiement de cinq mois, incluant les intérêts au taux nominal annuel de 3,67 %.
Après avoir prononcé la déchéance du terme du contrat de crédit le 1er juin 2018 à raison d’impayés, la société Domofinance a assigné Mme [N] en paiement par acte d’huissier délivré le 12 février 2019.
Mme [N] a sollicité avant-dire droit que soit procédé à la vérification d’écriture apposée sur le bon de commande de la société Viva Vieco France, afférent à la fourniture et la pose d’une installation photovoltaïque, daté du 26 janvier 2017, produit par la société Domofinance.
Par acte d’huissier délivré le 31 août 2020, la défenderesse a assigné en intervention forcée la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [B] [F], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Viva Vieco France.
Par jugement réputé contradictoire en date du 8 mars 2021, le tribunal le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lille a :
– ordonné la jonction des dossiers numéro 11 19-690 et 11 20-2230 sous le numéro 11 19-690,
– débouté Mme [N] de ses demandes relatives au bon de commande numéro 334 signé le 26 janvier 2017 avec la société Viva Vieco France et sa demande de nullité du prêt affecté conclu le 26 janvier 2017 avec la société Domofinance,
– déclaré la société Domofinance recevable en son action en paiement à l’encontre de Mme [N] au titre du contrat de crédit signé le 26 janvier 2017,
– condamné Mme [N] à payer à la société Domofinance la somme de 21’500 euros avec intérêts au taux légal non majoré à compter du 8 juin 2018,
– condamné la société Domofinance à payer à Mme [N] la somme de 8 000 euros avec intérêts au taux légal à compter la signification de la présente décision à titre de dommages et intérêts,
– débouté les parties de leurs autres demandes,
– condamné Mme [N] aux dépens,
– écarté l’exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration reçue par le greffe de la cour le 23 mars 2021 et signifiée à la SELAFA MJA, es qualité de mandataire liquidateur de la société Viva Vieco France par acte d’huissier délivré le 21 mai 2021, Mme [N] a relevé appel de l’ensemble de ces chefs de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 juin 2021 et signifiées à la SELAFA MJA, es qualité de mandataire liquidateur de la société Viva Vieco France par acte d’huissier délivré le 30 juin 2021, elle demande à la cour de :
– réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lille en date du 8 mars 2021 en ce qu’il a :
– rejeté la demande de Mme [N] tendant à l’annulation du contrat de prêt,
– condamné la société domofinance au versement de la somme de 8 000 euros en réparation de on préjudice,
– condamné Mme [N] à restituer la somme de 21 500 euros,
statuant à nouveau :
– condamner la société Domofinance au versement de la somme de 15’000 euros à titre de dommages-intérêts,
– juger que le consentement de Mme [N] a été vicié par le recours, par ‘Monsieur [C]’, commercial, a des man’uvres frauduleuses consistant à imiter la signature de celle-ci sur le bon de commande de la société Viva Vieco France et a apposer le cachet commercial de la société Viva Vieco France sur le contrat de financement Domofinance, hors en la présence de celle-ci,
– annuler le bon commande la société Viva Vieco France en date du 26 janvier 2017, le consentement de Mme [N] ayant été obtenu par dol,
– par conséquent, condamner la société Viva Vieco France à procéder au retrait des panneaux photovoltaïques,
– annuler le contrat de crédit affecté souscrit auprès de la société Domofinance le 26 janvier 2017,
– dispenser Mme [N] de restituer les sommes versées par la société Domofinance compte tenu de la faute de cette dernière,
– juger que la société Domofinance a manqué à son obligation d’information, de conseil de mise en garde l’emprunteur en ne s’assurant pas de la solvabilité de Mme [N],
– juger que la société Domofinance a manqué à son obligation de vigilance en ne s’assurant pas de la validité du contrat principal de réalisation,
en tout état de cause,
– en conséquence débouter la société Domofinance de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,
– condamner la société Domofinance à verser à Mme [N] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure.
Elle soutient que dans le cadre d’un démarchage à domicile, elle a signé le 26 janvier 2017, par l’intermédiaire d’un commercial de la société Tuco Energie ‘M. [C]’ un bon de commande n° 120279 portant sur la fourniture et la pose d’une installation de panneaux photovoltaïques avec la société Tuco Energie, ainsi qu’un contrat de financement avec la société Domofinance. Elle s’est par la suite rétractée, mais le 1er mars 2017, des ouvriers de la société Viva Vieco France ont installé à son domicile lesdits panneaux malgré son opposition, alors qu’elle n’avait conclu aucune prestation avec cette société. Elle précise que la société qui est intervenue pour la livraison et la pose de l’installation a refusé de procéder au raccordement de l’installation au réseau EDF sans paiement d’une somme supplémentaire de 3 000 euros. Elle fait valoir qu’elle n’est pas signataire du bon de commande de la société Viva Vieco France n° 334.
Elle soutient que le bon de commande n° 334 de la société Viva Vieco France est nul a raison des manoeuvres dolosives commises par le commercial de la société Tuco Energie qui l’ont conduites à souscrire un engagement avec la société Viva Vieco France. Elle ajoute qu’elle n’aurait pas souscrit le contrat s’il avait su que les panneaux n’étaient pas reliés au réseau et que cette connexion nécessitait un apport financier supplémentaire.
Elle fait valoir que le contrat de crédit affecté est nul à raison de la nullité du contrat de vente sur le fondement des articles L.311-1 11° et L.312-55 du code de la consommation, et que le banquier doit être privé de sa créance de restitution dans la mesure où il ne s’est pas assuré de la réalisation complète des prestations, l’installation photovoltaïque n’ayant jamais été raccordée par la société venderesse.
Elle fait également valoir que le contrat de crédit affecté est nul à raison de la faute du prêteur, la société Domofinance ayant manqué à son obligation d’information de conseil et de mise en garde, ainsi qu’à son devoir de vigilance, le bon de commande financé produit par la société Domofinance ne mentionnant que le prix global des prestations, et le déblocage des fonds étant intervenu alors que les démarches administratives et de raccordement de l’installation au réseau d’électricité n’avaient pas été effectuées par la société venderesse, cette dernière ne s’étant pas assurée de l’exécution complète des prestations. Elle sollicite en conséquence le débouté de la demande en paiement de la société Domofinance, ainsi que le paiement à titre reconventionnel de la somme de 15 000 euros à titre de dommage et intérêts.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 septembre 2021 et signifiées à la SELAFA MJA, es qualité de mandataire liquidateur de la société Viva Vieco France, par acte d’huissier délivré le 6 octobre 2021 la société Domofinance demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lille du 8 mars 2021 en ce qu’il a :
– débouté Mme [N] de ses demandes relatives au bon de commande numéro 334 signée le 26 janvier 2017 avec la société Viva Vieco France et sa demande de nullité du prêt affecté conclu le 26 janvier 2017 avec la société Domofinance,
– déclaré la société Domofinance recevable en son action en paiement à l’encontre de Mme [N] au titre du contrat de crédit signé le 26 janvier 2017,
– condamné Mme [N] à payer à la société Domofinance la somme de 21’500 euros avec intérêts au taux légal non majoré à compter du 8 juin 2018,
– condamné Mme [N] aux dépens,
– recevoir la société Domofinance en son appel incident,
– réformer le jugement par le juge des contentieux la protection du tribunal judiciaire de Lille en date du 8 mars 2021 uniquement en ce qu’il a condamné la société Domofinance à payer à Mme [N] la somme de 8 000 euros avec intérêts au taux légal à compter la signification du jugement à titre de dommages et intérêts,
statuer à nouveau,
à titre principal,
– débouter Mme [N] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions telles que formulées à l’encontre de la société Domofinance,
– constater la carence probatoire de Mme [N],
– dire et juger que les conditions d’annulation du contrat principal de vente conclu le 26 janvier 2017 avec la société Viva Vieco France sur le fondement d’un prétendu dol ne sont pas réunies et qu’en conséquence le contrat de crédit affecté conclu par Mme [N] et la société Domofinance n’est pas annulé,
– en conséquence confirmer le jugement du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lille en ce qu’il a débouté Mme [N] de ses demandes relatives au bon de commande numéro 334 signée le 26 janvier 2017 avec la société Viva Vieco France et de sa demande de nullité du prêt affecté conclu le 26 janvier 2017 avec la société Domofinance, en ce qu’il a déclaré la société Domofinance recevable en son action en paiement à l’encontre de Mme [N] au titre du contrat de crédit signé le 26 janvier 2017 et en ce qu’il a condamné Mme [N] à payer à la société Domofinance la somme de 21’500 euros avec intérêts au taux légal non majoré à compter du 8 juin 2018,
à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait infirmer le jugement et prononcer la nullité du contrat principal de vente conclu le 26 janvier 2017, et de manière subséquente constater la nullité de plein droit du contrat de crédit affecté,
– constater que la société Domofinance n’a commis aucune faute en procédant à la délivrance des fonds,
– en conséquence, condamner Mme [N] à rembourser à la société Domofinance le montant du capital prêté,
– à titre infiniment subsidiaire, si par impossible la cour considérait à l’instar du premier magistrat que la société Domofinance a commis une faute dans le déblocage des fonds,
– dire et juger que le préjudice subi du fait de la perte de chance de ne pas contracter le contrat de crédit affecté litigieux ne peut être égal au montant de la créance de la banque,
– dire et juger que Mme [N] n’établit nullement que la centrale photovoltaïque livrée et installée à son domicile par la société Viva Vieco France n’aurait pas été achevée ou qu’elle serait défectueuse, ce d’autant plus qu’il s’agit en l’espèce d’une installation photovoltaïque aux fins d’autoconsommation,
– dire et juger que Mme [N] conservera l’installation des panneaux solaires photovoltaïques qui ont été livrés et posés à leur domicile par la société Viva Vieco France (puisque ladite société a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire de sorte qu’elle ne se présentera jamais au domicile de Mme [N]), que Mme [N] ne justifie pas d’un quelconque dysfonctionnement qui affecterait les matériels livrés et installés à son domicile et qu’elle dispose de la faculté de faire raccorder l’installation au réseau ERDF à un coût modique, et ainsi percevoir des revenus énergétiques,
– par conséquent, dire et juger que la société Domofinance ne saurait être privée de la totalité de sa créance de restitution compte tenu de l’absence de préjudice avéré subi par Mme [N],
– en conséquence, condamner Mme [N] à rembourser à la société Domofinance le montant du capital prêté,
– à défaut, réduire à de bien plus juste proportions le préjudice subi par Mme [N] et la condamner à restituer à la société Domofinance une fraction du capital prêté, qui ne saurait être inférieure aux deux tiers du capital prêté,
en tout état de cause,
– constater la carence probatoire de Mme [N],
– constater qu’aucune faute n’est imputable à la société Domofinance dans l’octroi du crédit litigieux,
– constater que la preuve d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la prétendue faute que l’appelante tente de mettre à la charge de la société Domofinance et le préjudice invoqué n’est nullement rapporté,
– débouter Mme [N] de l’intégralité de leurs demandes, et notamment de sa demande en paiement de dommages et intérêts complémentaires sur le fondement d’un prétendu manquement du prêteur à son obligation de mise en garde,
– condamner Mme [N] à payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens, y compris ceux d’appel, dont distraction au profit de Me Francis Deffrennes, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La société Domofinance expose que Mme [N] a apposé sa signature sur le bon de commande n° 334 de la société Viva Vieco France, que le contrat signé avec cette société est parfaitement valable au sens des dispositions de l’article 1128 du code civil, que les panneaux photovoltaïque commandés ont bien été livrés et posés le 1er mars 2017 à son domicile, Mme [N] ayant signé la fiche de réception sans émettre aucune réserve. Elle fait également valoir que Mme [N] ne rapporte par la preuve qui lui incombe du dol allégué.
La société Domofinance, qui relève appel incident de sa condamnation à payer à Mme [N] la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts, expose qu’elle n’a pas manqué à son devoir de mise en garde contre les risques d’endettement excessif au regard des revenus et charges mensuels déclarés par l’emprunteur.
Elle ajoute, pour le cas où la cour annulerait le contrat de crédit, qu’elle n’a commis aucune faute dans le déblocage des fonds, l’emprunteur ayant l’obligation de rembourser au prêteur le capital prêté ; qu’elle a débloqué les fonds au regard du certificat de livraison et de l’autorisation expresse de l’emprunteur, qu’elle n’avait pas à mener des investigations plus poussées quant à la réalisation des travaux, et qu’aucun texte du code de la consommation n’impose au prêteur de vérifier la régularité du contrat de vente.
La SELAFA MJA n’a pas constitué avocat.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens.
La clôture de l’affaire a été rendue le 1er juin 2023, et l’affaire fixée pour être plaidée à l’audience du 14 juin 2023.
MOTIFS
Sur la demande de nullité du contrat de vente pour dol
Selon les dispositions de l’article 1137 du code civil dans sa rédaction issue de l’ordonnance …, ‘Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des man’uvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.(…)’
Il appartient à celui qui invoque le dol d’en rapporter la preuve.
L’appelante soutient que le bon de commande n°334 de la société Viva Vieco France, qu’elle n’a pas signé, est nul a raison des manoeuvres dolosives commises par le commercial de la société Tuco Energie qui l’ont conduite à souscrire un engagement avec la société Viva Vieco France, et qu’elle n’aurait pas souscrit le contrat si elle avait été informée que la connexion des panneaux au réseau électrique nécessitait un apport financier supplémentaire.
Mme [N] produit aux débats un bon de commande n°12079 daté du 26 janvier 2017 émanant de la société Tuco Energie portant sur la fourniture et la pose d’une centrale solaire photovoltaïque d’une puissance de 3600 Wc composée de 12 modules de 300 Wc, destinée à l’autoconsommation et la revente du surplus, moyennant le prix de 21 500 euros TTC. Mme [N] soutient n’avoir signé que ce seul contrat.
Pour sa part, la société Domofinance produit un bon de commande n°334 daté du 26 janvier 2017 qu’elle a financé, émanant de la société Viva Vieco France, portant sur la fourniture et la pose d’une installation photovoltaïque d’une puissance de
3 500 Wc composée de 14 modules d’une puissance unitaire de 250 wc, destinée l’autoconsommation et la revente du surplus, moyennant le prix de 21 500 euros TTC.
La banque produit également aux débats le contrat de crédit affecté daté du 26 janvier 2017 et le procès-verbal de réception des travaux daté du 1er mars 2017, la copie de la carte d’identité de Mme [N], ainsi que les accusés de réception signés des lettres de mise en demeure du 12 mai 2018 et de déchéance du terme du 1er juin 2018, Mme [N] ne contestant pas avoir signé ces documents.
Après un examen comparatif de l’ensemble de ces pièces, la cour constate que la signature apposée sur le bon de commande de la société Viva Vieco France et les signatures apposées sur l’ensemble les documents susvisés et sur le bon de commande de la société Tuco Energie, ces dernières signatures n’étant pas contestées par Mme [N], sont similaires par leur mouvement, et la forme de leurs lettres, notamment de la dernière lettre qui se termine d’une façon caractéristique par une ‘queue’.
La signature apposée sur le bon de commande de la société Viva Vieco France peut en conséquence être attribuée à Mme [N].
Au soutien de la falsification alléguée, l’appelante soutient qu’il est inconcevable qu’elle ait signé le même jour deux bons de commande, et que le cachet de la société Viva Vieco France sur l’exemplaire du contrat de crédit produit par la banque a été ajouté a posteriori par le commercial de la société venderesse, après son départ de son domicile, mais est inexistant sur l’exemplaire du contrat de crédit resté en sa possession, ce qui démontre les manoeuvres dolosives dont elle a été victime.
Cependant, la cour constate que dans son dépôt de plainte, Mme [N] expliquait que la société Domofinance ne finançait pas les bons de commandes de la société Tuco Energie, mais finançait ceux de la société Viva Vieco Fiance, ce qui rend tout à fait plausible le fait qu’elle ait signé le même jour avec le même commercial qui pouvait travailler pour les deux sociétés, un second bon de commande aux fins d’obtenir le financement, et explique le fait qu’elle se soit rétractée auprès de la société Tuco énergie.
Par ailleurs, Mme [N] ne produit pas son exemplaire du contrat de crédit, en sorte qu’il est impossible de vérifier l’allégation selon laquelle le cachet de la société Viva Vieco France n’y figurerait pas et aurait été apposé par le commercial a posteriori sur l’exemplaire destiné à la banque.
La cour constate en outre que la facture de la société Viva Vieco France du 7 mars 2017 concerne la pose de 14 panneaux, conformément au bon de commande de cette société, et non 12 panneaux prévus au bon de commande de la société Tuco Energie ; que Mme [N] a signé la fiche de réception des travaux qui comporte le n° 334 du bon de commande de la société Viva Vieco France, ainsi que le cachet commercial de cette société, sans jamais avoir fait aucune réclamation auprès de cette société, ni de la société Domofinance.
Mme [N] ne justifie donc pas des manoeuvres dolosives du commercial de la société Tuco Energie qui l’auraient conduite à contracter avec la société Viva Vieco France.
Elle ne rapporte pas davantage la preuve que les ouvriers qui ont posé l’installation lui auraient demandé de verser 3 000 euros supplémentaires pour effectuer le raccordement de l’installation. Le fait que le raccordement, qui était à la charge de la société Viva Vieco France, n’ait pas été effectué correspond à un manquement à une obligation contractuelle qui ne peut suffire à caractériser le dol.
Confirmant le jugement déféré, Mme [N] sera en conséquence déboutée de sa demande de nullité du contrat de vente pour dol, étant observé que l’appelante ne demande pas la nullité dudit contrat au motif qu’il serait entaché d’irrégularités formelles au regard du code de la consommation.
Sur la demande de nullité du contrat de crédit
La nullité de contrat de vente sur le fondement du dol n’ayant pas été prononcée, Mme [N] sera en conséquence déboutée sa demande de nullité de plein droit du contrat de crédit formée sur le fondement de l’article L.312-55 du code de la consommation et l’interdépendance des contrats de vente et de crédit, ainsi que de sa demande subséquente tendant à voir la société Domofinance privée de sa créance de restitution qui n’a pas d’objet.
Au visa des articles L.312-12, L.312-14, L.312-16, et L.312-17, Mme [N] fait également valoir que le contrat de crédit est nul à raison du non-respect par la banque de ses obligations d’information, de conseil, de mise en garde, et de vigilance.
Cependant, la nullité d’un contrat n’est encourue que lorsqu’un contrat ne ‘remplit par les conditions requises pour sa validité’, en vertu des dispositions de l’article 1178 du code civil, et le non-respect par la société Domofinance de ses obligations précontractuelles fixées aux articles L.312-12 et suivants du code de la consommation n’est pas la nullité du contrat de crédit, mais la déchéance du prêteur de son droit aux intérêts contractuels conformément aux articles L.341-1 et suivants du code de la consommation, ainsi le cas échéant, par l’octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil.
Mme [N] sera donc déboutée de sa demande de nullité du contrat de crédit à raison des fautes de la banque, et de sa demande subséquente tendant à voir la société Domofinance privée de sa créance de restitution qui n’a pas d’objet.
Sur la déchéance du prêteur droit aux intérêts
Estimant que la banque n’avait pas respecté son obligation de consultation du fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, le premier juge a déchu totalement la banque de son droit aux intérêts contractuels au visa de l’article L.312-16 et L.341-2 du code de la consommation et a condamné Mme [N] à payer à la société Domofinance la somme de 21 500 euros avec intérêts au taux légal non majorés à compter 8 juin 2018, l’emprunteuse n’ayant réglé aucune échéance.
Ni la déchéance du prêteur de son droit aux intérêts, ni l’étendue de cette déchéance, ni la non-majoration des intérêts légaux assortissant la condamnation principale n’étant critiqués par les parties, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a déchu totalement la société Domofinance de son droit aux intérêts contractuels depuis la conclusion du contrat et a condamné Mme [N] à lui payer la somme de 21 500 euros avec intérêts au taux légal non majorés à compter 8 juin 2018.
Sur la responsabilité de la banque dans l’octroi du crédit et le déblocage des fonds
– sur la faute de la banque et l’obligation de mise en garde,
Si Mme [N] reproche à la banque de manière précise de ne l’avoir pas alertée sur le risque d’endettement né du crédit et de son caractère inadapté à sa situation financière, elle ne motive pas ses demandes au regard d’une quelconque information que la banque n’aurait pas portée à sa connaissance ni n’explique en quoi elle aurait manqué à son devoir de conseil, à supposer encore que la banque soit soumise à un tel devoir alors qu’elle n’a pas à se substituer à ses clients dans l’appréciation de l’utilité ou de l’opportunité du crédit demandé.
Indépendamment des dispositions du de l’article L.312-16 du code de la consommation, il résulte des dispositions de l’article 1231-1du code civil que l’établissement de crédit est tenu à un devoir de mise en garde à l’égard de l’emprunteur non averti lors de la conclusion du contrat de prêt ; ce devoir consiste à consentir un prêt adapté aux capacités financières de l’emprunteur et, le cas échéant, à l’alerter sur les risques de l’endettement né de l’octroi du prêt ; il implique l’obligation pour la banque de se renseigner sur les capacités financières de l’emprunteur pour l’alerter, si nécessaire, sur un risque d’endettement.
Il incombe à l’emprunteur qui l’invoque de prouver que le crédit pas adapté à sa situation financière et créait, de ce fait, un risque d’endettement contre lequel il devait être mis en garde.
En l’espèce, il n’est pas soutenu ni démontré que Mme [N] était un emprunteur averti.
Le premier juge a considéré que la banque avait manqué à son devoir de mise en garde, Mme [N] n’ayant pas la capacité de faire face au crédit accordé.
L’appelante fait valoir qu’au regard des seuls éléments demandés quant aux charges sur la fiche de renseignements, la banque ne pouvait obtenir qu’une vision parcellaire de ses capacités de remboursement, quelle avait trois enfants à charge dans le cadre d’une résidence alternée, ces revenus étant nécessairement grevés par les charges induites par leur entretien en sorte que l’emprunt n’était pas adaptés à ses capacités financières. La société Domofinance soutient au contraire qu’au regard de ses revenus et charges déclarées, Mme [N] présentait une situation d’endettement de 34 % conforme au taux d’endettement maximal raisonnablement admis.
Il résulte de la fiche de renseignements que l’appelante a déclaré être divorcée, percevoir un salaire net de 1 818 euros par mois et des prestations sociales de 617 euros, ainsi qu’un prêt immobilier au titre de sa résidence principal de 626 euros par mois. La banque s’est fait remettre l’avis de situation déclarative à l’impôt sur le revenu 2016, mentionnant un revenu annuel de 21 257 euros et l’existence de 3 enfants à charge, ainsi que le bulletin de salaire de décembre 2016.
En admettant que les frais d’entretien des trois enfants fussent couverts par les prestations sociales de 617 euros, Mme [N] ne percevant pas de pension alimentaire pour les enfants, il apparaît qu’en prenant en compte le crédit affecté dont les échéances mensuelles étaient de 208,39 euros et le crédit immobilier dont les échéances mensuelles étaient de 626 euros, le reste à vivre était de 983,61 euros (1 818 euros – 626 euros – 208,39 euros) et le taux d’endettement de 51,24 %.
En outre, Mme [N] était divorcée, ne percevait pas de pension alimentaire, et devait seule faire face à l’ensemble des charges courantes de la famille, il est manifeste que le crédit affecté souscrit, dont la charge supplémentaires était de 208,39 euros était manifestement inadapté à sa capacité financière et créait un risque d’endettement excessif, ce qui est corroboré par le fait qu’elle n’a remboursé aucune échéance de l’emprunt.
Dès lors, la banque était tenue à un devoir de mise en garde à son égard .
Il est rappelé que le devoir de mise en garde n’implique pas pour la banque l’obligation de refuser d’accorder le prêt, mais seulement d’attirer l’attention des emprunteurs sur le risque d’endettement lié à celui-ci. Ainsi, le préjudice qui en résulte s’analyse en une perte de chance de ne pas contracter.
La perte de chance sera en l’espèce indemnisée par l’allocation d’une indemnité de 8 000 euros, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
– Sur la faute de la banque dans le déblocage des fonds
Mme [N] fait valoir que la banque a commis des fautes en finançant un bon de commande affecté d’irrégularités en ce qu’il ne mentionnait que le prix global des prestations, et ne détaillait pas les caractéristiques essentielles des biens offerts à la vente.
L’article L. 111-1 du code de la consommation impose, à peine de nullité, que les contrats signés dans le cadre d’une opération de démarchage à domicile, comportent les mentions suivantes :
1° les caractéristiques essentielles du bien ou du service compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné,
2° le prix du bien ou du service en application de l’article L.112-1 à L.112-4,
3° en l’absence d’exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s’engage à livrer le bien ou à exécuter le service,
4° les informations relatives à son identité, à ses coordonnées postales, téléphoniques et électroniques et à ses activités pour autant qu’elles ne ressortent pas du contexte ;
5° s’il y a lieu, les informations relatives aux garanties légales, aux fonctionnalités du contenu numérique, et le cas échéant, à son interopérabilité, à l’existence et aux modalités de mise en oeuvre des garanties et autres conditions contractuelles ;
6° la possibilité de recourir à un médiateur de la consommation dans les conditions prévues au titre 1er du livre VI. (…)’
En l’espèce, le bon de commande de la société Viva Vieco France porte sur la livraison et la pose d’une centrale photovoltaïque d’une puissance de 3 500 Wc, composée de 14 panneaux photovoltaïques d’une puissance unitaire de 250 Wc de marque Soluxtec modèle autoconsommation, cette installation étant destinée à l’autoconsommation et à la revente à ERDF, les démarches administratives et le coût du raccordement étant à la charge de la société venderesse.
Tout d’abord, la cour constate que l’appelante n’explique aucunement en quoi le bon de commande de la société Viva Vieco France ne comporterait pas les caractéristiques essentielles des bien offerts à la vente.
Par ailleurs, ce contrat comporte la mention du prix global de la prestation soit 19 545,45 euros HT et 21 500 euros TTC, ce qui est parfaitement suffisant au regard de l’article L.111-1 2°susvisé, qui n’oblige pas le vendeur à préciser le prix unitaire de chaque élément de l’installation.
Dès lors, aucune faute ne peut être reprochée à la banque de ce chef.
Il est par ailleurs reproché à la société Domofinance d’avoir délivré les fonds alors que le contrat principal n’était pas entièrement exécuté, l’installation n’ayant pas été raccordée au réseau ERDF.
Il ressort du bon de commande du 26 janvier 2017 que la prestation complète comprend le raccordement au réseau d’ERDF ainsi que les démarches administratives. Dès lors, l’obligation de vérifier la complète exécution du contrat pesant sur la banque impliquait de s’assurer aussi de la réalisation de ces prestations.
En l’espèce, la fiche de réception des travaux du 1er mars 2017 qui mentionnait que ‘Mme [N], après avoir procédé à la visite des travaux exécutés déclare que l’installation (livraison et pose) est terminée et correspond au bon de commande n° 334 du 26/01/2017 et aux travaux suivant : photovoltaïques’ et ‘autorise le déblocage des fonds’, n’était pas suffisamment précise pour rendre compte de la complexité de l’opération, qui comprenait outre la livraison et la pose des panneaux, la réalisation de l’ensemble des démarche administratives et le raccordement au réseau ERDF, et ainsi permettre au prêteur de se convaincre de l’exécution complète du contrat principal.
De plus, un constat daté du 18 juin 2021 dressé par Me [Y] [J], Huissier de justice, constate l’absence de raccordement de l’installation.
La banque a donc commis une faute en libérant les fonds sans s’assurer de la complète exécution du contrat principal.
Mme [N] subit manifestement un préjudice puisqu’elle se trouve à devoir rembourser un crédit alors qu’il est démontré que l’installation n’est pas fonctionnelle, n’ayant jamais été raccordée.
Il convient cependant de relever que Mme [N], qui ne justifie d’aucun autre dysfonctionnement de la centrale photovoltaïque, dispose de la faculté de la faire raccorder elle-même et à ses frais, pour un coût relativement modique eu égard au montant du contrat de vente, afin de produire de l’énergie et en tirer des revenus.
Dès lors, au regard des fautes commises par la société Domofinance au titre du déblocage des fonds et du préjudice réellement subi par Mme [N], il convient de réformer le jugement et de condamner la banque à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires
Les motifs du premier juge méritant d’être adoptés, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.
Les parties succombant partiellement, chacune d’elle conservera la charge de ses dépens et de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt réputé contradictoire ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Condamne la société Domofinance à payer à Mme [S] [N] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait du déblocage fautif des fonds ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d’appel et frais irrépétibles d’appel.
Le greffier
Gaëlle PRZEDLACKI
Le président
Yves BENHAMOU