AFFAIRE :N° RG 22/02373 –
N° Portalis DBVC-V-B7G-HCA7
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DECISION en date du 16 Août 2022 du Tribunal de Commerce de COUTANCES
RG n° 2022/1268
COUR D’APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 22 JUIN 2023
APPELANTE :
S.A.S. BAIE INDUSTRIE
N° SIRET : 788 622 884
[Adresse 5]
[Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal
représentée par Me Elise CRAYE, avocat au barreau de CAEN,
assistée de Me Julien LEMAITRE, avocat au barreau de RENNES
INTIME :
Monsieur [X] [W]
né le 08 Avril 1965 à [Localité 4]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Pascale GRAMMAGNAC-YGOUF, avocat au barreau de CAEN,
assisté de Me Valérie SPIGUELAIRE, avocat au barreau de PARIS, et Me Marie DESMORTREUX, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
DÉBATS : A l’audience publique du 13 avril 2023
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
ARRÊT prononcé publiquement le 22 juin 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS
Créée en 2012, la SAS Baie industrie a pour activité la fabrication et le négoce de menuiseries et fermetures PVC, aluminium et bois-aluminium.
Ses quatre actionnaires étaient MM. [X] [W], [B] [E], [J] [O] et la SAS Holding [K].
Selon acte sous seing privé du 29 mars 2021, MM. [E] et [O] et la société Holding [K] ont cédé l’intégralité de leurs parts de la société Baie industrie à la société Beo invest, M. [W] lui cédant 450 de ses 1.350 parts, de sorte que le capital de la société Baie industrie est réparti comme suit :
– société Beo invest : 2.100 actions,
– M. [W]: 900 actions.
Cette convention de cession de contrôle comporte, à peine de dommages-intérêts envers l’acquéreur, une clause de non-concurrence à la charge de la société Holding [K] et de M. [W] interdisant à ces derniers de se rétablir ou de s’intéresser de gérer ou d’exploiter, directement ou indirectement, soit pour leur propre compte, soit pour le compte de tiers ou même comme simple salarié, associé commanditaire, apporteur de fonds, dans un commerce de la nature de celui exploité par la société vendue, pendant une durée de deux années à compter du transfert de propriété et sur les régions Bretagne et Normandie. Par dérogation à cette clause, le cessionnaire consent à ce que M. [R] [K] et la société Holding [K] conservent uniquement leur qualité respective de dirigeant et d’associé des sociétés Proposalu et Bonabri 32, sans qu’une telle dérogation puisse remettre en cause le contenu et la force obligatoire de la clause de non-concurrence, notamment l’interdiction pour ces dernières sociétés de démarcher, d’exploiter ou de développer une clientèle sur les régions Bretagne et Normandie.
Elle prévoit également que les cédants appréhenderont sous forme de dividendes l’intégralité du résultat net comptable réalisé par la société Baie industrie sur la période du 1er octobre 2020 au 31 mars 2021, ces dividendes étant versés au plus tard le 31 juillet 2021 à MM. [O] et [E] et à M. [W] ainsi qu’à la société Holding [K] en 6 mensualités constantes et consécutives, non productive d’intérêts, la première échéance intervenant le 1er août 2021.
Le 1er février 2021, l’assemblée générale ordinaire des associés de la société Baie industrie avait décidé de distribuer sous forme de dividendes l’intégralité du résultat net comptable de l’exercice clos le 30 septembre 2020, soit la somme de 142.306,06 euros, somme à laquelle devait s’ajouter celle de 693,94 euros prélevée sur le poste « autres réserves » et avait prévu ces dividendes seraient versés à MM. [E] et [O] au plus tard le 31 mars 2021 et à M. [W] ainsi qu’à la société Holding [K] en 6 mensualités constantes et consécutives, non productive d’intérêts, la première échéance intervenant le 1er avril 2021.
Lors de l’assemblée générale du 15 mars 2022, les associés de la société Baie industrie ont décidé à l’unanimité la distribution de dividendes de l’exercice clos le 31 mars 2021 au profit des anciens associés de la société comme suit :
– à M. [E] à hauteur de la somme de 4.590,45 euros au plus tard le 31 juillet 2021,
– à M. [O] à hauteur de la somme de 4.590,45 euros au plus tard le 31 juillet 2021,
– à M. [W] à hauteur de la somme de 41.314,05 euros à concurrence de 6.314,05 euros le 24 mars 2022 puis en 5 mensualités de 7.000 euros le 5 de chaque mois en avril, mai, juin, juillet et août 2022,
– à la société Holding [K] à hauteur de la somme de 41.314,05 euros.
Le 1er avril 2022, M. [W] a mis en demeure la société Baie industrie de lui payer la somme de 41.314,05 euros au titre de ces dividendes.
Suivant acte d’huissier du 2 juin 2022, M. [W] a fait assigner en référé la société Baie industrie devant le président du tribunal de commerce de Coutances aux fins, notamment, de voir condamner celle-ci au paiement de la somme provisionnelle de 28.819,83 euros.
Par ordonnance de référé du 16 août 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Coutances a :
– dit que la société Baie industrie ne justifiait pas de l’existence d’une contestation sérieuse,
– condamné la société Baie industrie à payer à M. [W] la somme provisionnelle de 28.819,83 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2022 jusqu’à parfait paiement,
– débouté la société Baie industrie de sa demande de séquestre,
– débouté la société Baie industrie de sa demande de délai de paiement,
– condamné la société Baie industrie à payer à M. [W] la somme de 1.200 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux dépens comprenant les frais de greffe liquidés à la somme de 40,66 euros TTC avancés par M. [W].
Selon déclaration du 5 septembre 2022, la société Baie industrie a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions du 21 mars 2023, l’appelante poursuit la réformation de l’ordonnance attaquée et demande à la cour, statuant à nouveau, à titre principal, de juger qu’il existe une contestation sérieuse en lien avec la demande de condamnation à titre de provision formée par M. [W] au regard de l’inexécution des obligations contractuelles de ce dernier et de la compensation s’imposant entre les créances réciproques des parties et de débouter M. [W] de toutes ses demandes.
Subsidiairement, elle demande à la cour de l’autoriser à séquestrer les fonds sur un compte Carpa ouvert par la SELARL Laisne Joly Lemaître.
En tout état de cause, elle sollicite le rejet de toutes les demandes formées par M. [W] et la condamnation de celui-ci à lui verser la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.
Par dernières conclusions du 14 mars 2023, M. [W] demande à la cour de confirmer l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions, de débouter la société Baie industrie de toutes ses demandes et de condamner celle-ci au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif, celle de 5.000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.
La mise en état a été clôturée le 5 avril 2023.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la demande de provision
Selon l’article 873 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
L’article L. 232-13 du code de commerce dispose que les modalités de mise en paiement des dividendes votés par l’assemblée générale sont fixées par elle ou, à défaut, par le conseil d’administration, le directoire ou les gérants, selon le cas.
Toutefois, la mise en paiement des dividendes doit avoir lieu dans un délai maximal de neuf mois après la clôture de l’exercice. La prolongation de ce délai peut être accordée par décision de justice.
En application de l’article 1219 du code civil, une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
L’appelante fait grief au premier juge d’avoir accordé à M. [W] une provision de 28.819,83 euros au titre des dividendes de l’exercice clos le 31 mars 2021, alors qu’elle est fondée à opposer à l’intimé une exception d’inexécution de son obligation de versement de ces dividendes au motif que M. [W] a manqué à son obligation de non-concurrence en démarchant et concluant des marchés en Bretagne et en Normandie comme le démontrent, selon elle, les pièces obtenues dans le cadre de mesures d’instruction autorisées par ordonnances sur requête et qu’elle est ainsi titulaire d’une créance réciproque devant se compenser avec celle invoquée par l’intimé.
L’intimé réplique que sa créance de dividendes est certaine, liquide et exigible et que les contestations de l’appelante au titre du retard dans la tenue de l’assemblée et de l’exception d’inexécution ne sont pas sérieuses, dès lors qu’il appartenait à la société Baie industrie de convoquer l’assemblée générale ordinaire dès réception des documents comptables le 9 juin 2021, soit avant l’expiration du délai de tenue de cette assemblée expirant le 30 septembre 2021, qu’il lui incombait, le cas échéant, de saisir le président du tribunal de commerce pour solliciter la prolongation du délai initial de 6 mois en vertu de l’article R. 225-64 du code de commerce, que le retard dans la tenue de l’assemblée du 15 mars 2021 est de 5 mois et 15 jours alors que le retard de paiement des dividendes est de plus d’un an, que l’appelante ne peut invoquer un manquement contractuel pour justifier son inexécution de l’obligation légale de paiement des dividendes dans le délai de 9 mois suivant la clôture de l’exercice, soit le 31 décembre 2021, que la société Baie industrie ne se prévaut que d’une créance indemnitaire hypothétique fondée sur des faits non prouvés dès lors que les ordonnances autorisant les mesures d’instruction de saisie de pièces ont été rétractées et que les pièces produites ne sont pas probantes car consistant en un simple organigramme établi par les soins de l’appelante.
En l’espèce, ne saurait constituer une contestation sérieuse de l’obligation certaine et exigible prévue par l’article L. 232-13 du code de commerce de mettre en paiement dans le délai de 9 mois suivant la clôture de l’exercice les dividendes décidés le 15 mars 2022 par l’assemblée générale ordinaire de la société Baie industrie l’allégation par cette même société d’une créance indemnitaire éventuelle contre l’un des bénéficiaires de ces dividendes, fondée sur un manquement à une obligation de non-concurrence s’appuyant sur un simple organigramme établi par les soins de la partie invoquant cette exception d’inexécution et des pièces obtenues en vertu d’ordonnances sur requête ayant fait l’objet d’une rétractation à la date à laquelle la cour statue.
Le montant de la condamnation provisionnelle prononcée n’est pas discuté.
L’ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu’elle a dit que la société Baie industrie ne justifiait pas de l’existence d’une contestation sérieuse et en ce qu’elle a condamné la société Baie industrie à payer à M. [W] la somme provisionnelle de 28.819,83 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2022 jusqu’à parfait paiement.
2. Sur la demande de séquestre
La demande formée par la société Baie industrie au visa de l’article 1961 du code civil tendant à être autorisée à placer sous séquestre les sommes dues au titre des dividendes litigieux se trouve dépourvue d’objet, l’ordonnance entreprise condamnant celle-ci au paiement provisionnel de ces sommes étant confirmée et cette décision, assortie de l’exécution provisoire de plein droit, ayant été exécutée par l’appelante dans le cadre de la présente procédure d’appel.
Le rejet de la demande de séquestre sera donc confirmé.
3. Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
Le droit d’exercer une action en justice ou une voie de recours ne dégénère en abus que s’il révèle de la part de son auteur une intention maligne, une erreur grossière ou une légèreté blâmable dans l’appréciation de ses droits qui ne saurait résulter du seul rejet de ses prétentions.
Faute pour M. [W] d’établir un tel abus, sa demande de dommages-intérêts sera rejetée.
4. Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, fondées sur une exacte appréciation, seront confirmées.
La société Baie industrie, qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel, déboutée de sa demande d’indemnité de procédure et condamnée à payer à M. [W] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme l’ordonnance entreprise en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Déboute M. [W] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la société Baie industrie aux dépens d’appel et à payer à M. [W] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande d’indemnité de procédure formée par la société Baie industrie.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY