TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
N° RG 23/53943 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZXZT
N° : 6
Assignation du :
11 Mai 2023
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 20 décembre 2023
par Emmanuelle DELERIS, Vice-présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Pascale GARAVEL, Greffier.
DEMANDERESSE
La S.A. ALLIANZ VIE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Jean-olivier D’ORIA de la SCP SMITH D’ORIA – IPP, avocats au barreau de PARIS – #C1060
DEFENDERESSE
La S.A.R.L. LA TITJADE, société à responsabilité limitée
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Maître Valère GAUSSEN de l’ASSOCIATION Gaussen Imbert Associés, avocats au barreau de PARIS – #R0132
DÉBATS
A l’audience du 30 Octobre 2023, tenue publiquement, présidée par Emmanuelle DELERIS, Vice-présidente, assistée de Pascale GARAVEL, Greffier,
Nous Président,
Après avoir entendu les parties représentées par leur conseil,
Par acte sous seing privé du 10 octobre 2011 à effet au 1er juillet 2011, la société ALLIANZ VIE a donné à bail commercial à la société LES TROIS BUCHERONS des locaux sis [Adresse 2], moyennant un loyer annuel de 39.000 euros, hors charges et hors taxes, payable trimestriellement à terme échu.
La société TITJADE a acquis le fonds de commerce de la société LES TROIS BUCHERONS le 06 juin 2019.
Des loyers étant demeurés impayés, le bailleur a fait délivrer au locataire, par exploit du 28 octobre 2022, un commandement de payer la somme en principal de 196.497,60 euros au titre de l’arriéré locatif, le commandement visant la clause résolutoire insérée au bail.
Par assignation délivrée le 24 novembre 2022, la SARL LA TITJADE a fait assigner la société ALLIANZ VIE devant le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins de :
-Déclarer nul et de nul effet le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 28 octobre 2022 ;
-Subsidiairement, en suspendre les effets dans l’attente d’une décision définitive du tribunal judiciaire de Nanterre saisi par la société TITJADE d’une demande d’indemnisation de ses pertes d’exploitation et troubles de jouissance formalisée par assignation du 21 juin 2022.
Exposant que les causes du commandement sont demeurées totalement ou partiellement impayées, la société ALLIANZ VIE a, par acte d’huissier du 11 mai 2023, fait assigner la société TITJADE à comparaître devant le président du tribunal judiciaire de PARIS statuant en référé aux fins de voir :
A titre principal:
– constater l’acquisition de la clause résolutoire et en conséquence la résiliation de plein droit du bail commercial à compter du 29 novembre 2022 ;
En conséquence,
– ordonner l’expulsion de la société TITJADE et de toute personne de son chef des locaux qu’elle occupe au [Adresse 2], tels que désignés dans le bail du 10 octobre 2011, et ce, au besoin avec l’aide de la force publique ;
– condamner à titre provisionnel la défenderesse à restituer à la bailleresse les lieux dont il s’agit, libres de toute occupation et de tout mobilier, cela sous astreinte de 1000 € par jour calendaire de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir en vertu de l’article L.131-3 du code de procédures civiles d’exécution ;
– autoriser la demanderesse à séquestrer le mobilier se trouvant éventuellement dans les lieux dans tout garde-meubles, aux frais, risques et périls de la défenderesse ;
– fixer le montant de l’indemnité d’occupation due à compter du 29 novembre 2022 au montant du loyer contractuel, outre charges et taxes ;
– juger que cette indemnité d’occupation sera due au fur et à mesure de son exigibilité et jusqu’à la date du départ effectif de la défenderesse et de la libération des lieux de tout mobilier, outre charges et taxes ;
– condamner à titre provisionnel la société SARL LA TITJADE à payer à la demanderesse les sommes suivantes :
oLes loyers et accessoires, jusqu’à la décision à intervenir, soit sauf à parfaire la somme de 245.214,59 € [montant arrêté au 25 avril 2023- à parfaire le jour de l’audience] ;
oLe montant de l’indemnité mensuelle d’occupation fixée à compter du 29 novembre 2022 ;
oUne somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du CPC ;
oLes entiers dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer, de la présente assignation et de ses suites ;
-Dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du commandement, pour les sommes qui y sont visées, et de la présente assignation pour le surplus ;
-Ordonner la capitalisation des intérêts au visa de l’article 1343-2 du code civil ;
A titre subsidiaire :
o- ordonner dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir la consignation de la somme de 245.214,59€ [montant arrêté au 25 avril 2023- à parfaire le jour de l’audience] entre les mains de madame la Bâtonnière de l’Ordre des avocats de PARIS,
Passé ce délai de quinzaine :
-Ordonner une astreinte de 1000 € par jour calendaire de retard, pour assurer la consignation des dites sommes ;
-constater l’acquisition de la clause résolutoire et en conséquence la résiliation de plein droit du bail commercial à la date du 29 novembre 2022 ;
En conséquence,
-ordonner l’expulsion de la SARL LA TIJADE et de toute personne de son chef des locaux qu’elle occupe au [Adresse 2], tels que désignés dans le bail du 10 octobre 2011, et ce, au besoin avec l’aide de la force publique ;
-condamner à titre provisionnel la défenderesse à restituer à la bailleresse les lieux dont il s’agit libres de toute occupation et de tout mobilier, cela sous astreinte de 1.000 euros par jour calendaire de retard à compter de la signification de la décision à intervenir en vertu de l’article L.131-3 du code des procédures civiles d’exécution ;
-autoriser la demanderesse à séquestrer le mobilier se trouvant éventuellement dans les lieux dans tout garde-meubles, aux frais, risques et périls de la défenderesse ;
– fixer le montant de l’indemnité d’occupation due à compter du 29 novembre 2022 au montant du loyer contractuel, outre charges et taxes ;
– juger que cette indemnité d’occupation sera due au fur et à mesure de son exigibilité et jusqu’à la date du départ effectif de la défenderesse et de la libération des lieux de tout mobilier, outre charges et taxes ;
– condamner à titre provisionnel la société SARL LA TITJADE à payer à la demanderesse les sommes suivantes :
oLes loyers et accessoires, jusqu’à la décision à intervenir, soit sauf à parfaire la somme de 245.214,59 € [montant arrêté au 25 avril 2023- à parfaire le jour de l’audience] ;
oLe montant de l’indemnité mensuelle d’occupation fixée à compter du 29 novembre 2022 ;
oUne somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du CPC;
oLes entiers dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer, de la présente assignation et de ses suites;
-Dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du commandement, pour les sommes qui y sont visées, et de la présente assignation pour le surplus ;
-Ordonner la capitalisation des intérêts au visa de l’article 1343-2 du code civil.
L’assignation a été dénoncée aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce de la SARL LA TITJADE.
A l’audience du 1er août 2023, la société ALLIANZ VIE, représentée par conseil, a déposé des conclusions qu’elle a oralement soutenues, et maintenu les demandes de son acte introductif d’instance, sauf en ce qu’elle a actualisé sa demande de provision, formée tant à titre principal qu’à titre subsidiaire, à la somme de 184.516,31 euros, afin d’en exclure les loyers querellés pour la période du 19 mai 2019 au 20 juillet 2020. Sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile était, à titre principal, de 5.000 euros, et à titre subsidiaire, de 3.000 euros.
La société LA TITJADE, représentée, a déposé des conclusions qu’elle a oralement soutenues et demandé au juge des référés de :
-A titre principal :
oSe déclarer incompétent du fait de la compétence du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre ;
oSe dessaisir au profit du tribunal judiciaire de Nanterre, déjà saisi de ce dossier dans une instance portant le numéro 22/09797 ;
-A titre subsidiaire : rejeter les demandes de la société ALLIANZ VIE ;
-En tout état de cause :
oCondamner la société ALLIANZ VIE à payer à la société LA TITJADE la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive ;
oCondamner la société ALLIANZ VIE à payer à la société LA TITJADE la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du CPC.
La décision a été mise en délibéré au 10 octobre 2023 et a fait l’objet d’une réouverture des débats à l’audience du 30 octobre 2023, afin que les parties communiquent au juge la date de désignation du juge de la mise en état dans les instances 22/05428 et 22/09797, en cours devant le juge du fond du tribunal judiciaire de Nanterre.
A l’audience du 30 octobre 2023, la société ALLIANZ VIE, représentée, maintient ses demandes telles qu’exposées dans ses conclusions oralement soutenues à l’audience du 1er août 2023, et actualise sa demande de provision à la somme de 281.939,30 euros.
En substance, elle expose que les demandes ici formées sont étrangères à celles dont est saisi le juge du fond du tribunal judiciaire de Nanterre et estime en conséquence qu’il y a lieu d’écarter les exceptions de procédure soulevées par la défenderesse. Sur le bien-fondé des demandes, elle concède qu’en raison d’un sinistre survenu le 19 mai 2019 et des travaux de remise en état qui ont suivi, les locaux donnés à bail n’ont pu être exploités qu’à compter du 20 juillet 2020, mais qu’il n’existe depuis cette date aucune impossibilité de les exploiter.
La société LA TITJADE, représentée, maintient ses demandes telles que formulée à l’audience du 1er août 2023.
Elle soulève, in limine litis, une exception de litispendance au profit du tribunal judiciaire de Nanterre, pour les demandes tendant au constat de l’acquisition de la clause résolutoire et les demandes subséquentes, ainsi qu’une exception d’incompétence au profit du juge de la mise en état de ce même tribunal s’agissant des demandes de provisions. Elle affirme que les demandes sont également mal-fondées comme se heurtant à des contestations sérieuses dont seul peut connaître le juge du fond.
En application de l’article 446-1 du code de procédure civile, il est renvoyé à l’acte introductif d’instance pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
La décision a été mise en délibéré au 20 décembre 2023, et les parties autorisées à produire, jusqu’au 11 décembre 2023 au plus tard, une note en délibéré au sujet de la désignation du juge de la mise en état dans les instances précitées.
Le conseil de la société LA TITJADE a, par message RPVA du 23 novembre 2023, communiqué les réponses apportées à ses sollicitations par le greffe du tribunal judiciaire de Nanterre.
MOTIFS
Sur l’exception de litispendance :
L’article 100 du code de procédure civile dispose : » Si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second doit se dessaisir au profit de l’autre si l’une des parties le demande. A défaut, elle peut le faire d’office ».
En l’espèce, la SARL LA TITJADE a introduit devant le tribunal judiciaire de Nanterre, par assignation du 24 novembre 2022 enrôlée sous le numéro de RG 22/09797, une instance aux fins de contestation de la validité du commandement de payer qui lui a été délivré le 28 octobre 2022 par la société ALLIANZ VIE.
La présente instance a quant à elle pour objet de faire constater l’acquisition de la clause résolutoire prévue au contrat de bail commercial, de sorte que les deux demandes ont un objet distinct.
En tout état de cause, le caractère provisoire des ordonnances rendues par le juge des référés s’oppose à ce que soit retenue une litispendance entre une instance introduite devant lui et une instance au fond.
Il en est de même s’agissant de l’exception de connexité évoquée, mais non développée par la défenderesse dans ses écritures, au sujet de laquelle l’article 101 du code de procédure civile dispose : » s’il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l’une de ces deux juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l’état la connaissance de l’affaire à l’autre juridiction « .
Aussi y a -t-il lieu de de rejeter les exceptions de procédure soulevées par la défenderesse.
Sur l’exception d’incompétence :
Selon l’article 789 du code de procédure civile : » Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour:
(…)
3° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable (…)
4° Ordonner toutes autre mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées (…) ».
Il est constant que la compétence du juge de la mise en état s’apprécie au jour de sa désignation et que celle du juge des référés s’apprécie au jour du placement de l’assignation conformément aux dispositions de l’article 754 du code de procédure civile.
Au cas présent, le juge du fond du tribunal judiciaire est saisi de deux procédures distinctes de la présente instance en référé.
Il résulte des pièces produites et de la note en délibéré que dans l’instance introduite par assignation du 24 novembre 2022 devant le tribunal judiciaire de Nanterre et enrôlée sous le numéro de RG 22/09797, aux fins principales de nullité du commandement de payer délivré le 28 octobre 2022, le juge de la mise en état a été désigné le 2 juin 2023.
Dans la présente instance, l’assignation délivrée le 11 mai 2023 à la SARL LA TITJADE a été placée le 12 mai 2023, soit antérieurement à la désignation du juge de la mise en état dans l’instance 22/05428. En conséquence, et bien que l’action aux fins d’annulation du commandement de payer délivré ait le même objet que le présent litige, il n’y a pas lieu de nous déclarer incompétent au profit du juge de la mise en état.
Dans l’instance introduite par assignation du 21 juin 2022 devant le tribunal judiciaire de Nanterre et enrôlée sous le numéro de RG 22/05428, le juge de la mise en état a été désigné le 18 novembre 2022, soit antérieurement au placement de l’assignation dans la présente instance.
Cependant, les deux instances n’ont pas le même objet, dès lors qu’il résulte des écritures de la défenderesse que l’action qu’elle a introduite devant le tribunal judiciaire de Nanterre tend à l’indemnisation de ses pertes d’exploitation dont elle attribue l’imputabilité à l’inertie de son bailleur, alors que la présente instance tend à voir constater l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail et à obtenir le paiement d’une provision à valoir sur les loyers et charges impayés.
Aussi n’y a-t-il pas davantage lieu à nous déclarer incompétent au profit du juge de la mise en état désigné dans le cadre de cette seconde instance.
Sur la demande d’acquisition de la clause résolutoire et les demandes subséquentes
L’article 834 du Code de procédure civile dispose que, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
La juridiction des référés n’est toutefois pas tenue de caractériser l’urgence, au sens de l’article 834 du Code de procédure civile, pour constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée dans un bail.
L’article L. 145-41-du Code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Le bailleur, au titre d’un bail commercial, demandant la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire comprise stipulée dans le bail doit rapporter la preuve de sa créance.
Le juge des référés peut constater la résiliation de plein droit du bail au titre d’une clause contenue à l’acte à cet effet, à condition que :
– le défaut de paiement de la somme réclamée dans le commandement de payer visant la clause résolutoire soit manifestement fautif,
– le bailleur soit, de toute évidence, en situation d’invoquer de bonne foi la mise en jeu de cette clause,
– la clause résolutoire soit dénuée d’ambiguïté et ne nécessite pas interprétation.
En l’espèce, le contrat de renouvellement de bail du 10 octobre 2011 renvoie, pour les clauses demeurant inchangées, au contrat de bail du 12 octobre 1988, qui stipule une clause résolutoire aux termes de laquelle « à défaut de paiement d’un seul terme de loyer et de ses accessoires à son échéance, ou à défaut d’exécution de l’une quelconque des clauses du bail (…), un mois après un simple commadement de payer ou sommation d’exécution notifié au preneur et resté sans effet, le present bail sera résilié de plein droit si bon semble au bailleur (..) ».
Le commandement délivré le 28 octobre 2022 mentionne le délai d’un mois pour régler ses causes et vise la clause résolutoire. Il reprend les dispositions des articles L.145-41 et L.145-17 du code de commerce. Un décompte des sommes dues y est joint, permettant au locataire d’en critiquer éventuellement les causes.
La société LA TITJADE élève une contestation en faisant valoir qu’elle a été confrontée à une impossibilité d’exploiter son fonds de commerce du fait de sa bailleresse, qui lui a délivrée le 6 mars 2020 une sommation lui interdisant de se maintenir dans les lieux. Elle soutient n’avoir pu réintégrer les locaux qu’à compter du mois de juin 2021, que cette période prolongée d’interruption d’activité et la cause de ses difficultés de trésorerie l’a empêché d’honorer le paiement des loyers, et que la Cour d’appel de Versailles a, dans son arrêt du 17 mars 2022, retenu que le défaut d’exploitation des locaux loués résulte, au moins pour partie, de l’état général du bâtiment qui souffrait d’un grave défaut de structure.
Elle soutient que la bailleresse ne saurait agir en acquisition de la clause résolutoire du fait d’une situation qu’il a lui-même provoquée, mettant ainsi en exergue sa mauvaise foi dans la mise en jeu de la clause résolutoire.
Elle rappelle avoir saisi le tribunal judiciaire de Nanterre d’une opposition à commandement visant la clause résolutoire par assignation du 24 novembre 2022, aux fins d’obtenir l’annulation de ce commandement et à titre subsidiaire, la suspension des effets de la clause résolutoire dans l’attente de la décision définitive de ce même tribunal saisi par elle d’une demande d’indemnisation de pertes d’exploitation et troubles de jouissance du fait de la fermeture des locaux imposée par la bailleresse.
En réplique, la société ALLIANZ VIE admet l’existence d’une période d’impossibilité d’exploiter les locaux loués du fait de la survenance d’un sinistre en mai 2019 et des travaux qui ont suivi, mais soutient que toute impossibilité d’exploiter a disparu depuis le 20 juillet 2020. Elle fait valoir que la défenderesse s’abstient de tout paiement du loyer depuis cette date, alors qu’aucun défaut de délivrance ne peut lui être reproché depuis cette date.
Elle circonscrit ses demandes aux sommes dues postérieurement au 20 juillet 2020, laissant au juge du fond le soin de trancher le sort de la créance de loyer invoquée pour la période du 19 mai 2019 au 20 juillet 2020.
Sur ce,
Il résulte des pièces produites, et notamment de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles en date du 17 mars 2022, qu’à la suite d’un violent orage survenu en mai 2019, les locaux donnés à bail ont subi des infiltrations d’eau au niveau des soupiraux, ce qui a engendré l’effondrement du plafond en plâtre du sous-sol et l’impossibilité d’exploiter la salle du bas.
Des investigations techniques ont été diligentées par l’assureur de la bailleresse.
La bailleresse a, par exploit du 6 mars 2020 notamment fondé sur les avis du bureau de contrôle SOCOTEC et du BET ICI, fait délivrer à la société LA TITJADE une sommation de cesser immédiatement et totalement l’exploitation du fonds de commerce en raison du danger d’effondrement du plancher.
Si la bailleresse soutient que toute impossibilité d’exploitation des locaux a cessé à compter du 20 juillet 2020, la défenderesse indique quant à elle dans son assignation du 24 novembre 2022, que les travaux de remise en état n’ont en réalité été finalisés que le 26 juin 2021.
L’arrêt précité retient en outre, dans sa motivation en page 6, que » la réduction temporaire puis l’interruption de l’activité professionnelle de la société La Titjade étaient, pour partie au moins, imputables à l’état général du bâtiment loué à la société intimée, qui souffrait d’un grave défaut de structure « .
Il résulte par ailleurs des termes de son assignation du 24 novembre 2022 que par lettre recommandée avec accusé de réception de son conseil en date du 30 décembre 2020, la société LA TITJADE a informé la société ALLIANZ VIE qu’elle n’était plus en mesure de faire face au règlement des loyers en raison de la privation totale de jouissance de l’immeuble loué, opposant ainsi une exception d’inexécution au motif que la contrepartie contractuelle du paiement du loyer n’était plus assurée.
Comme indiqué par ailleurs, la défenderesse a également pris, en juin 2022, l’initiative d’une procédure au fond aux fins d’indemnisation par la bailleresse de ses pertes d’exploitation et trouble de jouissance, cette assignation faisant manifestement suite à l’arrêt précité de la Cour d’appel de Versailles retenant que l’immeuble est affecté d’un grave défaut de structure.
En conséquence, il n’est pas établi, avec l’évidence requise en référé, que la défenderesse ait effectivement réintégré les locaux et repris leur pleine exploitation à la date du 20 juillet 2020.
Le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 22 octobre 2022 réclame des loyers dus pour la période du 30 septembre 2019 au 30 septembre 2022, couvrant précisément la période litigieuse durant laquelle d’une part, la bailleresse a fait sommation à sa locataire de cesser immédiatement et totalement d’exploiter les lieux, d’autre part, la locataire a signifié à sa bailleresse qu’elle lui opposait une exception d’inexécution quant au paiement des loyers.
La délivrance du commandement de payer dans ces circonstances, susceptible de caractériser un usage de mauvaise foi par le bailleur de ses prérogatives contractuelles, constitue une contestation sérieuse faisant obstacle à l’acquisition de la clause résolutoire constatée en référé.
Il sera donc considéré n’y avoir lieu à référé sur la demande de la société ALLIANZ VIE en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail, et sur les demandes subséquentes en prononcé de l’expulsion et condamnation du preneur au paiement d’une indemnité d’occupation à titre provisoire.
Sur la demande de provision
Aux termes de l’article 835, alinéa 2,du code de procédure civile, « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, [le président du tribunal judiciaire] peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».
Selon l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Au cas présent, le bail renouvelé entre les parties à compter du 10 juillet 2010 prévoit que le preneur est tenu de payer un loyer annuel hors taxes et hors charges de 39.000 euros payable trimestriellement à terme échu et révisable tous les ans automatiquement, pour la première fois le 1er juillet 2011, l’indice de reference étant celui du 4ème trimestre 2009.
La demanderesse actualise à l’audience du 30 octobre 2023 sa demande de provision à la somme de 281.939,30 euros, selon décompte daté du même jour, correspondant selon elle aux loyers non contestables car ne couvrant pas la période du 19 mai 2019 au 20 juillet 2020.
Cependant, il résulte des éléments exposés ci-dessus d’une part, que la date à laquelle la défenderesse a effectivement réintégré les locaux loués pour y exploiter son fonds de commerce n’est pas établie avec l’évidence requise ici, d’autre part que l’exception d’inexécution qu’elle oppose n’apparaît pas manifestement infondée et pourrait, au moins partiellement, prospérer devant le juge du fond.
Ces éléments caractérisent une contestation sérieuse ne permettant pas de determiner le montant non contestable de la dette de loyer de la défenderesse, et font obstacle à ce qu’il soit référé sur la demande de provision.
Sur les demandes subsidiaires
Aux termes de l’article 834 du Code de procédure civile, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
L’article 1961 2° du Code civil prévoit que la justice peut ordonner le séquestre d’une chose mobilière dont la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes.
La société ALLIANZ VIE sollicite la consignation de la somme de 184.516,31 euros entre les mains de Madame la Bâtonnière de l’Ordre des avocats de Paris dans les 15 jours à compter de la désignation à intervenir, et à défaut de consignation dans ce délai, d’ordonner une astreinte de 1.000 euros par jour de retard, et de constater l’acquisition de la clause résolutoire, avec toutes conséquences de droit, dans les termes de sa demande principale.
Cependant, si le différend existant entre les parties quant au périmètre de l’obligation de paiement des loyers est établi, les éléments produits ne permettent pas d’établir le bien-fondé de cette demande de consignation, en l’absence de détermination du montant non contestable de la dette locative, et alors qu’il est demandé que le défaut de consignation soit sanctionné par la mobilisation de la clause résolutoire, pourtant rejetée dans le cadre des demandes principales.
En conséquence, il n’y a pas lieu à référé sur les demandes subsidiaires de la société ALLIANZ VIE.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive
L’article 32-1 du code de procédure civile prévoit que « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »
L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équivalant au dol.
En l’espèce, la défenderesse sollicite la condamnation de la demanderesse à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, motif pris de ses réticences à évoquer les deux procédures en cours devant le tribunal judiciaire de Nanterre, et du fait qu’elle assigne aux fins de paiement des loyers tout en refusant de régler amiablement une indemnité pour perte d’exploitation.
Cependant, ces éléments ne permettent pas d’établir le caractère dilatoire ou abusif de l’introduction de la présente instance.
En conséquence, la demande sera rejetée.
Sur les mesures accessoires
Succombant en ses prétentions, la partie demanderesse sera condamnée aux dépens.
L’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Nous, Juge des référés, statuant par ordonnance contradictoire au greffe le jour du délibéré, après débats en audience publique, et en premier ressort,
Rejetons l’exception de litispendance ;
Rejetons l’exception d’incompétence ;
Disons n’y avoir lieu à référé sur les demandes de constat de l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail, et sur les demandes subséquentes d’expulsion, de séquestration du mobilier et de condamnation par provision au paiement d’une indemnité d’occupation ;
Disons n’y avoir lieu à référé sur les demandes subsidiaires de la société ALLIANZ VIE ;
Rejetons la demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;
Disons n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons la partie demanderesse aux dépens ;
Rappelons que l’exécution provisoire est de droit.
Fait à Paris le 20 décembre 2023
Le Greffier,Le Président,
Pascale GARAVELEmmanuelle DELERIS