Exception d’inexécution : 10 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/02576

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Exception d’inexécution : 10 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/02576

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 10 JANVIER 2024

N° RG 22/02576 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MXED

[R] [Y]

[J] [Y]

c/

[V] [K]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 05 mai 2022 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 20/06810) suivant déclaration d’appel du 30 mai 2022

APPELANTS :

[R] [Y]

née le 21 Juillet 1953 à [Localité 7] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1] – [Localité 2]

[J] [Y]

né le 26 Septembre 1958 à [Localité 4] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1] – [Localité 2]

représentés par Maître Ariane PASQUET substituant Maître Caroline SALVIAT de la SELAS SALVIAT + JULIEN-PIGNEUX + PUGET ET ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

[V] [K]

né le 28 Avril 1990 à [Localité 5] (67)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3] – [Localité 6]

représenté par Maître Emmanuel LAVAUD de la SELARL EMMANUEL LAVAUD, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 novembre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sylvie HERAS DE PEDRO, Conseillère, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Mme Paule POIREL

Conseiller : Mme Bérengère VALLEE

Conseiller : Mme Sylvie HERAS DE PEDRO

Greffier : Mme Véronique SAIGE

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Suivant acte sous seing privé du 1er février 2018, M. [J] [Y] et Mme [R] [Y] ont donné à bail un local à usage professionnel à M. [V] [K] pour une durée de six ans, situé au [Adresse 3] à [Localité 6], afin qu’il y exerce son activité de notaire, moyennant un loyer mensuel de 1’000 euros hors taxes.

Il est stipulé à l’acte que, compte tenu d’un projet de construction en cours sur le lot B, les consorts [Y] proposeront à la vente le bien loué à M. [K] par voie de préférence, soit au terme de la réalisation complète du projet de construction en cours, soit à l’expiration de la première période biennale du bail, c’est-à-dire au 28 février 2020, et que dans le cas où le preneur  » ne serait pas en mesure de pouvoir assurer cette acquisition et afin d’équilibrer le moins perçu sur les précédentes mensualités et de s’ajuster ainsi sur la moyenne des loyers courants locaux en matière de bail professionnel, les deux parties conviennent qu’au terme de ces deux premières années précitées, le loyer mensuel HT sera alors majoré de 60 %, applicable sur le dernier loyer payé’.

M. [K] est entré dans les lieux le 1er mars 2018, après un état des lieux d’entrée contradictoire.

Par lettre recommandée du 26 février 2020, M. [K] a résilié le bail, avec effet au 31 août 2020.

Par mail du 25 février 2020, les consorts [Y] ont pris acte de la résiliation et sollicité de M. [K] le paiement d’un loyer de 1’600 euros hors taxes, à partir du 1er mars 2020, conformément aux stipulations du bail.

Par courrier recommandé du 15 mai 2020, M. [K] a refusé de payer cette majoration de loyer faisant valoir le non respect par les bailleurs de leurs obligations en matière de délivrance des locaux, la non conformité des locaux au règlement d’assainissement, des travaux de toiture nécessaires à la réparation d’une fuite, une gouttière cassée et il a joint à ce courrier une facture par lui acquittée d’un montant de 240 euros TTC, correspondant à l’évacuation de déchets verts, dont il a indiqué avoir déduit le montant du loyer de mai.

Par acte du 12 juin 2020, les consorts [Y] ont fait sommation à M. [K] d’avoir à payer la somme de 3’120 euros correspondant à la majoration de loyer contractuelle, outre le solde du loyer de mai 2020.

Par courrier recommandé du 2 juillet 2020, les consorts [Y] ont mis en demeure M. [K] de régler la somme de 3’840 euros.

Par acte d’huissier du 30 août 2020, les consorts [Y] ont fait assigner M. [K] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux essentiellement aux fins de le voir condamner au paiement des loyers impayés et au versement de dommages et intérêts.

Par jugement contradictoire du 05 mai 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– débouté M. et Mme [Y] de leur demande en paiement de la somme de 4’160 euros,

– condamné M. et Mme [Y] à payer à M. [K] la somme de 240 euros en remboursement de travaux,

– donné acte à M. et Mme [Y] de ce qu’ils ne s’opposent pas au remboursement du dépôt de garantie d’un montant de 1’000 euros et, les a condamnés, le cas échéant, au paiement de cette somme à M. [K],

– condamné M. et Mme [Y] à payer à M. [K] la somme de 1’200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties du surplus de leurs prétentions,

– condamné M. et Mme [Y] aux dépens et accordé distraction au profit de Me Emmanuel Lavaud,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit.

Les consorts [Y] ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 30 mai 2022 et par conclusions déposées le 30 août 2022, ils demandent à la cour de :

– réformer la décision rendue le 5 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Bordeaux,

Et statuant à nouveau,

– déclarer M. et Mme [Y] recevables et bien fondés en leurs demandes,

Y faisant droit,

– condamner M. [K] à payer à M. et Mme [Y] la somme de 4’160 euros au titre des loyers impayés (mois d’août 2020 inclus),

– condamner M. [K] à payer à M. et Mme [Y] la somme de 2’500 euros chacun au titre de leur préjudice en raison de la résistance abusive, soit la somme de 5’000 euros,

– débouter M. [K] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner M. [K] à payer à M. et Mme [Y] la somme de 7’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, en ce compris les frais de sommation du 12 juin 2020.

Le 1er juin 2022, M. [K] a constitué avocat. Il n’a pas déposé de conclusions.

L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 13 novembre 2023.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 30 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de paiement de loyers

Selon l’article 1219 du code civil, une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible’, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

Il est constant que celui qui oppose l’exception n’est pas tenu à mise en demeure préalable.

M. [J] [Y] et Mme [R] [Y] font valoir pour l’essentiel que M. [V] [K] ne peut se prévaloir d’une exception d’inexécution à défaut de mise en demeure, que sa lettre du 15 mai 2020 a été adressée postérieurement à son congé et n’a pour seul but que d’échapper à son obligation contractuelle de payer le loyer majoré, que les doléances qui y sont contenues ne sont pas fondées, qu’en effet les eaux vannes sont raccordées au réseau d’assainissement depuis le début du bail, que les quelques défauts existants (absence de raccordement au réseau du seul lavabo des toilettes et des eaux pluviales qui s’écoulent dans le réseau des eaux usées) n’ont pas causé de préjudice à M. [V] [K] dans l’exercice de son activité professionnelle, que M. [V] [K] a pris l’initiative de faire évacuer les déchets verts alors qu’ils avaient commandé ces travaux qui n’ont pu être réalisés en raison du confinement et qu’ils ont fait réparer les coulures sur la cheminée conformément à l’obligation contractée dans l’état des lieux d’entrée.

Si les conclusions de l’intimé ont été déclarées irrecevables, il convient d’appliquer les dispositions de l’article 954 dernier alinéa du code de procédure civile, selon lesquelles il est dès lors réputé s’approprier les motifs du jugement dont il demande implicitement la confirmation en s’étant constitué intimé.

D’autre part, il résulte de l’article 472 du code de procédure civile que si, en appel, l’intimé ne conclut pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l’appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés.

L’état des lieux d’entrée du 1er mars 2018 mentionne des infiltrations dans les bureaux 2 et 3 semblant provenir du toit, une mauvaise évacuation des eaux usées de l’évier de la cuisine et du lavabo des WC, le raccordement au tout à l’égout «’à faire par le bailleur’», une mauvaise évacuation des eaux de pluie avec un raccordement à un puisard «’à faire par le bailleur’».

Le constat d’huissier de justice, avec photographies annexées, établi à la demande de M. [V] [K] le 3 mars 2020 fait état d’importantes coulures sur la cheminée dans le bureau principal avec des infiltrations le jour du constat, jour de pluie. Il mentionne également que l’eau qui coule dans l’évier de la cuisine et dans le lavabo des WC s’écoule directement de trous dans le mur dans le jardin et que deux regards situés à l’extérieur à l’arrière des WC sont remplis à ras bord de matières fécales et de papier toilette et qu’ils ne peuvent s’évacuer.

A ce procès-verbal est joint un rapport de Suez en date du 13 août 2018 selon lequel les eaux ménagères sont évacuées sur le terrain, la destination des eaux vannes et de pluie est inconnue et il est impératif de procéder au raccordement au réseau collectif.

Le procès-verbal de constat d’état des lieux de sortie en date du 31 août 2020 a été établi après que les bailleurs aient été convoqués à leur adresse [Adresse 1] au [Localité 2] et non à [Localité 6] comme ils le prétendent pour arguer faussement que ce constat ne serait pas contradictoire.

Il met en exergue les mêmes défauts que ceux décrits dans l’état des lieux d’entrée et dans le constat du 3 mars 2020.

Le 15 mai 2020, M. [V] [K], en réponse aux mails de M. [J] [Y] et Mme [R] [Y] lui réclamant le paiement de la majoration du loyer, indique qu’il avait dû procéder à la réparation de la fuite de la chasse d’eau générée par l’absence de raccordement, rappelait que la gouttière cassée avait été réparée par lui à ses frais, et qu’il ne paierait cette majoration qu’à compter de la mise en conformité de l’ensemble du bâtiment avec la réglementation sur l’assainissement, permettant notamment un usage normal des toilettes et évitant le déversement des eaux usées à même la façade des locaux, ainsi qu’à compter des travaux de toiture nécessaires à la réparation de la fuite au niveau de la cheminée du bureau 2.

M. [J] [Y] et Mme [R] [Y] produisent un rapport de Suez en date du 1er février 2021 selon lequel les eaux vannes des WC et de la cuisine sont désormais raccordées, les eaux du lavabo des WC étant toujours évacuées sur le terrain et les eaux de pluie étant évacuées avec les eaux usées au lieu de l’être séparément.

Ce document ne saurait contredire celui émanant de Suez du 13 août 2018 selon lequel il n’y avait pas de raccordement au réseau collectif des eaux vannes à cette date, ni les constatations de l’huissier de justice en mars et en août 2020.

Il en est de même de l’attestation de M. [W], artisan de l’assainissement, en date du 28 septembre 2021 qui ne précise pas à quelle date il a pu opérer ses constatations.

Enfin, l’attestation de Mme [S], ancienne agent commerciale ayant travaillé pour le compte de M. [J] [Y] et Mme [R] [Y], selon laquelle les toilettes fonctionnaient bien est également inopérante à remettre en cause les constatations des agents de Suez et de l’huissier de justice.

Force est de constater que les bailleurs ont gravement manqué à leur obligation de délivrance et de jouissance paisible d’un local conforme à l’usage auquel il est destiné, en donnant à bail un local dépourvu de raccordement au réseau d’assainissement collectif.

Ils s’étaient pourtant engagés lors de l’état des lieux d’entrée à réaliser ces travaux de même qu’à remédier aux infiltrations, ce qu’ils ne justifient pourtant pas avoir fait pendant le bail.

Dès lors, le jugement déféré qui a débouté M. [J] [Y] et Mme [R] [Y] de leur demande de paiement des loyers sera confirmé.

Sur la demande en dommages et intérêts pour résistance abusive

Comme il a été jugé ci-dessus, c’est à bon droit que M. [K] a opposé l’exception d’inexécution au vu des graves manquements de ses bailleurs à leurs obligations.

En l’absence de toute résistance abusive, le jugement déféré qui a débouté les consorts [Y] de cette demande sera confirmé.

Sur la condamnation au paiement de la somme de 240 euros au titre de frais de jardinage et au remboursement du dépôt de garantie

S’agissant de la facture de frais de jardinage, le jugement déféré a condamné les consorts [Y] à en rembourser la moitié à M. [K], soit la somme de 240 euros TTC alors que cette somme avait déjà été déduite par le locataire du loyer de mai 2020.

C’est à bon droit que le premier juge a dit que cette somme devait être mise à la charge des bailleurs, leur argumentation étant démentie par l’absence de production d’un devis antérieur au confinement et alors qu’ils ne contestent pas que ces travaux étaient à leur charge.

Compte tenu de la déduction déjà opérée, le jugement déféré qui a condamné les consorts [Y] à payer cette somme à M. [K] sera réformé.

Enfin, les bailleurs ne s’étaient pas opposés au remboursement du dépôt de garantie de 1000 euros.

Le jugement déféré qui les a condamnés à payer cette somme à M. [K] sera confirmé.

Sur la demande de remboursement des frais de sommation

M. [J] [Y] et Mme [R] [Y] succombant, ils seront déboutés de leur demande de remboursement des frais de sommation. Le jugement sera également confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

M. [J] [Y] et Mme [R] [Y] qui succombent pour l’essentiel en leur appel en supporteront donc la charge.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

M. [J] [Y] et Mme [R] [Y] qui succombent conserveront la charge de leurs frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a condamné M. [J] [Y] et Mme [R] [Y] à payer à M. [V] [K] la somme de 240 euros au titre d’une facture d’évacuation des déchets verts,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Déboute M. [V] [K] de sa demande de paiement de la somme de 240 euros au titre de l’évacuation des déchets verts

Y ajoutant,

Déboute M. [J] [Y] et Mme [R] [Y] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [J] [Y] et Mme [R] [Y] aux entiers dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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