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N° RG 21/01236 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IXCL
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 02 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE LOUVIERS du 04 Mars 2021
APPELANTE :
Société SANOFI PASTEUR
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Christophe PLAGNIOL, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE
INTIMEE :
Madame [X] [T]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Mehdi LOCATELLI de la SELARL CABINET LOCATELLI, avocat au barreau de l’EURE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 24 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 24 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 02 Mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 02 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [X] [T] a été mise à disposition de la société Sanofi Pasteur par le biais de la SAS Manpower pour remplacement d’un salarié absent du 18 avril 2017 au 31 août 2019, puis pour accroissement temporaire d’activité du 9 septembre 2019 au 1er mars 2020, prolongé par avenant au 8 mars 2021.
Mme [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Louviers en requalification des contrats de travail en contrat de travail à durée indéterminée.
Par jugement du 4 mars 2021, le conseil de prud’hommes a :
– déclaré l’action en requalification entièrement recevable,
– requalifié les relations contractuelles entre la société Sanofi Pasteur et Mme [T] en un contrat à durée indéterminée à compter du 9 septembre 2019,
– constaté que ce contrat de travail à durée indéterminée est toujours en cours d’exécution,
– condamné la société Sanofi Pasteur à payer à Mme [T] une somme de 1 990,92 euros brut à titre d’indemnité de requalification,
– rejeté la demande tendant à obtenir que les condamnations portent intérêt légal à compter du dépôt de la requête,
– condamné la société Sanofi Pasteur à verser à Mme [T] une somme globale de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté la demande de la société Sanofi Pasteur au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Sanofi Pasteur aux dépens,
– rappelé qu’en application de l’article D. 1251-3 du code du travail, lorsqu’un conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de requalification d’un contrat de mission en CDI, sa décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
Par déclaration au greffe le 22 mars 2021, la société Sanofi Pasteur a interjeté appel de la décision.
Par conclusions remises au greffe le 5 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, la société Sanofi Pasteur demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [T] tendant à obtenir que les condamnations portent intérêt légal à compter du dépôt de la requête, et statuant à nouveau, de débouter Mme [T] de toutes ses demandes, de la condamner à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les dépens.
Par conclusions remises au greffe le 5 janvier 2023, Mme [X] [T] demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a fixé la date de requalification au 9 septembre 2019 et condamné la société au paiement de 1 990,92 euros d’indemnité de requalification, statuant de nouveau, fixer la date de requalification au 18 avril 2017, condamner la société au paiement de la somme de 4 500 euros à titre d’indemnité de requalification de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, de dire que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du dépôt de la décision à intervenir et condamner la société aux dépens.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 5 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur la demande de requalification des contrats de mission
La société Sanofi Pasteur, qui rappelle que le bien fondé d’une action en requalification s’apprécie au cas par cas, affirme ne pas avoir un besoin structurel de main d”oeuvre, au regard notamment de l’augmentation de ses effectifs en contrat de travail à durée indéterminée sur les dernières années, des perspectives d’avenir du site et de la baisse du recours aux contrats précaires, que concernant la salariée, elle justifie de la réalité de l’absence des salariés remplacés et de l’accroissement temporaire d’activité, le volume de seringues produites au cours de sa mission ayant augmenté en raison des effets conjugués du retard pris dans la qualification de la nouvelle ligne seringue qui ralentit la production et du retard dans la transmission des souches par l’OMS.
Mme [X] [T] soutient avoir occupé un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise considérant que la société Sanofi Pasteur a un besoin structurel de main d’oeuvre, comme abusant de manière constante des contrats précaires, y compris pour remplacer des salariés absents, compte tenu du taux d’absentéisme, représentant près de 300 salariés par mois, qu’il n’est pas non plus justifié d’un accroissement temporaire d’activité, alors que l’entreprise fait travailler en continu des salariés précaires sur un même poste de travail, que la qualification d’une nouvelle ligne est sans incidence sur le besoin de main d’oeuvre, que l’augmentation des volumes produits et la nécessité de reconstituer le stock de sécurité sur la période contractuelle sont sans rapport avec le motif de recours.
En application de l’article L1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
Selon l’article L.1251-6 du code du travail, sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée “mission” et seulement dans les cas suivants :
1° Remplacement d’un salarié, en cas :
a) D’absence ;
b) De passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur ;
c) De suspension de son contrat de travail ;
d) De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité social et économique, s’il existe ;
e) D’attente de l’entrée en service effective d’un salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;
2° Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;
3° Emplois à caractère saisonnier définis au 3° de l’article L. 1242-2 ou pour lesquels, dans certains secteurs définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ;
4° Remplacement d’un chef d’entreprise artisanale, industrielle ou commerciale, d’une personne exerçant une profession libérale, de son conjoint participant effectivement à l’activité de l’entreprise à titre professionnel et habituel ou d’un associé non salarié d’une société civile professionnelle, d’une société civile de moyens d’une société d’exercice libéral ou de toute autre personne morale exerçant une profession libérale ;
5° Remplacement du chef d’une exploitation agricole ou d’une entreprise mentionnée aux 1° à 4° de l’article L. 722-1 du code rural et de la pêche maritime, d’un aide familial, d’un associé d’exploitation, ou de leur conjoint, mentionné à l’article L. 722-10 du même code dès lors qu’il participe effectivement à l’activité de l’exploitation agricole ou de l’entreprise.
La réalité du motif de recours au contrat de mission doit être appréciée lors de sa conclusion.
La société Sanofi Pasteur est spécialisée dans la fabrication de vaccins humains et son site de production situé à [Localité 5] assure la distribution mondiale de tous les vaccins fabriqués par la société Sanofi Pasteur en France et les opérations industrielles de la production biologique des antigènes au stade ‘vrac’ jusqu’à la production de produits finis, à savoir les vaccins et leur distribution dans le monde.
Le site de [Localité 5] est le premier producteur mondial de vaccin contre la grippe saisonnière pour les hémisphères nord et sud.
Mme [X] [T] a été liée à la SA Sanofi Pasteur par les contrats suivants :
– du 18 avril 2017 au 31 août 2019 : 24 contrats pour remplacement de salariés absents
– du 9 septembre 2019 au 1er mars 2020 : accroissement temporaire d’activité lié au projet de qualification de la ligne LS3 comme opérateur 3 répartition
– par avenant, le terme du contrat a été reporté au 8 mars 2021.
S’agissant du remplacement des salariés absents, alors qu’il n’est pas discuté que chaque absence de salariés pour laquelle la salariée a été recrutée est justifiée, que le recours au contrat précaire est régulier dès lors qu’il l’est pour un motif limitativement énuméré par la loi, que le taux de précarité persistant ne suffit pas à établir que Mme [X] [T] a occupé un emploi pérenne et permanent en raison d’un besoin structurel de main d’oeuvre, que le taux d’absentéisme est sans incidence que l’effectif global de l’entreprise, les contrats de travail des salariés absents étant seulement suspendus pour une durée non maîtrisée par l’employeur, alors qu’il résulte des éléments du débat que la société a, au fil des années, augmenté significativement le nombre de salariés permanents, sauf à priver l’employeur du recours à un dispositif légal dès lors qu’il le fait régulièrement, la relation contractuelle n’encours pas la requalification en contrat de travail à durée indéterminée pour la période au cours de laquelle la salariée a été mise à disposition pour remplacer des salariés absents.
Concernant l’accroissement temporaire d’activité, la société Sanofi Pasteur explique que son projet de création de deux nouvelles lignes pour accroître sa capacité à produire plus dans un temps moindre sans intensifier le rythme de travail du personnel qui devait se concrétiser courant 2016 pour la nouvelle ligne flacon (LF2) et courant 2018 pour la nouvelle ligne seringue (LS3), a été constamment reporté pour différents motifs indépendants de sa volonté et notamment par la nécessité de qualification par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, différée en raison de la crise sanitaire liée au Covid 19 empêchant cette autorité de se rendre sur le site ; que, dans l’attente de la mise en service de la nouvelle ligne de production de seringues, elle a fait face à un surcroît d’activité qui ne peut être qualifié que de temporaire comme étant contrainte d’étendre son planning de production en créant notamment des équipes SD pour honorer les commandes, mais aussi devant mobiliser du personnel sur des lignes fonctionnant ‘à blanc’ en l’absence de qualification ; que d’ailleurs, il résulte du procès-verbal de réunion du CSE du 21 novembre 2019 qu’il y a un surcroît d’activité jusque fin 2020 pour rattraper le retard pris en 2019 nécessitant le recours à des contrats intérimaires au niveau de l’atelier Répartition liquide.
Il n’est pas discuté que l’augmentation de la demande client a impliqué que la SA Sanofi Pasteur augmente sa capacité de production et que pour ce faire, elle a mis en place une nouvelle ligne de répartition de seringues dénommée LS3 à partir de 2016, laquelle devait être opérationnelle en juin 2018 mais a connu des retards pour finalement débuter lors de la campagne grippe HN2019, soit avec une année de retard, ce qui a eu des incidences sur les stocks de sécurité.
La création d’une nouvelle ligne, qui n’engendre pas une suppression de celles existantes et est dictée par la nécessité de faire face à un besoin grandissant de production, s’inscrit dans l’activité normale de l’entreprise en ce que le besoin de main d’oeuvre est alors structurel sur l’ensemble des lignes, de sorte que le transfert d’un certain nombre de salariés vers la ligne en cours de qualification doit être compensé par des emplois permanents sur la ligne déjà qualifiée, et non par des recrutements précaires, la procédure de qualification faisant partie d’un processus normal et connu de la SA Sanofi Pasteur et ne présentant dès lors pas de caractère exceptionnel.
Cependant, dans le procès-verbal des réunions du CSE des 21 et 28 novembre 2019, il est évoqué un volume d’activité non réalisé en 2019 qui doit être reporté sur 2020, nécessitant que la répartition liquide ait recours à 80 intérimaires répartis entre équipes de semaine et équipes SD, de sorte qu’a été recueilli à l’unanimité un avis favorable au surcroît d’activité temporaire répartition liquide.
Néanmoins, alors que cette analyse ne portait que sur l’année 2020, la cour observe qu’aucun élément n’est produit s’agissant de 2021, alors que la mission de Mme [X] [T] était prolongée jusqu’au 8 mars 2021, puisqu’au contraire, il résulte de ce même document qu’était évoqué un retour à la vitesse de croisière, avec notamment retour en semaine de 60 personnes en contrat de travail à durée indéterminée travaillant en samedi-dimanche, de sorte que le surcroît d’activité à partir de janvier 2021 n’est pas établi.
Ce surcroît ne résulte pas davantage des éléments produits relatif au volume de la production.
En effet, il ne peut être tiré aucune conclusion quant à une augmentation de la production des seringues du document communiqué par la SA Sanofi Pasteur dont la présentation ne permet pas de comparer le volume de production sur une période identique, dès lors qu’il est proposé une comparaison pour la période allant de mars 2018 à août 2019 avec celle allant de septembre 2019 à février 2021, alors qu’il aurait été nécessaire de comparer la production sur les deux premiers mois de l’année pour établir un surcroît d’activité de janvier à mars 2021.
Par ailleurs, sur la période concernée par le recrutement de Mme [X] [T], la variation des dates de transmission par l’OMS des souches nécessaires à la fabrication du vaccin contre la grippe est sans incidence, alors que de janvier à mars 2021, le vaccin pour l’hémisphère nord ne peut être mis en production, la souche étant communiquée par l’OMS entre le 20 février et mars pour la campagne à venir.
Aussi, dès lors que la SA Sanofi Pasteur ne peut justifier d’un surcroît d’activité sur la totalité de la période au cours de laquelle Mme [X] [T] a été recrutée pour ce motif à compter du 9 septembre 2019, la cour confirme le jugement entrepris ayant prononcé la requalification du contrat de travail à compter de cette date.
II – Sur les conséquences de la requalification
La requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée n’a pas pour effet de contraindre l’employeur à conserver le salarié dans ses effectifs.
D’ailleurs, le conseil de prud’hommes a seulement constaté la poursuite du contrat de mission.
Compte tenu de la requalification en contrat à durée indéterminée à effet au 9 septembre 2019, la salariée est fondée à obtenir une indemnité de requalification conformément aux dispositions de l’article L.1251-41 du code du travail, laquelle ne peut être inférieure à un mois de salaire, le salaire à prendre en compte étant le dernier perçu à la date à laquelle la relation aurait dû prendre fin au titre des contrats de mission.
Au vu du seul bulletin de paie produit, pour le mois d’octobre 2020, pour un salaire brut de 2 914,95 euros, en l’absence d’éléments contredisant le calcul de son salaire de base tel qu’il ressort de ce seul document, par arrêt infirmatif, la cour alloue la somme de 2 914,95 euros au titre de l’indemnité de requalification, infirmant ainsi le jugement entrepris.
Les sommes à caractère indemnitaire produisent intérêts à compter du présent arrêt dès lors qu’elles sont infirmées.
III – Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, la société Sanofi Pasteur est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à Mme [X] [T] la somme de 1 000 euros en cause d’appel pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a statué sur le montant de l’indemnité de requalification ;
Statuant à nouveau,
Condamne la société Sanofi Pasteur à payer à Mme [X] [T] la somme de 2 914,95 euros à titre d’indemnité de requalification ;
Dit que cette somme à caractère indemnitaire produit intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Y ajoutant,
Condamne la société Sanofi Pasteur aux entiers dépens ;
Condamne la société Sanofi Pasteur à payer à Mme [X] [T] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;
Déboute la société Sanofi Pasteur de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel.
La greffière La présidente