Présentateur : 2 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/19729

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Présentateur : 2 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/19729
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Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 7

ARRÊT DU 02 MAI 2023

(n° 15, 34 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 22/19729 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGXQU

Décision déférée à la Cour : Décision de l’Autorité des marchés financiers n° 222C2537 du 22 novembre 2022 publiée le 23 novembre 2022

REQUÉRANTS :

LE CONSEIL DE SURVEILLANCE DU FONDS COMMUN DE PLACEMENT D’ENTREPRISE (FCPE) ACTIONS EDF

Pris en la personne de son directeur général

Dont le siège social est au [Adresse 4]

[Localité 18]

ASSOCIATION ÉNERGIE EN ACTIONS

Prise en la personne de son président

Dont le siège social est au [Adresse 8]

[Localité 15]

Élisant tous deux domicile au cabinet PELLERIN – DE MARIA – GUERRE

[Adresse 3]

[Localité 11]

Représentés par Me Luca DE MARIA, de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistées de Me Florent SEGALEN, du cabinet SOLON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0504

Ayant pour autres avocats plaidants Maîtres Jérémie CHOURAQUI et Pauline RICARD du cabinet SOLON AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, toque : E0504

L’ASSOCIATION POUR LA DÉFENSE DES ACTIONNAIRES MINORITAIRES (L’ADAM)

Prise en la personne de sa présidente Madame [Z] [U]

Dont le siège social est au [Adresse 9]

[Localité 6]

Élisant domicile au cabinet PELLERIN – DE MARIA- GUERRE

[Adresse 3]

[Localité 11]

Comparant par Mme Colette NEUVILLE, présidente

Représentée par Me Luca DE MARIA, de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

DÉFENDEURS AU RECOURS :

L’ÉTAT FRANÇAIS

Pris en la personne de son Commissaire aux participations de l’État

Agissant par l’intermédiaire de l’Agence des Participations de l’État

Située au [Adresse 1]

[Localité 14]

Élisant domicile au cabinet BAECHLIN MOISAN

[Adresse 10]

[Localité 13]

Représenté par Me Benjamin MOISAN, de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Assisté de Me Jean-Yves GARAUD, du cabinet CLEARY GOTTLIEB STEEN & HAMILTON LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J021

Ayant pour autres avocats plaidants Maîtres Delphine MICHOT et Valentine VITERBO, du cabinet CLEARY GOTTLIEB STEEN & HAMILTON LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : J 21

EDF – ÉLECTRICITÉ DE FRANCE S.A.

Prise en la personne de son président directeur général

Immatriculée au RCS de Paris sous le n° 552 081 317

Dont le siège social est au [Adresse 5]

[Localité 18]

Élisant domicile au cabinet LEXAVOUÉ PARIS – VERSAILLES

[Adresse 20]

[Localité 12]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Florian BOUAZIZ de la SAS BREDIN PRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : T12

Ayant pour autres avocats plaidants Maîtres Benjamin KANOVITCH et Clémence FALLET, de la SAS BREDIN PRAT, avocats au barreau de PARIS, toque : T12

SOCIÉTÉ GÉNÉRALE S.A.

Établissement présentateur et garant

Agissant pour le compte de l’État français

Prise en la personne de ses représentants légaux

Immatriculée au RCS de Paris sous le n° 552 120 222

Dont le siège social est au [Adresse 7]

[Localité 13]

GOLDMAN SACHS BANK EUROPE SE

Succursale de [Localité 21]

Agissant pour le compte de l’État français

Prise en la personne de ses représentants légaux

Immatriculée au RCS de Paris sous le n° 852 790 229

Domiciliée au [Adresse 19]

[Localité 17]

Élisant toutes deux domicile au cabinet de la SCP BAECHLIN

[Adresse 10]

[Localité 13]

Représentées par Me Jeanne BAECHLIN, de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

EN PRÉSENCE DE :

L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Prise en la personne de sa présidente

[Adresse 2]

[Localité 16]

Représentée par Mme Patricia CHOQUET, dûment mandatée

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 23 mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

‘ M. Gildas BARBIER, président de chambre, président,

‘ Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre,

‘ Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale.

ARRÊT PUBLIC :

‘ contradictoire

‘ prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

‘ signé par M. Gildas BARBIER, président de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu la déclaration de recours déposée au greffe le 2 décembre 2022 ensemble par le conseil de surveillance du fonds commun de placement d’entreprise Actions EDF (FCPE Actions EDF), l’association Énergie en actions (Énergie en actions) et l’association pour la défense des actionnaires minoritaires (ADAM) contre la décision n° 222C2537 du 22 novembre 2022 du collège de l’Autorité des marchés financiers ayant déclaré conforme le projet d’offre publique d’achat simplifiée visant les titres de la société Électricité de France (EDF) ;

Vu l’exposé des moyens déposé au greffe le 16 décembre 2022 ensemble par le FCPE Actions EDF et Énergie en actions ;

Vu l’exposé des moyens déposé au greffe le 16 décembre 2022 par l’ADAM et son exposé des moyens rectificatif déposé le 19 suivant ;

Vu les observations en réponse de l’Autorité des marchés financiers (AMF) déposées au greffe le 24 janvier 2023 ;

Vu les observations en réponse de l’État français (l’État) déposées au greffe le 24 janvier 2023 ;

Vu les observations en réponse d’EDF déposées au greffe le 24 janvier 2023 ;

Vu les observations en réplique du FCPE Actions EDF et Énergie en actions déposées au greffe le 16 février 2023 ;

Vu les observations en réplique de l’ADAM déposées au greffe le 16 février 2023 ;

Vu les observations en duplique déposées au greffe par l’État le 9 mars 2023 ;

Vu les observations en duplique déposées au greffe par EDF le 9 mars 2023 ;

Vu l’avis du ministère public du 14 mars 2023 transmis le même jour aux parties ;

Vu les observations en réplique n° 2 du FCPE Actions EDF et Énergie en actions déposées au greffe le 21 mars 2023 ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 23 mars 2023 le conseil du FCPE Actions EDF et d’Énergie en actions, le représentant de l’ADAM, le conseil d’EDF et celui de l’État ainsi que le représentant de l’AMF et le ministère public ;

SOMMAIRE

FAITS ET PROCÉDURE

§ 1

Les parties en présence

§ 2

Le cadre réglementaire des tarifs de vente de l’électricité

§ 6

Genèse de l’OPAS

§ 22

Le dépôt de l’OPAS et la décision de conformité

§ 27

Les recours entrepris

§ 35

MOTIVATION

§ 44

I. SUR LES MOYENS DE LÉGALITÉ EXTERNE

§ 44

II. SUR LES MOYENS DE LÉGALITÉ INTERNE

§ 68

A. Sur les moyens relatifs aux intentions et aux motifs de l’initiateur

§ 68

B. Sur les moyens relatifs à l’action indemnitaire d’EDF contre l’État

§ 93

C. Sur les moyens relatifs aux hypothèses régulatoires retenues par l’expert indépendant

§ 116

1. Les hypothèses régulatoires

§ 127

2. Sur la prise en compte du mécanisme de réplique des coûts

§ 160

D. Sur l’avis motivé du conseil d’administration

§ 181

III. SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

§ 202

PAR CES MOTIFS

§ 202

FAITS ET PROCÉDURE

1.La Cour est saisie de recours formés contre la décision du collège de l’AMF ayant déclaré conforme l’offre publique d’acquisition simplifiée (ci-après « OPAS ») de l’État, agissant par l’intermédiaire de l’Agence des Participations de l’État, sur les titres EDF.

Les parties en présence

2.EDF a été créée en 1946 sous la forme d’un établissement public industriel et commercial (ci-après « EPIC ») pour gérer et exploiter le monopole d’État du marché de la production, du transport et de la fourniture d’électricité. Elle est devenue en 2004 une société anonyme à capitaux publics à la suite de la libéralisation du marché de l’électricité initiée par la Commission européenne dans le cadre du marché unique. Elle a fait son entrée en bourse en 2005 par la voie d’une augmentation de capital au prix de 32 € l’action pour les particuliers, 33 € pour les institutionnels et 25,6 € pour les salariés et anciens salariés.

3.C’est dans ce contexte d’ouverture du capital d’EDF à ses salariés qu’a été institué le fonds commun de placement d’entreprise des actions EDF (FCPE Actions EDF). Au 30 novembre 2022, le FCPE Actions EDF détenait environ 0,86 % du capital d’EDF et 0,90 % de ses droits de vote.

4.L’association Énergie en actions, créée en 2006, a pour objet la représentation et la défense des intérêts des salariés et anciens salariés actionnaires du groupe EDF. Elle est par ailleurs actionnaire à titre personnel d’EDF, dont elle détient 4 actions.

5.L’ADAM, association dont l’objet est de défendre les intérêts des investisseurs, détient quant à elle une seule et unique action d’EDF.

Le cadre réglementaire des tarifs de vente de l’électricité

6.Les tarifs de vente de l’électricité d’EDF sont réglementés au profit de deux catégories d’utilisateurs qui choisissent d’y recourir : les clients résidentiels (les particuliers), les clients non résidentiels dont les besoins et le chiffre d’affaires sont inférieurs à certains seuils (36kVA). Ces tarifs réglementés (TRVE ou tarif bleu), fixés par un arrêté ministériel sur proposition de la Commission de la régulation de l’énergie (CRE), sont construits notamment à partir du prix de l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique).

7.Le dispositif de l’ARENH impose à EDF de réserver aux fournisseurs alternatifs un accès à une partie de son électricité nucléaire à un tarif régulé. Il a été introduit par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 prévoyant une nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, alors que la France faisait l’objet d’une procédure engagée le 13 juin 2007 par la Commission européenne pour manquement à la prohibition des aides d’État que constitueraient les tarifs réglementés appliqués à des clients non résidentiels et les tarifs dits « de retour » (tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, « TaRTAM »). Dans le cadre de cette procédure, la Commission avait fait le constat qu’EDF produisait de l’électricité nucléaire à des coûts bien inférieurs à ceux des autres technologies de production, comme le thermique (centrale au gaz ou au charbon, largement majoritaire en Allemagne), lui donnant ainsi un avantage significatif par rapport à ses autres concurrents, et ce d’autant que, du fait de l’interconnexion avec les États membres voisins, le prix de gros de l’électricité est fixé au niveau régional (Allemagne, France et Benelux) et se trouve ainsi largement déterminé par le coût de fonctionnement des centrales à gaz et à charbon. Selon la Commission, cette situation conférait ainsi un avantage concurrentiel au nucléaire, sous forme de rente dans la fixation des prix alors qu’aucun concurrent effectif ou potentiel ne bénéficiait de telles conditions et ne pourrait avant plusieurs décennies, se doter d’un parc de production à bas coûts représentant une fraction significative de celui d’EDF.

8.L’État s’est engagé à abroger les TaRTAM immédiatement, et à mettre fin à l’application des TRVE aux moyens et grands consommateurs au plus tard le 31 décembre 2015 (abrogation intervenue le 1er janvier 2016). Il a, au cours de la procédure, adopté la loi NOME ayant instauré l’ARENH afin de permettre aux concurrents d’EDF de faire des offres à des prix comparables à ceux qui sont proposés par EDF, d’assurer ainsi une concurrence effective et, à terme, de rendre superflu le maintien des tarifs réglementés.

9.Par sa décision du 12 juin 2012, la Commission européenne, en considération de ces engagements d’abrogation des tarifs litigieux et de la mise en place de l’ARENH, a mis fin à la procédure.

10.Applicable depuis janvier 2012 et devant prendre fin le 31 décembre 2025, le mécanisme de l’ARENH impose ainsi à EDF d’approvisionner en électricité les fournisseurs alternatifs qui en font la demande auprès de la CRE, dans la limite d’un plafond initialement fixé à 100 TWh par an, correspondant alors à environ 25 % de la production d’électricité nucléaire, plafond pouvant être augmenté à 150 TWh depuis le 1er janvier 2020 en application de la loi Énergie Climat du 8 novembre 2019.

11.Le prix de l’ARENH doit refléter les conditions économiques de production d’électricité issue des centrales nucléaires d’EDF. Il a été fixé en 2012 à 42,0 €/MWh.

12.Dans le cas où la demande totale d’approvisionnement en électricité par les fournisseurs alternatifs dans le cadre de l’ARENH excéderait le volume pouvant être cédé (actuellement fixé à 100 TWh), il est prévu un écrêtement de l’excédent au prorata des engagements des fournisseurs alternatifs envers leurs clients.

13.Dans un contexte de hausse significative des coûts d’approvisionnement en électricité, liée à la reprise économique au second semestre 2021 et au conflit russo-ukrainien au début de l’année 2022, la CRE a, dans sa délibération du 18 janvier 2022, proposé aux ministres de l’énergie et de l’économie de faire évoluer le TRVE de +44,5 % HT pour les consommateurs résidentiels et de +44,7 % HT pour les consommateurs professionnels pouvant bénéficier de ce tarif.

14.Pour protéger les consommateurs, le Gouvernement a mis en place plusieurs mesures consistant, notamment, à augmenter le volume de l’ARENH pour les fournisseurs alternatifs sur l’année 2022.

15.L’augmentation du plafond de l’ARENH a été mise en ‘uvre par un décret du 11 mars 2022 et deux arrêtés du même jour, qui l’ont porté de manière exceptionnelle et uniquement pour l’année 2022 à 120TWh et fixé son prix à 46,2 euros/MWh.

16.L’attribution de ces volumes additionnels d’électricité nucléaire est subordonnée à l’engagement des fournisseurs alternatifs de revendre un volume équivalent d’électricité à EDF, à un prix égal à la moyenne des cours constatés sur le marché de gros français enregistré entre le 2 et le 23 décembre 2021.

17.Ces textes ont fait l’objet d’un recours en annulation pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État par le FCPE Actions EDF et Énergie en actions le 14 avril 2022.

18.Le 9 août 2022, EDF, à son tour, a saisi le Conseil d’État d’un recours aux mêmes fins.

19.Le même jour, elle a saisi l’État d’une demande indemnitaire en relation avec ce dispositif de l’ARENH+ pour un montant total de 8,34 Mds€.

20.La loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat prévoit en son article 40, I, que le prix de l’électricité cédée en application du dispositif de l’ARENH ne peut être inférieur 49,5 euros/MWh. Elle précise en son article 40, II, que cette mesure prendra effet « à compter du premier jour du mois suivant un délai d’un mois après la date de réception par le Gouvernement de la réponse de la Commission européenne permettant de considérer le I du présent article comme étant conforme au droit de l’Union européenne. »

21.Elle a donc fixé le seuil du prix de l’ARENH à 49,5 €/MWh, sous réserve de confirmation par la Commission européenne de la conformité de cette disposition au droit de l’Union européenne.

Genèse de l’OPAS

22.Lors d’un discours de politique générale devant l’Assemblée nationale le 6 juillet 2022, la Première ministre a annoncé l’intention de l’État d’acquérir 100 % du capital d’EDF. Le cours d’EDF s’établissait à 7,84 euros.

23.Par un communiqué de presse publié le 19 juillet 2022, l’État, qui détenait de concert avec l’EPIC Bpifrance 83,69 % du capital, 89,24 % des droits de vote et 40 % des obligations convertibles en actions nouvelles ou existantes à échéance 2024 (« OCEANEs ») d’EDF, a annoncé son intention de déposer un projet d’OPAS des actions EDF au prix de 12 euros par action et de 15,52 euros par OCEANE, suivie d’un retrait obligatoire si, à l’issue de cette offre publique, les conditions prévues à l’article L. 433-4,II et III, du code monétaire et financier et précisées aux articles 237-1 à 237-3 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers (RGAMF) étaient réunies.

24.Le communiqué précisait que le dépôt de l’OPAS était conditionné à la promulgation d’une loi de finances rectificative pour 2022 portant au Compte d’affectation spéciale pour les « Participations financières de l’État » les crédits budgétaires nécessaires à l’offre, laquelle a été promulguée le 17 août 2022 (loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022).

25.Le même jour, 19 juillet 2022, l’AMF a publié un communiqué marquant l’ouverture de la période de préoffre et, de son côté, le conseil d’administration d’EDF a constitué en son sein un comité ad hoc composé de trois administrateurs indépendants et d’un administrateur élu par les salariés et l’a investi de la mission :

‘ de lui proposer la désignation d’un expert indépendant chargé d’établir un rapport sur les conditions financières de l’offre de l’État et de se prononcer sur le caractère équitable (ou non) de cette dernière ;

‘ d’assurer le suivi des travaux de cet expert indépendant ;

‘ d’émettre une recommandation sur l’intérêt de l’Offre pour la société, ses actionnaires, les porteurs d’OCEANEs et les salariés et ce, afin de lui permettre d’émettre un avis motivé sur le projet d’Offre de l’État.

26.Le 27 juillet 2022, le conseil d’administration d’EDF a désigné l’expert indépendant proposé par le comité ad hoc.

Le dépôt de l’OPAS et la décision de conformité

27.Le 4 octobre 2022, la société Goldman Sachs Bank Europe SA et la Société générale ont déposé, pour le compte de l’État, agissant par l’intermédiaire de l’Agence des participations de l’État, le projet d’OPAS à l’AMF ainsi que le projet de note d’information de l’État, comme le prévoit l’article 231-18 du RGAMF.

28.Le projet de note en réponse d’EDF, prévu à l’article 231-19 du RGAMF, a été déposé le 27 octobre 2022.

29.Il mentionnait le recours formé le 9 août 2022 par EDF devant le Conseil d’État en annulation du décret et des arrêtés de mars 2022 mettant en ‘uvre l’augmentation du plafond de l’ARENH et l’action indemnitaire subséquente de 8,34 milliards d’euros engagée le 27 octobre 2022 par EDF contre l’État devant le tribunal administratif de Paris.

30.Ce projet de note en réponse comprenait, en application de l’article 231-19, 3° du RGAMF, le rapport de l’expert indépendant du 26 octobre 2022, lequel concluait à l’équité des prix proposés (actions et OCEANEs) dans le cadre de l’OPAS, y compris en cas de mise en ‘uvre d’un retrait obligatoire. Il comprenait également, en application de l’article 231-19, 4° du RGAMF, l’avis motivé du conseil d’administration d’EDF du 27 octobre 2022, lequel était favorable à l’offre. Cette délibération a fait l’objet d’une action en annulation par FCPE Actions EDF et Énergie en actions, devant le tribunal de commerce de Paris, lequel l’a rejetée par un jugement du 16 décembre 2022.

31.À la demande de l’AMF, l’expert indépendant a complété son rapport par un addendum du 18 novembre 2022 et une note complémentaire du 22 novembre suivant pour répondre aux observations formulées par des actionnaires minoritaires au cours de la procédure d’examen, dont les demandeurs au recours.

32.Par une délibération du 20 novembre 2022, le conseil d’administration d’EDF a décidé, après avoir examiné l’addendum du 18 novembre 2022 au rapport de l’expert indépendant et pris connaissance de l’avis du comité ad hoc sur cet addendum, que son avis motivé du 27 octobre 2022 n’était pas remis en cause. (pièce n° 17 d’EDF).

33.Cette délibération a été précédée d’un avis du comité des nominations, des rémunérations et de la gouvernance d’EDF, qui examinant les critiques de certains actionnaires minoritaires, selon lesquelles M. [V] en sa qualité de président directeur général et M. [T] en sa qualité de successeur annoncé étaient dans une situation de conflit d’intérêts leur interdisant de participer au vote portant sur l’OPAS, a considéré que ces critiques n’étaient pas fondées.

34.Par une décision du 22 novembre 2022, publiée sur son site le lendemain, l’AMF a déclaré conforme le projet d’OPAS, cette décision de conformité emportant visa du projet de note d’information de l’État sous le n° 22-464. Le même jour, l’AMF a apposé le visa n° 22-464 sur le projet de note en réponse d’EDF.

Les recours entrepris

35.Le FCPE Actions EDF, Énergie en actions et l’ADAM ont formé un recours contre cette décision de conformité.

36.Aux termes de leur exposé des moyens, ils demandent à la Cour, à titre principal de l’annuler ou de la réformer, et à titre subsidiaire, de l’annuler ou de la réformer en ce qu’elle permet à l’État de mettre en ‘uvre la procédure de retrait obligatoire en cas de réunion des conditions de seuil fixées par l’article 433-4 II du code monétaire et financier et les dispositions d’application du RGAMF.

37.Aux termes de leurs observations en réplique, les demandeurs limitent l’objet de leur recours à l’annulation de la décision attaquée.

38.EDF demande à la Cour de rejeter les demandes d’annulation formées à titre principal et subsidiaire et de condamner le conseil de surveillance du FCPE Actions EDF, Énergie en actions et l’ADAM à lui payer chacun la somme de 10 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

39.L’État, agissant par l’intermédiaire de l’APE, demande à la Cour de rejeter les recours et de condamner chacun de leur auteur à lui payer la somme de 25 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

40.L’AMF considère que les recours doivent être rejetés.

41.Le ministère public invite la Cour à rejeter les recours.

42.À la date à laquelle la Cour statue, l’offre était clôturée provisoirement depuis le 3 février 2023 et l’État détenait alors 95,82 % du capital et au moins 96,53 % des droits de vote.

43.Ce même 3 février 2023, le Conseil d’État a rejeté les recours en annulation formé par EDF contre le décret et les arrêtés relatifs à l’augmentation du plafond de l’ARENH.

MOTIVATION

I. SUR LES MOYENS DE LÉGALITÉ EXTERNE

44.L’ADAM soutient que la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée en ce que l’AMF n’apporte pas de réponse aux critiques qu’elle a formulées au cours de la procédure d’examen du projet d’OPAS de sorte qu’elle n’est pas en mesure d’en comprendre le sens et la portée.

45.En premier lieu, elle reproche une insuffisance de motivation s’agissant des conditions financières de l’offre, l’AMF n’ayant pas indiqué les raisons pour lesquelles le contexte pris en compte est limité à la seule situation contemporaine de l’offre, sans tenir compte des décisions passées défavorables prises par l’État, ni des perspectives d’avenir de la société, et pourquoi le prix d’introduction en bourse du titre EDF a été exclu des références de valorisation.

46.En deuxième lieu, elle reproche à l’AMF d’avoir validé les travaux d’évaluation de l’expert sans indiquer les raisons de son choix de valider la période retenue par ce dernier pour mettre en ‘uvre la méthode basée sur l’analyse de l’évolution du cours de bourse d’EDF.

47.En troisième lieu, l’ADAM soutient que la décision n’est pas suffisamment motivée s’agissant de l’indépendance de l’expert, de l’avis motivé du conseil d’administration et du caractère équitable du prix.

48.L’AMF réplique que la décision attaquée satisfait en tous points aux exigences jurisprudentielles dont il résulte que la décision de conformité n’a pas à répondre à chacune des critiques formulées par les actionnaires minoritaires en cours d’examen de l’offre, mais comporte l’énoncé complet des informations et données pertinentes ayant servi de base à sa décision et permettant aux personnes intéressées d’en comprendre la logique, le sens et la portée.

49.L’État et EDF partagent l’analyse de l’AMF. Ils ajoutent que le défaut de motivation allégué renvoie à des critiques auxquelles l’expert a déjà répondu et consiste en réalité à remettre en cause l’attestation d’équité établie par ce dernier.

50.Le ministère public considère que la décision attaquée satisfait aux exigences de motivation applicables en la matière.

Sur ce, la Cour :

51.Aux termes de l’article 231-23 du RGAMF, lorsque le projet d’offre satisfait aux exigences des articles 231-21 et 231-22, l’AMF publie sur son site une déclaration de conformité motivée qui emporte visa de la note d’information.

52.Pour satisfaire à cette obligation de motivation, il appartient à l’AMF d’énoncer les considérations de fait et de droit servant de fondement à sa décision, permettant aux personnes intéressées d’en comprendre la logique, le sens et la portée et à la juridiction de recours d’exercer son contrôle.

53.Cette exigence de motivation n’emporte pas l’obligation de répondre à toutes les observations ou critiques formulées par des actionnaires au cours de la procédure d’examen de l’offre.

54.Elle est satisfaite dès lors que la décision de conformité énonce les éléments déterminants ayant conduit l’AMF à considérer que la note d’information et la note en réponse comportent les éléments exigés par son règlement général et précisés dans ses instructions, et en particulier, s’agissant des conditions financières de l’offre, que le rapport de l’expert indépendant sur le caractère équitable du prix de l’offre repose sur une analyse multicritères fondée sur des éléments pertinents, cohérents et adaptés à la situation de la société, comme le prévoit la recommandation AMF DOC-2006-15.

55.En l’espèce, la décision attaquée, après avoir résumé les principales critiques des actionnaires minoritaires, relève que « les conditions financières de l’offre, telles qu’appréciées notamment au regard du rapport de l’expert indépendant, résultent d’une analyse multicritères menée en tenant compte de la situation contemporaine de l’offre, cette analyse ne pouvant être menée sans tenir compte des décisions prises par l’État français dans ses missions de régulation du secteur de l’énergie, étant observé que cette situation est une donnée de fait qui ne peut être ignorée et qui a été clairement identifiée au fil du temps dans la documentation de la société comme facteur[s] de risque, de même que ne peuvent être ignorées les difficultés opérationnelles rencontrées par la société ÉLECTRICITÉ DE FRANCE ; qu’en outre le prix auquel la société a été introduite en bourse en 2005 ne peut être considéré comme une référence pertinente »

56.L’AMF a ainsi répondu aux principales critiques formulées par l’ADAM au cours de la procédure en considérant, d’une part, que l’analyse de l’expert indépendant, menée au regard de la situation d’EDF à la date de l’offre, a nécessairement tenu compte des décisions prises par l’État en intégrant les contraintes de la régulation sectorielle applicable, que le marché et les actionnaires ne pouvaient ignorer les risques réglementaires attachés à ces missions de régulation, lesquels avaient été clairement identifiées, comme étaient également connues les difficultés opérationnelles d’EDF et, d’autre part, que le prix d’introduction en bourse était trop ancien pour constituer une référence pertinente.

57.L’AMF n’avait pas à motiver davantage sa décision dès lors qu’elle considérait, ainsi que cela ressort des motifs de sa décision, que le rapport de l’expert indépendant, l’addendum et la note complémentaire répondaient de manière suffisante aux autres critiques des actionnaires minoritaires comme celles relatives à la période retenue pour mettre en ‘uvre la méthode fondée sur l’analyse des cours de bourse (en pages 5 et suivantes de l’addendum), à l’abandon du projet dit « Hercule » (pages 9 et suivantes de l’addendum), à l’absence de prise en compte, dans la méthode de la somme des parties, de l’augmentation de 15 % des tarifs réglementés à partir de janvier 2023, telle qu’annoncée par le Gouvernement en août 2022 (page 2 de la note complémentaire), et de la hausse à 49,5 € du tarif de l’électricité vendue dans le cadre de l’ARENH (pages 116 du rapport et 11 et suivantes de l’addendum), du programme du nouveau nucléaire français (page 122 du rapport).

58.S’agissant des travaux d’analyse de l’expert indépendant et du caractère équitable de l’offre, il convient, à titre liminaire, de rappeler que la recommandation AMF DOC-2006-15 préconise, afin d’apprécier le caractère équitable du prix proposé par l’initiateur de l’offre, en particulier lorsque l’offre sera suivie d’un retrait obligatoire, de recourir à plusieurs méthodes et critères d’évaluation objectifs et reconnus par la pratique, afin de s’assurer d’une valorisation fidèle et raisonnable de l’entreprise et d’éviter ainsi le recours à une seule méthode qui privilégierait l’initiateur. Ainsi, contrairement à ce que soutient l’ADAM, l’AMF pouvait déduire le caractère équitable de l’offre en se fondant sur les travaux d’analyse menés par l’expert indépendant et par l’initiateur dès lors qu’ils reposaient sur une analyse multicritères fondée sur des méthodes et critères cohérents et adaptés à la situation d’EDF.

59.Dans la décision attaquée, l’AMF a ainsi relevé que les travaux d’évaluation, notamment ceux de l’expert indépendant « résultent d’une analyse multicritères dont la somme des parties constitue la méthode principale, laquelle est particulièrement adaptée aux caractéristiques de la société ÉLECTRICITÉ DE FRANCE, intervenant dans des activités et des marchés très différents et tenant compte de ses perspectives d’activité ; que si les méthodes analogiques ont été rejetées, c’est au motif légitime qu’il n’existe pas de comparables à la société et que la mise en ‘uvre de cette méthode aboutit in fine à des résultats dans des fourchettes larges qui rendent toute interprétation de ceux-ci impossible ; que le cours de bourse constitue un bon indicateur de la valorisation de la société, le marché de l’action étant liquide et faisant l’objet d’un suivi régulier par les analystes financiers, les différentes moyennes prises au 12 janvier 2022 (veille de l’annonce du dispositif d’attribution complémentaire d’un volume maximal de 20 TWh d’électricité vendue à prix réglementé du 1er avril au 31 décembre 2022, et du report tarifaire) ou au 5 juillet 2022 (veille de la déclaration de la Première ministre sur l’intention de l’État français de détenir l’intégralité du capital de la société) étant toutes inférieures aux prix de l’offre publique, sur des périodes suffisamment longues pour que le marché intègre les communications faites sur la société et par cette dernière ; que les hypothèses (notamment ayant trait aux hypothèses de régulation et de capacité de production d’électricité d’origine nucléaire par la société) retenues paraissent cohérentes et ont fait l’objet d’études de sensibilité qui permettent de conforter le prix retenu pour l’action ».

60.Contrairement à ce que prétend l’ADAM, ces motifs permettent de comprendre les raisons pour lesquelles l’AMF a considéré que les travaux de l’expert étaient pertinents et cohérents, et notamment, en quoi la période retenue pour l’analyse des cours de bourse était suffisante et en quoi les méthodes d’évaluation retenues par ce dernier ‘ la méthode de la somme des parties par l’actualisation des flux de trésorerie prévisionnels pour chaque activité d’EDF ‘ et les hypothèses sous-jacentes, étaient adaptées à cette dernière. En outre, l’AMF a relevé, dans la décision attaquée, qu’hormis le plan de cession déjà annoncé par EDF en février 2022 sur 2022-2024 à hauteur de 3 milliards d’euros, aucun autre plan de cession n’était prévu pour les douze prochains mois. Ce faisant, l’AMF a pris acte de ce que le projet dit « HERCULE » a été abandonné par l’État et que ni ce dernier, ni EDF n’ont annoncé de projet de restructuration du groupe impliquant une cession d’activité.

61.Sous couvert d’un grief non fondé de défaut de motivation, l’ADAM conteste en réalité le bien-fondé de l’évaluation multicritères, et en particulier les hypothèses régulatoires retenues, ainsi que la cohérence de ces hypothèses avec les intentions de l’initiateur et son plan d’affaire, lesquels font l’objet de moyens de légalité interne de la part de l’ADAM, moyens qui seront examinés en partie II du présent arrêt.

62.Quant au moyen invoquant une insuffisance de motivation sur l’indépendance de l’expert, force est de constater que ce dernier, en page 14 de son rapport, a indiqué être indépendant au sens des articles 261-1 et suivants du RGAMF, être en mesure à ce titre d’établir la déclaration d’indépendance prévue par l’article 261-4 de ce même règlement et ne se trouver notamment dans aucun des cas de conflit d’intérêts visés à l’article 1 de l’instruction AMF n° 2006-08.

63.L’AMF, au regard de cette mention, et en l’absence d’éléments de nature à la remettre en cause, a, à juste titre, considéré qu’elle pouvait apprécier la conformité de l’offre au regard de ce rapport, conformément à l’article 231-21, 5° du RGAMF sans qu’elle soit tenue de motiver sa décision sur ce point.

64.Ce constat ne saurait être remis en cause par la seule circonstance que cet expert a effectué dans les dix-huit mois une expertise pour un initiateur dont l’offre a été présentée par la Société générale, une des banques présentatrices de l’offre litigieuse, comme il le mentionne en page 191 de son rapport. En effet, cette seule mission n’est pas de nature à établir un lien de dépendance de cet expert à l’égard des personnes concernées par l’offre. Comme le rappelle l’article 261-4 du RGAMF si la fréquence des interventions d’un expert avec le ou les mêmes établissements présentateurs ou au sein du même groupe est susceptible d’affecter son indépendance, il ne saurait être déduit d’une intervention unique et de cette seule circonstance que l’indépendance de l’expert fait défaut.

65.Enfin, contrairement que ce que semble suggérer l’ADAM, cette circonstance ne caractérise pas davantage la situation de conflits d’intérêts identifiée à l’article 1, 3° de l’instruction AMF n° 2006-08 sur l’expertise indépendante qui vise l’hypothèse où l’expert aurait conseillé une des personnes concernées par l’offre dans les dix mois précédant sa désignation, les personnes concernées par l’offre étant l’initiateur et la société cible au sens de l’article du 231-2 RGAMF et non une banque présentatrice. L’AMF n’était donc pas tenue de consacrer des motifs particuliers à cette question.

66.S’agissant du grief relatif au traitement par l’expert indépendant de la situation de conflits d’intérêts, ce grief, sous couvert d’une insuffisance de motivation, conteste en réalité la conformité du rapport de l’expert indépendant à la réglementation applicable et relève ainsi à nouveau d’une appréciation de fond. Étant repris par l’ADAM dans un moyen de légalité interne, il sera examiné en partie II du présent arrêt.

67.Le moyen pris d’une motivation insuffisante est rejeté.

II. SUR LES MOYENS DE LÉGALITÉ INTERNE

A. Sur les moyens relatifs aux intentions et aux motifs de l’initiateur

68.L’ADAM reproche à l’AMF plusieurs manquements à la réglementation relatifs aux intentions et aux motifs de l’initiateur.

69.En premier lieu, elle soutient que l’AMF n’a pas examiné les motifs et les intentions de l’initiateur, en faisant valoir que ces éléments ne figurent pas parmi ceux dont elle indique avoir pris connaissance dans la décision de conformité, alors que cet examen est exigé par l’article 231-21 du RGAMF et lui aurait permis de constater la contradiction flagrante entre le changement de stratégie qui constitue le motif de l’opération et l’absence d’intentions précises quant au plan d’affaires à mettre en ‘uvre et aux réformes à entreprendre pour réaliser ce changement.

70.Sur ce dernier point, l’ADAM fait valoir que les motifs et les intentions de l’initiateur ne respectent pas la cohérence exigée au point 3 de l’instruction AMF n°2006-07. Selon elle, les motifs de l’opération tels que présentés dans la note d’information qui renvoie notamment au discours du Président de la République à Belfort, consistent à mener une politique accélérée de développement du nucléaire à l’opposé du désengagement poursuivi depuis une quinzaine d’années, et avec le souci d’indépendance et de souveraineté énergétique, à la différence de la politique d’échanges et de complémentarité avec les pays voisins pratiquée jusque-là en matière d’énergie. Cette volonté exprimée d’un changement majeur de stratégie n’est pas cohérente avec les intentions de l’initiateur pour les douze mois à venir qui déclare, dans la note d’information, qu’aucune décision n’a été prise s’agissant de la réforme du modèle d’affaires ou de l’organisation du groupe.

71.En deuxième lieu, elle expose que l’absence de plan d’affaires contrevient aux dispositions de l’instruction AMF n° 2006-08 et a des conséquences très graves pour les minoritaires : la valorisation de la société a été calculée à partir de scénarios et d’extrapolations ne tenant pas compte des changements de stratégie et surtout excluant du calcul le Nouveau Nucléaire Français (NNF), pièce maîtresse du nouvel EDF, annoncé par le Président de la République dans son discours de Belfort. Elle souligne que l’incohérence entre les objectifs de l’opération et les intentions ‘ ou plutôt l’absence d’intentions relatives à l’exécution de la stratégie définie dans les motifs ‘ constitue le vice majeur de l’offre de l’État : le prix de l’offre a ainsi été établi, s’agissant de la somme des parties retenue comme critère principal de valorisation, « dans une optique de continuité stratégique », sans tenir compte des perspectives d’avenir à attendre des changements radicaux de stratégie dont les actionnaires expropriés vont être privés. L’intention de l’État étant de mettre en ‘uvre un retrait obligatoire si les résultats de son offre le permettent, l’indemnisation à laquelle auront droit les minoritaires ne saurait se baser sur des scénarios qui sont d’avance obsolètes ‘ parce que voués à être profondément modifiés ‘ dès que le modèle d’affaires et les réformes à mettre en place seront dévoilés. L’ADAM en déduit que le fait que l’AMF n’ait pas relevé ces différents manquements à la réglementation alors qu’ils ont des conséquences préjudiciables sur la valorisation de la société, a fortiori dans une perspective de retrait obligatoire, doit conduire à l’annulation de sa décision de conformité et des visas qu’elle emporte.

72.FCPE Actions EDF et Énergie en actions font valoir, de leur côté, que les principes de transparence et d’intégrité du marché n’ont pas été respectés, en ce que la note d’information de l’initiateur n’est pas complète et cohérente sur la stratégie et la politique industrielle, commerciale et financière d’EDF, dès lors qu’elle se borne à indiquer que le projet dit « Hercule » de démantèlement du groupe EDF n’est plus d’actualité et à faire référence au discours du Président de la République du 10 février 2002 annonçant le lancement d’un programme de construction de six EPR2 et d’études pour huit EPR2 additionnels d’ici à 2050. En restant évasive sur la stratégie à long terme d’EDF et ses perspectives de développement futur, la note d’information crée une situation d’incertitude pour les actionnaires minoritaires et porte atteinte à la transparence du marché dans la mesure où ces derniers ne disposent pas du niveau d’information leur permettant de déterminer s’il est préférable pour eux d’apporter ou non leurs actions EDF à l’offre ou de les conserver pour bénéficier d’une création de valeur future.

73.L’État répond, d’abord, que l’article 231-21 du RGAMF exige uniquement que l’AMF examine les objectifs et intentions de l’initiateur et non qu’elle indique expressément avoir procédé à cet examen dans sa décision de conformité, et qu’en tout état de cause, elle précise avoir pris connaissance du projet de note d’information de l’initiateur qui indique ses objectifs et ses intentions.

74.Il expose, ensuite, qu’il résulte de l’article 231-18 du RGAMF et de l’instruction AMF n° 2006-07 que l’obligation d’informer le marché et les actionnaires sur la stratégie et la politique industrielle et financière s’apprécie à la mesure des éléments et des données dont dispose l’initiateur au moment du dépôt de son projet d’offre, et qu’en l’espèce, la note d’information présente bien toutes les informations dont il disposait alors sur la stratégie qu’il souhaite développer pour EDF. Il ajoute qu’il ne pouvait aller plus loin dans la description de ses intentions, les chantiers d’élaboration du NNF et de la réforme de la nouvelle régulation du marché européen étant aux prémices, de sorte qu’il n’était pas incohérent que la note d’information précise qu’un tel projet à long terme n’est pas encore, à l’heure actuelle, à un stade suffisamment avancé et déterminé pour susciter, dans les douze prochains mois, une réforme du plan d’affaires d’EDF.

75.Il fait valoir, enfin, que les perspectives ainsi que la stratégie future d’EDF ont bien été prises en compte dans sa note d’information, qui se fonde sur un « business plan » à jour de la société et s’appuie sur une valorisation dite par la somme des parties, utilisée à titre principal par les banques présentatrices. Cette méthode repose par définition sur les perspectives futures de la société lesquelles sont présentées de manière détaillée dans la note d’information. Il ajoute que sa décision de ne pas prendre en compte le programme NNF dans son exercice de valorisation a déjà été amplement détaillée et justifiée dans sa note d’information, ces « chantiers à long-terme » restant encore au stade de l’étude.

76.EDF soutient pour sa part que l’AMF a procédé à l’examen des « objectifs et intentions » de l’initiateur, ainsi qu’il résulte des motifs de sa décision qui fait expressément référence à certains de ces objectifs et intentions de l’initiateur, comme la mise en ‘uvre d’un retrait obligatoire et l’absence de tout plan de cession, ce qui démontre que l’AMF a bien pris connaissance des objectifs et intentions de l’initiateur.

77.Elle ajoute qu’il n’existe aucune contradiction entre la volonté annoncée de l’initiateur de mener une « politique accélérée de développement du nucléaire » et le fait que sa note d’information précise qu’« aucune décision n’a été prise à ce stade s’agissant des réformes du modèle d’affaires et de l’organisation du groupe » dès lors que, comme la note d’information le précise, la politique accélérée de développement du nucléaire français implique le lancement d’un programme de construction de six EPR2 et d’études pour huit EPR2 additionnels d’ici à 2050 et que ce programme doit « par ailleurs éventuellement faire l’objet de discussions avec la Commission européenne ».

78.L’AMF partage cette analyse et observe que les objectifs et intentions de l’État, tels que mentionnés dans la note d’information, ne sauraient être qualifiés d’incohérents, car ils ne couvrent pas les mêmes horizons de temps. En effet, l’initiateur peut à la fois déclarer, et sans se contredire, que pour les douze mois à venir, il n’a pris, « à ce jour, aucune décision s’agissant de réformes du modèle d’affaires ou de l’organisation du Groupe », et faire état de sa volonté de mener une politique accélérée pour des chantiers de long terme, qui, au cas particulier, « engageront l’entreprise pour les décennies à venir », comme notamment « la construction de six European Pressurized Reactor 2 (« EPR 2 ») d’ici 2050 ».

79.Le ministère public développe une argumentation similaire et considère que le moyen doit être rejeté.

Sur ce, la Cour :

80.En premier lieu, si l’article 231-21 du RGAMF impose à l’AMF, pour procéder à son contrôle de conformité, d’examiner notamment les objectifs et les intentions de l’initiateur, il ne lui impose ni de les rappeler dans la décision de conformité, ni de mentionner expressément s’être livrée à un tel examen, lequel peut s’induire des motifs de sa décision.

81.En tout état de cause, en l’espèce, il résulte des motifs de la décision attaquée que l’AMF a déclaré conforme le projet d’OPAS « connaissance prise des objectifs et intentions de l’initiateur notamment en ce qui concerne l’intention de mettre en ‘uvre un retrait obligatoire si les conditions sont réunies et qu’aucun autre plan de cession n’est prévu pour les douze prochains mois hormis celui d’ores et déjà annoncé par la société ».

82.Ainsi, contrairement à ce que soutient l’ADAM, l’AMF a examiné les objectifs et intentions de l’initiateur, tels qu’exposés dans la note d’information dont elle a indiqué également expressément avoir pris connaissance. L’emploi de l’adverbe « notamment » atteste de ce que cet examen ne s’est pas borné à la seule volonté de l’initiateur de mettre en ‘uvre un retrait obligatoire et de ne pas procéder à des cessions d’actifs autres que celles déjà annoncées.

83.En second lieu, aux termes de l’article 231-18 du RGAMF, le projet de note d’information de l’initiateur doit indiquer « ses intentions pour une durée couvrant au moins les douze mois à venir relatives à la politique industrielle et financière des sociétés concernées ». L’instruction AMF n° 2006-07 précise la nature et la portée de cette obligation de la manière suivante : « il s’agit de décrire les motifs de l’offre, dans la limite des données dont l’initiateur a connaissance et en cohérence avec ses intentions en matière de politique industrielle, sociale et financière ».

84.Il résulte de ce cadre réglementaire que l’obligation de l’initiateur d’informer le marché et les actionnaires sur sa stratégie et sa politique industrielle et financière s’apprécie à la mesure des éléments et des données dont il dispose au moment du dépôt de son projet d’offre.

85.En l’espèce, la note d’information renvoie, s’agissant des intentions de l’initiateur, à son souhait de planifier et investir sur le très long terme les moyens de production, de transport et de distribution d’électricité et « de mener de manière accélérée plusieurs chantiers décisifs annoncés par le président de la République dans son discours de Belfort, notamment le programme de construction de six réacteurs de technologie European Pressurized Reactor 2 (« EPR2 ») d’ici 2050 ».

86.Elle indique qu’aucune décision n’a été prise à ce stade s’agissant de la réforme du modèle d’affaire ou de l’organisation du groupe tout en précisant que le projet Hercule n’est plus d’actualité et que sont à l’étude plusieurs chantiers de long-terme : la réforme du marché européen de l’électricité, la mise en ‘uvre d’une nouvelle régulation du nucléaire, les modalités d’organisation, de financement et de régulation du programme NNF, s’agissant notamment de la construction de six EPR2 et de l’étude pour huit EPR2 pour lesquels elle précise qu’aucune décision d’investissement n’a été prise à ce stade et que ce programme doit par ailleurs éventuellement faire l’objet de discussions avec la Commission européenne, et enfin l’avenir des concessions hydroélectriques exploitées par EDF.

87.Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs au recours, cette note n’est ni incohérente ni évasive mais informe le marché des différents projets en cours tout en soulignant et expliquant que la concrétisation de ceux annoncés par le Président de la République et, en particulier le lancement de la construction de nouvelles installations de production d’électricité nucléaire, constitue un chantier à long terme dont l’organisation et le financement sont encore à l’étude compte tenu notamment de la complexité technique du programme, du niveau significatif des investissements à réaliser et du cadre réglementaire applicable.

88.C’est donc sans se contredire que l’initiateur, tout en manifestant une volonté de relancer la construction de centrales nucléaires, a pu indiquer qu’aucune décision n’avait été prise à ce stade, ni dans les douze mois à venir, sur une réforme du modèle d’affaire ou sur l’organisation du groupe et ce, d’autant, que ces derniers sont également susceptibles d’être affectés par d’autres chantiers à long terme, comme la réforme de la régulation du nucléaire et du marché européen de l’électricité dont la réalisation ou à tout le moins les grandes lignes d’orientation ne pourront être fixées dans les douze mois de l’offre.

89.Pour les mêmes motifs, la méthode de la valorisation dite de la somme des parties a pu être mise en ‘uvre à partir d’un plan d’affaires s’inscrivant dans la continuité de celui existant.

90.Sur ce point, force est de constater que la note d’information de l’initiateur expose, en page 43, de manière détaillée les raisons pour lesquelles les trajectoires financières mobilisées pour mettre en ‘uvre la méthode de valorisation précitée excluent le programme NNF. Ces raisons tiennent pour l’essentiel au niveau d’incertitude significatif de certains paramètres d’ordre technologique, opérationnel, réglementaire et financier de ce programme.

91.De son côté, le rapport de l’expert indépendant figurant en annexe de la note en réponse d’EDF explique ne pas avoir intégré le programme NNF dans ses travaux d’évaluation en raison de l’absence de scénario de référence précis, en l’état d’un avancement limité des projets, et des nombreuses incertitudes entourant les modalités de leur mise en ‘uvre (nombre de réacteurs, devis définitifs, financement, mode de rémunération, durée d’exploitation) tout en précisant que « compte tenu de l’horizon relativement lointain pour la mise en service de ces projets et des CAPEX très significatifs qui devront être engagés dans les prochaines années pour la construction des premiers exemplaires ne bénéficiant pas de l’effet série, la création de valeur associée au nouveau nucléaire apparaît en toute hypothèse très incertaine. Par ailleurs, en cohérence avec l’absence de prise en compte du nouveau nucléaire dans les travaux de valorisation, l’intégralité des dépenses directes relatives à ces programmes engagés jusqu’au 30 juin 2022 et immobilisées à l’actif du bilan a été neutralisée dans le passage de la valeur d’entreprise à la valeur des fonds propres de façon à ne pas faire supporter aux actionnaires minoritaires les coûts déjà engagés sur ces projets ». (Souligné par la Cour)

92.Les moyens sont rejetés.

B. Sur les moyens relatifs à l’action indemnitaire d’EDF contre l’État

93.FCPE Actions EDF et Énergie en actions soutiennent que la demande indemnitaire d’EDF contre l’État en réparation du préjudice subi du fait de l’augmentation du plafond de l’ARENH n’a pas été détaillée dans les notes d’information et en réponse, privant les actionnaires minoritaires d’informations sur le « rationnel » et le fondement juridique de cette demande, sur les positions respectives de l’État et d’EDF, sur les chances de succès du recours et les conséquences éventuelles d’une annulation du dispositif. Elles en déduisent que les notes d’information et en réponse n’étaient pas complètes, empêchant les actionnaires minoritaires de se prononcer en connaissance de cause sur les mérites de l’offre, et partant, invoquent une violation des principes de transparence et d’intégrité du marché posés à l’article 231-3 du RGAMF.

94.L’ADAM reproche à l’AMF de ne pas avoir relevé l’incohérence entre le prix de l’offre annoncé le 19 juillet 2022 de 12 euros, qui n’inclut aucune indemnité, et celui identique proposé lors du dépôt de l’offre le 4 octobre 2022, inchangé alors qu’un recours indemnitaire a été formé contre l’État le 9 août 2022. Elle souligne à cet égard qu’il résulte de la jurisprudence invoquée par l’AMF que le montant des indemnités réclamées dans le cadre d’une procédure judiciaire ne peut être intégré à la valorisation du titre que postérieurement à l’introduction du recours indemnitaire de sorte que la circonstance que ce montant soit simplement connu du marché avant l’offre est inopérante.

95.Elle reproche encore à l’AMF d’avoir validé l’imputation de l’indemnité sur la prime sans relever qu’elle constituait un manquement au principe de loyauté. Elle soutient que la réduction de la prime qui en résulte est d’autant plus choquante que, s’agissant d’un retrait obligatoire, la prime est généralement considérée comme un élément indispensable de l’indemnité d’expropriation. Elle est par ailleurs d’autant moins admissible que son montant dépend des hypothèses et des critères servant de référence à son calcul. La prime est ainsi inexistante si l’on se réfère à l’actif net comptable (ANC) : ce critère a fort opportunément été écarté par l’expert et l’AMF a validé cette exclusion alors qu’il fait pourtant partie des indicateurs de valeur énumérés dans la Recommandation AMF n° 2006-15 relative à l’expertise indépendante.

96.L’État et EDF contestent toute violation des principes d’intégrité et de transparence du marché en faisant chacun valoir que la note d’information et la note en réponse présentent tous les éléments nécessaires et pertinents en lien avec la demande indemnitaire introduite par EDF, à savoir les parties concernées, la nature et la date d’introduction du recours, les juridictions compétentes, le montant total estimé de la demande d’EDF et l’impact de ce recours sur la valorisation d’EDF. Ils soulignent avoir chacun pris en compte le montant intégral de l’indemnité réclamée pour leurs travaux de valorisation ‘ sans aucune pondération ou actualisation de son montant, et dans une logique de protection des actionnaires minoritaires ‘ rendant ainsi superflue toute autre information sur le recours indemnitaire, les actionnaires minoritaires étant ainsi protégés de l’aléa judiciaire.

97.Sur la prétendue incohérence entre le prix annoncé et le prix proposé, l’État fait valoir qu’au regard des annonces d’EDF de son intention de prendre toute mesure destinée à protéger ses intérêts et de son évaluation des impacts financiers de la mise en place de l’ARENH+, il avait anticipé tant le principe que le montant de la demande indemnitaire, en l’intégrant dans ses travaux dès l’instant où celui-ci pouvait être estimé (plutôt que d’attendre que le recours indemnitaire soit formellement déposé). Il expose que la jurisprudence invoquée par l’ADAM ne se prononce pas sur le fait de savoir si le recours indemnitaire doit avoir été préalablement introduit ou non pour être pris en compte pour l’établissement du prix d’une offre publique mais se contente simplement de rappeler le principe selon lequel les recours indemnitaires doivent, s’ils existent, être intégrés dans la valorisation de la société, ce qui a été fait en l’espèce.

98.Sur la prétendue violation du principe de loyauté, l’État fait valoir qu’il ne revient pas à l’AMF, dans le cadre du contrôle de conformité d’une offre publique, de se prononcer sur l’importance d’une « prime » proposée aux actionnaires, ni la loi, ni la réglementation boursière n’imposant un certain niveau de prime à l’initiateur, la prime n’étant qu’un des éléments pour rendre son offre attractive. Ce qui importe, c’est que le prix proposé par l’initiateur d’une l’offre publique soit cohérent avec la valorisation de la société et que cette cohérence ait été validée par l’expert indépendant, ce qui a bien été le cas en l’espèce. Il ajoute que l’ADAM ne justifie pas en quoi le fait de ne pas répercuter la demande indemnitaire sur le prix de l’offre en l’imputant sur la prime constituerait un manquement au principe de loyauté, lequel implique, selon la jurisprudence, d’avoir « recours à des man’uvres ou moyens détournés mis en ‘uvre dans des conditions illicites, occultes ou frauduleuses ». Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, l’État ayant toujours été transparent en indiquant au marché que la demande indemnitaire serait incluse en totalité dans le prix de son offre.

99.EDF présente une argumentation similaire.

100.L’AMF expose qu’il lui appartenait de s’assurer que le recours indemnitaire avait bien été pris en compte pour la détermination du prix de l’offre, conformément à la jurisprudence applicable en cette matière, et que tel a été le cas en l’espèce comme il résulte des travaux d’évaluation de l’expert indépendant. Elle ajoute, s’agissant de la prétendue inexistence de prime, que c’est en raison de son caractère déjà obsolète, compte tenu des pertes à venir, que la méthode de l’ANC a été écartée par l’expert indépendant.

101.Le ministère public rappelle que l’expert indépendant, garant de l’équité du prix de l’offre publique, a considéré que le prix de 12 euros, bien qu’inchangé, demeurait cohérent par rapport à la valorisation de la société, dans la mesure où, comme il s’en est expliqué, après avoir procédé pour son évaluation, à l’intégration du montant total de la demande indemnitaire formulée par EDF, il a constaté que « la fourchette retenue de valeurs, comprise entre 7,17 € et 10,59 € par action autour de la valeur centrale de 9,24 € par action, s’agissant de la méthode de la somme des parties retenue à titre principal, si l’on ajout[ait] l’intégralité de la demande indemnitaire EDF, retenue à 1,36 € par action, ne remettait pas en cause le prix d’offre au regard de [son] évaluation ». Il en déduit que l’AMF a valablement déclaré conforme l’OPAS visant les titres EDF en considérant que le contentieux indemnitaire engagé par la société EDF contre l’État, « seul recours susceptible d’avoir un impact sur la valorisation de la société a été pris en compte pour sa totalité dans l’évaluation issue de la somme des parties, indépendamment du résultat du contentieux, ce qui est conforme à la pratique décisionnelle et à la jurisprudence. ».

Sur ce, la Cour :

102.En premier lieu, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 231-21 du RGAMF, pour apprécier la conformité du projet d’offre aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables, l’AMF examine, dans les cas prévus à l’article 261-1 du même règlement, les conditions financières de l’offre, au regard notamment du rapport de l’expert indépendant et de l’avis motivé du conseil d’administration.

103.Dans ce cadre, l’AMF doit notamment vérifier que, pour attester du caractère équitable du prix de l’offre, l’expert indépendant a pris en compte les recours contentieux susceptibles d’avoir un impact sur la valorisation de la société cible. En revanche, il ne lui appartient pas de déterminer le niveau équitable de la prime que représente le prix de l’offre par rapport à la valeur intrinsèque de la société telle que résultant de l’évaluation multicritères qu’il a mise en ‘uvre.

104.En l’espèce, l’expert indépendant indique, en page 135 de son rapport, avoir inclus dans ses analyses la totalité de la demande indemnitaire formée par EDF contre l’État, et que tenant compte de la durée probable d’une telle procédure qu’il a fixée à cinq ans, le montant de cette demande représente après impôts 1,36 euros par action EDF. En page 139 de son rapport, il présente la fourchette de valeurs du titre, qui s’établit entre 7,17 euros et 10,59 euros, telle qu’elle résulte de la valorisation par la somme des parties, méthode qu’il a retenue à titre principal. Il en déduit qu’après majoration de ces valeurs à hauteur de 1,36 euros, le prix de l’offre à 12 euros reste équitable. Il fait le même constat s’agissant de la référence au cours de bourse, critère de référence retenu également à titre principal, en relevant que l’annonce de la demande indemnitaire le 9 août 2022 n’a pas conduit le cours de bourse à s’inscrire au- dessus du prix de l’offre.

105.Ainsi, comme l’a relevé à juste titre l’AMF dans la décision attaquée, l’expert indépendant a pris en compte, pour attester du caractère équitable du prix de l’offre, la totalité de l’indemnité réclamée par EDF contre l’État, neutralisant de manière positive, l’issue aléatoire de ce recours indemnitaire.

106.La circonstance que le prix de l’offre, tel qu’annoncé le 19 juillet 2022, n’a pas changé en dépit de l’annonce par EDF de l’engagement d’un recours indemnitaire le 9 aout 2022 est dès lors indifférente. Elle ne saurait caractériser ni une incohérence ni a fortiori une violation du principe de loyauté.

107.L’ADAM ne peut utilement invoquer le fait que la mise en ‘uvre de la méthode de valorisation par l’actif net comptable, avant prise en compte du recours indemnitaire, ne fait ressortir aucune prime par rapport au prix de l’offre. En effet, cette méthode a été écartée par l’expert indépendant aux motifs, exposés en page 100 de son rapport et non contestés devant la Cour, que l’actif net comptable d’une société n’intègre pas les perspectives de croissance et de rentabilité positives ou négatives d’une entreprise, ni les éventuelles plus-values sur les éléments d’actifs, et qu’en particulier, s’agissant d’EDF, si l’actif net comptable consolidé au 30 juin 2022 fait ressortir une valeur de 12,08 € le titre, ce montant n’intègre pas la perte significative attendue sur le second semestre 2022, de sorte que cette valeur va fortement baisser au 31 décembre 2022.

108.Le moyen, en ce qu’il est pris d’une violation du principe de loyauté, mal fondé, est rejeté.

109.En second lieu, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 231-21 du RGAMF, l’AMF doit, pour exercer son contrôle de conformité, examiner notamment « l’information figurant dans la note d’information », afin de vérifier son caractère complet et cohérent, au regard notamment des exigences posées à l’article 231-18 du RGAMF quant aux modes d’évaluation du prix de l’offre. La note d’information doit donc préciser l’existence d’un recours contentieux de nature à avoir un impact sur la valeur du titre.

110.En l’espèce, la note d’information expose (en page 15, paragraphe 1.4) tant le recours en annulation du décret et des arrêtés de 2012 mettant en ‘uvre le dispositif de l’ARENH+ que le recours indemnitaire visant à obtenir la réparation du préjudice né de ce dispositif. Elle indique l’origine de ces recours, les parties concernées, la juridiction devant laquelle ils ont été portés, leur objet et le montant de l’indemnité réclamée.

111.En pages 67 et 68 de la note d’information, est exposé l’impact du recours indemnitaire sur la valeur du titre si la totalité de l’indemnité devait être accordée, impact qui est évalué à une majoration de 1,29 euros par titre. Il en est déduit que « la différence entre le Prix de l’Offre par Action et la valeur fondamentale de la Société ressortant des analyses ci-dessus couvre la quantification maximaliste associé à ce recours. ».

112.En outre, la note en réponse d’EDF présente elle aussi, en pages 28 à 30, les recours que ce dernier a engagés contre l’État, en précisant leur origine, les parties concernées, la juridiction saisie, leur objet et le montant de l’indemnité réclamée dont les postes sont détaillés en pages 29 et 30. Comme il a été vu, l’expert indépendant a pris en compte l’impact du recours indemnitaire pour apprécier le caractère équitable de l’offre.

113.Ainsi, la note d’information de l’État, comme la note en réponse d’EDF, comportent les éléments nécessaires et pertinents de nature à assurer une information complète du marché sur l’existence de recours contentieux et leur impact sur le prix de l’offre, et partant, permettre aux actionnaire minoritaires d’apprécier les mérites de l’offre en toute connaissance de cause.

114.Ces documents ayant tenu compte de la totalité du recours indemnitaire, il n’était pas nécessaire qu’ils détaillent les fondements juridiques des deux recours ni qu’ils estiment leur chance de succès.

115.Le moyen, en ce qu’il est pris d’une violation des principes d’intégrité et de transparence du marché, est rejeté.

C. Sur les moyens relatifs aux hypothèses régulatoires retenues par l’expert indépendant

116.Dans son attestation d’équité, l’expert indépendant indique avoir retenu, à titre principal :

‘ la méthode dite de référence au cours de bourse et analysé l’évolution de la cotation du titre EDF pour la période de juillet 2020 au 5 juillet 2022, veille de l’annonce de l’intention de l’État de racheter les titres EDF restant sur le marché ;

‘ la méthode dite de la somme des parties, qui consiste à valoriser séparément les différentes activités d’un groupe pour apprécier la valeur de celui-ci.

117.Il expose avoir retenu, à titre secondaire, comme référence de valeur, les objectifs de cours. Il a ainsi observé et synthétisé les notes émises par les analystes financiers sur le titre EDF entre le 18 mai 2022, date de la publication du point d’actualité sur le phénomène de corrosion sous contrainte et de l’ajustement de l’estimation de production nucléaire en France pour 2022, et le 6 juillet 2022, date de l’annonce de la Première Ministre sur l’intention de l’État de détenir 100 % du capital d’EDF.

118.S’agissant en particulier de la méthode de la somme des parties, contestée non dans son principe mais dans sa mise en ‘uvre, la valorisation repose sur l’actualisation des flux de trésorerie prévisionnels (DCF) de chaque activité du groupe EDF, issus de sa trajectoire financière établie à partir de différentes hypothèses de développement ‘ au regard des objectifs et de la stratégie du groupe ‘ et d’évolution du marché.

119.L’expert s’est fondé sur la trajectoire financière communiquée par EDF selon un plan à moyen terme élaboré, s’agissant de l’activité de commercialisation et de production d’énergie nucléaire en France, à partir de plusieurs scénarios (A, B, C, D et E) qui se déclinent selon différentes hypothèses de production nucléaire pour 2023 – 2024, différents couples de volume et de prix de l’ARENH, et selon deux références de prix de l’électricité.

120.S’agissant du couple volume/prix de l’ARENH, ont été retenues trois hypothèses dites régulatoires pour la période 2022-2024 :

‘ l’hypothèse n° 1 : maintien de la régulation actuelle, à savoir 100 TWh à 42 €/Mwh (scénarios A et B) ;

‘ l’hypothèse n° 2 : augmentation conjuguée de l’ARENH à 110 TWh à 49,50 € /MWh (scénarios C et D) ;

‘ l’hypothèse n° 3 : augmentation conjuguée de l’ARENH à 120 TWh et au prix de 49,50 €/MWh (scénario E).

121.Pour l’exercice 2025, un seul scénario a été examiné, fondé notamment sur un couple volume/prix de l’ARENH à 100 TWh à 42 €/Mwh.

122.Il a précisé « qu’une évolution de la régulation par rapport à la situation actuelle requiert l’accord préalable de la Commission européenne. Par ailleurs, il convient de préciser que le corollaire d’une augmentation du prix de l’ARENH à 49,50€/MWh (contre 42,0 €/MWh actuellement) serait selon toute vraisemblance une augmentation du volume à 110 TWh ou 120 TWh. L’objectif assumé par l’État français étant de contenir la hausse du montant des factures. Il nous a été indiqué par l’État français qu’il ne semblait pas envisageable de procéder à une augmentation du prix à 49,50 €/MWh tout en maintenant le volume actuel de 100 TWh en raison de l’impact significatif que cela aurait sur la facture des clients. Par conséquent, une telle hypothèse n’a pas été envisagée dans nos travaux ».

123.Au-delà du 31 décembre 2025, qui constitue le terme du dispositif de l’ARENH, l’expert indépendant a indiqué avoir retenu le scénario transmis par l’État, fondé sur une hypothèse de prix régulé du nucléaire, en cohérence avec les intentions exprimées par celui-ci au cours des dernières années, notamment dans le cadre du projet de restructuration d’EDF, dit Hercule, et visant à garantir la couverture des coûts complets du parc nucléaire existant, et « à immuniser le Groupe contre les fluctuations à la baisse des prix de marché, et les clients contre les fluctuations à la hausse ».

124.Ces mêmes méthodes et hypothèses régulatoires ont été mises en ‘uvre par les banques présentatrices et sont décrites dans la note d’information de l’État.

125.Dans la décision attaquée, l’AMF a considéré que les hypothèses retenues par l’expert indépendant, notamment celles ayant trait aux hypothèses de régulation et de capacité de production d’électricité d’origine nucléaire par EDF, paraissaient cohérentes et avaient fait l’objet d’études de sensibilité qui permettaient de conforter le prix retenu pour l’action.

126.FCPE Actions EDF et Énergie en actions soutiennent que ces hypothèses régulatoires sont illégales, incohérentes et que n’a pas été intégré le mécanisme de réplique des « coûts d’approvisionnement complémentaires » issu de l’écrêtement de l’ARENH pourtant favorable à EDF. Elles en déduisent que la note d’information et la note en réponse contiennent des informations incohérentes et méconnaissent ainsi les principes de transparence et d’intégrité du marché. Elles en déduisent également une non-conformité des travaux de l’expert indépendant.

1. Les hypothèses régulatoires

127.Elles font ainsi valoir que l’hypothèse n° 1, qui repose sur un prix de l’ARENH à 42 euros/MWh, est contraire à l’article 40 de la loi du 16 août 2022 qui a augmenté le prix de l’ARENH, et ce d’autant que, le Conseil d’État a jugé le 3 février 2023 que ce dispositif ne relève plus du régime des aides d’État mais exclusivement du droit national. Elles exposent que par l’effet de cette décision, l’augmentation du prix de l’ARENH au prix plancher de 49,5 euros, prévue par la loi du 16 août 2022, est applicable sans autorisation préalable de la Commission européenne et ce dès l’entrée en vigueur de cette loi. Elles ajoutent qu’en tout état de cause, l’article 40, II, de cette loi en ce qu’il exige cette autorisation, est contraire à l’article 108, paragraphe 3, du TFUE dès lors que ce dernier n’exige la notification à la Commission européenne que pour les aides d’État au sens de l’article 107 du TFUE. Elles en déduisent un manque à gagner de 3 milliards d’euros sur la base du prix plancher de 49,5 euros/MWh. Elles soulignent que tous les acteurs concernés, la CRE mais également la Cour des comptes, considèrent que le prix de 42 euros/MWh est sous-évalué et doit être rehaussé.

128.S’agissant du volume d’ARENH, elles contestent toute corrélation entre l’augmentation du prix et celle du plafond de l’ARENH, une telle corrélation n’étant pas prévue par les textes.

129.Elles ajoutent que l’État a adopté une position contradictoire sur la question de savoir si une autorisation préalable de la Commission était nécessaire pour modifier le dispositif ARENH, soutenant qu’un telle autorisation était requise lors de l’adoption de la loi du 16 août 2022, et soutenant le contraire devant le Conseil d’État lors du contentieux sur la légalité du dispositif ARENH+. Elles font valoir que ce manque de cohérence caractérise une violation des principes de loyauté et de transparence.

130.S’agissant des hypothèses 2 et 3, elles considèrent qu’elles sont contraires à la décision du 12 juin 2012 de la Commission européenne sur les TRVE, à l’article 108, paragraphe 3, du TFUE et qu’elles ne sont pas cohérentes avec les annonces du Gouvernement, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ayant annoncé que le plafond de l’ARENH resterait à 100 TWh l’année prochaine et que l’augmentation subie en 2022 resterait exceptionnelle.

131.Pour les mêmes motifs, elles considèrent que l’expertise indépendante ne pouvait pas être fondée sur ces hypothèses et que, pour les années 2023 à 2025, l’expert indépendant aurait dû prendre en compte l’hypothèse régulatoire la plus réaliste et la plus favorable aux actionnaires minoritaires d’EDF, à savoir un plafond de l’ARENH à 100 TWh et un prix du MWh à 49,5 euros. En ne le faisant pas, son attestation d’équité est nécessairement biaisée en défaveur des actionnaires minoritaires d’EDF.

132.L’ADAM, reproche à l’initiateur d’avoir transmis à l’expert indépendant un scénario de couverture des coûts complets du parc nucléaire existant pour la période 2025-2100 mettant en ‘uvre les intentions exprimées par l’État dans le cadre du projet « Hercule », alors que ce projet a été abandonné par l’État ce qui constitue une contradiction patente.

133.L’État fait valoir, en premier lieu, que les informations contenues dans sa note d’information sont complètes, compréhensibles et cohérentes. Il expose que le scénario central retenu, tant dans ladite note d’information que par l’expert indépendant, repose sur l’hypothèse, très favorable, d’un volume de l’ARENH maintenu à 100TWh à un prix à 42euros/MWh, que les déclarations gouvernementales sur la non reconduction du dispositif de l’ARENH+ pour 2023 ne sont pas de nature à remettre en cause, et qu’il n’appartient ni à l’AMF ni à la cour d’appel d’en apprécier la légalité. Il précise que la décision du Conseil d’État du 3 février 2023 ne saurait être interprétée comme ayant considéré que le dispositif de l’ARENH ne relevait plus de la décision de la Commission européenne du 12 juin 2012 ni du droit européen des aides d’État dès lors que le Conseil d’État n’était pas saisi de cette question mais de la légalité du décret et des arrêtés de 2012. Par ailleurs, une telle décision qui valide des dispositions réglementaires ne peut avoir pour effet de rendre caduque une disposition législative, en l’espèce l’article 40 de la loi du 1er août 2022 qui soumet à l’autorisation de la Commission européenne le relèvement du prix de l’ARENH. Il ajoute qu’il n’appartient ni à l’AMF, ni à la cour d’appel de se prononcer sur la légalité des hypothèses régulatoires retenues par l’initiateur et l’expert indépendant, lesquelles hypothèses sont conformes au droit positif.

134.L’État répond, en deuxième lieu, qu’il est pertinent et raisonnable de prendre en compte les hypothèses régulatoires envisagées avec la Commission européenne lors des négociations et échanges sur le projet Hercule, puisque, comme le souligne l’expert indépendant dans son rapport, ces dernières hypothèses correspondent à celles que la Commission européenne était susceptible d’accepter. Il souligne qu’utiliser les hypothèses régulatoires évoquées lors du projet Hercule ne signifie en aucun cas que l’État envisage de réengager un tel projet, a fortiori alors que le Gouvernement a explicitement indiqué que le projet était caduc. Réciproquement, acter l’abandon du projet Hercule ne signifie en aucun cas renoncer à la mise en ‘uvre d’une régulation du parc nucléaire existant.

135.EDF présente une argumentation similaire à celle de l’État.

136.L’AMF souligne que l’expert indépendant a déjà répondu aux critiques des demandeurs au recours sur les hypothèses régulatoires retenues et expliqué les raisons pour lesquelles celle revendiquée par ces derniers ne pouvait l’être.

137.Le ministère public considère qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la légalité des paramètres régulatoires pris par l’État en lien avec le volume et le prix de l’ARENH par rapport aux dispositions légales et réglementaires en vigueur, appréciation qui ne relève pas de la compétence de l’AMF, mais le cas échéant de celle du Conseil d’État.

138.S’agissant des travaux d’évaluation, il relève que l’expert indépendant s’est appuyé sur des hypothèses régulatoires qu’il a expliquées et justifiées tenant compte des informations et éléments de contexte, relatifs aux déclarations de l’État et à sa volonté de protéger les consommateurs contre la hausse des prix, et pour lesquelles l’AMF constate et souligne que les valeurs par action EDF estimées sur la base des scénarios B à E sont toutes inférieures à celle obtenue sur la base du scénario A, retenu par l’expert indépendant dans ses travaux. Il ajoute que le scénario alternatif proposé par les requérants d’un ARENH à 100 TWh avec un prix de 49,5 euros/MWh n’a pas été retenu par l’expert en raison des déclarations de l’État et du contenu de la note d’information : dans son addendum, l’expert a sur ce point répondu aux critiques et exposé les raisons pour lesquelles il n’était pas pertinent de retenir un prix de l’ARENH de 49,5 € / MWh pour 2023-2024.

Sur ce, la Cour :

139.Aux termes de l’article 231-21 du RGAMF, pour apprécier la conformité de l’OPAS, l’AMF examine les intentions et objectifs de l’initiateur, l’information figurant sur la note d’information et les conditions financières de l’offre au regard notamment des travaux d’évaluation menés par l’expert indépendant, lesquels doivent procéder d’une approche multicritères mettant en ‘uvre des méthodes d’évaluation et examinant des références de valorisation.

140.Sont dès lors inopérants les développements des demandeurs au recours dans leurs écritures mettant en cause les décisions prises par l’État dans la gestion d’EDF comme étant contraires à l’intérêt de ce dernier. Au demeurant, ainsi que le soulignent tant l’expert indépendant dans son rapport que l’AMF dans la décision attaquée, le risque lié à la régulation est intrinsèque à EDF, caractéristique rappelée dans sa documentation financière, et donc parfaitement connue des investisseurs et des actionnaires.

141.C’est également en vain que les demandeurs au recours invoquent la proposition de loi « visant à la nationalisation du groupe Électricité de France » et prévoyant une indemnisation des détenteurs d’actions à hauteur de 14 euros par action dès lors que cette proposition est postérieure à la date de la décision attaquée et que, de surcroît, la version adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 9 février 2023 ne prévoit plus une indemnisation à hauteur de 14 euros.

142.S’agissant des travaux d’évaluation de l’expert, lorsque ce dernier retient une approche intrinsèque consistant à déterminer la valeur de l’entreprise à partir des éléments de rentabilité et de risque propres à celle-ci, comme la méthode des flux de trésorerie, l’AMF doit vérifier que cette méthode de valorisation repose sur des hypothèses et projections qui sont cohérentes, au regard notamment de la situation de l’entreprise et des intentions et objectifs de l’initiateur.

143.En l’espèce, ainsi qu’il a déjà été exposé, l’expert indépendant a mené ses travaux à partir du plan à moyen terme sur la trajectoire financière communiqué par EDF. Ce plan couvre la période 2022-2024, soit une période au cours de laquelle le dispositif de l’ARENH+ s’est appliqué en vertu du cadre réglementaire issu du décret et des arrêtés de mars 2022, dont il n’appartient ni à l’expert, ni à l’AMF, ni à la Cour d’apprécier la légalité.

144.En outre, l’expert a privilégié un des scénarios communiqués par EDF, le scénario A, comme étant le plus favorable à EDF et aux actionnaires minoritaires, lequel repose pour les années 2023 et 2024 sur une hypothèse régulatoire dans la continuité de celle existante avant l’ARENH+, à savoir un couple volume/prix de l’ARENH à 100TWh et 42 euros/MWh.

145.Cette hypothèse, en ce qu’elle est fondée sur un volume de l’ARENH à 100Twh est cohérente avec les annonces du Gouvernement du 27 octobre 2022, rappelées par les demandeurs au recours, selon lesquelles le rehaussement du volume de l’ARENH à 120Twh ne sera pas reconduit en 2023, étant souligné que ce rehaussement, tel que prévu par le décret du 12 mars 2022, constituait un aménagement exceptionnel applicable pour l’année 2022 seulement.

146.Cette hypothèse n’est en outre pas contraire à l’article 40 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022. En effet, cet article conditionne l’entrée en vigueur du prix plancher de l’ARENH fixé à 49,5 euros à l’autorisation de la Commission européenne, laquelle n’avait pas été obtenue à la date des travaux de l’expert indépendant. Il n’est pas établi ni même allégué que cette autorisation avait été demandée et qu’il existait de sérieuses chances qu’elle soit accordée pour les exercices 2023 et 2024.

147.Il en résulte que le prix de 49,5 euros, qui n’avait jamais été appliqué et restait incertain, ne pouvait être utilisé pour déterminer la trajectoire financière d’EDF dans son activité de production et de commercialisation d’énergie nucléaire en France. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu par les demandeurs au recours, l’hypothèse régulatoire n° 1 retenue par l’expert indépendant, fondée sur le prix actuel de l’ARENH, n’est pas contraire à l’article 40 précité.

148.La décision du Conseil d’État du 3 février 2023 (n° 462840), intervenue postérieurement à la décision attaquée, a porté sur la légalité des dispositions de nature réglementaire aménageant l’ARENH. Elle n’a donc pas pu avoir pour effet de rendre « caduque » la condition posée par une norme supérieure, à savoir l’article 40 de la loi du 16 août 2022.

149.En outre, FCPE Actions EDF et Énergie en actions ne produisent aucun élément établissant qu’au cours de cette instance en annulation des décrets et arrêtés mettant en ‘uvre le dispositif ARENH+, l’État aurait soutenu que la modification du dispositif de l’ARENH n’exigeait pas une telle autorisation.

150.En tout état de cause, l’hypothèse régulatoire revendiquée par les demandeurs au recours, fondée sur un prix de l’ARENH à 49,5 euros/MWh sans augmentation corrélative du volume de l’ARENH n’est pas cohérente au regard de l’objectif assumé de l’État de ne pas alourdir la facture d’électricité supportée par le consommateur, alors, ainsi que le souligne ce dernier dans sa note d’information (page 38), point qui n’est pas contesté, qu’une augmentation du prix à 49,50 €/MWh tout en maintenant le volume actuel de 100 TWh aurait un impact significatif sur la facture des clients. En outre, contrairement à ce soutiennent les demandeurs au recours, une telle corrélation est prévue à l’article L. 337-16 du code de l’énergie, lequel précise que, parmi les éléments pouvant être pris en compte pour réviser le prix de l’ARENH, figure « notamment le volume global maximal d’électricité nucléaire historique pouvant être cédé (‘) ».

151.C’est donc à juste titre qu’une hypothèse fondée sur un prix de l’ARENH à 49,5euros/Mwh, sans augmentation corrélative du volume de l’ARENH, n’a pas été retenue par l’expert indépendant pour valoriser le titre.

152.Pour ces mêmes motifs, tenant à la volonté de l’État de contenir la hausse du prix de l’électricité pour le consommateur, et partant de lier toute hausse du prix de l’ARENH à une hausse corrélative de son volume, les critiques des demandeurs au recours tenant à la sous-évaluation du prix actuel de l’ARENH, soit 42 euros/Mwh, sont inopérantes.

153.Outre l’incohérence de l’hypothèse régulatoire revendiquée, il est également vain d’invoquer une prétendue contrariété de l’article 40, II, de la loi du 16 août 2022 à l’article 108 du TFUE relatif aux régimes d’aides existant dans les États membres dès lors que cette disposition de droit interne ne fait que subordonner l’application du dispositif prévu au I à la position de la Commission européenne sur sa conformité au droit de l’Union, dans le respect des objectifs poursuivis par le TFUE.

154.Quant aux hypothèses régulatoires n° 2 et 3 sur lesquelles s’appuient les scénarios C, D et E transmis par EDF, ces derniers ont été utilisés par l’expert indépendant pour mesurer la sensibilité du scénario principal à la variation des paramètres utilisés et en particulier le couple volume/prix de l’ARENH, et non pour valoriser l’activité du nucléaire existant, laquelle valorisation, ainsi que celle menée par les banques présentatrices, reposent sur le scénario A et l’hypothèse régulatoire n° 1 (paragraphe 8.4.2.1.1, page 118, du rapport de l’expert indépendant, pages 41 et 42 de la note d’information de l’initiateur).

155.Il importe donc peu que ces hypothèses soient fondées sur un prix de l’ARENH à 49,5 euros/Mwh, prix plancher non encore applicable, couplé avec un volume porté à 110Twh ou 120kwh, soit au-delà du volume prévu par les dispositions réglementaires applicables après la cessation du dispositif de l’ARENH+, étant en outre observé que ce volume respecte néanmoins le plafond légal prévu à l’article L. 336-2 du code de l’énergie, dans sa rédaction issue de la loi du 16 août 2022.

156.Enfin, dans leurs dernières écritures FCPE Actions EDF et Énergie en actions maintiennent que les hypothèses 2 et 3 sont contraires à la décision du 12 juin 2012 de la Commission européenne sur les TRVE et à l’article 108 du TFUE sans toutefois préciser en quoi elles le seraient et alors que, par ailleurs, elles soutiennent que par l’effet de la décision du Conseil d’État du 3 février 2023, le dispositif de l’ARENH ne relève plus de la décision du 12 juin 2012 ni du régime des aides d’État.

157.S’agissant du scénario pour la période postérieure au 31 décembre 2025, terme de l’ARENH, il est décrit dans la note d’information de l’État de la manière suivante : « hypothèse de mise en place d’une nouvelle régulation du nucléaire existant, succédant à l’ARENH, et garantissant la couverture des coûts complets du parc nucléaire existant d’EDF. Cette intention de mettre en place une nouvelle régulation des prix de l’électricité, déjà exprimée ces dernières années par l’État à l’occasion des travaux menés dans le cadre des projets « Hercule » et « Grand EDF », a été réaffirmée par le Président de la République qui a souligné, à l’occasion de son discours de Belfort le 10 février 2022, qu’elle devrait permettre aux consommateurs français, ménages et entreprises de bénéficier de prix stables proches des coûts de production de l’électricité en France. Si les modalités précises de cette régulation demeurent encore à définir, le principe de la couverture d’EDF à hauteur des coûts complets de son parc nucléaire existant, selon une évaluation objective des coûts par le régulateur, constitue une des priorités des autorités françaises dans le cadre de leurs échanges avec l’ensemble des parties prenantes. Deux niveaux de couverture des coûts complets d’EDF ont été calculés par la Société sur la base des échanges intervenus entre l’État français et la Commission européenne sur la future régulation applicable à la vente de la production nucléaire du Groupe en France mises à l’arrêt à l’été 2021. Ces deux évaluations des coûts complets d’EDF permettent à l’Initiateur d’articuler les bornes haute et basse de sa valorisation sur ce segment. L’Initiateur retient l’hypothèse que cette nouvelle régulation entrerait en vigueur au 1er janvier 2026, au lendemain de l’échéance du dispositif ARENH. »

158.Le scénario ainsi décrit repose sur une couverture des coûts complets du parc nucléaire existant pour la période 2025-2100, qui correspondait à l’un des objectifs poursuivis par le projet Hercule. La circonstance que ce projet, qui portait également sur une réorganisation du groupe EDF, a été abandonné par l’État ne signifie pas que ce dernier ait renoncé à la mise en ‘uvre d’une régulation du parc nucléaire existant fondé sur le principe d’une couverture des coûts complets de ce parc. Ce scénario n’est donc ni incohérent ni contradictoire.

159.Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les moyens pris de l’incohérence et/ou de l’illégalité des hypothèses régulatoires et de la méconnaissance des principes de transparence et d’intégrité du marché ne sont pas fondés.

2. Sur la prise en compte du mécanisme de réplique des coûts

160.FCPE Actions EDF et Énergie en actions, dans leur exposé des moyens, soutiennent, en premier lieu, que la note d’information et la note en réponse méconnaissent les principes de transparence et d’intégrité du marché en ce qu’elles ne mettent pas en exergue le mécanisme de réplique des coûts liés aux « compléments d’approvisionnement complémentaire » issu de l’écrêtement, mécanisme pourtant très favorable sur le niveau de tarif des TRVE et des offres de marché en période de hausse du cours de l’électricité, en particulier en 2021 et 2022. Dans leurs observations du 21 mars 2023, elles font valoir l’insuffisance de la communication financière d’EDF en 2022 sur les effets positifs de ce mécanisme de réplique de coûts sur les tarifs, qu’elles évaluent à environ 14 milliards d’euros au lieu des 6 milliards annoncés au public et que si EDF avait été complètement transparente sur les conséquences très favorables de l’écrêtement de l’ARENH en janvier 2022, le cours de bourse n’aurait pas chuté de manière vertigineuse au moment de l’annonce de l’ARENH+. Elles exposent que cette communication défaillante, non relevée par l’initiateur ou l’expert indépendant a pour conséquence d’entacher la décision de conformité d’illégalité pour violation du principe de transparence et d’intégrité du marché.

161.Elles font valoir, en second lieu, que l’expert indépendant n’a pas pris en compte ce mécanisme de réplique des coûts liés aux « compléments d’approvisionnement » et en déduisent une non-conformité de ses travaux d’évaluation.

162.L’État répond, en premier lieu, que l’expert indépendant a répondu dans son addendum et la note complémentaire aux critiques portées par les minoritaires relatives à la prétendue insuffisance de la note d’information sur les effets du mécanisme de réplique des coûts liés « aux compléments d’approvisionnement » dans le cadre du phénomène d’écrêtement de l’ARENH.

163.En second lieu, il expose que le mécanisme de réplique des coûts invoqué par les demandeurs au recours correspond à ce qu’EDF désigne dans toute sa communication financière de 2022 sur ses résultats comme « l’effet prix » ou « le facteur prix ». Il fait valoir que les effets de ce mécanisme sur les prix ont bien été pris en compte par l’expert indépendant puisque ce dernier s’est fondé sur les éléments financiers 2022 tels que communiqués par EDF et sur lesquels sont assises les trajectoires financières retenues par l’initiateur et par l’expert indépendant.

164.EDF développe un argumentaire similaire et ajoute que ce mécanisme de réplique des coûts en période d’application du dispositif ARENH+ a eu deux effets négatifs sur ses états financiers. Elle explique que lorsque le volume de l’ARENH augmente (et que ‘ corrélativement ‘ la quantité d’électricité achetée à prix de marché baisse), alors le niveau des « tarifs réglementés de vente de l’électricité » (TRVE) qui doivent être appliqués par EDF baisse et que, par ailleurs, elle réplique strictement, pour ses « offres de marché » (ventes à prix de marché à ses clients), les conditions d’approvisionnement des fournisseurs alternatifs, ce qui conduit à baisser le prix de vente à ses clients : en effet, comme pour les autres fournisseurs, la part du prix valorisée à l’ARENH augmente et celle valorisée à prix de marché est réduite d’autant.

165.L’AMF souligne que l’expert indépendant a déjà répondu aux critiques des demandeurs au recours relatives à la prise en compte du mécanisme de réplique des coûts.

166.Le ministère public développe une analyse similaire à celle de l’État et d’EDF.

Sur ce, la Cour :

167.Aux termes de l’article 231-18 du RGAMF, la note d’information doit notamment mentionner la teneur de l’offre et, en particulier, le prix ou la parité proposés, en fonction des critères d’évaluation objectifs usuellement retenus, des caractéristiques de la société visée et du marché de ses titres.

168.En l’espèce, la note d’information présente les éléments d’appréciation du prix de l’offre en exposant les méthodes d’évaluation retenues et les caractéristiques d’EDF. Elle rappelle, en page 41, par une note de bas de page, que les TRVE sont établis, sur la base de la réglementation en vigueur, par addition du prix de l’ARENH, de la garantie de capacité, des coûts d’acheminement et de commercialisation, ainsi que du coût du complément d’approvisionnement au prix de marché. Il est acquis que le « coût du complément d’approvisionnement au prix de marché » correspond au coût encouru par les fournisseurs alternatifs lorsque, la demande au guichet de l’ARENH ayant dépassé le plafond de l’ARENH (dépassement appelé « écrêtement »), les fournisseurs alternatifs sont contraints de se fournir au prix de marché.

169.La note d’information évoque cet aspect des tarifs de vente d’électricité comme l’une des caractéristiques d’EDF à prendre en compte pour la valorisation du titre selon la méthode de valorisation dite de la somme des parties.

170.Elle expose « sur la période 2023-2025, une anticipation du retour vers EDF d’un certain nombre de clients, se traduisant par une baisse de la demande des fournisseurs alternatifs au guichet ARENH (du fait des moindres droits ARENH dont ils disposeraient). Alors que la demande au prochain guichet ARENH devrait demeurer supérieure aux volumes mis à disposition par EDF, les fournisseurs alternatifs verraient alors une part plus importante de leur demande satisfaite entraînant mécaniquement une baisse du taux d’écrêtement anticipé. Les fournisseurs alternatifs pourront donc servir leurs clients à moindres coûts (du fait d’un approvisionnement sur le marché qui serait réduit à due concurrence de la baisse du taux d’écrêtement), conduisant EDF à ajuster à la baisse le prix de ses offres, aussi bien réglementées que de marché. En complément des éléments évoqués ci-dessus sur le taux d’écrêtement, les retours de clients des fournisseurs alternatifs vers EDF conduisent le Groupe à fournir des volumes pour lesquels il ne s’est pas couvert et qu’il doit acheter sur le marché, sans pour autant être en mesure d’en transférer le coût à ses clients, les modalités de leurs contrats étant déjà largement figées. A double titre, le retour vers EDF d’un certain nombre de clients a donc un impact négatif sur l’EBITDA du Groupe. »

171.L’initiateur envisage ainsi une baisse du taux d’écrêtement conduisant EDF à ajuster à la baisse le prix de ses offres aussi bien réglementées que de marché, et partant à un impact négatif sur la rentabilité du groupe.

172.Cette analyse, tenant à une baisse de rentabilité du groupe, est conforme à la documentation financière d’EDF, telle qu’elle résulte des pièces versées aux débats, laquelle évoque une baisse de rentabilité du groupe et ce, en dépit de « l’effet prix » ou du « facteur prix » correspondant à l’effet haussier, produit par le mécanisme de réplique des coûts complémentaires en ARENH issu de l’écrêtement, sur les tarifs d’électricité dans un contexte d’augmentation des prix de marché de l’électricité, comme en 2021 et 2022.

173.À cet égard, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs au recours, EDF évoque ce mécanisme d’« effet prix » ou « facteur prix » dans ses communications des 18 février, 28 juillet et 27 octobre 2022 sur ses résultats périodiques ou encore dans son support de présentation de ses résultats annuels 2021 :

‘ dans un communiqué de presse du 18 février 2022, diffusé à l’occasion de la publication de ses résultats annuels 2021, EDF « attire l’attention sur l’EBITDA 2022. Partant d’un socle 2021 de 18 Mds€, cet indicateur inclura : ‘ environ 6 Mds€ d’amélioration du facteur prix ‘ environ – 8 Mds€ liés aux mesures régulatoires exceptionnelles ‘ environ -11 Mds€ en lien avec la baisse de la production nucléaire ‘ et d’autres effets liés à la performance du Groupe. Ces estimations, très sensibles notamment aux prix de marché, sont présentées à titre illustratif et dans l’état actuel des informations dont le Groupe dispose ». Cette indication figure également dans le support de présentation de ces résultats qui évoque un « effet prix énergie » positif d’environ 6 milliards d’euros sur l’EBITDA.

‘ dans un communiqué de presse du 28 juillet 2022 diffusé à l’occasion de la publication de ses résultats semestriels 2022, EDF indique que : « Malgré une hausse importante du chiffre d’affaires soutenue par les prix de l’électricité et du gaz, l’EBITDA est en fort recul au premier semestre 2022. [‘] le contexte de prix haussiers contribue positivement à l’évolution des offres d’EDF à ses clients pour un montant estimé à 3 944 millions d’euros en EBITDA avant mesures régulatoires. L’attribution supplémentaire aux fournisseurs alternatifs de 19,5 TWh de volume d’ARENH (estimé à – 1,4 milliard d’euros, soit 6,5 TWh livrés au deuxième trimestre 2022) et sa répercussion sur les offres clients à partir du deuxième trimestre 2022 (estimé à – 2 milliards d’euros) génèrent des effets prix négatifs ». Le support de présentation de ces résultats précise également un « effet prix énergie » positif d’environ 8 milliards d’euros sur l’EBITDA.

‘ dans un communiqué de presse du 27 octobre 2022, diffusé à l’occasion de la publication de son chiffre d’affaires du troisième trimestre 2022, EDF indique que « la progression du chiffre d’affaires s’explique principalement par des effets prix favorables :

‘ L’impact de la hausse du tarif réglementé de vente au 1er février 2022 aux clients finals et des hausses des prix de vente aux professionnels dans un contexte de forte augmentation des prix de l’énergie est estimé à 4,5 milliards d’euros.

‘ La revente des obligations d’achat augmente pour un montant estimé à 4,1 milliards d’euros en lien avec la hausse des prix (sans impact en EBITDA).

Enfin, la hausse des prix a un impact positif sur les ventes des agrégateurs et les ventes de gaz. L’impact est cependant limité en EBITDA.

Le chiffre d’affaires progresse également pour un montant estimé à 0,6 milliard d’euros en raison de la fourniture des volumes additionnels d’ARENH, à 46,2 €/MWh, définie par le décret du 11 mars 2022 détaillant les mesures régulatoires pour limiter la hausse des prix en 2022. »

174.Ainsi, cette documentation précise et mesure cet « effet prix » sur la performance du groupe (EBITDA et chiffres d’affaires), évaluation qui ne peut être remise en cause utilement par le calcul de l’effet d’écrêtement résultant du mécanisme de l’ARENH+, tel que présenté par les demandeurs au recours comme le résultat d’« une simple règle de trois », sans autre explication, calcul au demeurant contesté par EDF qui souligne qu’il ne tient pas compte de la situation effective du groupe et notamment « des effets des couvertures » prises par ce dernier, évoqué dans la note d’information précitée.

175.En outre, cette documentation souligne qu’en dépit de cet « effet prix », la performance du groupe en 2022 n’en reste pas moins altérée en raison notamment de la baisse des capacités de production d’énergie nucléaire et des mesures régulatoires exceptionnelles.

176.La note d’information n’avait donc pas à détailler « l’effet prix » résultant du mécanisme de réplique des coûts des « compléments d’approvisionnement complémentaire » issu de l’écrêtement.

177.L’expert indépendant a, de son côté, répondu aux critiques des actionnaires minoritaires sur la prise en compte de cet effet prix en pages 20 et 21 de son addendum et 3 de sa note complémentaire.

178.Le moyen pris d’une méconnaissance des principes de transparence et d’intégrité du marché n’est donc pas fondé.

179.Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, l’expert indépendant a nécessairement tenu compte de ce mécanisme de réplique des coûts puisque, pour mettre en ‘uvre la méthode de la somme des parties, et valoriser l’activité de commercialisation et de production d’énergie nucléaire, il s’est fondé sur les données financières de 2022 fournies par EDF, et que pour mettre en ‘uvre la méthode dite de référence au cours de bourse, il a analysé l’évolution de la cotation du titre EDF pour la période de juillet 2020 au 5 juillet 2022, période au cours de laquelle le marché avait été informé de l’effet prix positif de 6 milliards annoncé dans le communiqué de presse du 18 février 2022 précité.

180.Le moyen pris d’une absence de conformité du rapport de l’expert indépendant n’est donc pas fondé.

D. Sur l’avis motivé du conseil d’administration

181.Dans la décision attaquée, l’AMF a retenu que le conseil d’administration d’EDF a rendu un avis qui ne s’écarte pas du projet proposé par le comité ad hoc et que les membres du conseil d’administration qui l’ont souhaité ont pu faire connaître leurs positions, reproduites dans la note en réponse, tout en relevant qu’elle n’est investie par aucun texte du pouvoir de se prononcer sur la régularité des délibérations à l’issue desquelles un conseil d’administration rend son avis motivé sur une offre publique.

182.L’ADAM expose que si l’AMF ne dispose pas du pouvoir de se prononcer sur la régularité des délibérations à l’issue desquelles un conseil d’administration rend son avis sur une offre publique, elle est néanmoins investie de la mission de faire un rapport annuel sur le gouvernement d’entreprise rendant compte de l’application des recommandations AFEP-MEDEF, notamment en présence de conflits d’intérêts, de sorte qu’en l’espèce, elle aurait dû s’exprimer sur les conditions du vote, de manière à assurer la bonne information des actionnaires et ainsi relever que le conseil d’administration d’EDF a donné son avis motivé sans que l’expert indépendant ait procédé à l’analyse des conflits d’intérêts de ses membres, alors que l’instruction AMF n° 2006-15 lui en fait l’obligation, et constater qu’en l’absence de complétude de l’information requise par la réglementation, elle ne pouvait délivrer une décision de conformité. Elle souligne l’importance de cette analyse au cas d’espèce dans la mesure où le sens de l’avis motivé du conseil sur l’équité de l’offre dépendait du vote du président qui, selon toutes les apparences (et selon la jurisprudence, c’est ce qu’il faut prendre en compte), se trouvait en situation de conflit d’intérêts pour deux raisons : d’abord du fait qu’il est nommé et révocable par le Gouvernement (ce qui le prive d’indépendance dans une offre initiée par l’État, même si sa nomination se fait sur proposition du conseil d’administration) ; ensuite parce qu’il fait partie du conseil d’administration de la Société Générale, banque présentatrice de l’offre par qui il est donc rémunéré. Elle souligne que l’un des membres du collège de l’AMF (M. [R]) s’est abstenu de participer à la séance délibérant sur la conformité de l’offre d’EDF pour des liens moins étroits avec cette banque puisqu’il ne fait pas partie de son conseil d’administration mais est seulement dirigeant d’une de ses filiales. Or, compte tenu de la position des administrateurs composant le conseil du 27 octobre 2022 qui s’est prononcé sur l’équité de l’offre (les six administrateurs salariés ayant voté contre et les cinq administrateurs qualifiés d’indépendants ayant voté pour), l’avis favorable qui a été rendu n’a pu être obtenu que grâce au vote favorable de M. [V], qui disposait d’une voix prépondérante en sa qualité de président. L’ADAM conclut que l’expert n’ayant procédé à aucune analyse des conflits d’intérêts contrairement aux prescriptions de l’instruction 2006-15, son rapport est incomplet, ce que l’AMF aurait dû relever. Ne l’ayant pas fait, la décision de conformité doit être annulée selon elle.

183.FCPE Actions EDF et Énergie en actions partagent l’analyse de l’ADAM sur la situation de conflits d’intérêts de M. [V] en ce que le vote de ce dernier a pu être guidé par son intérêt personnel de ne pas être sanctionné par l’État qui dispose d’un pouvoir de révocation directe du président-directeur général d’EDF, et/ou l’intérêt de préserver les intérêts de la Société Générale, établissement présentateur de l’Offre au sein duquel il occupe les fonctions de censeur.

184.Se fondant tant sur le règlement intérieur d’EDF que sur le code APEF-MEDEF, code de gouvernement d’entreprise, elles ont identifié deux autres situations de conflit d’intérêts :

‘ celle de M. [T], son vote ayant pu être guidé par son intérêt personnel d’être nommé Président-Directeur général d’EDF par l’État (à la date de la réunion du conseil d’administration d’EDF du 20 novembre 2022, son décret de nomination n’avait pas encore été adopté) et/ou son intérêt personnel de ne pas être sanctionné par l’État, pour les mêmes raisons que M. [V] ;

‘ celle de Mme [X], en raison de la fonction de directrice générale adjointe du groupe La Poste, entreprise publique contrôlée par l’État.

185.FCPE Actions EDF et Énergie en actions soutiennent que se trouvant dans une situation de conflits d’intérêts, ces trois personnes auraient dû s’abstenir de voter lors de la délibération du 27 octobre 2022 et ce d’autant que leur vote a permis, qu’un avis recommandant l’offre soit adopté par le conseil d’administration. Elles ajoutent qu’il appartenait à l’AMF d’apprécier si ces conflits d’intérêts étaient de nature à remettre en question la régularité des conditions d’adoption de l’avis motivé et en particulier sa conformité aux règles posées par le règlement intérieur du conseil d’administration d’EDF ainsi qu’aux principes prévus par le code APEF-MEDEF précité auquel se réfère EDF en application de l’article L. 22-10-10 du code de commerce, et le cas échéant de requérir de la société cible qu’une nouvelle réunion du conseil d’administration soit convoquée pour purger cette irrégularité. En refusant de porter une telle appréciation, l’AMF a commis une erreur manifeste d’appréciation justifiant l’annulation de la décision de conformité.

186.EDF répond, qu’il est de jurisprudence constante que l’AMF n’a pas le pouvoir d’apprécier, dans le cadre de son contrôle de conformité d’une OPA, le respect de règles de droit privé et de droit des sociétés notamment en matière de conflits d’intérêts, questions relevant de la seule compétence du juge judiciaire. Il lui appartient de vérifier que l’avis motivé contient les mentions obligatoires prévus à l’article 231-19, 4° du RGAMF, telles que précisées par une instruction établie par l’AMF, et non de s’assurer que les règles édictées par le code AFEP-MEDEF et par le règlement intérieur d’EDF ont été respectées. Elle souligne que l’article L. 621-18-3 du code monétaire et financier, qui confie à l’AMF le soin d’établir un rapport sur le gouvernement d’entreprise, n’attribue aucune compétence générale à l’AMF en matière de conflits d’intérêts. Elle fait valoir qu’en tout état de cause, les situations de conflits d’intérêts dénoncées par les demandeurs au recours sont inexistantes. Elle ajoute s’agissant de la comparaison faite avec M. [R], que les situations respectives de MM. [R] et [V] ne sont pas assimilables, dès lors que ce dernier ne dispose d’aucun pouvoir délibératif au sein du groupe Société Générale.

187.L’État et l’AMF développent une argumentation similaire. L’État relève en outre que les critiques des actionnaires minoritaires quant à l’existence de prétendus conflits d’intérêts au sein du conseil d’administration ont été traitées par EDF, puis communiquées à l’AMF, ainsi qu’au marché, puisqu’ils figurent dans l’avis motivé du conseil d’administration qui est intégralement repris dans la note en réponse d’EDF visée par l’AMF le 22 novembre 2022.

188.Le ministère public considère que le moyen doit être rejeté.

Sur ce, la Cour :

189.Aux termes du point 4 de la recommandation « AMF- DOC-2006-15- Expertise indépendante dans le cadre d’opérations financières » :

« Lorsqu’il établit son rapport au titre de l’existence de conflits d’intérêts liés à l’offre au sein du conseil d’administration, de surveillance ou de l’organe compétent de la société visée, l’expert examine, sur la base de la documentation y afférente, si les situations de conflits d’intérêts identifiées peuvent avoir des conséquences économiques et financières défavorables pour les porteurs de titres visés par l’offre.

En particulier, lorsqu’existent des accords entre l’initiateur et les dirigeants de la société cible ou les personnes qui la contrôlent, ou des opérations connexes à l’offre, ces éléments font l’objet d’une revue critique par l’expert afin d’établir en quoi ces accords ou opérations ne sont pas de nature à remettre en cause l’équité du projet d’offre.

De même, lorsque l’offre porte sur des instruments financiers de catégories différentes, l’expert indépendant examine si les conditions de prix auxquelles est libellée l’offre sont susceptibles de porter atteinte à l’égalité entre les actionnaires ou les porteurs des instruments financiers qui font l’objet de l’offre. En particulier, il s’assure que le mode de détermination du prix de l’une des catégories de titres ne repose pas sur des hypothèses incohérentes avec celles retenues pour une autre catégorie visée, et se prononce sur la cohérence des hypothèses et paramètres utilisés dans la valorisation de chaque instrument visé par l’offre. »

190.En l’espèce, l’expert indépendant mentionne, en page 188 de son rapport, que l’offre porte sur l’ensemble des OCEANEs émises par EDF, que le prix offert pour ces instruments financiers correspond à la valeur contractuelle de conversion ajustée de ces instruments en cas d’offre à 12 euros par action, et que les conditions financières de l’offre « ne créent donc pas de rupture d’égalité de traitement entre les actionnaires, d’une part, et les porteurs d’OCEANE, d’autre part, dès lors que le prix d’Offre des OCEANEs résulte de la prise en compte du prix d’Offre des actions en application de la formule de conversion prévue en cas d’offre publique ».

191.Par ailleurs, il indique, en page 189 de son rapport, que le seul accord connexe communiqué dans le projet de note d’information pouvant avoir une influence significative sur l’appréciation ou l’issue de l’offre est la convention de dotation d’actions signée entre l’État français et l’EPIC BPIFRANCE le 15 janvier 2018. Il l’a analysée, en page 160 de son rapport, et a relevé qu’elle ne faisait pas apparaître de disposition financière de nature à remettre en cause le caractère équitable de l’offre d’un point de vue financier.

192.Ainsi contrairement à ce qui est soutenu par l’ADAM, l’expert indépendant a procédé à l’analyse exigée par la recommandation AMF précitée, en recherchant si la situation de conflits d’intérêts visée à l’article 261-1 du RGAMF, qui a motivé la constitution d’un comité ad hoc et sa désignation sur proposition de celui-ci, pouvait avoir des conséquences économiques et financières défavorables pour les porteurs de titres visés par l’offre.

193.Ni l’expert indépendant, ni l’AMF dans le cadre de son contrôle de conformité d’une OPA n’ont le pouvoir d’apprécier la régularité d’une délibération d’un conseil d’administration au regard d’une situation de conflits d’intérêts en son sein, ou le respect des règles de droit des sociétés en matière de conflit d’intérêts ou celles édictées par le code AFEP-MEDEF, ou encore par le règlement intérieur de la société cible.

194.L’article L. 621-18-3 du code monétaire et financier, qui confie à l’AMF le soin d’établir un rapport sur le gouvernement d’entreprise, n’attribue aucune compétence générale à l’AMF en matière de conflits d’intérêts, et aucune compétence en particulier pour veiller, dans le cadre d’un contrôle de conformité d’une OPA, au respect des règles précitées en matière de conflits d’intérêts.

195.Il appartient à l’AMF uniquement de vérifier que, lorsque l’OPA est susceptible de générer un conflit d’intérêts au sein du conseil d’administration de la société cible, ont été respectées les dispositions de l’article 261-1 du RGAMF qui exigent la désignation d’un expert indépendant sur proposition d’un comité ad hoc, et celles de la recommandation précitée qui prescrivent à l’expert de rechercher si cette situation de conflits d’intérêts est susceptible d’avoir des conséquences économiques et financières défavorables pour les porteur de titres visés.

196.En l’espèce, il n’est pas contesté qu’EDF a respecté les dispositions de l’article 261-1 du RGAMF et il vient d’être établi que l’expert indépendant a respecté les exigences posées au point 4 de la recommandation précitée.

197.Enfin, il sera relevé que la note en réponse d’EDF mentionne, conformément à l’article 231-19, 4° du RGAMF, l’avis motivé du conseil d’administration qui précise les conditions de vote dans lesquelles cet avis a été obtenu.

198.Ainsi la note en réponse d’EDF mentionne les noms des administrateurs membres du conseil d’administration, en précisant ceux nommés par l’assemblée générale des actionnaires, ceux nommés par l’assemblée générale des actionnaires sur proposition de l’État, celui représentant l’État et ceux élus par les salariés.

199.Elle précise en outre le sens du vote des administrateurs nommés par l’assemblée générale et celui des administrateurs élus par les salariés. Elle indique que les administrateurs nommés par l’assemblée générale des actionnaires sur proposition de l’État et l’administrateur représentant l’État n’avaient pas pris part au vote.

200.La note en réponse assure ainsi une information complète du marché sur les conditions dans lesquelles le conseil d’administration d’EDF a adopté son avis motivé sur les mérites de l’offre.

201.Le moyen est rejeté.

III. SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

202.L’équité commande que chacune des parties conserve la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement,

REJETTE le recours formé par l’Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM) contre la décision n° 222C2537 du collège de l’Autorité des marchés financiers de conformité du projet d’offre publique d’achat simplifiée visant les titres de la société Électricité de France ;

REJETTE le recours formé par le conseil de surveillance du fonds commun de placement d’entreprise Actions EDF (FCPE Actions EDF) et l’association Énergie en actions contre cette même décision ;

REJETTE les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l’Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM), le conseil de surveillance du fonds commun de placement d’entreprise Actions EDF (FCPE Actions EDF) et l’association Énergie en actions, aux dépens.

LE GREFFIER,

Véronique COUVET

LE PRÉSIDENT,

[W] [Y]

 


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